André A. Dumas
La Personnalité subconsciente

(Extrait de La Science de l’Âme, 2e édition. Dervy-Livres 1980) Nous vivons à la surface de notre être. William JAMES Qu’est-ce que le Subconscient ? Notre expérience quotidienne nous permet de constater que ce que nous appelons la conscience psychologique, le conscient, est en quelque sorte une « sélection » d’états mentaux et affectifs, de […]

(Extrait de La Science de l’Âme, 2e édition. Dervy-Livres 1980)

Nous vivons à la surface de notre être.

William JAMES

Qu’est-ce que le Subconscient ?

Notre expérience quotidienne nous permet de constater que ce que nous appelons la conscience psychologique, le conscient, est en quelque sorte une « sélection » d’états mentaux et affectifs, de connaissances et de sentiments, constituée aux dépens d’une quantité considérablement plus importante d’éléments psychiques existant à l’état latent.

Au moment où j’écris, seul ce problème psychologique occupe tout mon conscient. Tout le reste, jeux de mon enfance ou lois de la Chimie, structure d’une langue étrangère ou opinions politiques, tout cela n’y est pas. Tout cela est ailleurs disons : dans le subconscient. Mais cela peut en sortir, pénétrer temporairement dans le conscient à l’appel de circonstances extérieures ou de ma volonté ; ces éléments, images, idées, connaissances, existaient déjà quelque part en moi avant que le processus du souvenir les ait remis dans ma conscience ; et, lorsque d’autres les y remplacent, ils continuent à exister, en attendant qu’il leur soit fait appel à nouveau ; ils restent en réserve, dans l’ombre, pourrait-on dire, non pas à l’état inerte, mais réagissant les uns sur les autres, se modifiant, continuant à travailler : « il faut les envisager sous forme dynamique » (24).

Il y a donc un va et vient continuel d’éléments psychiques entre le conscient et le subconscient. Si un de ces éléments occupe exclusivement le champ de la conscience pendant un travail déterminé, c’est l’attention, la concentration de la pensée, la tension d’esprit ; s’il l’occupe d’une manière permanente, au-delà de ce qui est nécessaire pour les besoins de la pensée et de l’action, c’est l’idée fixe. Si, au contraire, caché au plus profond du subconscient, on ne peut l’en faire sortir, c’est un oubli, une absence de mémoire.

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Relativement au Subconscient [1] qui, depuis la prime enfance, s’enrichit continuellement de nouvelles acquisitions, le conscient est très restreint, très minime : « La conscience, écrit le Professeur Georges Dwelshauvers (25), qui, pour le rationalisme, issu de Descartes, était tout, n’est plus guère, pour la plupart des psychologues modernes, qu’un point d’éclairage très limité, errant à la surface d’une masse infiniment profonde d’impressions en mouvement. »

En somme, le subconscient n’est pas une partie distincte de l’être psychique, il est l’être psychique lui-même ; ce qui constitue notre conscient n’est qu’un aspect extérieur, et limité de nous-même, derrière lequel vit et agit le subconscient, c’est-à-dire notre personnalité profonde, beaucoup plus vaste et plus complexe, que Frédéric Myers a appelé la conscience subliminale ou le moi « subliminal » (« au-dessous du seuil »), par opposition à la conscience supraliminale (« au-dessus du seuil »), la conscience superficielle.

Les associations d’idées subconscientes

Les associations d’idées, d’images et de sensations sont d’observation quotidienne : un certain air de musique, par exemple, évoque irrésistiblement en nous le souvenir d’un événement précis, parce qu’au moment où s’est déroulé celui-ci, ce même air, joué par un poste radiophonique voisin, a frappé nos oreilles.

Les associations se présentent souvent avec des intermédiaires subconscients, c’est-à-dire que les enchaînements d’idées, de mots et d’images peuvent comporter des chaînons dont certains sont subconscients.

Le cas de l’étudiant en botanique, raconté par Anastay, est devenu classique : cet étudiant, regardant distraitement les vitrines d’un restaurant, crut y lire l’inscription : Verbascum thapsus. Il regarda alors plus attentivement et ne vit rien d’autre que le mot bouillon, lequel avait évoqué en lui le mot latin par lequel on désigne scientifiquement la plante appelée bouillon blanc. Autre fait amusant, qui est arrivé a Anastay lui-même : il cherchait vainement à se rappeler le nom d’une rivière dans le pays du Queyras (Hautes-Alpes). Cette rivière était l’Ubaye (prononcer Ubaille) ; le soir, ayant sommeil, il bâille et tout à coup se rappelle le nom de la rivière.

Ainsi, des images verbales, des sensations visuelles, auditives, olfactives, perçues en même temps ou reliées les unes aux autres, soit par l’habitude, soit par des circonstances exceptionnelles, restent enchaînées, associées — et nous en rencontrerons d’autres exemples encore en étudiant la Télépathie et la Perception extra-sensorielle — dans les profondeurs de la personnalité subconsciente. L’observation de Max von Baumgarten (25, pp. 190-191) est bien caractéristique à cet égard : assis un soir à sa table de travail, il est tout à coup obsédé par l’image d’un vieillard conduit par une jeune fille. Cette image, qu’il essaye de chasser, revient avec persistance. Il voit les vêtements misérables des deux personnages, marchant dans un chemin creux le long d’une forêt ; il se souvient avoir fait cette rencontre une trentaine d’années auparavant. Mais qu’est-ce qui a provoqué ce souvenir obsédant ? Il cherche autour de lui, consulte plans, cartes, livres, mais sans succès. Il cherche encore et s’arrête tout à coup devant un bouquet de fleurs ; voilà la clé de l’énigme ! Cachées parmi des fleurs plus grandes, se trouvent quelques petites fleurs de pyrola uniflora. Or, le savant avait trouvé pour la première fois cette plante précisément à la lisière de la forêt, près du chemin creux. Les deux personnages qu’il y avait rencontrés venaient de réapparaître dans son souvenir, évoqués par l’odeur inconsciemment perçue de la pyrola.

