Roland de Miller
Nature mon amour

C’est dans la mesure où les individus prennent conscience de leur intériorité, en eux-mêmes, qu’ils seront conduits à comprendre les richesses naturelles autour d’eux. L’absence du monde végétal et naturel peut parfois en activer le désir et l’intériorisation. (Les artistes citadins connaissent parfois cette sublimation solitaire). Jusque dans les prisons, le souvenir de la fleur ou les espaces vierges a un pouvoir de référence et de rédemption. Ce qu’il y a de plus important, c’est la communion de l’homme avec sa propre nature profonde. Il est probable que les paysages naturels seront sauvés in extremis non pour eux-mêmes mais pour les hommes, leur santé menacée, ou plus rarement, pour leur unité intérieure, retrouvée.

(Revue Question De. No 38. Octobre 1980)

Vie écologique, valeurs intérieures et attitude spirituelle face à l’existence sont les trois mobiles qui guident Roland de Miller.

Ce texte de l’auteur de « nature mon amour », traite de la libération affective et cosmique créée par le contact avec la nature, la Mère-nature.

La nature n’est pas seulement un paysage hors de nous, elle coule en nous comme un grand fleuve, elle est dans notre inconscient profond, dans nos mystères qui communiquent souterrainement avec ceux du monde. C’est ce qui explique combien les paysages naturels influent sur notre nature humaine intérieure.

Ces forces émotionnelles, à la fois religieuses et animales, il ne sert à rien de les refuser. C.G. Jung a, le premier, montré que c’est dans la rupture avec nos racines profondes, dans le refoulement de nos pulsions sexuelles, dans le retrait des dieux de la nature, que résident l’aliénation et la névrose modernes. Depuis ses travaux, il existe une abondante littérature en sciences humaines et en ésotérisme sur tous les liens qui unissent le psychisme humain et le cosmos. Nous devons constater, également, que c’est chez les scientifiques, les naturalistes et les biologistes que ces recherches sont les plus rares.

Abattre les barrières…

En tant qu’êtres vivants nous sommes constamment traversés par un réseau de forces telluriques et de flux cosmiques qui travaillent notre inconscient à partir duquel, seulement, peut opérer le conscient. Il nous appartient de décrypter ces forces, dont nous sommes spontanément l’un des pôles d’intégration (à chaque décision nous intégrons notre histoire). Evidemment, il n’est pas facile pour quelqu’un qui ignore les grilles de lecture [1] d’accepter la soumission aux lois cosmiques comme un grain d’être, et vois en cela une amélioration positive et encourageante de notre condition.

Wilhelm Reich a formulé une hypothèse, à savoir que l’énergie vitale, responsable de tout ce qui se meut et s’émeut dans les règnes animal, végétal et même minéral, est largement répandue, depuis l’intérieur des atomes jusqu’aux espaces intersidéraux. Cette bioénergie, c’est-à-dire le ki des Japonais ou le prana des Indiens, circule en particulier dans nos corps, plus ou moins bien suivant notre état psychosomatique, et notre histoire biologique. Le fonctionnement bioénergétique optimal conduit à la sensation de bien-être ; inversement l’état de maladie, d’impuissance, de résignation, de dépendance, peut être vu comme conséquence d’un mauvais fonctionnement de cette énergie, que W. Reich appelait « orgone ».

Restaurer une situation bioénergétique satisfaisante peut se faire par différents moyens à la seule condition que l’on en ait le désir profond. W. Reich a observé que des dispositifs, dits « accumulateurs d’orgone », sont susceptibles de stocker puis de restituer à l’organisme une charge bioénergétique.

Alors, dit-il, « il n’y a plus de barrières entre l’organisme humain et son environnement cosmique d’où par nécessité l’homme a tiré et tire toujours son origine ».

