Ouvrir la porte à une nouvelle révélation, un entretien avec Graf Dürckheim

La différence qui existe entre l’enseignement religieux et l’ensemble des dogmes d’une part et l’expérience directe du divin que l’homme peut réaliser d’autre part est «marquée» par un choc qui fait éclater tout ce que l’intelligence avait établi.

(Revue Aurores. No 23. Mai 1982 )

Nous avons rencontré Karlfried Graf Dürckheim au colloque « Dogmes et Mystique ». K. Graf Dürckheim nous a répondu sur l’utilité et l’inutilité de ces colloques. Ils sont en tous les cas, le signe d’un intérêt, qui va grandissant pour la dimension spirituelle et ce qu’il y a d’essentiel en elle, c’est-à-dire l’Etre. Nous pouvons lire dans l’ouvrage de K. Graf Dürckheim «L’homme et sa double origine» : «Ce qui fait vibrer cette jeunesse chargée de l’avenir, c’est l’intuition de son origine infinie et la colère d’avoir été tenue à l’écart de cette connaissance. Les responsables d’hier se trouvent les mains vides devant l’exigence des temps nouveaux qui prennent la relève du leur».

AURORES : Monsieur Graf Dürckheim, que pensez-vous de ce genre de rencontre ?

Graf Dürckheim : Ce colloque est très intéressant, mais comme chaque fois qu’il faut se servir du langage, le danger de raisonner «intellectuellement» nous guette. Combien de personnes présentes auront éprouvé un choc ? Est-ce que ce ne sont pas simplement des réflexions mentales qui sont en jeu ? Quelque chose, lors de cette rencontre, a-t-il vraiment «effrayé»? Ce qui effraye dans le sens de «ce qui fait mourir quelque chose en nous», c’est cela qui peut donner naissance à autre chose d’entièrement nouveau.

Or, il y a trop peu de «blessés» dans la salle, qui ont subi cette petite mort pour commencer une nouvelle vie. Cependant, j’admire toujours ces initiatives; j’y participe, j’ai même l’impression que cela peut être fructueux. Mais il ne faut pas s’attendre à ce que quelque chose change dans ce monde à la suite de ces colloques.

A. : Cependant, si vous avez accepté de participer c’est dans un but précis. Quel est l’essentiel de ce que vous voulez communiquer ?

G.D. : Nous vivons dans une époque complètement nouvelle. Il faudrait que l’homme comprenne qu’il s’agit maintenant de prendre au sérieux la réalité de ce qu’il est lui-même, au fond de lui: «Je suis le Christ».

Par la méditation on approche de ce «Je suis». Le Christ n’est pas dans le ciel ou quelque part ailleurs mais dans notre être essentiel. De cette façon, individuellement, le Christ se trouve ETRE sur terre. C’est ma propre essence; Il le dit à chacun d’entre nous: «Il faut que tu me trouves en toi-même et alors tu te sentiras fils de Dieu». Ce sont là des paroles qui correspondent à des expériences, pas à des croyances.

Ainsi le Christ invite l’homme à plonger dans son Etre essentiel, à faire l’expérience du divin en lui, à reconnaitre cette richesse intérieure qu’il ne connait pas encore paradoxalement.

Il s’agit de trouver en nous ce que nous sommes réellement comme richesse d’expérience du divin et non pas de croire simplement que cela existe.

A. : Pourtant, la plupart des hommes n’ont pas cette connaissance. Qu’est-ce qui empêche l’homme de vivre cette expérience du divin?

G.D. : Tout simplement parce que l’homme, d’une façon générale, est tout à fait content d’être «moi» dans ce monde, d’avoir des dons, de se faire «une vie», de se sécuriser, d’avoir une vieillesse bien assurée. C’est la vie de l’homme «normal», du petit bourgeois, peut-être celle d’un bon citoyen et ce n’est pas si mal.

Cet homme existe dans son temps, il ne change pas. Et pourtant, nous nous trouvons dans une époque où l’homme est appelé à passer sur un plan complètement différent de celui qu’il occupait jusqu’à présent

A.: Vous voulez dire, historiquement ?

Chaque homme est appelé à travailler quotidiennement sur lui-même; chaque instant peut devenir l’occasion d’un «exercice», d’un travail sincère qui fera éclater la plénitude de l’être.

Il faut pour cela que l’homme ait le courage de se prendre lui-même en tant que représentant du divin … Son essence, c’est le divin qui se trouve en lui. Dieu est partout. J’ai connu un religieux qui disait : «en vous? en moi ? Non ! Quelle insolence de penser que Dieu soit en moi !»

Ce n’est pas une arrogance que de prétendre être le Christ dans ce noyau. Chacun a ce noyau et chacun a la chance et le devoir de le devenir. C’est là le point véritable : ce que je prétends correspond à des expériences et non à des idées ou des croyances.

J’ai reçu chez moi, pendant un certain temps, une religieuse supérieure d’un monastère de Capucines en Suisse. Plus tard, j’ai reçu une lettre dans laquelle elle me faisait part de sa joie d’avoir découvert la transcendance intérieure.

Le plâtre commence à tomber Quel est ce plâtre ? C’est la croyance religieuse qui participe encore inconsciemment au plan du mental. Les religions sont toutes des reflets divers d’une même réalité divine.

La différence qui existe entre l’enseignement religieux et l’ensemble des dogmes d’une part et l’expérience directe du divin que l’homme peut réaliser d’autre part est «marquée» par un choc qui fait éclater tout ce que l’intelligence avait établi.

L’homme a davantage besoin de coup de poings que de caresses; c’est quand il ne comprend plus qu’il a la chance d’apprendre quelque chose. Quelque chose dont la qualité particulière est ce que l’on appelle le numineux.

A. : Quel message donneriez-vous aux enfants appelés à vivre dans ce monde ?

G.D. : Quand ils demandent «où est Dieu» ? Il faut répondre «Là où vous êtes heureux».

Quelques livres de K. GRAF DURCKHEIM

Aux Editions Le Courrier du Livre:

Hara, centre vital de l’homme, 3e édition, 1974

La percée de l’Etre, ou les étapes de la maturité, 1970

Pratique de la voie intérieure. Le quotidien comme exercice, 1969

Zen et nous, 1975

Aux Editions du Cerf:

Dialogue sur le chemin initiatique, Karlfried Graf Dürckheim et Alphonse Goettmann, coll. «Témoins spirituels d’aujourd’hui».

L’homme et sa double origine, 1980.