Que de faits semblables pourrait-on citer ! Notre vie quotidienne, si nous y prenions garde, nous en fournirait continuellement de nouveaux exemples. Ils montrent que rien de notre activité psychique ne disparaît : tout ce qui a frappé nos sens, tout ce qui a pénétré dans notre esprit, les incidents insignifiants comme les événements de grande importance, les perceptions inconscientes aussi bien que les connaissances dont le souvenir ne s’est pas conservé, tout cela subsiste, tout cela survit dans la mémoire subconsciente. Même ce qui semble avoir disparu depuis longtemps y est conservé et il suffit parfois d’une circonstance accidentelle, d’une commotion, d’une maladie ou d’un rêve, pour que ces éléments surgissent à nouveau, souvent pour un court laps de temps, dans le champ de la conscience. C’est ce que les faits suivants vont rendre évident.

La mémoire intégrale subconsciente

Freud a réuni (26, pp. 9-20) un grand nombre d’observations relatives à la mémoire de rêve dans les profondeurs de laquelle il y a, dit-il, « des images de personnes, de choses, de lieux et d’événements d’autrefois qui nous avaient médiocrement frappés, ou ne possédaient aucune valeur psychique ; ou qui, ayant perdu depuis longtemps l’une et l’autre qualités, nous paraissent totalement étrangères en rêve comme au réveil, jusqu’à ce que nous découvrions leur origine ». Il cite entre autres un rêve personnel dans lequel il voyait une personne qu’il savait être le médecin de son pays natal ; mais le visage était indistinct et se confondait avec celui d’un des professeurs de son lycée qu’il rencontrait encore souvent à ce moment. Réveillé, il ne put découvrir quel rapport unissait ces deux personnes ; il parla du médecin à sa mère et il apprit qu’il était borgne ; or, le professeur dont le visage se confondait dans le rêve avec celui du médecin, était borgne aussi. Il y avait là une « association » d’image entièrement subconsciente, dont un des éléments était très ancien, puisqu’il y avait 38 ans que Freud n’avait plus vu le médecin en question et qu’il n’avait plus pensé à lui. De tels faits illustrent l’opinion de Delbaeuf (Le Sommeil et les Rêves) citée par Freud : « Toute impression, même la plus insignifiante, laisse une trace inaltérable, indéfiniment susceptible de reparaître au jour ».

Coleridge a rapporté le cas d’une femme ignorante qui, dans un accès de fièvre, se mit à réciter des fragments de textes grecs, latins et hébreux. Or, elle n’avait jamais rien appris de ces langues, mais, au cours d’une enquête approfondie, on découvrit qu’étant enfant, elle avait été recueillie pendant plusieurs années par un pasteur charitable ; celui-ci avait l’habitude de se promener de long en large dans le couloir de sa maison, en lisant a haute voix des textes grecs, latins et hébreux. On a pu identifier un certain nombre de passages qui s’étaient « imprimés » dans la mémoire de l’enfant bien qu’elle n’y comprît rien et, sans doute, qu’elle n’y prêtât pas attention (25, p. 181).

Entre autres faits semblables, recueillis par William B. Carpenter, dans son ouvrage Mental Physiology, celui qui a été noté par le docteur Abercrombie est, comme le précédent, très caractéristique : il s’agit d’un homme qui, plongé dans un état de stupeur par suite d’un coup reçu sur la tête, se mit à parler le langage du pays de Galles, qu’il avait connu trente ans auparavant, mais totalement oublié depuis. Lorsqu’il fut rétabli, il parla de nouveau en anglais et ne connaissait plus un seul mot de l’idiome gallois (25, pp. 181, 182). Ribot (26 bis, p. 143) a cité le cas d’un forestier polonais, qui, tout enfant, quitta la Pologne pour vivre en Allemagne où il oublia sa langue maternelle. Pendant une anesthésie à laquelle il fut soumis, 40 ans après, il parla en polonais pendant 2 heures.

Des faits semblables ont été observés depuis longtemps, puisque nous en trouvons trace dans la célèbre pièce du Moyen Age, La Farce de Maître Pathelin, qui date du XVe siècle et dont l’auteur, inconnu, peut-être un médecin expérimenté ou un notaire fréquemment appelé à enregistrer les dernières volontés de ses clients à l’article de la mort, avait sans nul doute remarqué des réminiscences de ce genre chez des malades ou des agonisants. L’avocat, Maître Pathelin, qui ne veut pas payer le drap qu’il vient de choisir chez Maître Guillaume, s’est couché en rentrant chez lui et simule le délire de l’agonie lorsque le marchand vient lui réclamer le prix de ses six aunes de drap ; au cours de son délire simulé, il parle successivement dans les patois les plus divers, à la grande stupéfaction du drapier, d’abord méfiant, que Dame Guillemette, l’épouse de Maître Pathelin, parvient peu a peu à persuader que l’avocat n’a pas pu le visiter dans sa boutique le jour même, puisqu’il est alité depuis 11 semaines, et mourant. A chaque nouveau patois employé par le faux moribond, Dame Guillemette explique au marchand que ces réminiscences de sa jeunesse prouvent qu’il est à l’article de la mort.

