André A. Dumas
Les Vies antérieures

(Extrait de La Science de l’Âme, 2e édition. Dervy-Livres 1980) Et, en remontant plus loin dans le temps, j’ai, aux périodes glaciaires, vogué sur les mers polaires, couvert mes épaules de la dépouille sanglante du renne et combattu le mammouth. Dans les cavernes profondes, j’ai gravé sur le roc le souvenir de mes prouesses et […]

(Extrait de La Science de l’Âme, 2e édition. Dervy-Livres 1980)

Et, en remontant plus loin dans le temps, j’ai, aux périodes glaciaires, vogué sur les mers polaires, couvert mes épaules de la dépouille sanglante du renne et combattu le mammouth.

Dans les cavernes profondes, j’ai gravé sur le roc le souvenir de mes prouesses et j’y ai sucé les mamelles des louves, côte à côte avec leur progéniture qui m’écartait à coups de dents.

Jack LONDON

(Les Mutinés de « l’Elseneur »)

La régression de la mémoire

L’étude scientifique de l’hypnose a permis de mettre en évidence un fait qui, parallèlement, a été établi avec d’autres moyens, par la psychanalyse : tous les événements de notre existence sont enregistrés dans une partie subconsciente de la mémoire (voir chapitre I) et les souvenirs oubliés peuvent être ressuscités dans l’hypnose, lorsque le sujet est invité à remonter le cours du temps.

Tel adulte auquel on suggère de se retrouver à l’âge de 6 ans, ne sait plus s’exprimer que dans le patois de sa province d’origine ; ramené à l’âge de 10 ans, il parle français, écrit d’une manière enfantine, récite une fable dont il ne connaît plus un mot à l’état de veille, parle de ses amis d’enfance et évoque avec un grand luxe de détails tous les événements de la vie courante a cette période.

* *

Mais il y a plus étrange encore : certaines expériences d’hypnose, avec « régression » ou « revivification » de la mémoire, démontrent qu’il existe une liaison entre les états psychiques et physiques correspondant à chaque période. Le docteur Pierre Janet, au cours de ses célèbres travaux à l’Hôpital de la Salpêtrière à Paris, sur des hystériques en état d’hypnose, en a rapporté deux remarquables exemples (L’Automatisme Psychologique).

Une de ses malades, à laquelle il suggérait que le temps présent était antérieur de deux années, pour observer simplement des modifications éventuelles de la sensibilité, se mit à gémir, à se plaindre d’être fatiguée et de ne pouvoir marcher, parlant de sa « situation ». A la question du savant surpris, elle répondit d’un geste en montrant son ventre subitement gonflé et tendu : le docteur Janet; sans le vouloir, avait ramené sa malade à une période de sa vie pendant laquelle elle était enceinte !

Avec une autre malade, complètement aveugle de l’œil gauche et prétendant l’être depuis sa naissance, le même expérimentateur a constaté que, ramenée dans l’hypnose à 1’âge de 7 ans, son œil gauche était encore inutilisable, mais que, après lui avoir suggéré qu’elle n’avait que 6 ans, elle voyait parfaitement des deux yeux !

Le docteur Janet put ainsi déterminer l’époque et les circonstances au cours desquelles sa malade avait perdu la sensibilité de l’œil gauche. Il conclut : « La mémoire a réalisé automatiquement un état de santé dont le sujet croyait n’avoir conservé aucun souvenir. »

Malgré l’extrême importance de ces résultats, l’étude scientifique des états hypnotiques a subi une longue éclipse. Pendant près d’un demi-siècle, l’hypnose a été méprisée, négligée et abandonnée aux bateleurs de foire et de music-hall. Elle fait aujourd’hui de nouveau l’objet de recherches scientifiques et des travaux récents ont confirmé les découvertes anciennes ; André Weitzenhoffer, professeur. à l’Université de Michigan, cite plusieurs cas semblables à ceux observés par Pierre Janet : entre autres, celui d’un épilepti­que, observé par Kupfer, et qui, « régressé » en hypnose à une période antérieure à sa première attaque, présentait un électro-encéphalogramme absolument normal (228).

