Titus Burckhardt
L'origine des espèces

Le plus modeste phénomène est partie prenante de diffé­rents ensembles de relations, ou dimensions cosmiques, qui ne sauraient se mesurer à l’aide des mêmes critères. La glace, par exemple, ne diffère pas de la vapeur d’eau du point de vue de la substance, mais par son état, elle appartient à la catégorie des corps solides. […]

Le plus modeste phénomène est partie prenante de diffé­rents ensembles de relations, ou dimensions cosmiques, qui ne sauraient se mesurer à l’aide des mêmes critères. La glace, par exemple, ne diffère pas de la vapeur d’eau du point de vue de la substance, mais par son état, elle appartient à la catégorie des corps solides. De même, lorsqu’une chose est constituée de plusieurs éléments, elle appartient à leurs diverses natures, tout en étant cependant différente d’eux. Prenons le cinabre, sulfure de mercure : bien qu’il soit composé de soufre et de mercure, il possède néanmoins des propriétés que l’on ne trouve ni dans l’une ni dans l’autre des substances de base. Les quantités ont beau s’additionner, une propriété quelle qu’elle soit n’est jamais la simple somme d’autres propriétés. Quand on mélange du jaune et du bleu, on obtient du vert, certes, mais cette troisième couleur, tout en étant la synthèse des deux autres, n’est pas constituée par la simple addition de leurs propriétés, car elle représente un même temps une qualité chromatique nouvelle et unique. Réalité qui, dans le cercle des couleurs, s’exprime par la disposition de chaque teinte, déployée dans une direction diffé­rente à partir d’un même point central.

De même, selon le point de vue adopté pour la considérer, l’évolution naturelle donne l’impression d’être continue ou discontinue, ou les deux à la fois, et les sauts brusques que l’on enregistre s’y manifestent d’ailleurs moins sur le plan de la matière purement physique que dans le domaine du vivant, où ses effets sont bien plus accusés ; l’oiseau qui naît de l’œuf est certes constitué des éléments même qui forment l’œuf, et pour­tant il n’est pas un œuf ; de même, le papillon qui sort de sa chrysalide n’est ni celle-ci, ni la chenille qui a produit la chrysa­lide ; il existe bien entendu des affinités entre tous ces orga­nismes, une continuité génétique, mais en même temps une différence qualitative : entre la larve et le papillon, la nature « fait un saut ».

En tout point du tissu cosmique de l’univers, la trame et la chaîne s’entrecroisent, comme l’évoque le symbole traditionnel du métier à tisser : les fils de la chaîne, tendus à la verticale sur le métier originel, représentent les essences immuables des choses ou, en d’autres termes, les qualités ou les formes essentielles, tandis que la trame, qui court d’un bord à l’autre et relie les fils de la chaîne horizontalement en vagues alternées, correspond à la continuité substantielle et matérielle du monde [1].

La même loi se dégage de l’hylémorphisme grec classique, qui distingue la « forme », le sceau de l’unité essentielle d’une chose ou d’un être, et la « matière », substance plastique qui reçoit ce sceau et lui confère une existence déterminée. Aucune théorie moderne n’a pu se substituer à cette théorie antique, car la réalité, dans sa richesse multiple, ne saurait être expliquée par la réduction à l’une ou l’autre de ses « dimensions ». La science moderne ignore notamment ce que les Anciens désignaient sous le nom de « forme », car il s’agit là justement d’un aspect des choses que l’on ne perçoit pas quantitativement ; c’est d’ail­leurs pourquoi cette même science ne s’occupe pas de savoir si un phénomène donné — un être vivant, par exemple — est beau ou laid. La beauté d’une chose ou d’un être est juste­ment l’expression du fait que sa forme correspond à une essence invisible, ce que l’on ne peut ni compter, ni mesurer.

Il nous faut préciser ici que la notion de « forme » possède nécessairement un double sens. D’une part, elle désigne la manière dont une chose est circonscrite, c’est d’ailleurs son sens le plus courant ; dans cette perspective, la forme se trouve du côté de la matière ou, plus généralement, du côté de la substance malléable, qui circonscrit les réalités et les retient [2]. D’autre part, la « forme », au sens où l’entendaient les philosophes grecs et leurs successeurs scolastiques, est la quintessence des propriétés d’une chose ou d’un être, et, par là, l’expression ou la trace de son essence immuable.

Le monde des individus est le « monde formel », car il est constitué par les réalités qui naissent de la conjonction entre une « forme » et une « matière », psychique ou physique. Selon le point de vue que l’on adopte pour considérer les choses, ce qui caractérise un individu découle soit de la « matière », soit de la « forme » qui s’exprime en lui. À cet égard, pourtant, la « forme », dans son essence profonde, n’est pas quelque chose d’individuel, c’est un modèle immuable, un archétype. En d’autres termes, la « forme », abstraction faite de sa manifes­tation matérielle particulière et des caractères plus ou moins composites qu’elle peut prendre, est indivisible ; c’est une unité accessible à la connaissance et, en tant que telle, contenue originellement dans l’unité plus vaste de l’esprit. Toute différenciation suppose une unité préexistante ; sans les « for­mes » essentielles, ou « archétypes », le monde ne serait que du sable qui s’écoule.