« La vision de Reich est celle d’un univers non pas froid et mort, mais vivant, et même vibrant d’une pulsion intense qui ne trouve son équivalent que dans la pulsion sexuelle. Il sent la vie de la matière et quand il écoute le cœur, il entend un battement frénétique dénotant une ivresse dionysiaque. En parallèle, il observe une humanité qui est bien loin dans son ensemble de vivre au même rythme [2]. »

Il est intéressant, pour comprendre l’histoire de l’asservissement de la nature, de savoir que l’accumulation capitaliste est fondée sur la répression de la sexualité et des pulsions irrationnelles. En effet, les hommes qui deviennent propriétaires imposent à leurs proches une morale sexuelle antinaturelle qui vise à détourner la libido de ses fins spontanées pour l’investir dans les attitudes de possession, de défense de ces possessions et surtout dans le travail, force productrice, avec tout le cortège de fausses valeurs que ce transfert provoque.

… et se libérer des conditionnements

La révolution culturelle consiste à rendre les gens non seulement à leur sexualité naturelle, mais à une sensibilité globale, et ainsi à les décuirasser, les décrisper, leur faire perdre l’agressivité qui les dresse les uns contre les autres. Le fascisme naît de la frustration affective et sexuelle des masses et l’entretient de telle sorte qu’elles sont obligées d’investir sur des idéaux abstraits. C’est pourquoi la pratique reichienne vise à apaiser l’individu et à le rendre fraternel et compréhensif [3].

Dans une riche étude sur Non-violence gandhienne et non-violence reichienne, René Macaire montre que le désir culturel est aussi fort que la poussée vers la satisfaction sexuelle et que pour construire une société fraternelle, la personne humaine doit transcender les satisfactions de plaisir entretenues par une société de classes : « C’est le besoin non satisfait de communion des consciences qui est à l’origine de nos maux, autant que les structures oppressives. Or, ce besoin-là est d’un autre ordre que le besoin libidinal dans lequel Freud et Reich prétendent nous enfermer. En d’autres termes pour que ce besoin absolu d’entrer en communion puisse se réaliser, une émergence hors de nos conditionnements, psychiques, culturels, économiques est nécessaire. Pour être nous-mêmes, nous avons besoin de plus que nous-mêmes. Mais les grands maîtres de la mainmise de l’homme sur la nature depuis Descartes répugnent à cette émergence car elle fait passer dans le registre de quelque chose ou de quelqu’un qui nous transcende et de qui il faut recevoir ce début de possession de soi, de plénitude, sans lequel par définition, nous restons prisonniers de nos inéluctables conditionnements [4]. »

L’ennemi : nous-même

Une société de gens cuirassés est aussi une société de rejets mutuels, de souffrances, de divisions en classes. Engoncés dans leur confort matériel et moral, un certain nombre de citadins sont des fossiles vivants, il n’y a qu’à voir leur corps raide. Leurs regards pâles, les traits de leur visage dénotent une mauvaise santé, il n’y a qu’à entendre leur peur du changement. Ils s’arment et se cuirassent dans leur blockhaus de fausses certitudes. Ceux qui répriment la vie chez les enfants, en leur imposant des interdits, et les « pro-nucléaires » qui soutiennent « qu’il n’y a pas d’autres solutions pour satisfaire les besoins énergétiques » sont les mêmes. N’est-il pas de plus en plus évident que la frustration et la contrainte engendrent un comportement antisocial qui nécessite à son tour une plus grande contrainte ?

Le poète américain Gary Snyder a dit : « Nous avons enfin découvert l’ennemi et c’était nous-mêmes », il n’a pas voulu pousser les gens à se culpabiliser, mais à se déconditionner. Ainsi, pour faire éclore des motivations positives, il faut s’attaquer à ce qu’il y a autour, la gangrène qui étouffe la libération, l’épanouissement de l’individu. Le travail, la création sont mutilés. Ce dont nous avons besoin, c’est une attitude de libération corporelle et psychique de l’homme vis-à-vis de l’univers technicien. Il faut changer les motivations économiques, créer le terrain psychologique favorable à un épanouissement réel. La communion avec la nature correspond exactement à ce besoin moderne de libérer l’affectivité et la créativité individuelles.