Il faut retenir cette mystérieuse relation entre le « temps psychique » et l’état physiologique ; elle a une profonde signification : derrière la personnalité apparente existe une zone psychique sous-jacente, avec sa mémoire intégrale du passé, et derrière l’état actuel de l’organisme, existent, d’une manière latente, virtuelle, tous les états passés de cet organis­me et ses diverses modifications, une sorte de mémoire orga­nique, et celle-ci est liée à la mémoire psychique subcons­ciente.

* *

Certains chercheurs ont été plus loin dans leurs investi­gations hypnotiques : ils ont suggéré à leurs sujets de remonter le temps, non seulement jusqu’aux premiers mois de leur vie, mais encore à la période précédant la naissance. Dans ces cas, le sujet déclare, et ceci quelle que soit son opinion philosophique à l’état de veille, avoir déjà vécu physiquement une autre existence, et se trouver dans le monde spirituel en attendant de reprendre corps pour une nouvelle vie matérielle. Le colonel de Rochas, ancien administrateur de l’École Polytechnique, a publié en 1911 un ouvrage sur Les Vies Successives dans lequel il relatait ses expériences de régression de la mémoire, réalisées de 1892 à 1910 sur une vingtaine de sujets. La notion de vies antérieures se dégage de toutes ces expériences, mais les renseignements ainsi recueillis n’ont pas été vérifiés et il est facile de mettre sur le compte de la suggestion exercée inconsciemment par l’expérimentateur les « révélations » de ses sujets.

Avant de Rochas, en 1897, Fernandez Colavida, en Espagne, et après lui, plus récemment, en 1942, J. Bjökhem, en Suède, ont entrepris des expériences semblables et ont obtenu les mêmes résultats, mais sans plus de faits précis contrôlables.

Cependant, Morey Bernstein a publié en 1956 sous le titre A la recherche de Bridey Murphy le récit d’une série d’expériences de « régression de la mémoire » avec Mme Ruth Simmons, aux États-Unis, expériences dont certains éléments biographiques, historiques et folkloriques, remon­tant à 150 ans, ont pu être vérifiés en Irlande. Malheureu­sement, on a appris ultérieurement que Mme Simmons avait fréquenté dans ses jeunes années, un milieu irlandais, ce qui diminue considérablement l’intérêt du cas.

Les résultats de ces expériences, comme l’a souligné le docteur Ian Stevenson (223), sont, dans l’ensemble, décevants, par suite de la difficulté de contrôler les informa­tions relatives à la « personnalité antérieure », laquelle, manifestée au cours des « régressions » paraît être un mélange de plusieurs éléments, les uns provenant du sujet hypnotisé et de sa fantaisie mentale, certains de l’hypnotiseur et de ses espérances, d’autres enfin parfois d’origine paranormale.

Il faut noter aussi, bien qu’il ne s’agisse pas dans ce cas de régression de la mémoire, que les nombreuses « lectures » que faisait le célèbre clairvoyant américain Edgar Cayce, en état d’auto-hypnose, sur les vies antérieures de ses visiteurs, présentaient un grand intérêt du point de vue psychanaly­tique et moral, mais que, contrairement à ses extraordinaires diagnostics médicaux, les antériorités ainsi décrites étaient invérifiables (229).

Souvenirs pré-nataux spontanés

Dans le domaine des investigations psycho-prénatales, ce sont les souvenirs spontanés qui ont apporté jusqu’à présent éléments les plus précis et les vérifications les plus éclatantes.

On en trouvera des exemples caractéristiques, mais déjà anciens, comme celui de la fille Alexandrine du docteur Carmelo Samona (215, pp., 341 à 362), dans l’ouvrage que Gabriel Delanne a consacré a l’étude de la Réincarnation.

Des travaux modernes ont confirmé les faits enregistrés par les premiers investigateurs, ainsi que leurs conclusions.