La philosophie rationaliste croit pouvoir démontrer par l’absurde que la théorie des archétypes ou, ce qui revient au même, la théorie des Idées de Platon n’est pas valable en émettant ironiquement l’hypothèse que, pour tout concept, doit exister un archétype et, pour le concept du concept de concept, autant d’archétypes à l’infini. Mais ce faisant, elle manque sa cible, car la multiplicité, au sens quantitatif, ne peut en aucun cas s’appliquer aux fondements archétypiques des essences ; elle appartient au monde matériel, lequel est différencié, et non au pur Esprit, capable de différenciation en vertu des possibilités archétypiques qu’il recèle, ni à l’Être pur. Les archétypes se différencient uniquement sur le plan des principes, sans séparation, à l’intérieur de l’Être et en vertu de lui, comme si l’Être était un cristal pur et unique, contenant en puissance toutes les formes cristallines possibles dans sa forme universelle [3].

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L’espèce (species), par rapport aux individus qui dépen­dent d’elle, est un archétype ; elle ne correspond pas seule­ment à la circonscription approximative d’un groupe donné, mais elle constitue une unité à la fois logique et ontologique, une forme essentielle indivisible. C’est pourquoi elle ne peut se « développer », au sens où elle se transformerait progressivement en une autre espèce, même s’il est vrai qu’elle peut englober des sous-espèces, qui représentent autant de « re­flets » différents de la même forme essentielle dont elles ne se détacheront jamais, à la manière des branches d’un arbre qui ne se séparent pas du tronc.

On a très justement fait remarquer [4] que toute la théorie de l’évolution progressive des espèces, inaugurée par Darwin, reposait sur une confusion entre l’espèce et la variante. En effet, on interprète comme l’origine d’une nouvelle espèce ce qui, en réalité, n’est qu’une variante possible à l’intérieur d’un type d’espèce donné. Mais ce n’est pas en effaçant les limites entre espèces que l’on peut, tant s’en faut, remédier aux nombreuses solutions de continuité que présente le soi-disant arbre généalogique des espèces. Non seulement celles-ci restent séparées par des différences énormes, mais en outre il n’existe même pas de formes susceptibles d’indiquer un lien quelconque entre les diverses catégories d’êtres vivants, les poissons, les reptiles, les oiseaux et les mammifères. On trouve sans doute des poissons qui se servent de leurs nageoires pour se hisser sur le rivage, mais c’est en vain qu’on chercherait chez eux le moindre rudiment d’articula­tion, qui seule rendrait possible la formation d’un « bras » ou d’une patte. Il existe aussi certains points communs entre les reptiles et les oiseaux, mais leurs squelettes respectifs présen­tent des structures totalement différentes. Ainsi, par exemple, l’articulation très complexe de la mâchoire d’un oiseau, avec l’implantation connexe du système auditif, est conçue selon un plan entièrement différent de celui des organes correspon­dants chez un reptile. Il est impossible d’imaginer que l’un ait pu dériver de l’autre [5]. Quant au fameux oiseau fossile arché­optéryx, si souvent pris comme exemple d’étape intermédiaire entre les reptiles et les oiseaux, c’est bel et bien un oiseau, malgré certaines caractéristiques (qu’il n’est pas le seul à pos­séder), comme les griffes au bout des ailes, la présence de dents et une queue longue et ramifiée [6].

Pour expliquer l’absence de formes intermédiaires, les partisans de l’évolutionnisme font parfois appel à une thèse étrange selon laquelle ces formes auraient tout simplement disparu à cause de leur degré d’imperfection, et donc de leur vulnérabilité, ce qui est en contradiction flagrante avec la loi de la sélection naturelle, censée constituer le principe de base de toute la prétendue évolution des espèces. Les « ébauches » d’une nouvelle espèce devraient en effet être largement plus nombreuses que les lointains ascendants qui ont déjà atteint la forme définitive que nous leur connaissons. Du reste, si l’évolution des espèces représentait réellement, comme on le prétend, un processus graduel et progressif, tous les maillons effectifs de la chaîne, et pas seulement les derniers — ceux qui d’une certaine manière sont définitifs —, devraient être à la fois les points d’arrivée et les points de départ, de sorte que l’on ne voit pas pourquoi les uns seraient plus rares et plus précaires que les autres [7].

Les plus scrupuleux parmi les biologistes modernes soit rejettent l’évolutionnisme en bloc, soit le considèrent comme une simple « hypothèse de travail », dans l’impossibilité où ils sont d’imaginer une origine des espèces qui ne se situerait pas sur « l’horizontale » du devenir purement physique, se dérou­lant dans le temps. Pour Jean Rostand, par exemple, « le monde postulé par le transformisme est un monde féerique, fantasmagorique, surréaliste. Le point capital, on y revient toujours, est que nous n’avons jamais assisté même en petit à un phénomène authentique d’évolution… Nous gardons l’im­pression que la nature d’aujourd’hui n’a rien à offrir qui soit propre à réduire notre embarras devant les véritables méta­morphoses organiques qu’implique la thèse transformiste. Nous gardons l’impression que, s’agissant de la genèse des espèces comme de la genèse de la vie, les forces qui ont construit la nature sont maintenant absentes de la nature… » [8]. Et pourtant, ce même biologiste reste fidèle au transfor­misme: « Je crois fermement — parce que je ne vois pas le moyen de faire autrement — que les mammifères sont venus des lézards et les lézards des poissons, mais quand j’affirme, quand je pense pareille chose, j’essaie de ne point méconnaître quelle en est l’indigeste énormité, et je préfère laisser dans le vague l’origine de ces scandaleuses métamorphoses que d’ajou­ter à leur invraisemblance celle d’un interprétation dérisoire » [9].