« Vision panoramique » dans l’imminence de la mort

Les faits précédemment examinés nous amènent tout naturellement a considérer les cas nombreux où des noyés, sauvés d’une mort imminente, ont pu voir, au moment où commençait l’asphyxie, se dérouler en quelques secondes « leur vie entière dans ses plus petits incidents » (Ribot). Des touristes ayant fait des chutes de montagne et des soldats ayant échappé de justesse à la mort, ont témoigné dans le même sens ; cette vision intégrale du passé vécu a même éprouvée par certaines personnes en dehors de tout danger mortel, mais ce fait est plus rare.

Dans ces visions panoramiques, les événements se déroulent soit dans l’ordre chronologique, soit dans l’ordre inverse, mais toujours avec des détails très précis et souvent avec accompagnement d’un sentiment de bien ou de mal, de joie ou de remords.

Camille Flammarion a relaté (27, p. 331, note 1), à propos de la relativité de nos impressions sur le temps, le cas de son ami Alphonse Bué ; celui-ci était en Algérie et suivait, à cheval, le bord d’un ravin assez profond. Sa monture fit un faux pas et l’entraîna dans le ravin ou on le releva évanoui. Pendant cette chute qui n’avait guère pu durer que deux ou trois secondes, sa vie tout entière, depuis son enfance jusqu’à sa carrière militaire, se déroula clairement et lentement dans son esprit en moins de quatre secondes.

Dans une lettre au docteur Wolloston, reproduite par Mrs de Morgan (From Matter to Spirit, p. 176) l’amiral Beaufort a rapporté une aventure qui. lui arriva à Portsmouth lorsqu’il était mousse à bord d’une frégate. Par suite d’une étourderie, il fit chavirer une petite barque, sur laquelle il se trouvait et qu’il voulait amarrer, et tomba à l’eau. Comme il ne savait pas nager, il était sur le point de mourir d’asphyxie par immersion, lorsqu’il fut sauvé, complètement à bout de forces.

Il a donné une très intéressante description de ses impressions : dès l’instant où, par suite de l’asphyxie, il eut cessé toute lutte pour son salut, il savait qu’il se noyait, et pourtant cela ne lui semblait pas un malheur. Ses sens étaient plutôt inertes, mais l’activité de son esprit était centuplée : les pensées succédaient aux pensées, avec une rapidité vertigineuse ; ce fut d’abord l’idée de l’accident, de l’émoi qu’il avait dû causer à bord, et de la tristesse qui frapperait sa famille. Puis ce furent des souvenirs qui affluèrent ; chaque incident de sa courte vie se ranimait dans un ordre rétrograde, non point avec la sécheresse d’une énumération, mais dans une représentation vivante et parfaite, en ses moindres détails. Toute la vision de son existence s’éclaira devant lui, comme une reconstitution panoramique, et chaque tableau paraissait être accompagné d’une conception du bien et du mal qui y étaient contenus, sans compter les réflexions qu’il pouvait faire sur les causes et les conséquences de ses actions. De plus, surgirent dans son esprit une multitude de souvenirs d’incidents insignifiants, oubliés de longue date, qu’il revit « avec la fraîcheur propre seulement aux faits vécus la veille ».

L’amiral Beaufort jugeait impossible d’évaluer le temps qui fut nécessaire au déferlement de ce déluge d’idées, mais il estimait qu’il ne s’était pas écoulé deux minutes depuis l’instant ou, sous l’eau, l’asphyxie avait commencé son œuvre jusqu’à celui où il fut sauvé.

Ernest Bozzano, auquel j’ai emprunté ce cas, a consacré une très intéressante étude à ces « visions panoramiques dans l’imminence de la mort » (28) qui mettent en évidence, comme la mémoire de rêve, comme les réminiscences surgissant dans la fièvre et dans le délire ou consécutivement à un traumatisme, l’existence de la mémoire intégrale subconsciente, dans les profondeurs de laquelle est enregistré et conservé tout le passé individuel vécu.

Les maladies de la mémoire

La psychologie a dû abandonner l’ancienne conception de la mémoire selon laquelle les souvenirs étaient des images statiques conservées dans la substance même du cerveau, sous forme d’empreintes comparables à celles d’un cachet dans la cire. A chaque cellule cérébrale, on attribuait le pouvoir d’enregistrer une impression et de la restituer sous la forme d’une image ou d’une impression reviviscente et on se demandait s’il y avait assez de cellules pour enregistrer tous les souvenirs.