Un psychiatre britannique, le docteur Arthur Guirdham, dans un ouvrage (224) préfacé par le célèbre romancier Lauwrence Durrel et postfacé par René Nelli, professeur de littérature médiévale a l’Université de Toulouse, a exposé l’étude détaillée du cas clinique d’une de ses patientes, Mme Smith, qui, depuis vingt ans, faisait le même cauchemar, d’abord à quelques mois d’intervalle, puis, au cours des mois qui précédèrent sa visite au psychiatre, en mai 1962, deux ou trois fois par, semaine. Dans ce cauchemar, elle se voyait allongée sur le plancher, un homme entrait dans sa chambre, et son approche la remplissait de terreur ; les éléments de ce cauchemar et ceux contenus dans des rêves ultérieurs, ainsi qu’une sorte de roman écrit par Mme Smith, de. même que des documents retrouvés dans une vieille malle, carnet de notes d’écolière et poèmes en français médiéval transcrits dans un état intermédiaire entre la clairaudience et la mémoire du passé, se rapportaient tous à des épisodes vécus au XIIIe siècle, à l’époque de l’Inquisition contre les Cathares, en pays albigeois, dans le midi de la France.

Le docteur Arthur Guirdham entreprit des recherches de contrôle en collaboration avec le professeur René Nelli et Jean Duvernoy, spécialistes de la civilisation cathare, qui, connaissant la source inhabituelle des informations du psychiatre britannique, furent souvent surpris des précisions énoncées par Mme Smith.

Quatre personnages de l’époque furent ainsi identifiés, comme les lieux et les circonstances dans lesquels les événements décrits s’étaient déroulés. Les principes métaphysiques, les symboles religieux, les formes caractéristiques du langage, les particularités des mœurs, les détails de mobilier et de costume, évoqués dans ces souvenirs, de même que les impressions éprouvées sur place par Mme Smith lors d’un voyage dans la région des Pyrénées, correspondaient avec une exactitude surprenante aux connaissances acquises par les spécialistes.

Cependant, un seul exemple suffit à montrer l’insuffisance de la thèse d’une mystérieuse liaison d’inconscient à inconscient qui aurait permis à Mme Smith de puiser ces connaissances dans le cerveau d’un historien : elle fit la description du costume d’un prêtre cathare ; d’après ses dires, il était bleu foncé. Or, jusque vers 1964, tous les historiens ont affirmé que les prêtres cathares étaient invariablement vêtus de noir, et ce n’est qu’ultérieurement que Jean Duvernoy, dans un ouvrage publié en 1965, a démontré qu’il pouvait en être autrement. Mais les observations de Mme Smith à ce sujet avaient été formulées une vingtaine d’années auparavant.

* *

Un des cas les plus remarquables est celui de Swarnlata qui a été étudié d’une manière approfondie et exposé par le docteur Ian Stevenson, professeur de psychiatrie et de neurologie à l’École e Médecine de l’Université de Virginie (U.S.A.).

Swarnlata Mishra naquit le 2 mars 1948 au village de Shahpura, district de Tikamgarh, dans l’État de Madhya Pradesh.

Trois ans et demi plus tard, sa famille habitait dans un autre village, Panna, dans le même État. Son père l’emmena un jour à Jabalpur, une des villes principales du Madhya Pradesh, et au retour, en traversant la ville de Katni, à 90 km plus au nord, Swarnlata demanda soudain au conducteur de la voiture qui les transportait de prendre « cette route transversale qui conduit à ma maison », disait-elle. Peu après, la famille prenait le thé à Katni et Swarnlata déclarait : « Le thé serait bien meilleur si on allait le prendre chez moi, juste à côté. »

La fillette expliqua alors qu’elle avait habité Katni « une autre fois » et que sa famille s’appelait alors Pathak. Plus tard, elle se mit à chanter des chansons et à danser des danses inconnues des siens ; dès ce moment, elle continua à parler de sa famille de « l’autre fois », avec une foule de détails. Les parents notaient les étranges propos de leur fille, mais pensaient, comme il arrive presque toujours dans des cas semblables, qu’il s’agissait d’une fantaisie de l’imagination enfantine.

