René Dubos
L’homme et son environnement

La surconsommation d’énergie favorise dans nos sociétés, la tendance à remplacer l’expérience directe des choses par l’expérience indirecte. On préfère voir jouer au tennis sur l’écran plutôt que de jouer au tennis soi-même. Le plus grand danger de la télévision, de mon point de vue, n’est sûrement pas de rendre les enfants criminels, parce qu’ils ont trop vu de films violents, mais certainement de les empêcher d’acquérir l’expérience des choses de la vie. Ils voient le monde d’une façon passive, au lieu d’en faire l’expérience d’une façon active.

(Revue Question De. No48. Juillet-Août 1982)

René Dubos (1901-1982) était un chercheur français qui s’est installé aux États-Unis où il était professeur à l’Institut Rockefeller de New York. Un homme que les Américains ont adopté comme l’un de leurs maîtres-à-penser, car son grand humanisme, son expérience de chercheur — il était microbiologiste — sa découverte du Nouveau Monde et son dynamisme, l’ont amené à des réflexions essentielles sur la médecine, la santé, sur l’homme, d’où sa phénoménologie.

Il apporte une nouvelle définition de la santé, une vision globale de l’homme qui ouvre des perspectives infinies, le portrait d’une médecine plus humaine et des raisons d’espérer, car pour René Dubos, l’avenir est riche et vivant. Il était aussi membre de l’Association Zen internationale. Voici quelques extraits de son ouvrage : « Courtiser la terre » (Stock).

« J’ai très peu de préoccupations quant à ce qui est de trouver des matières premières et de l’énergie. Ces problèmes d’extraction sont des problèmes que nos sociétés savent résoudre. Nous saurons produire de l’énergie, nous saurons trouver des ressources, si bien que le vrai problème, est celui de l’utilisation excessive de l’énergie.

… Un aspect à considérer, ce sont les rapports entre utilisation d’énergie et santé physique. L’utilisation excessive de l’énergie sous forme de nourriture, par exemple, nous savons tous quelles en sont les conséquences, mais aujourd’hui, dans les pays surdéveloppés, l’utilisation excessive de l’énergie sous de nombreuses formes pose une multitude de problèmes, qui tous ont un retentissement biologique très profond.

La surconsommation d’énergie favorise dans nos sociétés, la tendance à remplacer l’expérience directe des choses par l’expérience indirecte. On préfère voir jouer au tennis sur l’écran plutôt que de jouer au tennis soi-même. Le plus grand danger de la télévision, de mon point de vue, n’est sûrement pas de rendre les enfants criminels, parce qu’ils ont trop vu de films violents, mais certainement de les empêcher d’acquérir l’expérience des choses de la vie. Ils voient le monde d’une façon passive, au lieu d’en faire l’expérience d’une façon active.

… « La liberté, c’est d’accepter collectivement certaines contraintes. Ce qui revient à dire, qu’on ne doit pas considérer une chose en elle-même pour elle seule, on doit l’envisager que dans les relations qu’elle noue avec tout le reste.

C’est le précepte qui a guidé toute ma vie de mon enfance à aujourd’hui, et c’est ce précepte que je demande à tous de prendre en compte. »

… « Voici donc ce qui m’intéresse : le développement de l’homme en général ; je m’occupe de l’environnement, mais toujours dans ses relations avec la personne humaine. Et je suis arrivé à cette conviction : la médecine devrait abandonner l’idée que l’être humain est si fragile qu’il nécessite sans cesse le recours à des médicaments ou à des traitements de toute nature. Ce qu’il faut, c’est apprendre à reconnaître les potentialités de la nature humaine, c’est aussi à les cultiver dans l’environnement qui est le nôtre. C’est là une science tout à fait nouvelle, et c’est une science qui va très loin, car elle est presque en désaccord avec les enseignements classiques… Le corps s’adapte, mais en se transformant. »