Tout ce que la paléontologie nous prouve, c’est que les différentes formes animales, du moins celles que les strates géologiques ont conservées à l’état fossile, sont apparues selon un ordre de progression grosso modo « ascendant », depuis des formes relativement indifférenciées — mais nulle­ment simples [10] — à des formes de plus en plus complexes, mais sans que cette ascension corresponde à une ligne uni­forme et ininterrompue ; elle semble procéder par bonds, car des catégories entières d’animaux apparaissent d’un seul coup, sans prémisses visibles ; des sociétés animales entières naissent même directement, avec tout l’ensemble de leurs symbioses. Par exemple, l’araignée apparaît en même temps que sa proie, déjà dotée de sa faculté de tisser. Que signifie donc cet ordre qualifié d' »ascendant » dans l’apparition des espèces ? Tout simplement que, sur le plan de la matière, ce qui est relativement informe et indifférencié précède toujours ce qui est complexe et différencié, car la « matière » est comme un miroir qui reflète les archétypes en les inversant. Alors que l’essence des archétypes recèle, justement parce qu’elle est indifférenciée, des possibilités extrêmement riches, sur le plan matériel, les formes simples que l’on rencontre au début sont pauvres et les formes riches sont subdivisées ; c’est pourquoi la graine existe avant l’arbre et le bourgeon avant la fleur. Ce qui est vrai pour un être physique individuel l’est également en gros pour le monde animal ou végétal. C’est à dessein que nous disons « en gros », car il ne saurait s’agir ici d’une correspondance exacte. L’évolution de tout un règne vivant ne peut se comparer à la croissance d’un seul être animé ; en effet, l’apparition progressive des différentes espèces n’a rien d’un développement continu. De toute façon, la hiérarchie des espèces et leur succession approximative­ment chronologique ne justifient en aucun cas l’hypothèse selon laquelle elles auraient progressivement découlé les unes des autres [11].

En revanche, il existe quelque chose comme un schéma de base commun à tous les êtres vivants terrestres, qui s’exprime plus ou moins dans les formes qu’ils prennent et qui transpa­raît plus distinctement chez les êtres vivants d’un niveau de conscience supérieur, comme les oiseaux et le mammifères, que chez les autres. Ce schéma, ou plan, se révèle notamment dans la symétrie des deux moitiés du corps, la disposition des organes internes les plus importants, ainsi que dans le nom­bre des membres et des organes sensoriel. On pourrait objec­ter que la disposition et le nombre de certains organes, sur­tout des organes sensoriels, dépendent simplement de l’envi­ronnement. Mais l’environnement est justement divisé par le « champ » d’application des sens, de sorte que cet argument pourrait être inversé. On en revient donc à la conception cosmologique traditionnelle, qui voit dans le schéma de base des êtres vivants terrestres l’expression de la correspondance entre le macrocosme et le microcosme, le monde dans sa glo­balité et l’être individuel. Quand on perçoit ce schéma de base, d’une part on découvre qu’il existe des analogies même entre un moustique et un être humain, d’autre part on prend conscience encore plus distinctement des différences qui exis­tent entre les espèces.

A la place des « chaînons manquants » que cherchent en vain les partisans du transformisme, la nature nous offre à profusion toutes sortes de formes animales qui imitent d’au­tre espèces ou même d’autres classes, sans toutefois sortir du cadre de leur propre espèce : ainsi les baleines, qui sont des mammifères, ressemblent à des poissons et en adoptent le comportement ; les colibris possèdent l’apparence, le vol, la façon de se nourrir et jusqu’aux couleurs chatoyantes des papillons ; le tatou est couvert d’écailles comme un reptile, bien qu’il soit un mammifère ; certains poissons construisent des nids comme des oiseaux, et certains oiseaux se servent de leurs ailes seulement comme de nageoires. La plupart des formes animales « imitatives » appartiennent à des genres supérieurs par rapport aux espèces et aux classes qu’ils imi­tent, ce qui exclut a priori de pouvoir les concevoir comme des maillons intermédiaires à l’intérieur d’une soi-disant évo­lution. On pourrait tout au plus les prendre pour preuves de l’adaptation d’un genre animal à son environnement, mais cette hypothèse, elle aussi, est fortement sujette à caution, car à quoi auraient pu ressembler, par exemple, les formes intermédiaires entre un mammifère vivant sur la terre ferme et la dauphin [12] ? Il est vraisemblable, en outre, que l’oiseau préhistorique archéoptéryx, que nous évoquions plus haut, a lui aussi appartenu à ces formes « imitatives », qui représen­tent, en fait, autant de cas limites.

Comme non seulement chaque espèce animale, mais aussi les genres et les ordres supérieurs représentent des « formes » essentielles, ou des archétypes, on pourrait peut-être objecter que la présence d’une forme « imitative » remet en question l’unité des formes essentielles, et par conséquent leur carac­tère archétypique. Il n’en est rien, au contraire, car la forme d’une espèce ou d’un genre n’est jamais effacée par des traits imitatifs. Un dauphin, par exemple, est sans nul doute possi­ble un mammifère, avec tous les caractères de cette classe, y compris le regard et le comportement psychique, malgré son apparence de poisson. C’est comme si la nature voulait prou­ver le caractère immuable des formes essentielles en épuisant toutes les possibilités contenues dans une forme donnée, jus­qu’à ses ultimes cas limites, jusqu’à l’extrême encore possible. Après avoir produit des crustacés et des vertébrés, avec leurs caractères respectifs clairement différenciés, elle génère un animal tel que la tortue, qui, tout en possédant un squelette recouvert de chair, porte une carapace extérieure, à l’instar de nombreux mollusques invertébrés [13]… La nature manifeste ainsi sa propre capacité à créer des formes avec une imagination débordante, mais en restant toujours fidèle aux formes essentielles, aux archétypes.