La critique de Bergson a ruiné la notion de clichés déposés dans la matière cérébrale ; en étudiant les maladies de la mémoire, il a été amené à conclure dans le même sens que les neurochirurgiens en ce qui concerne les localisations cérébrales : « Dans les amnésies où toute une période de notre existence passée, par exemple est brusquement et radicalement arrachée de la mémoire, on n’observe pas de lésion cérébrale précise ; et au contraire dans les troubles de la mémoire où la localisation cérébrale est nette et certaine, c’est-à-dire dans les aphasies diverses et dans les maladies de la reconnaissance visuelle ou auditive, ce ne sont pas tels ou tels souvenirs déterminés qui sont comme arrachés du lieu où ils siégeraient, c’est la faculté de rappel qui est plus ou moins diminuée dans sa vitalité, comme si le sujet avait plus ou moins de peine à amener ses souvenirs au contact de la situation présente » (29, p. 265).

De plus, il a souligné ce fait très intéressant et très important que l’amnésie suit une marche méthodique, que les noms propres disparaissent avant les noms communs, puis les adjectifs et enfin les verbes : or, « les verbes, dont l’essence est d’exprimer des actions imitables, sont précisément les mots qu’un effort corporel nous permettra de ressaisir quand la fonction du langage sera près de nous échapper ; au contraire, les noms propres, étant, de tous les mots, les plus éloignés de ces actions impersonnelles que notre corps peut esquisser, sont ceux qu’un affaiblissement de la fonction atteindrait d’abord » (29, p. 127).

Ainsi, l’oubli suit un ordre grammatical, va des mots aux gestes et, comme Ribot l’a montré, suit trois étapes, rationnelle, émotionnelle et gestuelle, c’est-à-dire l’ordre inverse de l’évolution : le langage par les gestes apparaissant chez l’enfant longtemps avant le langage articulé, et le langage des émotions se formant avant le langage des idées, beaucoup plus complexe.

Les défenseurs de la « psychologie cérébrale » classique tentaient d’expliquer cette marche méthodique de l’amnésie par une extension en tache d’huile de la lésion centrale, attaquant d’abord les couches les plus profondes du cerveau, où se localiseraient les souvenirs récents, puis les couches les plus superficielles du cerveau, où se localiseraient les souvenirs anciens. Mais il serait bien étrange, comme l’a fait observer Bergson, que la maladie entamât toujours ces cellules dans le même ordre ! « Cette conception, écrit le docteur Jean Delay, professeur à la Faculté de Médecine de Paris, est périmée. Les lois qui régissent la progression de l’amnésie ne s’expliquent pas par l’architectonie cérébrale, mais par l’architecture psychologique. La marche de l’oubli n’obéit pas à des contiguïtés spatiales fortuites, mais à la loi de dissolution de la fonction mnésique allant du complexe au simple et du volontaire à l’automatique » (30, p. 93).

Ces faits nous révèlent des stratifications, des couches étagées, dans la « géologie mentale » de l’être humain, stratifications encore bien obscures, mais qui doivent recéler dans leurs profondeurs plus d’un secret intéressant le problème de nos origines et de notre véritable nature.

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L’étude des maladies de la mémoire fournit encore d’autres indications qui confirment d’une manière décisive que les souvenirs ne sont pas déposés dans les cellules cérébrales, mais conservées dans le « subconscient », même lorsqu’ils paraissent à jamais perdus : « Dans les amnésies les plus authentiques, écrit le docteur Delay, par exemple celle de la paralysie générale ou de la démence sénile, ce qui était oublie aujourd’hui peut brusquement reparaître demain, sous l’influence d’une émotion, d’une narcose ou d’une thérapeutique de choc chirurgicale. Les souvenirs n’étaient donc pas détruits, ils avaient seulement disparu ». Ils sont toujours prêts à se manifester de nouveau. Il arrive parfois qu’un aphasique, qui cherche à remplacer par des périphrases le mot qu’il croit disparu, le prononce tout à coup dans l’une d’elles. Il en est du souvenir des gestes comme du souvenir des mots. La lésion d’un centre praxique ne supprime pas d’un coup tous les gestes qu’il contrôle ; l’apraxique incapable d’exécuter volontairement un geste, l’exécutera automatiquement sous l’influence de facteurs émotionnels et affectifs : « Tel malade de Bruns incapable de faire à froid le signe de la croix, le fait spontanément en entrant dans une église. Tel malade de Jackson incapable de tirer la langue, la tire spontanément pour retirer une miette de pain restée sur la lèvre. Tel de nos malades incapable de boire le verre d’eau vidait d’un trait un verre de vin » (Delay). L’oubli d’un geste dans l’apraxie n’est donc pas sa perte définitive, mais seulement son absence par difficulté d’exécution. De même un anarthrique, c’est-à-dire un malade dont la mémoire verbale motrice est abolie et qui est incapable d’articuler, pourra chanter La Marseillaise sous l’empire d’une émotion patriotique, ou, s’il s’exaspère et explose, jurer le nom de Dieu. Ces facilitations émotionnelles ressuscitent soudain un mot, un geste oublié ou rendant temporairement l’usage de la parole, « sont la preuve qu’il n’y a pas ici perte des images, mais seulement difficulté de leur réalisation dynamique » (30, p. 43).

Le rôle de la charge affective des souvenirs dans leur évocation amène ainsi les psychiatres modernes à expliquer la variabilité de l’amnésie par des oscillations de la tension psychologique et à édifier, à la place des conceptions purement anatomiques antérieures une « théorie dynamique de l’amnésie » qui implique la permanence des acquisitions psychiques dans le Subconscient.

