Robert Linssen
Limites de l'analyse en physique et en psychologie

La preuve est, pour la plupart d’entre nous, le poinçon de la responsabilité intellectuelle. Nous voulons qu’on nous démontre la vérité. Nous ne voulons avancer que munis de nos certitudes parce que nous avons peur. Nous voulons appliquer au domaine du Réel les processus habituels de l’analyse dans l’espoir d’obtenir une assurance, une preuve. Certes, si la pensée est utile et peut créer des miracles dans la technique elle est absolument incapable de nous livrer quoique que ce soit du réel. La mission suprême de la pensée est de se démontrer à elle-même le bien-fondé de son silence devant la plénitude de l’Être.

(Revue La Tour de Feu. N° 36-37. Printemps 1952)
Publié sous le nom de Ram Linssen

La preuve est, pour la plupart d’entre nous, le poinçon de la responsabilité intellectuelle. Nous voulons qu’on nous démontre la vérité. Nous ne voulons avancer que munis de nos certitudes parce que nous avons peur. Nous voulons appliquer au domaine du Réel les processus habituels de l’analyse dans l’espoir d’obtenir une assurance, une preuve. Certes, si la pensée est utile et peut créer des miracles dans la technique elle est absolument incapable de nous livrer quoique que ce soit du réel.

La mission suprême de la pensée est de se démontrer à elle-même le bien-fondé de son silence devant la plénitude de l’Être. Toutes les démarches de la pensée analytique s’inscrivent dans un cycle rigidement limité qui ne va que du connu au connu.

La réalité, l’Être sont l’Inconnu. L’analyse implique un cadre de références, des comparaisons, des paramètres physiques ou psychologiques. Le Réel, qui n’est d’aucun temps, qui n’a pas de passé, qui se renouvelle intégralement à chaque instant, échappe à tous nos cadres de références. Krishnamurti définit de façon assez nette son point de vue, quant au problème de l’analyse. Lorsque vous avez rejeté le processus analytique avec toutes ses implications, pour l’avoir reconnu faux, votre esprit libéré du passé, capable par conséquent de vision directe sans entrer dans le processus du temps rejette directement son arrière-plan. Lorsque ce processus s’arrêtera complètement, non parce que nous l’y obligerons, mais parce que nous aurons compris l’erreur inévitable de ce procédé, nous verrons notre esprit se dissocier complètement du passé. Cela ne signifie pas que vous ne reconnaissiez plus ce passé, mais que votre esprit n’est pas en communion directe avec lui. « Cette complète libération psychologique et non chronologique est possible et c’est la seule façon de comprendre la réalité ». Krishnamurti. « Bénarès 1949 ». p. 268).

En psychologie, comme en physique, il y a influence entre l’observateur et l’objet observé dans la mesure où l’on tend vers l’essence profonde des choses. Ces interférences rendent impossible une objectivité totale. L’influence de l’observateur sur l’objet observé est absolument négligeable à notre échelle d’observation familière, mais elle devient très importante dans les phénomènes atomiques.

Les limites et la fragilité des processus de l’analyse se trouvent inscrites dans la nature même des choses. L’analyse devient impossible à partir du moment où les perturbations engendrées par les mesures d’investigation sont comparables aux grandeurs des éléments observés. Telle est la raison du principe d’incertitude en physique. Mais en psychologie, beaucoup plus encore qu’en physique, il y a nécessité absolue de dépasser la dualité sujet-objet, ou « observateur-observé » si nous voulons découvrir le réel.

Il est évident qu’il existe une plus stricte similitude de grandeur entre la pensée analysante et la pensée analysée, qu’il n’en, existe entre un photon et un électron.

Toutes les fois que par un acte mental nous tentons d’analyser un autre acte mental, ou que par une idée nous voulons juger une autre idée, les perturbations engendrées par notre mesure d’investigation mentale sont de même grandeur que les éléments observés. C’est pourquoi Krishnamurti nous dit que le « processus du moi » doit être brisé de l’intérieur.