La rencontre, en 1958, Chatarpur, de la famille Mishra, avec une certaine dame, épouse du professeur R. Aquihotri, modifia le cours des choses. Swarnlata, qui avait a ce moment 10 ans, déclara d’emblée à cette dame qu’elle l’avait connue « l’autre fois, à Katni ». Or cette dame était en effet de Katni et connaissait une famille Pathak ; elle confirma les détails fournis par l’enfant depuis plus de six ans.

Un enquêteur, Sri Banerjee, vint à Chatarpur en mars 1959 et questionna la fillette pendant deux jours. Il nota, entre autres, une description précise de la maison des Pathak qui lui permit de la retrouver à Katni ; on ignorait en effet jusqu’alors à quelle famille Pathak se rapportaient les propos de Swarnlata. Sri Banerjee lia connaissance avec cette famille et constata que tous les détails biographiques fournis par la fillette correspondaient point par point à la vie d’une fille, Biya Pathak, décédée en 1939 après avoir épousé Chintamani Pandey, de Maihar.

Plusieurs membres de la famille Pathak ayant décidé de lui rendre visite à Chatarpur, Swarnlata les reconnut ; puis, emmenée à Maihar, elle y reconnut les lieux et de nombreuses personnes et indiqua les changements survenus depuis la mort de Biya.

L’enquête, entièrement reprise sur place et aux sources par le docteur Ian Stevenson, permit d’établir que tous les détails topographiques, la description de la maison Pathak, l’indi­cation des métiers exercés par les membres de la famille, et une foule d’autres précisions diverses, correspondaient à la réalité telle qu’elle était au moment de la mort de Biya (22 3).

* *

Sans doute, l’idée de « réincarnation » fait partie de la tradition de l’Inde, mais cette circonstance, si elle facilite incontestablement les enquêtes de ce genre, n’enlève rien au caractère objectif des faits et de leur vérification.

Voici un autre cas, non moins extraordinaire, de souvenirs prénataux, doublé d’un phénomène de « mémoire organique », étudié par le professeur Ian Stevenson et par M. Resat H. Bayer, président de la Société Turque de Recherches Parapsychologiques ; il est l’un des 600 cas, dont 60 en Turquie méridionale, enregistrés par le professeur Ian Stevenson. Il s’est précisément déroulé dans un pays de tradition musulmane, à laquelle l’idée de réincarnation est étrangère.

A Adana, sur la rivière Seyhan, et plus précisément dans le quartier Yamaçli, habitait dans une cabane la famille Unlûtaskiran. Le Ore, Süleyman, travaillait saisonnièrement dans les champs de coton, et dans les fabriques de textile. Cette famille, très pauvre, comprenant déjà de nombreux enfants, s’agrandit encore vers la fin de 1951 lorsque Cécile Unlûtaskiran donna naissance à un garçon qui fut prénommé Malik. Fait étrange, son corps présentait plusieurs marques de naissance ressemblant à des blessures causées par des coups de couteau.

Trois jours après cette naissance, Cécile rêva que le nouveau-né Malik lui demandait d’être appelé Necip ; la nuit suivante se renouvela le même rêve, dans lequel le bébé insistait pour être prénommé Necip.

Lorsque deux enfants portent le même nom, une crainte superstitieuse fait redouter la mort de l’un d’eux ; aussi Cécile et Süleyman ne purent se décider à appeler leur bébé Necip, car l’enfant d’une famille proche parente portait déjà ce prénom ; et ils l’appelèrent Necati.

Dès que le petit garçon commença à parler, il déclara qu’il voulait être appelé Necip et peu peu, donna des détails sur une vie antérieure. Selon ses dires, il se serait appelé Necip Budak, et aurait vécu à Mersin, à 80 km d’Adana. Il déclarait avoir été marié, père de cinq enfants ; il précisait les noms de tous les membres de sa famille, père, mère, femme et enfants, et donnait de nombreux détails : il précisait, par exemple, qu’au cours de ses promenades, il portait souvent sur ses épaules son fils Nejat.