Au niveau des archétypes eux-mêmes, cette interpénétra­tion des formes, qui ne conduit jamais à une confusion des types proprement dits, s’explique par le fait que les arché­types se différencient quant à l’essence, mais ne s’excluent pas mutuellement, à la différence des formes circonscrites, impri­mées dans la matière. Tout archétype, ou toute « forme » essentielle, est ainsi comparable à un miroir qui, sans se modifier lui-même, reflète tous les autres archétypes qui à leur tour le reflètent [14]. Cette intégration réciproque des types cosmiques renvoie en dernière analyse à l’essence unique de l’existence ou, en d’autres termes, à l’unité de l’Être.

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Compte tenu des hiatus et des césures que l’on rencontre dans la succession paléontologique des espèces, certains bio­logistes ont émis l’hypothèse d’une évolution s’effectuant par sauts, en s’appuyant sur l’exemple des mutations imprévues que connaissent aujourd’hui certaines espèces vivantes. Mais ces mutations restent toujours le fait de malformations con­génitales ou de dégénérescences, comme la naissance sou­daine d’un albinos, de nains ou de géants; même si les nou­veaux caractères se transmettent aux générations ultérieures, ils ne sont toujours que des anomalies et n’aboutissent jamais à l’émergence de nouvelles espèces [15]. Pour que cela se pro­duise, il faudrait qu’il existe, dans la substance vivante d’une espèce déjà existante, une malléabilité encore inexploitée qui pourrait servir de materia prima à une forme entièrement nouvelle ; cela voudrait dire, en pratique, qu’une ou plusieurs femelles de l’espèce déjà existante se mettraient soudain à porter des petits d’une nouvelle espèce. Mais cette hypothèse contredit la loi de la séparation des sexes qui exige que, à l’intérieur d’une seule et même espèce, la réceptivité d’un sexe et la procréativité de l’autre se correspondent parfaitement. L’hérédité elle-même suppose que dans le féminin d’une espèce soit toujours latent le masculin de la même espèce, et inversement. Comme l’a écrit l’hermétiste Richard l’Anglais : « Rien ne peut être produit d’une chose qui ne soit pas contenu en elle ; de ce fait, chaque espèce, chaque genre et chaque ordre naturel se développe dans ses propres limites et porte des fruits selon son propre genre et non selon un ordre essentiellement différent ; tout ce qui reçoit une semence doit être de cette même semence » [16].

En fin de compte, la thèse évolutionniste est une tentative non pas tant pour nier purement et simplement le « miracle de la création » — ce qui est pour ainsi dire impossible —, mais pour le rejeter le plus possible à l’arrière-plan en substi­tuant aux degrés suprasensoriels de la cosmogonie, que re­présente symboliquement le récit biblique de la création, un processus se déroulant sur le tracé horizontal du monde phy­sique. Ce qui est impossible, à moins de faire dériver le Plus du Moins, le Supérieur de l’Inférieur, et ce qui est plus riche de propriétés de ce qui en est plus pauvre. Pourtant, on s’accommode de cette contradiction parce que l’on refuse (ou que l’on est incapable) de voir que l’apparition spontanée des espèces présuppose un processus se déroulant verticalement par rapport au plan physique, à savoir la « descente » d’images ou de prototypes non-physiques. C’est de l’impuissance à concevoir d’autres « dimensions » de la réalité que celles des contextes purement physiques — une impuissance propre à la science moderne dans son ensemble — qu’est née, presque inévitablement, la théorie évolutionniste avec toutes ses con­tradictions internes. La genèse des espèces ne s’explique logi­quement que par la théorie de l' »émanation » graduelle des réalités, dans le sens justement que nous avons exposé précé­demment, et qui n’a rien de commun avec une prétendue « émission » de substances, en contradiction avec la transcen­dance divine.

Pour mieux comprendre la descente « verticale » des espè­ces, il faut savoir que la matière dont est constitué ce monde physique n’a pas toujours possédé le degré de solidification cosmique qui est le sien aujourd’hui [17]. Nous ne voulons pas dire par là que, dans les premiers temps, où l’on assistait encore à l’apparition de nouvelles espèces, les pierres étaient nécessairement molles ; les propriétés physiques comme la dureté et la densité ont toujours été effectives ; mais ce qui, d’une certaine manière, est devenu peu à peu dur et cassant, c’est l’état corporel dans son ensemble, de sorte qu’il reçoit moins facilement l’empreinte des réalités supra-sensorielles, préparées selon un état subtil ou psychique. Non pas que l’état physique puisse jamais se dissocier de l’état psychique, qui représente sa racine ontologique et le domine entière­ment ; mais le rapport entre les deux états ne possède plus le caractère créateur qu’il avait au début. C’est comme lors­qu’un fruit parvenu à maturité s’entoure d’une écorce plus dure et cesse peu à peu d’absorber la sève de l’arbre. La soli­dification progressive de l’état physique est par ailleurs due au fait que sa matière elle-même possède une origine supra-corporelle et qu’elle subit par conséquent une transformation destinée à se conclure — cette fois d’une manière brutale et apocalyptique — par son retour à l’état subtil. Que les réalités subtiles peuvent s’exprimer encore aujourd’hui directe­ment dans la matière physique, c’est là une chose que savent par expérience les guérisseurs et les sorciers des peuples dits primitifs [18], sans parler des saints, qui ne recherchent pas ces pratiques, mais les exercent occasionnellement ; le monde moderne méconnaît et nie délibérément ces phénomènes et prend ainsi parti, sans le savoir, pour cette solidification de l’état corporel dont il est question.