Somnambulisme et Personnalités multiples

Le somnambulisme, dont la cause ne paraît pas encore bien précisée, malgré les innombrables travaux qui lui ont été consacrés, est assez fréquent chez les enfants nerveux, chez les jeunes filles à l’époque de la puberté et chez les adolescents simples d’esprit. On l’observe aussi à la suite d’un choc moral ou sous l’empire d’une préoccupation dominante, d’un surmenage intellectuel, et il est caractérisé par le fait que les actes accomplis et les paroles prononcées dans cet état, ne laissent aucun souvenir au sujet à son réveil. Le somnambule peut faire certaines choses qu’il sait faire à l’état de veille : lire, écrire, jouer d’un instrument. Il peut faire aussi d’autres choses qu’il ne ferait pas à l’état normal, marcher sur le rebord d’un toit, par ‘exemple. Il serait faux de croire qu’il n’y a que de l’automatisme inconscient dans l’activité somnambulique : si le fait de se lever au milieu de la nuit pour nettoyer la vaisselle, par exemple, n’exige pas une activité intellectuelle bien grande, mais seulement de l’adresse et l’exercice du sens du toucher, par contre, on a cité des cas de pharmaciens somnambules qui préparaient dans la nuit leurs ordonnances, pesaient, trituraient et mélangeaient les substances indiquées et préparaient fioles et paquets avec leurs étiquettes, sans jamais se tromper et même, dans un cas rapporté par le docteur Esquirol, une épreuve ayant été faite, en déposant une ordonnance mentionnant une importante dose de sublimé corrosif, le pharmacien somnambule se livra à un monologue relatif à une erreur certaine du médecin, mit l’ordonnance de côté, puis prépara d’autres commandes.

Souvent 1’intellectualité manifestée par le sujet est bien supérieure à celle qu’il possède à l’état de veille, ce qui confirme que la personnalité subconsciente contient des éléments psychiques qui ne se révèlent pas dans l’activité de la personnalité superficielle.

C’est le cas, par exemple, de la somnambule du docteur Dufay qui, à l’état second, disait d’elle-même à l’état de veille : « la fille bête ».

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L’extrême richesse relative du subconscient, jointe à une perturbation dans les rapports normaux entre le Moi conscient et ses « réserves » subconscientes, rend compte des manifestations pathologiques mentales désignées sous le nom de « personnalités alternantes », doubles ou multiples, ou d’amnésie périodique.

Telle jeune fille, par exemple, qui, après une longue période de sommeil, avait tout oublié : épeler, lire, écrire, calculer, etc., était gaie, expansive, bruyante et téméraire dans son état « second », alors qu’elle était triste, mélancolique et timide dans son état normal (31, p. 33).

Dans le cas classique de Miss Beauchamp, étudié par le docteur Morton Prince (32), il y avait quatre personnalité « alternantes » qui se manifestaient, chacune avec un caractère moral différent, et qui disparurent successivement. Dans celui de Doris Fischer, étudié et guéri par le docteur Walter Franklin Prince, la « psychose » commença à l’âge de trois ans, à la suite d’un choc physique brutal, par l’apparition d’une nouvelle « personnalité » à laquelle, plus tard, d’autres chocs, moraux, vinrent en adjoindre trois autres.

Il résulte de ces faits, comme Myers l’a souligné, que la personnalité humaine est beaucoup plus complexe qu’on ne l’admet généralement et qu’elle a une réserve de facultés latentes insoupçonnées.

Hypnotisme et Psychanalyse

Le Dr Charcot et, avec lui, toute l’école de la Salpêtrière, ont enseigné que le sommeil hypnotique (ou somnambulisme provoqué) est un était morbide, une névrose proche de l’hystérie et que cet état ne peut être provoqué, à peu d’exceptions près, que chez les hystériques. Or, c’est seulement ceux-ci qui ont servi de sujets d’étude à Charcot et il a eu tort de généraliser : en effet, les travaux des docteurs Brémaud, Liébault, Liègeois, Bernheim et Von Schrenck-Notzing ont établi, sur des milliers de sujets, qu’il y a environ 90 % d’êtres humains hypnotisables ; loin d’être une névrose spéciale aux hystériques, l’état hypnotique est, au contraire, d’autant mieux provoqué que le sujet est plus normalement constitué.

Les effets de la suggestion hypnotique peuvent revêtir les formes les plus variées ; tantôt ce sont des hallucinations visuelles, qui, selon leur forme, amusent ou terrifient le sujet ; tantôt ce sont de véritables transformations de la personnalité apparente, des « personnifications ». Le professeur Charles Richet (33), ayant hypnotisé un de ses amis, lui suggéra qu’il était changé en perroquet, et celui-ci lui demanda s’il devait manger le chènevis qui était dans sa cage. Richet appelait ce phénomène « l’objectivation des types » ; à une jeune femme hypnotisée, il suggérait qu’elle était vieille ; et aussitôt sa démarche et les sentiments qu’elle exprimait étaient ceux d’une vieille femme ; au contraire, le même sujet prenait le langage, les jeux et .les goûts d’un enfant si on lui affirmait qu’elle était une petite fille, et pouvait tout aussi bien, selon la suggestion exercée, se déguiser psychologiquement en paysanne, en actrice, en prêtre ou en général.