Enfin, il expliguait avec précision comment il avait été assassiné, de plusieurs coups de couteau par un cordonnier nommé Ahmet Renkli.

Les parents n’accordèrent aucune importance à ces récits, jugés comme le produit de l’imagination enfantine, et d’ailleurs leurs écrasantes tâches quotidiennes ne pouvaient leur permettre la moindre tentative d’enquête.

Cependant, ayant accompagné un jour son grand-père maternel à son village de Karaduvar, l’enfant, arrivé à la maison grand-paternelle, courut embrasser une vieille dame, seconde femme de son grand-père, en l’appelant « ma tante ». L’enfant expliqua que, lorsqu’il était Necip Budak, la vieille dame avait été une voisine que tout le monde appelait familièrement tante. Ce qui était exact.

Necati fut emmené par son grand-père à Mersin, situé à 9 km de Karaduvar, et dès qu’ils furent arrivés dans le quartier où avait vécu autrefois Necip Budak, il courut vers un groupe de plusieurs personnes et embrassa la main d’un vieillard, s’adressant à lui comme à un père. Étonné, celui-ci le fut davantage encore lorsque l’enfant, désignant un chapelet que portait le vieil homme, déclara que cet objet lui avait appartenu et que son père l’avait gardé en souvenir de son fils.

Au milieu d’un groupe d’enfants, il put désigner chacun des orphelins de Necip Budak et les nommer par leur nom, sauf la plus jeune fille, née après le décès de Necip.

L’enquête menée par le professeur Ian Stevenson et par Resat H. Bayer a duré plusieurs années. Les membres des deux familles et l’assassin, amnistié après 9 ans de prison, ont été interrogés et les entretiens ont été enregistrés sur magnétophone.

Huit sur neuf des signes de naissance présentés par le corps de Necati, non seulement correspondent aux points désignés par le meurtrier comme ceux ou il avait frappé sa victime, mais encore coïncident avec exactitude aux huit blessures énumérées et décrites dans le rapport d’autopsie du méde­cin-légiste docteur Faruk Ilhan, en date du 7 mai 1951 (226).

Seule, une neuvième marque fut l’objet d’un doute, soit qu’elle ait eu pour origine une blessure reçue par Necati au cours de sa vie présente, soit qu’elle ait été omise dans le rapport du légiste.

Quoi qu’il en soit de ce détail, le cas Necati-Necip est doublement remarquable, puisqu’il constitue une manifestation de mémoire prénatale, non seulement sur le plan psychologique, mais encore — avec toute la signification que le fait implique — sur le plan organique.

La théorie suivant laquelle la Psyché est liée à un organisme subtil de nature énergétique et conservateur de la forme spécifique à travers des existences physiques succes­sives est en effet singulièrement illustrée par ce cas, qui apparaît comme une modalité particulière de la régression de la mémoire, liée à une modification physiologique : c’est l’extension, à la période prénatale, du phénomène déjà noté de la liaison du « temps psychique » et de l’état physiologique, et qui implique ici la réalité d’une vie antérieure.

Évolution bio-psychique, évolution spirituelle

Certains penseurs, comme Delanne et Geley, ont identifié le « double fluidique » avec le canevas vital de Claude Bernard (voir chapitre XV : Fantômes matérialisés et Psychorganisme).

