Musluh-al-Dîn Saadi
Ode sur l'amour divin

J’ai exposé au médecin la situation de mon cœur et la folie de ses emportements ; les soucis, lui ai-je dit, ne permettent pas à mes yeux de se clore un seul instant de la nuit. Saadi, m’a-t-il répondu, le mal que tu éprouves est l’amour : ce sont des dou­leurs pour lesquelles je ne possède aucun remède.

Musluh al-Dîn est né en Perse, à Chirâz, vers 1200. Il fut l’un des plus grands poètes persans de l’époque médiévale. Son surnom de Saâdi signifie «lieutenant de Saad», de sa’da, qui signifie «être heureux». Issu d’une famille de théologiens, il étudie à Bagdad dans l’une des plus prestigieuses universités d’Orient. Il voyage ensuite en Irak, en Syrie et au Hedjaz, où il entreprend plusieurs pèlerinages à La Mecque. Vers le milieu du siècle, il s’installe à Chirâz. Il y achève dans les années 1257-1258 la rédaction de ses deux recueils d’anecdotes et de réflexions morales les plus connus : le Bûstan (Le Jardin des Fruits) et le Gulistân (Le Jardin de roses), cette dernière œuvre, traduite dès 1634, ayant initié l’Occident à la poésie persane. Selon Dawlatchah, un de ses biographes, Saâdi aurait consacré trente ans de sa vie à l’étude, trente ans aux voyages et trente ans à méditer et à écrire. Il meurt aux alentours de Chirâz vers 1292.

Quelques citations:

Si le sort met des obstacles insurmontables à notre union, alors la vraie loi de l’amour est de mourir de regret.

On dit que le monde repose sur l’eau.
N’en crois rien, mon maître: à regarder de plus près, il ne repose que sur du vent.

Celui qui n’aime nul être ignore la joie de vivre.

Le savant dont les mœurs sont déréglées ressemble à un aveugle qui porte un flambeau dont il éclaire les autres, sans pouvoir s’éclairer lui-même.

Faire du bien aux méchants, c’est le même que faire du mal aux bons.

La cage sans oiseau n’a pas de valeur.

Quiconque a bu du vin pardonne l’ivresse – Pourquoi boire? – Pour garder le sens.

Si comme Saadi, tu n’as des maîtresses qu’en songe, tu es à l’abri des chagrins et des désillusions.

Tous ceux à qui j’ai enseigné l’art invincible – De bander l’arc et de lancer le trait – M’ont finalement pris pour cible.

Il est deux fois ingrat – Celui dont l’insuccès rend l’ingratitude inutile.

Quelque humilié que soit ton ennemi, sache qu’il est toujours à craindre.

Celui qui n’aime nul être ignore la joie de vivre.

Obliger les méchants, c’est presque travailler au malheur des gens de bien.

L’excès de la sévérité produit la haine. L’excès de l’indulgence affaiblit l’autorité. Sachez garder le milieu et vous ne serez exposé ni au mépris ni aux outrages.

Donner du plaisir à un seul cœur par un seul acte aimable est mieux que de se prosterner mille fois en prière.

(Revue Être. No 1. 15e année. 1987)

« Semblable au papillon, je ne saurais t’oublier un instant pour m’occuper de mes propres intérêts ; car je brûle, et je continue encore à voler. Si tu peux te décider à chercher mon cœur, hâte-toi de le faire dès aujourd’hui : autrement tu auras beau le chercher, tu ne me retrouveras plus. Mon amour n’est pas tel qu’un regard puisse le rassasier ; toutes les eaux du Djihoun ne sauraient apaiser la soif brûlante de mes désirs. Semblable au luth, j’incline devant toi la tête de la soumission et de la bonne volonté ; frappe-moi et châtie-moi comme il te plaira, je ne refuse aucun de tes coups. Quand il te plairait de me jeter cent fois dans le brasier et de m’en retirer cent fois, je n’en ressortirais pas converti en or : après être fondu, je me retrouverais encore le même. Ton bon plaisir est-il de me frapper à coups de pierre, je ne me rendrai pas coupable de la moindre résistance. Je ne saurais t’offrir aucun hommage digne de toi : que puis-je faire ! ma tête n’est pas d’un assez grand prix pour que je la jette à tes pieds. Je ne suis, je l’avoue, qu’un débauché, livré au libertinage, et ivre d’un fol amour : que pourrait dire de plus sur moi le censeur le plus malveillant ! J’ai exposé au médecin la situation de mon cœur et la folie de ses emportements ; les soucis, lui ai-je dit, ne permettent pas à mes yeux de se clore un seul instant de la nuit. Saadi, m’a-t-il répondu, le mal que tu éprouves est l’amour : ce sont des dou­leurs pour lesquelles je ne possède aucun remède. »

Traduit du persan par le Baron Silvestre de Sacy (1867)