Mu Ku Do Ku Ka Ku Nen Musho

C’est différent de Ku, c’est la totale vacuité où il n’y a plus rien du tout, au-delà de la sainteté et de la folie. Dans Ka ku nen musho, il n’y a ni sol ni plafond, ni plancher ni toit. Pas de dessous, pas de dessus, ni vent, ni porte du sud, de l’est, de l’ouest, du nord. Pas de tapis, pas d’étage, pas de colonne. Il n’y a ni bien ni mal, ni haine ni amour. Cela fait complètement partie du ciel pur, sans nuage, bleu, immense, infini. Il n’existe aucun point de rencontre, tout est infini. Ainsi est Ka ku nen musho. Cela est l’essence du Zen, au-delà de la sainteté et de la folie.

(Revue Question De. No 48. Juillet-Août 1982)

MONDO HISTORIQUE ENTRE BODHIDHARMA ET LE GRAND EMPEREUR BOUTEI DU PAYS DE LIANG EN CHINE

Un jour le premier Patriarche Bodhidharma se rendit à la capitale pour rencontrer l’empereur qui lui dit :

— Depuis que je suis empereur, j’ai construit de nombreux temples, recopié des sutras et aidé un nombre incalculable de moines. J’en obtiendrai sûrement de grands mérites dans le futur. Lesquels puis-je espérer ?

— Mu ku do ku. (Mu : pas. Kodoku : bénéfice, mérite.) Pas de bénéfice, aucun mérite, répondit Bodhidharma.

— Pourquoi ? rétorqua l’empereur.

— Les mérites de vos ouvres sont infimes en ce monde et deviendront la source de bonnos (illusions) et de désirs. C’est pareil que de poursuivre une ombre. Pourtant, ils existent mais ne peuvent pas être enfermés dans des faits, ils se manifestent sans noumène, répondit Bodhidharma.

— Qu’entendez-vous alors par véritables, authentiques mérites, dit l’empereur.

— La pure sagesse est myo-en, merveilleuse et parfaite dans sa réalisation. La substance est Ku, paisible en soi. Le corps en soi est Ku, tranquille. Aussi de tels mérites ne peuvent-ils être comptabilisés à la mesure du social.

— Quelle est la sainte vérité, sho tai ? demanda encore l’empereur.

— Kaku nen musho, répondit Bodhidharma. Kaku : vacant.

C’est différent de Ku, c’est la totale vacuité où il n’y a plus rien du tout, au-delà de la sainteté et de la folie. Dans Ka ku nen musho, il n’y a ni sol ni plafond, ni plancher ni toit. Pas de dessous, pas de dessus, ni vent, ni porte du sud, de l’est, de l’ouest, du nord. Pas de tapis, pas d’étage, pas de colonne. Il n’y a ni bien ni mal, ni haine ni amour. Cela fait complètement partie du ciel pur, sans nuage, bleu, immense, infini. Il n’existe aucun point de rencontre, tout est infini. Ainsi est Ka ku nen musho. Cela est l’essence du Zen, au-delà de la sainteté et de la folie.

L’empereur fut très impressionné et regarda Bodhidharma en disant :

— Qui est en face de moi

— Je ne sais pas, répondit Bodhidharma.

Fushiki : la non-conscience. Sur tous les dessins représentant Bodhidharma, figurent toujours Fushiki ou Ka ku nen musho. Il ne s’agit pas de négation mais cela se situe au-delà.

Commentaires

L’empereur pensa que le moine était la représentation de la plus grande vérité. Mais dans son esprit existait la dualité et il croyait que Bodhidharma répondrait selon ses idées.

Lorsque Bodhidharma prononça Fushiki, la non-conscience, il ne comprit pas. Alors Bodhidharma réalisa qu’il ne pouvait rien lui enseigner, sa dimension n’étant pas la même.