L’être et les devenirs.

L’accomplissement humain se réalise lors de la découverte du Réel. Pour Krishnamurti celle-ci n’est pas une investigation dualiste de l’individuel au sein de l’universel, mais une expérience d’intégration dépassant la plupart des unions mystiques connues et les identifications des systèmes religieux.

La liberté absolue et la spontanéité du Réel expliquent l’attitude déroutante de la pensée Krishnamurtienne. La situation pourrait être clarifiée par les comparaisons suivantes pouvant paraître simplistes, mais qu’il faut bien se garder de systématiser.

Le « moi » est conditionné, relatif. Le Réel est inconditionné, absolu. Le « moi » est pris au piège d’un processus de « devenir ». La réalité est l’Etre. Les mobiles d’action du « moi » sont l’intérêt, le calcul. L’Être n’a aucun but tel que nous le concevons. Il est pure gratuité, pure spontanéité. La réalité existe par elle-même. Elle est autogène. Le « moi » est prisonnier du rythme de l’habitude. Le Réel est une recréation de tous les instants. Il est à chaque instant entièrement neuf. Le « moi » s’est édifié dans la durée, par une accumulation progressive lui donnant le sens d’une continuité statique. Le Réel est sans durée, car II se recrée intégralement à chaque instant. Étant complet en lui-même, il ne procède à aucune accumulation. Le « moi » vit dans l’illusion de la séparativité.

L’Être est UNITÉ.

Il est évident que la seule compréhension intellectuelle de ce qui précède ne sert à rien. Krishnamurti refuserait de présenter la vérité sous une forme aussi systématisée. Si nous voulons faire l’expérience du Réel, il nous faut réaliser un état de disponibilité, de transparence, de dissociation intégrale de nos mémoires accumulées.

Ce n’est que par la cessation du processus du « moi » que les contradictions opposant l’homme à la réalité s’évanouissent. Cette libération n’est pas un état d’annihilation de l’humain comme beaucoup sont tentés de le supposer. Il s’agit simplement d’une nouvelle « façon de vivre » au cours de laquelle le processus d’identification ne parvient plus à corrompre la perception pure du Réel. En accédant par nous-mêmes, de façon effective et non cérébrale, à cette réalisation, nous découvrons dans un indicible émerveillement la plénitude d’amour, la sérénité, la profondeur insondable de l’Être.

Ce qui précède se trouve clairement exprimé par Krishnamurti: « Krishnamurti parle » (Ojai 1945-46). « Nous accumulons des mémoires psychologiques et nous nous y accrochons en vue de donner une continuité au « moi », ainsi, le « moi », le passé, ne cesse de croître et de s’ajouter à lui-même. Cette mémoire qui procède par accumulation, ce « moi », c’est cela qui doit parvenir à une fin ».

Tant que le « penser-sentir » s’identifie avec ses souvenirs d’hier, il est toujours dans un état de douleur ; tant qu’il sera dans le devenir, il ne pourra éprouver la félicité du « Réel ». L’expérience du Réel est-elle basée sur la mémoire, sur l’accumulation? Une conscience éduquée et conditionnée peut-elle comprendre cela qui n’est pas un résultat? Elle ne le peut pas, elle doit donc mourir à elle-même.

La mémoire psychologique qui cherche toujours à devenir crée des résultats, des barrières, et ne fait par conséquent que se mettre en esclavage. Ce n’est que par une constante lucidité que la mémoire auto-identificatrice parvient à une fin ; elle ne peut le faire par un acte de volonté, car la volonté est avidité… »

Ce n’est que lorsqu’il y a libération du « devenir », de la mémoire auto-identificatrice, que la vérité peut entrer en existence. Notre pensée est le résultat du passé, et si nous ne comprenons pas son conditionnement, elle ne peut aller au-delà d’elle-même. Ce n’est que lorsque la pensée cesse de formuler qu’il y a création… »

La lucidité sans idée.