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L’hypnotisme est un moyen d’investigation dans la personnalité subconsciente, délicat à employer, à cause des possibilités de suggestion involontaire de la part de l’expérimentateur, susceptibles de fausser les résultats, mais qui fournit cependant des indications très intéressantes.

L’étude des « visions panoramiques » du passé a établi la conservation subconsciente de tous les détails de l’existence individuelle et la possibilité de leur remémoration dans certaines circonstances ; certaines expériences dites de « régression de la mémoire » sur des sujets en état d’hypnose ont permis de leur faire revivre des phases anciennes de leur histoire.

Plus encore, des expériences ont mis en évidence la liaison entre les états psychiques remémorés et les caractères physiologiques correspondants, ce qui signifie que la personnalité subconsciente recèle à l’état latent non seulement des éléments psychiques, mais aussi des états physiologiques et organiques antérieurs, qui persistent à l’état statique et se réalisent dynamiquement dans certaines conditions.

Nous reviendrons sur cette importante constatation [2].

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La Psychanalyse est une exploration, par le médecin, des idées et des sentiments du sujet observé, permettant de remonter aux tendances refoulées, cause des désordres psychiques ; par opposition à l’hypnotisme qui est une méthode directe, l’investigation psychanalytique se fait surtout par méthode indirecte, par analyse des associations d’idées et par l’interprétation des rêves. Les tendances subconscientes ainsi découvertes par l’observateur sont révélées au malade et les troubles qu’elles occasionnaient sont ainsi amoindris ou supprimés.

Sigmund Freud, qui fut élève de Charcot à la Salpêtrière et assista aux. expériences de Bernheim à Nancy, a écrit avec modestie que le mérite ne lui revenait pas d’avoir mis au monde la Psychanalyse. Il n’en reste pas moins que c’est lui qui a édifié celle-ci comme science psychologique et comme méthode thérapeutique. Voici en quoi elle consiste : parmi nos tendances, nos besoins instinctifs, il y en a que la vie sociale nous oblige à regarder comme indésirables et à réprimer. C’est ce que Freud appelle le refoulement. Ces tendances — et en particulier, d’après Freud, l’appétit sexuel ou libido — ne disparaissent pas complètement, mais subsistent en nous a l’état latent, dans le subconscient ; elles y forment des « complexes » psychiques, c’est-à-dire des systèmes d’images et d’idées associées, et sont souvent la cause de troubles divers : névroses, psychoses, etc.

Cette pression du subconscient sur la personnalité consciente se traduit aussi souvent par des lapsus de langage (c’est-à-dire par des mots prononcés involontairement à la place de ceux qui conviennent) et par des « actes manqués » ou accomplis « par distraction ».

Le point de départ de la Psychanalyse fut la découverte de Joseph Breuer, dont Freud fut le collaborateur. Breuer pratiquait a Vienne, dès 1880, l’exploration du subconscient par hypnose, sous le nom de procédé cathartique (de catharsis, reproduction) ; il guérissait les symptômes hystériques en évoquant le souvenir et en, provoquant la reproduction de scènes impressionnantes puis oubliées, qui étaient à l’origine de ces symptômes. Voici les circonstances de cette découverte : une malade souffrait beaucoup de la soif, car on traversait une période de très grande chaleur et, sans pouvoir en donner la raison, il lui avait été brusquement impossible de boire. Dès que le verre d’eau touchait ses lèvres, elle le repoussait comme une hydrophobe ; elle se trouvait en état « d’absence » pendant ces quelques secondes. Il y avait déjà six semaines qu’elle ne se nourrissait que de fruits pour

étancher la soif qui la tourmentait ; mise un jour en état d’hypnose, elle se plaignit de sa gouvernante anglaise qu’elle n’aimait pas, et raconta, avec tous les signes d’un profond dégoût, que, s’étant rendue dans la chambre de la gouvernante, elle y avait vu le petit chien de celle-ci, qui était affreux, boire dans un verre. Elle n’avait rien dit, par politesse. Ayant achevé son récit, elle manifesta violemment sa colère, restée contenue jusqu’alors. Puis elle demanda à boire, but une grande quantité d’eau et se réveilla de l’hypnose le verre aux lèvres : le trouble avait disparu pour toujours (34). C’est là un remarquable exemple de trouble psychique provoqué par une colère refoulée et guéri par la prise de conscience de sa cause.

L’activité intellectuelle subconsciente

De nombreux faits démontrent que ce qu’on appelle le « Subconscient » n’est pas seulement constitué par des zones passives de notre personnalité, sujettes aux influences suggestives, et où s’enregistrent indélébilement les moindres impressions, les moindres souvenirs, mais aussi par une zone active, d’où surgissent des inspirations d’ordre intellectuel, des éclairs de génie, qui s’imposent au savant et au philosophe comme à l’artiste et à l’écrivain. Le docteur Chabaneix en a réuni de nombreux exemples, dans une thèse souvent citée (Le Subconscient chez les Artistes, les Savants et les Écrivains).

Goethe a écrit, à propos de son roman de Werther : « Comme j’avais écrit cet opuscule à peu près inconsciemment, à la manière d’un somnambule, je m’en étonne moi-même quand je le parcours » (35, chap. VII).

D’après Théophile Gautier, l’attitude de Balzac, pendant l’inspiration, « était celle d’un extatique, d’un somnambule qui dort les yeux ouverts ; perdu dans une rêverie profonde, il n’entendait pas ce qu’on lui disait ».