Ce processus n’est pas sans rapport avec le fait que, comme le dit Jean Rostand, « les forces qui ont construit la nature semblent aujourd’hui avoir disparu d’elle ». Dans les temps primordiaux, lorsque la matière physique était encore malléable, une nouvelle forme d’espèce pouvait se manifester physiquement à partir de sa première « condensation » à l’état subtil [19]. Cela veut dire que, au niveau d’existence immédiatement supérieur à l’état physique, les différents types d’ani­maux étaient déjà présents à l’état de formes non corporelles, mais néanmoins revêtues d’une certaine matière « subtile ». A partir de là, elles sont descendues au niveau corporel, dès que celui-ci fut prêt à les accueillir. On pourrait imaginer cette « descente » comme une soudaine coagulation de pouvoir sub­til, au cours de laquelle la forme originelle non corporelle subit une certaine limitation et une fragmentation.

La cosmologie indo-tibétaine décrit cette descente — ou cette chute —, dans le cas de l’être humain, par l’image du combat légendaire entre les devas et les asuras, les anges et les démons. Lorsque les devas ont créé l’homme avec un corps fluide, multiforme et diaphane, c’est-à-dire un corps subtil, les asuras s’efforcèrent de le détruire en le faisant progressi­vement se solidifier ; c’est alors qu’il devint opaque et que son squelette, ayant atteint l’état pétrifié, devint rigide et fixe. Mais les devas savaient faire de la nécessité vertu ; ils créèrent les articulations après avoir brisé les os en plusieurs endroits; en perforant la boîte crânienne, qui menaçait d’emprisonner le siège de l’intelligence, ils ouvrirent la voie aux sens. Le processus de solidification progressive était désormais stoppé avant qu’il ait atteint ses limites extrêmes, mais certains organes de l’homme, comme les yeux, conservent encore quelque chose de la nature originelle de l’état non corporel [20].

La description métaphorique du monde subtil telle qu’elle ressort de ce récit ne doit pas nous faire illusion. Il est sûr, toutefois, que le processus d’incarnation allant du supra-sensoriel au sensoriel a dû se refléter d’une manière ou d’une autre aussi à l’intérieur de l’état corporel lui-même, et c’est pourquoi on est en droit de supposer que les premières géné­rations d’une nouvelle espèce n’ont laissé aucune trace dans le grand livre des strates géologiques. Il est donc vain de vou­loir trouver dans la matière physique les vestiges des ancêtres d’une espèce, et en particulier de l’espèce humaine.

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Comme la théorie de l’évolution des espèces ne repose sur aucunes preuves sûres, son corollaire et son couronnement, à savoir la thèse d’une origine sub-humaine de l’homme, sont eux aussi sans fondement. Les faits allégués en faveur de cette thèse se réduisent d’ailleurs à quelques groupes de squelettes dont la chronologie ne suit nullement une ligne droite. Des types isolés de squelettes que l’on considère comme « évo­lués », comme par exemple « l’homme de Steinheim », sont manifestement plus vieux que d’autres, apparemment plus primitifs, tel « l’homme de Néandertal », encore que ce dernier n’était certainement pas aussi simiesque que des reconstitu­tions tendancieuses ont voulu nous le faire croire [21].

Si, au lieu de toujours se demander où a commencé l’espèce humaine et à quel niveau d’évolution appartient tel ou tel type rangé parmi les préhominiens, on cherchait à savoir jusqu’où vont les singes, un certain nombre de choses apparaîtraient sous un jour nouveau, car un simple fragment d’os, même apparenté à celui d’un squelette humain, ne suffit pas pour prouver la présence de ce qui caractérise l’homme, à savoir l’intelligence [22], alors qu’il est possible de concevoir d’innombrables sous-espèces de singes anthropoïdes présentant des anatomies plus ou moins semblables à celle de l’homme.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la ressemblance anatomique entre l’homme et le singe s’explique justement par le fait que l’homme et l’animal se distinguent par deux niveaux de conscience essentiellement différents. En effet, étant donné que, sur le plan purement animal, on doit trou­ver toutes les formes qu’autorise la loi inhérente à ce niveau, il est inévitable que s’y présente une forme animale qui, du point de vue strictement anatomique, est apparentée à l’homme, mis à part certaines différences qualitatives. En d’autres termes : le singe est bien une préfiguration physique de l’homme, non pas au sens d’un premier degré dans le cours d’une évolution, mais seulement en vertu du fait que l’on retrouve, à chaque niveau d’existence, des possibilités correspondantes.

Devant les vestiges fossiles attribués à des hommes primi­tifs, une autre question se pose. Certains de ces squelettes sont-ils réellement des squelettes d’hommes que l’on peut considérer comme les ancêtres des hommes d’aujourd’hui, ou bien témoignent-ils de l’existence de quelques groupes qui auraient survécu à la disparition d’une ère géologique, pour cesser d’exister à leur tour avant le début de l’humanité actuelle ? Au lieu d’hommes primitifs, il pourrait également s’agir d’hommes dégénérés, qu’ils aient vécu avant nos vrais ancêtres ou en même temps qu’eux. On sait par exemple que les légendes et les récits mythologiques de la plupart des peu­ples parlent de nains et de géants qui auraient jadis vécu dans des contrées reculées, et l’on est frappé de constater que, parmi les squelettes fossiles, il y a plusieurs cas de gigan­tisme [23].

