Robert Linssen
Les « objets » et l’unique sujet

Il apparaît évident qu’au seuil du IIIe millénaire les évènements mondiaux se précipitent sous la forme de deux courants opposés. D’abord, un courant destructeur affectant matériellement et psychologiquement l’immense majorité des êtres humains par des crises se produisant à tous les niveaux: crises économiques, chômage, violence, dégradation des mœurs, drogue, pollution, augmentation des suicides, auto-destruction des processus naturels etc.

(Revue Être Libre, Numéro 337, Juin-Octobre 1997)

Il apparaît évident qu’au seuil du IIIe millénaire les évènements mondiaux se précipitent sous la forme de deux courants opposés.

D’abord, un courant destructeur affectant matériellement et psychologiquement l’immense majorité des êtres humains par des crises se produisant à tous les niveaux: crises économiques, chômage, violence, dégradation des mœurs, drogue, pollution, augmentation des suicides, auto-destruction des processus naturels etc.

Ensuite un courant nettement positif de transformations psychologiques et spirituelles. Ces dernières sont apparues surtout à partir de 1980. Elles se manifestent par l’essor soudain d’enseignements faisant appel au dépassement de l’égo, à la prise de conscience de la plénitude spirituelle de l’énergie par l’éveil intérieur.

Les commentateurs de cette transformation intérieure et son rôle fondamental dans l’harmonisation de l’avenir du monde utilisent fréquemment des termes évoquant des significations la plupart du temps inconnues aux chercheurs actuels, ceux-ci n’en n’ayant jamais été informés, ni à l’école, ni par les parents, ni au cours de leur relations.

Les mots peuvent être des poisons et l’éloquence peut devenir une escroquerie déclarait le savant français Joliot Curie.

Des termes tels que « objets », « sujets », « inconnu », peuvent avoir d’autres significations auxquelles, seul, le Silence intérieur et l’intelligence du Cœur donnent accès… Mais ceux-ci sont hors d’atteintes du mental.

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La claire compréhension des enseignements « non dualistes » (Ramesh Balsekar, Maharshi,

Nisargadatta, Wei Wu Wei, Krishnamurti) peut être aidée par quelques commentaires. Ceux-ci peuvent, provisoirement, nous faire saisir le sens de deux mots fréquemment cités dans les textes classiques: les mots objet et sujet.

Les enseignements des « Eveillés » évoquent l’Unité absolue de l’Univers et son indivisibilité. Cependant les débutants sont invités à constater que pour eux, cette unité fondamentale est un paradoxe.

Contrairement à l’évocation de cette unité, le monde se présente sous deux aspects opposés mais complémentaires. Nous apercevons d’abord le monde extérieur des innombrables phénomènes des objets, tels les arbres, les rochers; les êtres vivants ou inanimés; ensuite se révèle à nous le monde intérieur, celui du sujet. Ce dernier est unique et fondamental.

Il est inaccessible aux sens, au cerveau et à la pensée. Ainsi que le déclare Krishnamurti: « La vision pénétrante ou holistique ne passe pas par le cerveau ». Ceci est important et laisse entendre que la perception du Sujet fait obligatoirement appel à d’autres voies.

Malheureusement, l’immense majorité des êtres humains et surtout les « intellectuels » s’enferment dans des recherches savantes ou métaphysique compliquées et ardues pour tout expliquer par l’utilisation du cerveau perdant de vue le fait essentiel: les chercheurs de vérité se trouvent tous, à priori, piégés par le mental qui les enferme dans une situation fausse.

Ils se prennent pour des entités réelles, capables de résoudre tous les problèmes de l’existence par le raisonnement. Or, les Eveillés enseignent que le cerveau est en fait le créateur de la plupart des problèmes, peurs, mémoires, pseudo sécurité, ambitions, haines etc.