« Mes postulats philosophiques, a dit Schopenhauer, se sont produits chez moi sans mon intervention, dans les moments où ma volonté était comme endormie et mon esprit non dirigé dans une direction prévue d’avance… Ainsi ma personne était comme étrangère à l’œuvre. »

Le littérateur Camille Mauclair disait que sa vie de veille était un rêve permanent, qu’il ne distinguait guère le sommeil de la veille, et que tous les plans et détails de ses livres lui étaient dictés ainsi, sans rature, il ajoutait qu’il ne pensait pas à ce qu’il allait écrire, qu’il écrivait vite et sans s’arrêter (36, p.253).

L’écrivain Pierre Mille, à l’occasion d’une enquête de M. Gaston Picard sur les méthodes de travail des écrivains, a déclaré avoir composé ses premiers livres dans une espèce d’état second : « J’avais l’impression qu’ils m’étaient dictés je ne sais par qui ou par quoi, que je tenais simplement la plume. Il en a été ainsi de la série des Barnavaux, et même, tout récemment, de La Détresse des Harpagons, entièrement terminé en dix-huit jours, à quinze heures de travail par jour et sans rature. Mais c’est peut-être que j’en avais porté le sujet plusieurs années dans mon cerveau. Il avait proliféré dans mon inconscient » (Tribune de Genève, 8-5-1925).

Cette activité spirituelle subconsciente ne s’exerce d’ailleurs pas seulement dans l’art, dans la littérature et dans la philosophie, mais aussi dans le domaine scientifique. A ce propos, le professeur Langevin répondait à Paul Valéry (Bulletin de la Société française de Philosophie, janvier 1928, page 20) : « J’ai le sentiment que des circonstances analogues se retrouvent dans toute espèce de création, en particulier, dans la création scientifique. Ces instants dans lesquels vous dites sentir que quelque chose en vous se déclenche se présentent de manière constante dans mon expérience personnelle. Chaque fois que l’on pense avec intensité, et que l’on a, en quelque sorte, préparé le travail subconscient, celui-ci se poursuit de lui-même et quelque chose prévient quand il est terminé. J’ai des souvenirs très nets de choc intérieur prévenant qu’à un moment donné la question est résolue et qu’il n’y a plus qu’à exprimer consciemment le résultat, cette opération pouvant, d’ailleurs, être différée. Dans mon souvenir, ce sont ces moments-là qui apportent les vraies joies intellectuelles, celles de la fécondation (37, p. 512).

En effet, les travailleurs de la pensée constatent souvent la collaboration du « subconscient » dans l’élaboration intellectuelle : « J’ai observé plusieurs fois, écrivait Laplace dans son Essai philosophique sur les Probabilités (38, p. 235), qu’en cessant de penser pendant quelques jours à des matières très compliquées, elles me devenaient faciles, lorsque je les considérais de nouveau. »

Henri Poincaré a développé une idée semblable dans son ouvrage L’Invention mathématique : « Souvent quand on travaille une question difficile, on ne fait rien de bon la première fois qu’on se met à la besogne ; ensuite on prend un repos plus ou moins long, et on s’assied de nouveau devant sa table. Pendant la première demi-heure on continue à ne rien trouver, et puis tout à coup, l’idée décisive se présente à l’esprit. On pourrait dire que le travail conscient a été plus fructueux parce qu’il a été interrompu et que le repos a rendu à l’esprit sa force et sa fraîcheur. Mais il est plus probable que ce repos a été rempli par un travail inconscient, et que le résultat de ce travail s’est révélé ensuite au géomètre… » (25, p. 160).

Henri Poincaré doit d’ailleurs à l’activité intellectuelle subconsciente la première de ses grandes théories, « celle qui a, d’un seul coup, fondé sa gloire : les fonctions fuchsiennes ». Indiquons tout de suite qu’il n’est pas nécessaire de savoir ce que sont, en mathématiques, les fonctions fuchsiennes, pour comprendre le fait psychologique signalé par l’illustre mathématicien : depuis quinze jours il réfléchissait aux propriétés caractérisant les fonctions qu’il devait appeler par la suite fuchsiennes, mais en cherchant à démontrer qu’il ne pouvait pas exister de fonctions présentant ces propriétés.

« Un soir, dit-il, je pris du café noir, contrairement à mon habitude ; je ne puis m’endormir : les idées surgissaient en foule je les sentais comme se heurter jusqu’à ce que deux d’entre elles s’accrochassent, pour ainsi dire, pour former une combinaison stable. »

Le matin venu, il était arrivé, contrairement à l’idée préconçue dont il était parti, à former une première catégorie de « fonctions fuchsiennes ».

Le professeur Hadamard, membre de l’Institut, en rappelant les faits signalés par Poincaré, a rapporté aussi son expérience personnelle (39) : une solution, d’ordre mathématique, lui est apparue brusquement au moment d’un réveil en sursaut : d’une part, elle était sans rapport avec ses tentatives des jours précédents et n’avait pas été élaborée par le travail conscient antérieur ; d’autre part, elle lui était apparue, « sans aucun temps de réflexion, si minime soit-il ».