Enfin, n’oublions pas que les corps des hommes les plus anciens n’ont pas nécessairement laissé des traces solides, soit qu’ils n’étaient pas encore suffisamment « solidifiés », soit que la spiritualité de ces êtres, se combinant avec les conditions cosmiques de l’ère où ils vivaient, ait permis la résorption du corps physique dans le « corps » subtil au moment de la mort [24].

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Il nous faut maintenant encore évoquer ici une thèse par­ticulièrement en vogue aujourd’hui, sans doute parce qu’elle se présente comme une synthèse entre la biologie et la foi chrétienne, alors que, en réalité, elle n’est rien d’autre que la sublimation purement mentale du matérialisme le plus fruste, avec les opinions préconçues qui sont les siennes, depuis la croyance en un progrès indéfini de l’humanité jusqu’au col­lectivisme totalitaire et niveleur, sans oublier le culte de la machine qui est à la base de toute cette pensée : il s’agit de la théorie de l’évolution selon Teilhard de Chardin [25]. Selon ce paléontologiste, qui passe avec une élégante désinvolture sur les lacunes indéniables du système transformiste, en exploi­tant largement le climat favorable créé par la publication prématurée de « preuves » contestables, l’homme lui-même ne représente qu’un stade intermédiaire à l’intérieur d’une évolu­tion qui commence avec les êtres vivants unicellulaires et aboutit à une sorte d’entité cosmique unie à Dieu. La manie intellectuelle de tout vouloir ramener à une seule ligne d’évo­lution ininterrompue abandonne ici tout contact avec la réa­lité, pour se lancer aveuglément, à corps perdu, dans une fan­tasmagorie abstraite où la froide passion du chiffre et du schéma, avec son cliquetis de machine, voudrait passer pour de l’objectivité. Un procédé caractéristique de ce théoricien consiste à exprimer des données scientifiques, quelles qu’elles soient, sous une forme simplifiée à l’aide de schémas graphi­ques, puis à s’en servir ensuite dans ses démonstrations comme s’il s’agissait de réalités concrètes, et non d’outils conceptuels. C’est ainsi, par exemple, qu’il complète le soi-disant arbre généalogique des espèces sans se soucier du fait que l’unité organique de celui-ci est une sorte d’illusion d’op­tique puisqu’il se compose en réalité de simples éléments qui ne tiennent pas ensemble ; lui, en revanche, il en indique toutes les branches, ou « écailles » (selon sa terminologie), comme s’il s’agissait d’une véritable plante, et il précise la « pointe » dans la direction de laquelle l’espèce humaine est censée se mouvoir. Selon le même dérapage de la pensée, qui mélange le concret et l’abstrait, et confond impatiemment la chose réelle et la chose supposée, il fait un amalgame entre les catégories de la réalité les plus différentes, telles que les lois mécaniques, les forces biologiques, les pulsions psychi­ques et les valeurs spirituelles, pour en faire un seul flot de pensée pseudoscientifique.

Voici un exemple typique de sa manière de procéder: « Ce qui explique la révolution biologique causée par l’apparition de l’homme, c’est une explosion de conscience; et ce qui, à son tour, explique cette explosion de conscience, c’est tout sim­plement le passage d’un rayon privilégié de corpusculisation, c’est-à-dire d’un phylum zoologique à travers la surface restée jusqu’alors imperméable, séparant la zone du psychisme direct de celle du psychisme réfléchi. Parvenue, suivant ce rayon particulier, à un point critique d’arrangement (ou, comme nous disons ici, d’enroulement), la vie s’est hypercentrée sur soi, au point de devenir capable de prévision et d’invention… » [26]. Ainsi donc, la « corpusculisation », qui au mieux représente un processus corporel, aurait pour singulier effet de faire passer un « phylum zoologique », c’est-à-dire la représen­tation schématique d’un processus génétique, à travers la sur­face (purement théorique) censée séparer deux zones psychi­ques différentes, pour permettre à la vie (qui, comme on le sait, n’est pas une chose matérielle) de s’enrouler sur elle-même et finir ainsi, en vertu d’une étrange convulsion mi-abstraite, mi-mécanique, par produire les facultés psychiques de la prévision et de l’invention… Mais il ne faut pas s’étonner de trouver chez Teilhard cette incapacité à distinguer les caté­gories, puisque, d’après sa propre théorie, l’esprit n’est qu’un stade avancé de la transformation de la matière.

Teilhard fait toujours dériver la qualité d’une augmenta­tion de quantité. C’est parce que la végétation est devenue de plus en plus dense et a gagné tout le globe terrestre que la vie animale aurait pour ainsi dire été générée par la pression de cette masse ; de même, dans les siècles à venir, lorsque l’hu­manité entièrement gagnée par la technique aura occupé l’ul­time morceau de terre encore libre, l’évolution cérébrale générale, entraînée par la pression de la masse, appelée « noosphère », débouchera, selon lui, dans une sorte de gigan­tesque mollusque collectif doué de facultés spirituelles supé­rieures…