La crainte du surnaturel et des dieux, communément exprimée dans les croyances traditionnelles, est liée à la peur de cette énergie dont parle W. Reich et qui nous rappelle notre condition animale. Le refus de notre nature organique, de notre appartenance à l’univers, la peur de la nature sauvage ne sont-ils pas une véritable « panique » au sens fort du terme, une peur du Dieu Pan [5] ? Peut-être est-ce là l’origine même de la névrose de l’Occident ? Les mécanismes qui ont conduit les Occidentaux à exercer un contrôle croissant sur leurs pulsions concernent à la fois la violence sociale et la violence vis-à-vis de la nature. De la dispersion féodale du pouvoir à la concentration étatique contemporaine, la Babylone occidentale s’est construite contre la nature, contre le Dieu dont notre monde serait le lieu, le Paradis. Sur le plan de la spiritualité, il faut également dénoncer ce couple de la peur et du pouvoir. En effet, deux des plus grands ennemis de la quête du sacré sont d’une part, la peur intérieure de l’irrationnel, et d’autre part la menace du pouvoir abusif qui se développe dans le monde au nom des religions institutionnelles. Le développement technologique peut être également vu, dans son essence, comme un mouvement destiné à croître et prospérer en s’appuyant précisément sur la peur de manquer de biens matériels et la volonté de puissance politique. Nous aurons l’occasion d’en reparler à propos de la dialectique du militantisme et du mysticisme.

L’état névrotique semble souvent plus facile que l’affrontement de la vérité : on en a pris l’habitude. Mais la violence structurelle accumulée par notre société est telle que, sous peine qu’elle explose, l’homme doit apprendre à découvrir ses blocages affectifs et ses impasses mentales, harmoniser les pulsions qui viennent de ses profondeurs inconscientes.

Explorer les zones cachées du non-dit aura plusieurs avantages :

• quand nous n’aurons plus peur de notre ombre, il sera enfin possible d’examiner à fond aussi bien la place de l’homme dans la nature que l’effet psychologique de cet examen ;

• il est possible et souhaitable de déculpabiliser le plaisir amoureux sans le désacraliser, pour resacraliser, en toute conscience les énergies en jeu.

Commençons par désamorcer une arrogance machiste, un virilisme conquérant, une violence intérieure qui s’extériorisent tant vis-à-vis des autres que de la nature. Voici une exhortation et un témoignage qui donnent la voie, le « la d’amour » :

« Le contact avec la terre va te décharger de tous les miasmes qui s’accumulent en toi et forment autant de barrages à la circulation de tes flux vitaux. Ton corps entier va se trouver en liaison avec ces forces telluriques, cosmiques, qui sillonnent terre et espace et n’arrêtent pas de s’orgasmer. » (Maurice Mons : « Des gerbes de vert et de soleil », Sexpot n° 15.)

« J’ai vibré aux rythmes d’une intuition essentielle, une recherche plus profonde, vraie, de mon propre moi, seul, un essai d’analyse des motivations inconscientes qui me gouvernent. » (Dominique Delaunay : « Bio-énergie », La Gueule ouverte-Combat non-violent n° 173, 1er  septembre 1977).

N’y a-t-il pas là une authentique solution de dépassement à l’impuissance politique, aux blocages émotionnels, à la misère affective, aux biopathies, bref au manque à vivre, signe le plus commun des dysfonctionnements bioénergétiques ?

La nature-recours

Le recours à la nature comme point d’appui pour la révolution psychique, comme libération affective et mesure humaine, est un champ d’annulation totale du corps, précisément. N’oublions pas que « le principe de la ville en tant que forteresse qui protège autant qu’elle emprisonne est celui de la cuirasse caractérielle et musculaire ». (Gérard Ponthieu : « Trois milliards de déserts ? » Sexpol n° 16. Voir l’ensemble de ce même numéro sur nature et sexualité)

Les origines de la violence urbaine sont probablement, entre autres, le stress de la surpopulation de l’espace, l’absence du contact sensuel avec la terre, les plantes et les animaux et l’absence de plaisir physique et de contact de peau à peau entre le petit enfant et sa mère.