C’est ce réseau dynamique [1], ce psychorganisme — dont l’ébauche se trouverait déjà dans les Cristaux réparant leurs brisures dans une eau-mère, en rétablissant leur forme géométrique caractéristique — qui serait à l’origine des réparations organiques en général et, plus particulièrement, des étonnantes reconstitutions d’organes mutilés qu’on observe dans la série animale, comme celle de la queue de Lézard, des pattes du Triton et de l’œil de l’Écrevisse ; il expliquerait les organes rudimentaires, comme les germes dentaires qui se trouvent dans les gencives des jeunes perroquets et de quelques autres Oiseaux, « souvenirs » organiques atténués des dents des Oiseaux à caractères reptiliens de l’ère secondaire ; de même, les dispositions anatomiques transitoires présentées par les êtres au cours de leur développement embryonnaire, comme les fentes bran­chiales du cou, caractéristique essentielle des Poissons, qui apparaissent à un stade précoce chez l’embryon des Reptiles, des Oiseaux et des Mammifères, Homme compris, seraient les manifestations d’une sorte de régression de la « mémoire » organique. Rappelons-nous les expériences de régression de la « mémoire » des états physiologiques.

Dans le domaine psychologique, l’Instinct des animaux, avec ses caractères quasi-divinatoires, les analogies frappantes que les psychanalystes ont trouvé entre nos rêves actuels et les conceptions de nos ancêtres primitifs, sont autant de faits qui peuvent être interprétés par l’hypothèse psycho-évolutionniste.

En somme, de même que l’électron est à la fois onde et particule, « psychorganisme » et « subconscient » apparaîtraient comme deux aspects — l’un biologique, 1autre psychologique — de la Psyché qui, d’une part, aurait enre­gistré à 1état potentiel toutes les formes vitales, condensées, simplifiées, synthétisées, de la lignée évolutive, et de l’autre, aurait synthétisé et transformé en tendances instinctives et en facultés intellectuelles toutes les expériences acquises dans les vies organiques successives, au cours du processus général qui tend à élever tous les êtres et toute la Nature de l’Inconscient au Conscient, selon l’expression de Geley.

* *

Une question se pose inévitablement : si les souvenirs prénataux révèlent une loi naturelle fondamentale commune à tous les êtres, c’est-à-dire la succession d’expériences corporelles diverses, s’ils témoignent des antériorités d’un être et que nous ayons tous de telles antériorités, pourquoi alors ces faits sont-ils si exceptionnels ? Pourquoi chacun de nous n’a-t-il pas le souvenir de ses existences physiques antérieures.

Il faut le reconnaître : les souvenirs prénataux, sous la forme spectaculaire revêtue par les cas ci-dessus exposés, sont en effet exceptionnels, car la loi générale est l’oubli.

Les faits exceptionnels jouent toujours le rôle d’un verre grossissant appliqué sur les phénomènes habituels; en biologie, c’est le cas des vrais jumeaux et des frères siamois, qui ont permis de mieux comprendre les problèmes du dévelop­pement organique normal. Et c’est aussi en psychologie le cas des souvenirs prénataux, qui attirent notre attention sur des faits psychiques qui, quoique fondamentaux, ont été négligés quant à leur interprétation.

La loi générale est l’oubli, certes, mais il ne s’agit que de l’oubli par la conscience de veille : les expériences de régression de la mémoire ont en effet établi que rien ne disparaît de notre mémoire subconsciente, et qu’un simple plongeon dans le sommeil hypnotique peut faire réapparaître ce que l’on croyait oublié à jamais. Des adultes, reportés à l’âge de leurs débuts scolaires, récitent des textes et des fables ou écrivent des poésies enfantines dont le souvenir conscient s’est évanoui depuis longtemps.

Cette survivance de souvenirs disparus du champ de la conscience « normale » est confirmée par les « visions panoramiques » se déroulant en quelques secondes dans l’esprit de personnes en danger de mort, lesquelles revivent leur passé dans les moindres détails, comme s’il se déroulait dans un film extrêmement rapide. Des rescapés d’une noyade, d’une asphyxie ou d’un accident de montagne en ont témoigné .

Ernest Bozzano a fait une étude approfondie de ces phéno­mènes révélateurs (28).