Sans nous arrêter sur la théologie singulière de cet auteur pour lequel Dieu se développe en même temps que la matiè­re, et sans poser l’embarrassante question de savoir ce qu’il faut penser des prophètes, des sages de l’Antiquité et autres êtres aussi « sous-développés », contentons-nous simplement de constater ceci : si l’homme, comme le prétend Teilhard, n’est tant sur le plan physique que psychique qu’un stade donné à l’intérieur d’une évolution qui va de l’amibe au sur­homme, comment peut-il donc objectivement savoir où il se situe lui-même ? Supposons que cette prétendue évolution forme une courbe, une spirale, par exemple. L’homme — qui n’est qu’un fragment de celle-ci (et n’oublions pas que le « fragment » d’un mouvement ne représente lui-même qu’une phase de ce mouvement) — peut-il sortir de ce processus et se dire : « Je ne suis que le fragment d’une spirale qui s’enroule de telle et telle façon » ? En d’autres termes, si tout, en l’homme et autour de lui, son esprit, l’essence de celui-ci et Dieu lui-même, est constamment « fluctuant », comment l’homme peut-il reconnaître et énoncer quelque chose de vrai, de valable et de général sur lui-même et sur le monde ? Or Teilhard de Chardin, ce représentant du niveau présent d’évolution de l’humanité, croit pouvoir le faire : et sur la base de quoi ? Il est certain que l’homme peut connaître sa propre place, l’état qui est le sien parmi les êtres vivants ; mais s’il en est capable, c’est bien parce qu’il n’est pas, justement, une simple phase dans une évolution infinie et qu’il représente au contraire essentiellement une possibilité centrale, et par con­séquent unique et définitive, à l’intérieur de ce monde terres­tre. Si l’espèce humaine était destinée à évoluer vers une autre forme plus parfaite et plus « spirituelle », l’homme ne serait pas déjà maintenant le « point » cosmique où l’esprit divin entre en contact avec le niveau terrestre ; l’homme ne pour­rait pas être sauvé, et il serait incapable de dominer le flot du devenir. Constater que la nature humaine est imparfaite n’autorise pas à supposer que celle-ci poursuivra son évolu­tion biologique, car l’imperfection dont il s’agit ici est celle que connaît le monde terrestre dans son ensemble. En re­vanche, la dimension absolue et universelle qui est inhérente à l’esprit humain, qui lui donne le pouvoir de reconnaître son imperfection en tant que telle, indique justement que la voie qui mène de l’humain au divin ne progresse pas sur le même plan matériel et temporel, mais suit un sens perpendiculaire à celui-ci. Pour prendre la terminologie des Évangiles : Dieu aurait-il pris une forme humaine si elle n’était pas déjà sym­boliquement « Dieu sur terre », c’est-à-dire unique sur le plan qualitatif et définitive par rapport à son niveau d’existence ?

En tant que symptôme de notre époque, la théorie soute­nue par Teilhard de Chardin correspond à l’une de ces fêlures qui se produisent spontanément dans la croûte de la pensée matérialiste, de par sa solidification progressive [27], et qui ne s’ouvrent pas vers le haut, sur le ciel de la véritable unité transcendante, mais vers le bas, dans le domaine des courants psychiques inférieurs. Fatiguée d’elle-même et de son univers gris et quantitatif, la pensée matérialiste se laisse bien volontiers enivrer par la première doctrine unitaire pseudo-spirituelle venue, munie de tous les accessoires scien­tifiques voulus : l’hérésie matérialisée et matériellement soli­difiée d’un Teilhard de Chardin — ou son matérialisme sublimé — répond parfaitement à ce désir.

Par sa duperie marxiste, antitraditionnelle et pseudo-mystique, la théorie moderne de l’évolution des espèces se révèle comme la Grande Tromperie. Jamais auparavant une doctrine aussi incertaine sur le plan scientifique n’avait été prise aussi inconditionnellement comme fondement de déci­sions spirituelles graves, et c’est à se demander si le singe n’a pas été promu d’emblée comme ancêtre de l’homme pour que l’homme puisse être substitué à Dieu.

Extrait de Science moderne et Sagesse Traditionnelle, 1986

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1 Voir RENÉ GUÉNON, Le Symbolisme de la Croix, Paris 1931.

2 C’est cet aspect de la forme que concerne la distinction indienne entre nâma, le nom, et rupa, la forme ; le nom correspond ici à l’essence, la forme à l’existence physico-psychique limitée.

3 Toute image de la diversité non-séparatrice des possibilités contenues dans le pur Être reste nécessairement incomplète et paradoxale, ce qui ne veut pas dire, toutefois, que l’on ne puisse connaître totalement la réalité dont il est question.

4 Voir DOUGLAS DEWAR, The Transformist Illusion, Murfreesboro, Tennessee, 1957, ainsi que Louis BOUNOURE, Déterminisme et finalité, coll. Philosophie, Flammarion, Paris 1957.

5 Voir DOUGLAS DEWAR, op. cit.

6 Ibid.

7 Teilhard de Chardin écrit à ce propos: « Rien n’est délicat et fugitif, par nature, comme un commencement. Aussi longtemps qu’un groupe zoologique est jeune, ses caractères demeurent indécis. Son édifice est tendre. Ses dimensions sont faibles. Peu d’individus, relativement, le composent, et qui changent rapide­ment. Aussi bien dans l’espace que dans la durée, la pédoncule (ou, ce qui revient au même, le bourgeon) d’un rameau vivant correspond à un minimum de diffé­renciation, d’expansion et de résistance. Comment va donc agir le temps sur cette zone faible ? Inévitablement en l’effaçant dans ses vestiges » (Le Phénomène humain, p. 129). — Cette démonstration, qui exploite de manière incongrue la ressemblance tout à fait extérieure et figurée entre un arbre généalogique et une vraie plante est exemplaire du type de raisonnement de cet auteur, qui se plaît à mélanger les abstractions et les choses concrètes.