A toutes les questions relatives aux problèmes ou « pseudo-problèmes » de la souffrance, du plaisir, de la mort, les Eveillés conseillent aux chercheurs la prise de conscience du fait qu’ils ne sont que des objets apparemment séparés, limités, dépendants, dénués d’autonomie.

Qu’est-ce qu’un objet ?

C’est un ensemble de particules et d’énergies qui n’ont aucune indépendance, aucune autonomie. Un objet est apparemment isolé, présente des formes et contours définis. Il paraît soit solide, liquide ou gazeux. Mais rien n’est séparé ni indépendant, ni fixe dans le monde des « pseudo » objets extérieurs ou dans le monde intérieur. Les molécules ou électrons ou « quantons » d’une pierre sont dénuées de toutes apparences matérielles familières. Les électrons d’une pierre ou d’une goutte de sang ont une partie d’eux-mêmes au cœur des lointaines étoiles ou galaxies situées à des millions d’années lumière et réciproquement une partie des électrons situés au cœur de ces galaxies est présente dans chaque électron d’une pierre terrestre ou d’une goutte de notre sang.

Les scientifiques au seuil du IIIe millénaire confirment le bien fondé des enseignements des anciens mystiques évoquant une interfusion et interpénétration cosmique. Ceci se trouve évoqué dans le Kégon Zen et L’Avatamsaka Sûtra. Des milliards de filaments physiquement invisibles mais réels et substantiels, relient entre eux tous les éléments constitutifs de l’univers. Ce dernier doit être considéré comme le corps unique de tous les vivants, de tous les éléments constitutifs, animés ou inanimés.

Rien n’est séparé. Tout est dans tout. Cette interfusion universelle est évoquée dans la célèbre parabole indienne du « Collier d’Indra » évoquée par Capra dans le « Tao de la physique ». Dans cette parabole, l’univers est comparé à un immense collier formé de milliards de perles. Chacune de ces perles reflète la lumière de toutes les autres et réciproquement toutes les autres possèdent le reflet de la première au cours d’une interfusion mutuelle.

Les objets ne sont pas séparés, ils n’ont aucune autonomie, aucune fixité complète. Les objets ne sont que des processus. Au cœur d’une pierre apparemment immobile se déroule la prodigieuse recréation de milliards de tourbillons d’énergie. L’apparente solidité du corps humain cède la place aux tourbillons d’ondes et de vagues rythmiques. Au niveau quantique l’univers se recrée des milliards de fois par seconde et l’on sait maintenant que l’univers est un univers quantique.

Chaque être humain est un objet aux dimensions infiniment petites s’insérant dans l’immensité de l’univers phénoménal dont l’action constante est d’une impersonnalité rigoureuse en dépit des spéculations de nombreux métaphysiciens évoquant la présence sous-jacente d’une intentionnalité divine.

N’en concluons pas que ce passage est empreint d’athéisme. Précisons ici que l’insistance avec laquelle les Eveillés citent les caractères d’impersonnalité et d’absence d’entité dans le comportement de l’univers résulte de la gratuité et de la spontanéité de fonctionnement universel en tant que « Jeu Divin », intemporel et a-causal.

Au-delà des objets

Il est donc nécessaire de ne pas projeter sur un processus impersonnel et cosmique les limites conceptuelles des objets dans lesquelles nos égos se sont enfermés.

En bref, un examen attentif des éléments constitutifs des objets nous révèle la dissolution de ces éléments dans l’unité lumineuse du Noumène. Celui-ci est le seul sujet, omniprésent, omnipénétrant dans sa plénitude de conscience-amour, inconscient de lui-même.

L’ancienne dualité Sujet-Objet fait place à la plénitude unique du noumène. Les Eveillés déclarent « vivre nouménalement parmi les phénomènes (objet) ». Ceci est la révélation de l’état naturel le plus simple. L’apparente solidité substantielle du monde des objets se révèle être le noumène, l’éternel Sujet. Telle est la réalisation des Eveillés qui sont « retournés à la source ». En réalité ils ne l’ont jamais quittée.