La création pure du réel est pour Krishnamurti « l’inconnu ». Mais nous avons peur de nous affranchir du passé, du « connu ». Pour la plupart d’entre nous, la cessation de la pensée est synonyme d’incohérence, de pur néant. Nous avons tellement déifié la pensée, et nous méconnaissons à tel point l’amour, que lorsque cesse l’acte mental en nous, la sécheresse de nos cœurs nous donne l’impression d’un vide total.

Nous savons qu’il est paradoxal que la réalisation Krishnamurtienne tout en s’exprimant au mental par un acte mental, a pour condition « sine qua non » la cessation de l’acte mental.

Ce paradoxe s’explique du fait que Krishnamurti nous prend tels que nous sommes, c.-à-d. prisonniers de nos processus d’idéation. Mais s’il nous prend tels que nous sommes c’est pour nous suggérer de nous dépasser nous-mêmes en nous libérant des processus qui nous emprisonnent.

Méditer, c’est pour la pensée se libérer du temps, car dans la durée l’Intemporel ne peut jamais être appréhendé. Et comme l’esprit est le produit du temps, la pensée doit cesser pour que le Réel soit. » Tout le processus de la méditation conduit la pensée à sa fin » (« Krishnamurti 1947-49 »).

L’hostilité première que rencontre souvent un tel point de vue, provient du fait que nous supposons à tort que la cessation de l’acte mental conduit à l’irresponsabilité, au chaos, au délire ou à l’aveuglement.

Quiconque peut réaliser un état d’observation pure, silencieuse, intensément lucide, sans idées ni symboles. L’activité mentale ordinaire loin d’être indispensable à l’intelligence pure est fonction directe de notre absence d’idées, de formules et de l’affranchissement des automatismes mémoriels du passé.

Nous avons été trop accoutumés à envisager l’intelligence sous forme d’érudition, ou encore en fonction d’une habileté à résoudre des équations de mathématique supérieure.

Nous avons montré ailleurs (« Krishnamurti et la pensée occidentale ») (Éditions Être Libre & Cercle du Livre) que dans la mesure où les découvertes de science ont été géniales l’inspiration qui a présidé à leur genèse était supra-intellectuelle.

Les expériences d’Henri Poincaré (pour les fonctions fuchsiennes) de Louis de Broglie (pour la mécanique ondulatoire), de Jacques Hadamard (Mathématique) et bien d’autres encore sont éloquentes à cet égard.

Les solutions ardemment recherchées n’ont jamais apparu durant les périodes de « tensions mentales » mais au cours de phases de détente permettant l’accès à des niveaux de conscience supérieurs à l’intellectualité normale.

En chacun de nous, l’idée que pour vivre il faut avoir des idées se trouve profondément ancrée. De tous les êtres vivants sur la planète, l’homme est le seul qui vive avec tant d’idées. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il vit si mal.

Les idées n’ont jamais apporté l’harmonie au monde. C’est au nom d’idéaux politiques et religieux qu’ont été commis les crimes les plus odieux de l’histoire.

Krishnamurti nous montre comment les idées constituent les pires entraves aux relations humaines. La façon dont nous abordons autrui est conditionnée très souvent par leur adhésion ou leur hostilité à nos concepts religieux, idéologiques ou politiques.

Ce n’est qu’en dépassant les cadres limitatifs de nos préférences personnelles que nous pourrons tendre vers une plus profonde objectivité et réaliser finalement l’harmonie de nos rapports humains.

La lucidité sans idée ne procède donc pas d’un acte intellectuel. Elle découle d’un niveau de conscience supérieur aux démarches intellectuelles normales, où les distinctions entre pur amour et pure intelligence sont abolies.

La lucidité suprême est Amour. L’Amour suprême est lucidité.