Les autoroutes, le béton, les stress et l’électrisation généralisée ont comme macadamisé nos structures mentales, où existait jadis une mouvance réceptive qui était vécue comme viatique spirituel, et restera lettre morte, sauf s’il est vécu par chacun comme une réappropriation du corps pour soi-même [6]. La ville moderne qui a perdu toute les chemins creux bocagers de notre sensibilité. Les vieux jardins avec de grands arbres cachés au cœur de Paris devraient nous inspirer une dynamique, un ressourcement plutôt qu’une nostalgie. De même, reconquérir des espaces gaspillés pour y cultiver des jardins potagers serait féconder l’imaginaire social et subvertir la ville par la verdure, le « pouvoir vert ».

Ce serait trop simple de croire qu’en son fond naturel l’homme est non-violent et qu’il suffit de le désaliéner, de le libérer, de l’aider à échapper à l’emprise technicienne, capitaliste, religieuse, dogmatique, morale… Sans doute ce n’est pas moi qui nierais que la non-violence soit libération. Mais se libérer de quoi, et comment ? A mon avis la richesse, la force, la valeur de la non-violence tiennent précisément dans le fait qu’elle refuse la double illusion de la révolution seule ou de la conversion seule. Le mal, ce n’est pas seulement les structures, le pouvoir technocratique, idéologique, bureaucratique et l’argent. Ce n’est pas seulement non plus les pulsions de haine, de domination et de mort qui nous habitent.

La liberté n’est pas la satisfaction de l’instinct, la non-violence n’est pas la non-directivité. L’homme libre est celui qui se connaît, qui se contrôle, qui est capable de se donner et de recevoir les besoins des autres. La non-violence implique la maîtrise des instincts, autant à l’échelle individuelle que sociologique, peut-être même une maîtrise sur ses habitudes.

La tare principale de notre société est son réseau de pouvoirs démentiels (administratifs, policiers, militaires, économiques, etc.) fondé sur la peur, en même temps que tout y est fait pour sécuriser à bon compte. Le seul domaine où la sécurité ne soit pas assurée, c’est à l’intérieur de l’individu lui-même, d’où sa paranoïa, forme déguisée de la panique et de l’impuissance.

Questions intérieures

C’est dans la mesure où les individus prennent conscience de leur intériorité, en eux-mêmes, qu’ils seront conduits à comprendre les richesses naturelles autour d’eux. L’absence du monde végétal et naturel peut parfois en activer le désir et l’intériorisation. (Les artistes citadins connaissent parfois cette sublimation solitaire). Jusque dans les prisons, le souvenir de la fleur ou les espaces vierges a un pouvoir de référence et de rédemption [7].

Ce qu’il y a de plus important, c’est la communion de l’homme avec sa propre nature profonde. Il est probable que les paysages naturels seront sauvés in extremis non pour eux-mêmes mais pour les hommes, leur santé menacée, ou plus rarement, pour leur unité intérieure, retrouvée.

Il existe d’intéressants rapports entre la psychophysiologie nerveuse et l’amour de la nature : ceux qui l’éprouvent le plus vivement seraient, paraît-il, des hyperémotifs. Certains garçons doués (ou affligés ?) d’une telle passion ont parfois du mal à faire alliance avec des femmes qui les suivent jusqu’au bout. L’exemple le plus connu est celui d’Henry-David Thoreau qui n’eut qu’un seul et bref amour déçu. Comment ne pas être esclave de son amour pour la nature ? Jusqu’à quel point deux individus peuvent-ils le partager dans une vie de couple ? La quête vers l’essentiel est-elle toujours une aventure solitaire ? Ce sont des questions que j’avoue me poser pour moi-même.