Les résurrections accidentelles de souvenirs chez des personnes atteintes d’un accès de fièvre ou ayant perdu connaissance après un accident, mettent aussi cette perma­nence mémorielle en évidence. Ribot a rapporté le cas de ce forestier polonais qui, tout enfant, avait quitté la Pologne pour vivre en Allemagne où il avait complètement oublié sa langue maternelle. Quarante ans plus tard, au cours d’une anesthésie à laquelle il fut soumis, il parla en polonais pendant deux heures.

Rien donc ne se perd, pas plus la trace des plus petits incidents de notre vie que celle de nos premières acquisitions intellectuelles. Notre conscient peut avoir oublié les détails mais il en a retenu l’essentiel, la synthèse, la quintessence, l’utilisable. Et l’argument fréquemment exprimé contre la théorie des antériorités : « À quoi servent nos vies antérieures si nous ne nous souvenons de rien », n’a pas plus de valeur que l’objection qui mettrait en doute l’utilité de l’école sous le prétexte que nous avons oublié le nom et le visage de nos professeurs, les sujets de rédaction, et les énoncés des problèmes qu’ils nous ont proposés.

Les détails inutiles et encombrants de nos expériences passées sont relégués dans notre subconscient, mais la synthèse utilisable de ces acquisitions est toujours à la disposition de notre conscient.

En nous analysant attentivement, en pratiquant ce qui était autrefois la seule base de la recherche psychologique, l’introspection, trop exclusivement prônée hier, trop négligée aujourd’hui, nous nous apercevons qu’il y a en nous des idées, des notions, qui ne semblent pas provenir d’une expérience quelconque : c’est ce que les philosophes nomment des « idées innées » ; celles-ci sont niées par la plupart des psychologues modernes, en vertu du principe énoncé par Condillac, qu’« il n’y a rien dans l’entendement qui n’ait passé par les sens ».

Or, la thèse des expériences vitales antérieures concilie ces deux points de vue, appuyés l’un et l’autre sur des faits incontestables, et qui ont divisé les philosophes depuis des siècles : car ces idées et ces notions sont à la fois innées et acquises, si elles sont le résultat d’une activité sensorielle antérieure.

L’illustre Helen Keller qui, aveugle, sourde et muette, fut le premier être atteint d’une telle infirmité à entrer dans une Université, celle de Harward, et qui, multi-diplômée, connaissant sept langues, est devenue écrivain et poète, a écrit dans son Histoire de ma Vie : « J’imagine que chaque individu a une mémoire subconsciente du vert des champs, du murmure des eaux, et ni la cécité ni la surdité ne peuvent, je crois, le priver de cet héritage que lui ont transmis les générations du passé. »

Cette mémoire subconsciente, qui n’est pas à proprement parler l’héritage des générations précédentes, mais celui de notre propre activité dans des vies physiques antérieures, sert de support aux nouvelles expériences et aux nouvelles idées qui viennent s’y superposer d’abord, s’y fondre ensuite.

C’est cette fusion, cette synthèse des acquisitions de l’existence physique la plus récente avec toutes celles qui l’ont précédée, qui constitue la fonction essentielle de la période s’écoulant entre la mort et la naissance suivante. Elle est aussi la source de l’oubli, car les souvenirs prénataux précis qui constituent une des bases de la théorie réincarnationniste, ne peuvent subsister que si la naissance s’effectue avant que la fusion de la personnalité récente avec la Psyché totale se soit complètement réalisée. D’où la rareté de ces cas.

Ainsi, malgré l’oubli des antériorités, et grâce à la conservation de leurs résultats essentiels, la naissance et la mort nous apparaissent comme deux phases alternées et complémentaires d’une continuité évolutive qui a pour finalité l’enrichissement spirituel de l’être.