Et le professeur Hadamard, mettant en relief le caractère général de cette activité subconsciente, ajoutait qu’à son avis, « le rôle de la subconscience ne se borne pas à ces éclairs subits : elle coopère même au raisonnement le plus étroitement logique, que le mathématicien forme quotidiennement et où la marche à suivre est la plus immédiatement imposée par la nature du problème ».

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Pendant le sommeil même s’opère parfois un travail remarquable : « L’artiste, a écrit Grétry dans ses Essais sur la Musique, souvent occupé d’un grand objet, croit se livrer au repos de la nuit ; et malgré lui, soit en dormant, soit a moitié endormi, sa tête combine… En rentrant dans son cabinet il est étonné de trouver toutes les difficultés vaincues. C’est l’homme de la nuit qui a tout fait : celui du matin n’est qu’un scribe » (25, pp. 157-158).

On peut citer de nombreux écrivains et artistes chez lesquels l’activité créatrice s’est manifestée pendant le sommeil : La Fontaine, composant en rêve la fable des Deux Pigeons ; Tartini, rêvant que le diable exécute sur son violon une sonate merveilleuse, se réveillant brusquement et 1’écrivant de mémoire ; Voltaire, rêvant une nuit un chant complet de La Henriade autrement qu’il ne l’avait écrit.

Ce ne sont pas là des faits isolés et cette activité subconsciente a même été utilisée volontairement par certains écrivains ; Michelet, par exemple, avant de se coucher, s’occupait au moins un instant des documents préparés pour le lendemain et provoquait ainsi un travail subconscient ; M. de Rosny a déclaré qu’il avait l’habitude de mettre à côté de son lit un crayon et du papier et qu’il se réveillait parfois en sursaut pour écrire des notes importantes (40) et le docteur P. Chavigny, dans un petit volume destiné aux étudiants et aux travailleurs intellectuels (41, p. 52), recommande à « ceux qui sont sujets à cette sorte de méditation intellectuelle nocturne… d’avoir à portée de la main, près de leur lit, un bloc-notes avec un crayon. Un mot, un signe, tracés même dans l’obscurité sans interrompre le repos de la nuit, suffit à fixer le souvenir et à le retrouver le lendemain avec toute sa précision ».

C’est ainsi que le savant Agassiz a pu, d’après un songe, déterminer exactement les caractères anatomiques d’un poisson fossile, dont l’empreinte, marquée dans deux plaques de sédiment, était très fruste et ne permettait d’y voir « dans sa tête surtout, qu’un amas informe d’os qui paraissaient entièrement brisés » (42).

C’est dans un songe que Descartes a reçu cette sorte d’illumination intérieure qui est à l’origine de ses découvertes et de son Discours de la méthode.

Kekulé, l’illustre chimiste qui créa la théorie du benzène et de ses dérivés (1865) doit la découverte du schéma hexagonal de la molécule de benzine à une vision qu’il eut au cours d’un assoupissement, pendant son travail : il vit « le serpent qui se mord la queue », le vieux symbole des alchimistes, et comprit intuitivement que la chaîne d’atomes de carbone du benzène ne devait pas être ouverte comme dans la « série grasse », mais fermée. Il obtint ainsi l’hexagone qui porte son nom et qui est à l’origine du développement prodigieux de la chimie organique.

Tous ces faits, outre qu’ils confirment le caractère limité de notre personnalité de surface, montrent aussi que l’expression « subconscient » ne doit pas faire illusion ; car si certains aspects de notre psychisme sous-jacent sont peut-être moins conscients que notre personnalité superficielle et peuvent correspondre au schéma qui place le subconscient au-dessous d’une ligne idéale de démarcation, il semble bien, par contre, que certaines zones de notre être psychique ordinairement non manifestées d’une manière sensible pour nous puissent mériter plus justement le nom de surconscient que leur donne le grand penseur hindou Shri Aurobindo (44).

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Ainsi, l’image, proposée par Sir Oliver Lodge, de l’iceberg flottant sur les eaux et dont la partie immergée est considérablement plus importante que celle qui dépasse le niveau de la mer, symbolise bien le rapport de grandeur entre la personnalité de surface et la personnalité transcendante, mais la métaphore inverse, développée par l’illustre investigateur, exprime le rapport de valeur entre ces deux aspects de la personnalité totale et correspond mieux à la réalité, à savoir que c’est notre « moi » limité qui est au-dessous et notre moi réel qui est au-dessus ; c’est l’image d’un voyageur qui, dans la cale d’un bateau, ne se rendrait pas compte de 1’existence, au-dessus de lui, de toute une partie du navire d’où l’on découvre un vaste horizon et d’où l’on peut déterminer la position du bâtiment et donner des ordres afin de l’amener à bon port.

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1 On emploie souvent inconscient comme synonyme de subconscient. Mais on devrait réserver inconscient pour qualifier des domaines dans lesquels le psychisme ne joue aucun rôle, s’il existe, toutefois, de tels domaines.

Le Dr Martiny distingue trois niveaux dans le subconscient, reliés par des zones-frontières et d’intrication l’infra-conscience, correspondant à l’inconscient organique sous ses modalités végétatives, motrices et sensorielles, la para-conscience et la supra-conscience. Ces trois niveaux peuvent être sources d’irruptions dans la conscience, d’éléments de valeurs spirituelles hiérarchiques différentes.

2 Voir chapitre XVII. — La régression de la mémoire et Souvenirs prénataux spontanés.