Un monde vivant

Si l’on fait abstraction des rôles sociaux, je crois que la perception de la nature chez la femme est différente de chez l’homme : alors que celui-ci est plutôt tourné vers la terre cultivable et l’animal (la chasse), il semblerait que celle-là soit plus disponible pour un contact intuitif avec le paysage, avec la plante, avec l’enfant. En particulier dans le monde rural et agraire, les rythmes du corps féminin sont bien souvent ressentis comme liés à ceux du temps et aux forces élémentaires de la nature qui a commandent les comportements matériels et sociaux. C’est ce que remarque Rose-Marie Lagrave dans une étude sur la place du paysan, de la terre et du village dans le roman contemporain : « Les romans écrits par des femmes prennent comme thème dominant la nature et en cela elles donnent raison aux romanciers hommes pour qui « la femme n’échappe pas aux simples, aux profondes, aux immuables lois naturelles. Elément du cosmos, elle est facteur et fonction du cosmos » [8]. Toutes les descriptions de la nature faites par les femmes révèlent effectivement une sorte d’élan qui les transporte, un appel de la nature auquel elles se soumettent. « Je suis vraiment amoureuse de la nature, dit Angelina. Mes rêves de jeune fille naissent des sentes des champs, le long des haies, de cette ivresse légère qui s’épand sur la nature d’avril [9]. » A l’homme amoureux de la terre, s’oppose dans les romans la femme amoureuse de la nature [10]. »

Pourquoi les intellectualistes anthropocentrés éprouvent-ils le besoin de dire que, comme le mâle, la femme n’est que construction culturelle ? Le concept de nature, sur lequel est fondé tout cet ouvrage, est lui-même une vision féminine de l’univers. Ses sources religieuses et inconscientes sont révélatrices d’archétypes fondamentaux et de valeurs que l’on peut considérer à juste titre comme universelles dans l’histoire de l’humanité. Ainsi, le yoga et le naturisme ont en commun la même conception du monde comme vivant et animé [11].

 

Natura naturans

A côté des défenseurs de l’animal dans la nature, il faut compter désormais avec ceux qui défendent l’animal en l’homme (en tant qu’espèce humaine), l’animalité, la sensibilité, l’instinct retrouvé. On n’a pas assez mesuré combien la pratique récente de la naissance sans violence et l’abondance ses ouvrages sur le thème de la naissance (de même que sur la mort) signifiait une révolution profonde de notre culture.

Car nous naissons et renaissons chaque jour, biologiquement et psychologiquement. Ceci doit être mis en relation avec l’étymologie du mot latin natura qui signifie « celle qui doit naître ». La nature est appelée en grec phusis, celle qui fait croître, ou phutourgi, la génératrice des êtres, et en latin, génitrix, la puissance reproductrice. « Naître » et « Nature » n’ont pas seulement des affinités étymologiques. C’est à l’heure même de la naissance qu’il pourrait, qu’il devrait être possible d’entrevoir conjointement toutes les racines périgénétiques, phylogénétiques, hominiennes et socio-culturelles de l’homme [12]. Mais c’est à considérer une autre naissance que je convie ici le lecteur : la nature est une authentique voie d’initiation, parmi d’autres, le but étant de faire naître l’enfant divin que nous portons en nous, ce germe d’un accomplissement cosmique.