* *

Le philosophe Henri-Frédéric Amiel (né à Genève, 1821-1881), qui a excellé dans l’analyse introspective, a consigné dans son Journal (227) des réflexions pleines d’intérêt suscitées par la reviviscence brusque d’un souvenir d’enfance oublié depuis plus de quarante ans : « Notre conscience est donc comme un livre dont les feuillets tournés par la vie se couvrent et se masquent successivement, en dépit de leur demi-transparence ; mais quoique le livre fut ouvert à la page du présent, le vent peut ramener, pendant quelques secondes, les premières pages devant le regard. Est-ce qu’à la mort, les feuillets cesseraient de se recouvrir, et verrions-nous tout notre passé à la fois ? Serait-ce le passage du successif au simultané, c’est-à-dire du temps à l’éternité ? Comprendrions-nous, alors, dans son unité, le poème ou l’épisode mystérieux de notre existence, épelé jusqu’alors phrase à phrase ? Serait-ce la cause de cette gloire qui enveloppe si souvent le front et le visage de ceux qui viennent de mourir ? Il y aurait, dans ce cas, analogie avec l’arrivée du voyageur à la cime d’un grand mont, d’où se déploie devant lui toute la configuration d’une contrée aperçue auparavant par échappées. Planer sur sa propre histoire, en deviner le sens dans le concert universel et dans le plan divin, ce serait le commencement de la félicité. Jusqu’alors, on s’était sacrifié à l’ordre ; maintenant, on savourerait la beauté de l’ordre. On avait peiné sous le chef d’orchestre ; on deviendrait auditeur surpris et enchanté. On n’avait vu que son petit sentier dans le brouillard ; un panorama merveilleux de perspectives immenses se déroulerait tout à coup devant le regard ébloui. Pourquoi pas ? »

Cette magnifique page d’Amiel exprime en style poétique ce que les recherches parapsychiques permettent de comprendre, c’est-à-dire la limitation relative de notre personnalité pendant la vie physique, disons : pendant les vies physiques, et l’extension de la conscience au cours du processus psycho-synthétisant de 1’« après-mort », ou plus exactement des « après-morts » successives.

* *

Ainsi toute l’évolution de la Science, tout le dévelop­pement de la pensée philosophique, tendent à apporter, pièce par pièce, des matériaux en faveur de cette grandiose hypothèse de l’évolution psychobiologique, selon laquelle l’âme humaine serait le couronnement — provisoire — d’une immense élaboration, d’une individualisation, d’un développement et d’un épanouissement progressifs à travers les formes de la lignée biologique.

Chacun de nous, à peiné sorti de l’animalité, aurait disputé, aux abords de la caverne préhistorique, armé de l’épieu ou de la hache de pierre, le gibier aux griffes des fauves ; puis, poursuivant notre marche ascendante, au cours de centaines de vies successives — ces passages dans la matière par lesquels, selon Bergson, la conscience se trempe comme de l’acier — nous aurions été successivement esclaves ou potentats, oppresseurs ou opprimés, serfs ou barons féodaux, mendiants ou nobles chevaliers, soudards cruels ou brigands de grands chemins, moines studieux, pauvres paysans ou artisans habiles, persécuteurs de prophètes ou libérateurs de la pensée.

Alors l’Univers et la Vie ont un sens : ils sont les moyens de l’éveil et de l’extension de la Conscience, les conditions de l’éternelle ascension vers le Plus-Être.

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1 Gabriel Delanne (215) avait attiré l’attention sur une note de M. Stanoievitch à l’Académie des Sciences (12-5-1898), selon laquelle les tissus végétaux sont formés suivant des lignes de force. Un des dessins accompagnant cette note reproduisait l’aspect d’une branche de sapin avec deux nœuds jouant le même rôle et produisant les mêmes perturbations dans les parties adjacentes qu’un pôle magnétique introduit dans un champ de même nature.

Les chercheurs soviétiques Semyon et Valentina Kirlian ont obtenu par un procédé photo-électronique de leur invention des photographies mettant en évidence l’existence d’un « champ », que le physicien Victor Adamenko et le biologiste docteur Inyushin considèrent comme une « émission froide d’électrons » et qu’ils désignent par le terme « bioplasma ».

La photographie la plus remarquable est celle d’une feuille dont une portion a été coupée, mais dont la silhouette énergétique apparaît intacte (225 et 225 bis).