Maître Keisan, le fondateur du temple de Shoji-ji, dit : Total, obscur, il s’enfuit dans la nuit. »

Maître Ketsu, le Maître de Keisan dit : « Vous avez compris mais c’est insuffisant. Il vous faut encore approfondir. » Le 19 Octobre et le 23 Novembre, il entra dans la capitale, escalada le Mont Shushan et se retira au temple de Shorin-ji . Il continua zazen pendant neuf ans. Beaucoup des suivants de l’empereur et même sa fille devinrent ses disciples. Bodhidharma eut quatre disciples, notamment Eka qui se coupa le bras, la fille de l’empereur Soni qui le suivait toujours. Elle rasa ses cheveux et le servit jusqu’à sa mort.

Peu d’écritures existent encore au sujet de Bodhidharma et de ses disciples sinon à propos d’Eka.

Dogen commente :

Les vrais bénéfices, les authentiques mérites incluent les mérites saints et païens (sociaux). L’empereur ne voyait que les mérites païens. La transmission de Bodhidharma ne se situait pas à ce niveau.

Je souhaitais transmettre les mérites de Bodhidharma et donner le shiho mais avec les Européens jusqu’alors c’est difficile. J’ai calligraphié cette expression. C’est facile à comprendre mais difficile à pratiquer. Quels sont les mérites de zazen ? Rien du tout. Donc on s’enfuit… Mushotoku et Sen rin ku yaku. Tout est pareil. Ce sont les trois cercles de Ku et de la tranquillité. Quels sont ces trois cercles ? L’un représente celui qui offre, le second celui qui reçoit, le troisième le fuse (le don en soi). Ces trois choses sont identiques et en font qu’une qui est nulle. C’est le plus grand de tous les mérites, la sagesse. Pourtant dans la vie, on calcule toujours. Si vous faites une ou deux sessions, votre cerveau change et lorsque vous retournez dans le social, vous ressentez des contradictions et il est difficile parfois de vous harmoniser avec les autres, car leur attitude est souvent tout à fait à l’opposé de mushotoku. Quelle est la véritable sagesse ? En cela la réponse de Bodhidharma est très importante.

JOIE ET NATURE
Regardant cent nuages le matin,
Écoutant les mille voix de la rivière au crépuscule.
Ce poème exprime la joie ressentie lorsque la nature et
la respiration sont en unité.

L’ÉTERNITÉ
L’océan se brise en mille vagues,
La terre pénètre dix mille montagnes.
La substance est une, les phénomènes sont nombreux.

RYTHME
La nature suit un rythme saisonnier
De chaleur et de froideur.
Mais le singe stupide
Languit après la neige en été
Et la chaleur en hiver.

L’ÉNERGIE MYSTÉRIEUSE
Tout grain de poussière
Contribue à tout instant à créer la Terre Pure.
Toute fleur et toute feuille ainsi que les racines
Actualisent l’énergie mystérieuse.

DRAGON ENDORMI
Le lac profond est lisse comme un miroir.
Comment le dragon endormi
Pourrait-il se réveiller ?

IMPRESSIONS DE LA GENDRONNIÈRE
L’ombre du pin ondule
Tel le corps du dragon,
Tel son grondement sourd,
Le bruit du vent dans les branches.

MATIÈRE, MASSE, ÉNERGIE
La matière, la masse et l’énergie sont les trois éléments
de la création.
C’est ce qu’on appelle Dieu.
Elles sont en unité.
La loi scientifique de la conservation de la masse ne
concerne que le monde limité.
Il y a toujours changement, augmentation, diminution,
disparition et renaissance.
Mais dans l’absolu, il n’y a ni changement, ni augmentation, ni diminution, ni disparition.
Il est dit dans l’Hannya Shingyo : Fu-sho Fu-metsu
Fu-zo Fu-Gen : Ce n’est ni né, ni fini
sans croissance ni décroissance.
Le monde absolu est pareil à un courant permanent mais mouvant.

« À quoi pouvons-nous comparer notre vie ? Le reflet de la lune dans la goutte de rosée, tombant du bec de l’oiseau. » La vie est brève, impermanente : Mujo.

DOGEN