La musique de l’univers

En tant qu’individu de sexe masculin, je recherche consciemment à protéger, libérer, exprimer la part de féminité qui est en moi, ma nature, ma vision poétique du monde…

A lire la presse écologique, il semblerait que la remise en question de la société industrielle ne soit le fait que des hommes, alors qu’en vérité beaucoup de femmes dénoncent depuis longtemps le phallocratisme, le machisme, la virilité mal assurée et destructrice. Ainsi Marie-Joséphine Grojean, Anne-Marie de Vilaine, Annie Leclerc, Françoise d’Eaubonne, Claudine Brelet et d’autres femmes introduisent des « Paroles de Femmes » [13] c’est-à-dire la part du sensible et du désir, dans le tohu bohu du langage politique masculin et agressif. Désormais c’est pour une grande part, le « refoulé » féminin qui nourrit la contestation écologique. Pour lutter contre les contraintes, les aliénations, les rythmes inhumains et les nuisances du mode de vie urbain et industriel imposé par des individus mâles, durs et dominateurs, les femmes et les valeurs féminines sont appelées à jouer un rôle essentiel. Le corps des femmes est, sur le plan biologique et sans doute sur d’autres plans, porteur de l’acte créateur de la vie. Elles sont donc beaucoup plus sensibles que les hommes aux conditions favorables à la vie. Celle-ci a pour elles une dimension plus sérieuse que pour les hommes auxquels on apprend surtout à tuer, à dominer et à exploiter. L’écologie est leur langage [14].

Parmi les voies d’épanouissement du corps et de l’esprit, la psychophonie et la musicothérapie, en accord avec les rythmes biologiques personnels, sont une puissante incitation à se mettre à l’écoute de ce qu’il y a de plus profond dans l’homme.

Comment reconquérir l’ouïe, ce sens si souvent négligé, bafoué dans l’univers du signe et du tintamarre mécanique ? En écoutant la nature, en saisissant ses bruits ténus, familiers ou insolites, auxquels nous sommes devenus sourds, et qu’il faut savoir mériter.

En fin de compte, toutes les authentiques musiques folkloriques sont des vibrations à l’unisson des rythmes de la Terre. C’est ce qui explique le caractère un peu orgiaque bacchique, orgiaque des festivals folk organisés à la campagne, dans le Berry, en Bretagne ou ailleurs sous les grands arbres, les danses et l’amour sont liés dans une sorte de magie…

Si les humains voulaient bien entendre et chérir à nouveau la musique de leur univers [15], ils retrouveraient le sens de la fête qui leur fait aujourd’hui défaut.


[1] Grilles de lecture telles que l’astrologie, l’analyse transactionnelle — une sorte de psychanalyse —, la psychologie humaniste, etc.

[2] Hubert Reeves : « Pulsions et pulsations de l’énergie cosmique », in Reich vingt après, Sexpol n° 18-19-20, 1977.

[3] Voir Roger Dadoun : Cent fleurs pour Wilhelm Reich (1975. Petite bibliothèque Payot, 1977, n° 324, 410 p.)

[4] 5. René Macaire : Non-violence gandhienne et non-violence reichienne. Multigraphié, 1977. 6 F chez l’auteur, 98, bd des Rocs, 86000 Poitiers.

[5] « Pan, dieu grec, fils de Jupiter et de Callisto, présidait aux troupeaux et aux pâturages, et passait pour l’inventeur du chalumeau. Epris de la nymphe Syrinx, il se mit à sa poursuite et eut la douleur de la voir changée en roseau au moment où il allait la saisir. Il ne fut pas plus heureux auprès de la nymphe Echo. On figura Pan d’abord couvert de peau de bouc, puis ayant les cornes, les pieds et les cuisses velues du bouc. On lui donne pour cortège des êtres de même forme, dits pans, panisques ou égipans, c’est-à-dire pans-chèvres (du nom de Pan et du grec aïges, chèvres) qui sont peu différents des Satyres. Le Faune des latins ressemble fort au Pan des grecs ; cependant on les distingue. C’est en Arcadie surtout que Pan était adoré. Ses fêtes s’y nommaient Lycées ; à Rome, elles furent appelées Lupercales. Le bas peuple en Grèce, croyait que Pan faisait des courses nocturnes, des apparitions subites qui jetaient partout l’effroi ; de là le nom de terreur panique. A l’époque de l’invasion des idées orientales en Grèce et à Rome, Pan devint un dieu suprême, créateur et roi du monde, identique à la nature ou à l’universalité des êtres (Pan = tout) ». (M.B. Bouillet : Dictionnaire universel d’histoire et de géographie, Librairie Hachette, Paris, 1850).