En eux réside le secret de toute communion véritable que nous pouvons expérimenter d’instants en instants dans les relations humaines.

Krishnamurti et les tendances de la science moderne.

Le fait de mettre en parallèle l’enseignement de Krishnamurti et la science moderne semble un paradoxe.

En effet, le premier dénonce la fragilité des processus de l’analyse tandis que la seconde fait appel aux démarches de la pensée.

Et cependant, des parallélismes frappants existent entre les découvertes récentes de la science moderne et la pensée krishnamurtienne.

Notions d’unités en science.

L’unité de l’esprit et de la matière, l’unité de la vie dans la multiplicité des formes, l’unité humaine sont autant de corollaires essentiels de la pensée krishnamurtienne.

La biologie nous fait entrevoir chaque jour davantage l’unité du monde vivant. L’étude des grands cycles de la nature nous montre l’interdépendance des grands règnes à tel point que nous pourrions considérer le monde comme « un seul vivant ».

Nous assistons également à une refonte des notions relatives à la diversité des règnes. Les séparations catégoriques des trois règnes: minéral, végétal, animal n’ont plus les significations d’hier. La matière minérale, n’est pas inerte, elle vibre, rayonne et réagit. Les cloisons étanches jadis établies entre la matière vivante et les matières dites minérales tendent à disparaître depuis la découverte des ultravirus.

Les notions d’unité et de solidarité universelles sont mises en évidence en physique par l’interaction du moindre atome et des lointaines galaxies peuplant les ultimes confins de l’univers en expansion.

Vers l’énergie universelle.

De l’atome jusqu’à l’étoile, en passant par l’homme, l’Univers entier est suspendu à la présence de cette énergie, qui, tel un cœur gigantesque aux muscles fluides de pure lumière, nourrit et soutient l’infinie variété des êtres et des choses.

Cette notion se rapproche de celle qu’évoquait Krishnamurti vers 1930 en parlant d’une « essence commune en laquelle les choses et les êtres se meuvent et ont leur être ».

L’univers est un immense édifice formé de multiples étages vibratoires.

Nous vivons parmi un ensemble de mouvements lents reposant sur des mouvements de plus en plus rapides. Et dans la mesure où nous tendons vers le cœur des choses, nous approchons du sillage d’une Réalité prodigieusement mouvante mais insaisissable. Nous n’en percevons que les échos, que les résidus. Nous ne saisissons d’elle que ce qui n’est plus elle dans son jaillissement premier.

Cette énergie est-elle la Réalité, la Vie, l’Esprit?

Il n’existe à notre avis qu’UNE réalité dont nous discernons des modes différents suivant les échelles d’observation variées auxquelles nous nous situons.

Le physicien suisse Eugène Guye a formulé une loi fondamentale, autant applicable à la physique qu’à la psychologie: « l’Échelle d’observation crée le phénomène ».

Les phénomènes physiques résultent de l’échelle d’observation physique et les sciences actuelles en ont défini les caractères et les unités de mesure.

Les aspects psychiques et spirituels du Réel dérivent de l’échelle d’observation psychique et spirituelle. Cependant, dans la mesure où ces diverses sciences se perfectionnent, des parallélismes curieux s’établissent entre les différents aspects du Réel qu’elles étudient et laissent entrevoir l’unité de l’univers dans sa constitution physico-spirituelle.

Unité esprit-matière.

L’unité de l’esprit et de la matière, – thème favori de Krishnamurti il y a vingt ans -, est prise en considération par un nombre grandissant de penseurs, d’hommes de science, de psychologues éminents.

Les travaux de C. G. Jung ont démontré qu’à l’échelle humaine les éléments physiques, physiologiques, psychologiques et spirituels sont continuellement liés. Les psychothérapeutes traitant les maladies physiques et nerveuses par traitement psychique et spirituel sont de plus en plus nombreux.