8 Le Figaro littéraire, 20 avril 1957.

9 Ibid

10 La microscopie électronique a montré que les processus qui se déroulent à l’intérieur d’un être vivant unicellulaire sont d’une multiplicité inimaginable.

11 L’exemple le plus souvent cité à l’appui de la thèse transformiste est la généalogie hypothétique des équidés. Charles Depéret la critique en ces termes : « L’observation géologique établit d’une manière formelle qu’aucun passage gra­duel n’a existé entre ces genres ; le dernier Paleontherium était éteint depuis long­temps sans s’être transformé, lorsqu’est apparu le premier Anchitherium, et ce dernier a disparu à son tour sans modification avant d’être brusquement remplacé par l’invasion de l’Hipparion » (Les Transformations du monde animal, p. 107). Ajoutons en outre que les prétendues formes primitives du cheval ne se retrouvent pas dans l’embryogénie chevaline, bien que l’on considère généralement le déve­loppement de l’embryon comme une récapitulation de l’évolution d’une espèce.

12 Sur la soi-disant évolution de l’espèce des baleines, Douglas Dewar écrit : « J’ai souvent mis au défi les transformistes de me décrire les ancêtres susceptibles de représenter les phases intermédiaires de cette évolution hypothétique » (What the Animal Fossile tell us, Trans. Vict. Inst., vol. LXXIV).

13 Il est révélateur que la tortue, dont le squelette semble représenter une adaptation particulièrement déroutante à l’existence cuirassée de cet animal, apparaisse d’emblée parmi les fossiles, sans évolution progressive.

14 Nous empruntons cette métaphore à l’écrit du soufi `Abd al-Karim al-Jîlî, al Insân al-Kâmil. Voir notre traduction, De l’homme universel, Derain, Lyon 1953 [Rééd. Dervy, Paris 1975].

15 Voir LOUIS BOUNOURE, op. cit..

16 Musaeum Hermeticum, Francfort 1678.

17 Voir RENÉ GUÉNON, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps.

18 Même dans les séances de spirites, il se produit des « matérialisations » et des « dématérialisations » d’objets sans que les participants, toutefois, comprennent ce qui se passe.

19 Sur la création des espèces dans la « protomatière » et leur « cristallisation » dans la matière physique, voir : FRITHJOF SCHUON, « Chute et déchéance« , Études Traditionnelles, Paris, juillet-août et sept.-oct. 1961, p. 178 et suiv., ainsi que « Les Cinq Présences divines« , ibid., nov.-déc. 1962, p. 274 et suiv. ; voir également, du même auteur, Images de l’esprit, coll. « Symboles », Flammarion, Paris 1961, p. 142 et suiv.

20 Voir C. KORVIN KRASINSKY, Tibetische Medizin-Philosophie.

21 D’une manière générale, ce domaine de la science a été submergé de théories tendancieuses, de mystifications et de découvertes publiées prématurément. Voir DOUGLAS DEWAR, op. cit..

22 Un cas manifeste d’interprétation abusive est celle qui concerne le fossile appelé Homo pekinensis. Parce que l’on a retrouvé des ossements de ce singe, jusqu’alors inconnu, mélangés avec des vestiges d’outils et des traces de foyers préhistoriques, on a supposé tout simplement qu’il s’agissait du responsable, donc d’un homme préhistorique, bien que le squelette en question voisine avec les osse­ments d’autres bêtes de chasse et présente les mêmes perforations crâniennes, qui avaient de toute évidence permis le prélèvement de la cervelle. Pour ne pas devoir conclure que l’Homo pekinensis n’était qu’une proie capturée par les hommes préhistoriques, on annonça que les Homines pekinenses se dévoraient entre eux !

23 Comme le méganthrope de Java et le gigantopithèque de Chine.

24 Dans certains cas tout à fait exceptionnels, comme ceux d’Hénoch, d’Elie et de la Vierge Marie, cette résorption a même eu lieu au cours de notre âge terrestre.

25 Le matérialisme de Teilhard de Chardin se révèle dans toute sa brutalité, voire sa perversion, lorsque ce philosophe préconise l’intervention chirurgicale pour accé­lérer la « cérébralisation collective » de l’humanité (La Place de l’Homme dans la Nature, Paris 1956, p. 155). Les citations suivantes, du même auteur, sont très instructives : « … C’est finalement sur l’éblouissante notion du Progrès et sur la foi au Progrès que l’Humanité aujourd’hui divisée peut se réformer… » — « L’Acte I est joué ! Nous avons accès au cœur de l’atome ! Viennent maintenant les suivants, tels que la vitalisation de la matière par édification de super-molécules, le modelage de l’organisme humain par les hormones, les contrôle de l’hérédité et des sexes par le jeu des gènes et des chromosomes, le réajustement et la libération par action directe des ressorts mis à nu par la psychanalyse, l’éveil et la capture de puissances intellectuelles et affectives encore dormantes dans la masse humaine ! » (Planète III, 1944, p. 30). Dans le même passage, Teilhard suggère qu’une restructuration génétique de l’humanité soit effectuée par un gouvernement scientifique mondial : exactement ce dont l’Antéchrist a besoin comme instrument !

26 La Place de l’Homme dans la Nature, p. 84.

27 RENÉ GUENON, op. cit..