[6] Voir Gay Gaer Luce : le Temps des corps. Rythmes biologiques et stress social. Jusqu’où peut-on bousculer les lois naturelles ? Hachette Littérature, 1972, 333 p.

[7] Le souvenir des éléphants au galop dans la savane africaine sauva des prisonniers en camps de concentration. Voir le roman de Romain Gary, les Racines du ciel, Gallimard, 1956 et le Livre de Poche.

[8] M. Nogues : Petite chronique de la boue. Le Club du Livre du mois. Paris, 1957, p. 54.

[9] A. Bardin : Angelina, une fille des champs. André Bonne, Paris, 1956, p. 120.

[10] Rose-Marie Lagrave : le Village romanesque. Ed. Actes/Sud. Coll. Espace Temps, 1980, 234 p.

[11] Entre les deux guerres mondiales, les pionniers du naturisme furent des gens animés par un idéal de vie saine, puisant leur énergie dans l’amour de la nature et du soleil, le végétarisme et l’entretien corporel par la gymnastique. On peut encore rencontrer dans les centres naturistes quelques-uns de ces « ancêtres » vieillards superbes et philosophes tannés par le soleil. Aujourd’hui l’absence d’habits ne fait pas le naturiste et un camp de nudistes renferme le même échantillonnage de mentalités différentes qu’un terrain de camping ou une plage « textiles ». Parmi les personnes qui pratiquent le naturisme beaucoup y sont poussées dans l’esprit d’acquérir une liberté corporelle et psychique. Vaincre la honte de notre corps et du corps des autres est en effet, une démarche nécessaire pour résoudre ses inhibitions et ses complexes, mais ce n’est pas un processus suffisant. La morale anti-sexuelle et puritaine de beaucoup de naturistes est là pour le prouver. Le naturisme, à mon avis, ne doit pas oublier sa philosophique du bonheur et ne doit pas rester enfermé dans le ghetto des camps qui ainsi le marginalisent. La pratique du naturisme « sauvage » nécessite de la discrétion et de la diplomatie. Voir la revue mensuelle La Vie au Soleil.

[12] L’ouvrage de Michel Odent, Genèse de l’homme écologique, l’instinct retrouvé (Editions Epi, Paris, 1979, 179 p.), expose la signification profonde du « phénomène Leboyer » : « Parmi les femmes européennes, il nous a semblé qu’une prise de conscience écologique authentique, avec remise en cause quotidienne de la façon de vivre, allait volontiers de pair avec une bonne connaissance de son corps, c’est-à-dire de son cerveau instinctif et émotionnel. Cela confirme que la prise de conscience écologique et toute prise de conscience en général est bien plus qu’un savoir au sens habituel, et qu’elle exige un accord, une harmonie entre le cerveau logique, rationnel, et le cerveau instinctif » (p. 95-97).

« Tout se passe comme si le « phénomène Leboyer », en centrant les réflexions sur l’événement naissance, sur l’importance des expériences du nouveau-né, en introduisant le plaisir, la joie, l’amour dans les salles de naissances, donnait un autre sens à la grossesse et à l’accouchement, exerçait directement son action sur l’un des aspects de la dynamique de survie » (p. 161).

[13] Allusion à l’ouvrage d’Annie Leclerc : Parole de femme. Grasset, 1974, 200 p.

Voir en outre : Françoise d’Eaubonne : Ecologie féminisme. Révolution ou mutation. Ed. Actualité Temps présent. Paris, 1978, 223 p.

[14] Pour tout ce qui est des femmes et de la crise de la nature, voir Sorcières, n° 20, automne 1980.

[15] Voir Charles Reymondon : « Concert des étoiles, cacophonie des hommes », Sexpol, n° 24 « musique ».