D’éminents physiciens et psychologues allemands tels Jordan (La physique du XXe siècle) et C- A. Meier (Modem physiek-modern psychologie) estiment que la physique et la psychologie se rapprochent dans la mesure où elles évoluent et que leur confrontation est indispensable.

Le savant anglais Bertrand Russel écrit dans « Philosophie de la Matière »: La matière est moins matérielle et l’esprit moins spirituel qu’on le suppose généralement. La séparation habituelle de la physique et de la psychologie, de l’esprit et de la matière est métaphysiquement indéfendable ».

Ces conceptions de l’unité de la matière et de l’esprit ne sont pas nouvelles. Elles ont été envisagées par un chimiste français Robert Tournaire dans la « Naissance de la Vie », préfacée par G. Urbain, Membre de l’Institut vers 1936.

Mais tout récemment une œuvre d’envergure, du savant américain Gustaf Stromberg, publiée avec le concours des plus grands noms de la science actuelle, donne un essor nouveau aux points de vue que nous exposons ici. Dans cet ouvrage (l’Âme de l’Univers), supervisé par Albert Einstein, par Arthur Eddington, par le Dr. O. L. Sponsler, professeur de botanique à l’Université de Los Angeles, par le Pr. T. H. Morgan, professeur de biologie à l’Institut de Biologie de Californie – nous trouvons différents chapitres développant les liens existant entre l’esprit et la matière.

En ce qui concerne l’action d’un « mode » non physique de l’énergie dans le développement structural des organismes vivants des preuves directes ont été fournies. Relatant les expériences faites sous la direction du professeur H. S. Burr de l’École de Médecine de Yale. Gustaf Stromberg écrit (L’Âme de l’Univers, p. 13) :

« On se rendit compte que tous les organismes vivants reposent dans des champs électriques de structure complexe et que ces champs disparaissent à la mort. Les chercheurs déclarèrent qu’il était difficile d’éviter la conclusion, que les propriétés innées des champs étaient responsables du développement structural des organismes vivants. C’était là un abandon radical du point de vue accepté jusqu’à présent que la structure d’organismes vivants était déterminée par des substances chimiques transmises à l’individu par le germe du protoplasma »…

Nous lisons encore, page 163:

« Le Cosmos a divers aspects qui peuvent être beaucoup plus importants que le monde physique d’espace et de « temps »… Il semble qu’une des difficultés de comprendre la parenté entre l’esprit et la matière est due au fait que nous prenons des concepts appartenant à un aspect du Cosmos et les employons à une description d’autres aspects auxquels ils ne sont pas applicables. Une étude de la relation entre l’esprit et la matière est une tentative pour trouver une correspondance entre l’aspect espace-temps du Cosmos et ceux des autres aspects dont nous sommes sciemment conscients. Si nous voulons nous représenter l’action réciproque entre les processus physiques dans le cerveau et les phénomènes mentaux correspondants, nous pouvons dire que l’élément vivant immatériel dans les neurones a d’un côté des propriétés physiques, étant donné qu’à travers son système d’ondes vivant associé il peut influencer la position et les mouvements des atomes et électrons, et de l’autre des propriétés mentales inhérentes à la « source » et indicatives de sa dernière origine, et à travers de telles sources nous devenons directement conscients de certains attributs du Cosmos. »

« Cette sorte d’élément immatériel qui probablement n’existe pas dans la matière inorganique nous offre un coulisseau entre ce que nous appelons ordinairement des phénomènes « physiques et mentaux ».

L’expression « élément immatériel » précitée ne doit pas être prise à la lettre. Elle correspond évidemment aux « modes non physiques » de l’énergie.

De tels courants de pensée conduisent inévitablement à la formation d’un Matérialisme Spirituel qui semble appelé à devenir le grand triomphe philosophique de la fin du XXe siècle.

Similitude des aspects matériels et spirituels du réel.

Faute de place, résumons quelques similitudes entre les modes matériels et spirituels de l’énergie:
a) liberté et servitude de l’énergie physique:

1°) En surface: la matière est régie par des lois mécaniques, causalité stricte, déterminisme rigoureux, individualité, particularisation, multiplicité de propriétés.

2°) En profondeur: dans la mesure où nous tendons vers l’intimité de sa substance, la matière échappe aux lois mécaniques, telles qu’elles se vérifient à notre échelle. A l’échelle électronique le déterminisme strict disparaît. Aux niveaux ultimes l’énergie physique n’est plus particularisée, plus individualisée. Elle tend vers une certaine liberté au milieu même de ses chaînes. Son comportement est dynamique, imprévisible.

Ainsi que l’exprime Jordan dans « La Physique du XXe siècle »: « A chaque instant quelque chose de neuf et d’imprévisible apparaît dans le monde quantique en dehors des lois ».

b) liberté et servitudes de l’énergie dans ses aspects spirituels:

1°) en surface: dans la mesure où l’esprit des gens superficiels s’identifie au milieu, il en subit les lois: lois du moindre effort, inertie ou paresse mentale de l’habitude et de l’imitation, particularisation par l’affirmation de l’égoïsme. Ainsi que l’exprimait le prof. Ed. Le Roy (L’Exigence Idéaliste) il y a dans l’esprit comme dans la matière une tendance à l’inertie, à la répétition, à l’imitation, à l’habitude. Dans son cours au Collège de France. Ed. Le Roy définissait la matière comme étant « une constellation d’habitudes mortes »…

2°) En profondeur: chez l’homme plus évolué les couches profondes des secteurs psychiques et spirituels sont mises en éveil. L’imitation fait place à la création. Les rythmes de l’habitude disparaissent pour permettre l’expression d’une vie plus profondément créatrice. L’égoïsme disparaît par la prise de conscience du Réel. L’esprit est affranchi de ses fausses identifications.

Conclusions:

Il résulte de tout ce qui précède, que les progrès de diverses sciences ont mis en évidence l’existence d’une Réalité insaisissable par la seule démarche intellectuelle. Cette Réalité est Une, universelle. Elle a le caractère d’un jaillissement extraordinaire, toujours renouvelé. Elle est intemporelle, imprévisible, libre et inconditionnée.

Ce que nous désignons comme les « modes » de cette Réalité ne résulte que des représentations mentales variées que nous suggère l’observation de chaque coupe particulière. Nous confondons souvent les représentations mentales de chaque phénomène particulier et la part du Réel qu’elles symbolisent. De plus, nous prenons souvent le « mot » pour la « chose ». Néanmoins, ce que nous désignons comme les « modes » physiques, psychiques ou spirituels du Réel, semblent avoir entre eux une parenté et d’étranges similitudes qui nous obligent à considérer l’homme et l’univers dans leur totalité physico-psycho-spirituelle.

Cependant Krishnamurti nous permet de réaliser expérimentalement par nous-mêmes et en nous-mêmes, sans acquisitions intellectuelles complexes, ce qu’aucune science ne peut et ne pourrait nous apporter: la plénitude du Réel.

L’attitude krishnamurtienne nous délivre du caractère partiel des coupes arbitraires que nous opérons dans la totalité-une du Réel. Elle nous affranchit des phénomènes à la fois différents et contradictoires qui résultent de nos échelles d’observations partielles et multiples.

Dans l’état de « libération » présenté par Krishnamurti, les dualités « observateur et observé » disparaissent. La manifestation physique de notre être dans le temps et l’espace se suffit à elle-même parmi les contingences du monde extérieur, sans avoir recours à des projections mentales exprimant une quelconque avidité de « devenir ».

Dans la prise de conscience du Réel, le « moi » et son processus auto-identificateur sont absents à eux-mêmes mais intensément présents à la présence totale de l’Impensable.

Ram Linssen