Milan Ryzl & Robert Amadou
Précognition, peut-on changer le futur

Toutes images sont donc en nous, tout est images, tout est en nous. Point de futur externe. Point de passé ou de présent externe. Le présent en nous, l’absence du temps. A l’extérieur, l’illusoire du temps que nous introjectons dépouillé de son illusionnisme, sans lui conférer néanmoins, et pour cause, de réalité.

Nous publions ci-dessous un extrait d’un exposé oral de 1977 de Milan Ryzl qui relate les expériences qu’il a menées sur la clairvoyance. A la suite de ce texte, nous publions les remarques et réflexions de Robert Amadou.

PEUT-ON CHANGER LE FUTUR PRÉDIT par MILAN RYZL

(Revue Question De. No 21. Novembre-Décembre 1977)

Il semblerait, d’après de nombreuses observations, que notre futur nous attende. Ce problème me préoccupant au plus haut point, j’ai voulu le traiter d’une manière expérimentale. La technique employée fut celle, qui m’était familière, de la travelling-clairvoyance J’hypnotisais une personne et lui demandais de rêver à des événements futurs. Je lui disais, par exemple : « Vous rêvez que vous quittez la pièce… vous descendez dans »        la rue… vous tournez à droite… vous marchez le long de trois pâtés de maisons… entrez dans la maison qui se trouve à votre droite… montez au premier étage… entrez dans l’appartement de droite… et décrivez le mobilier. » Ce que le sujet faisait avec succès. Ces expériences étaient si réussies qu’il est quelquefois arrivé que le sujet corrigeât mes propres erreurs. Si, par exemple, je lui demandais : « Marchez jusqu’au troisième carrefour…. vous verrez un marchand de journaux… vous tournerez à droite, il me répondait : « Voulez-vous que je tourne à droite au troisième carrefour, ou après le marchand de journaux ? » Je demandais pourquoi. Réponse : « Parce que le marchand de journaux se trouve au quatrième carrefour. » Que le sujet fût capable de corriger mes erreurs signifiait que les facultés extra-sensorielles de cette personne étaient tout à fait dignes de confiance. Avec le même sujet, je fis de très nombreuses expériences, afin d’essayer de résoudre le problème de l’intervention dans des événements préconnus ; afin de savoir si nos décisions peuvent affecter le futur. Dans ces expériences, le même sujet devait prédire des événements désagréables. Pourquoi désagréables ? Parce que, dans ce cas, il y a beaucoup plus de chances pour que la personne intéressée tente de changer le futur. Nous nous concentrions donc sur les événements désagréables de la vie des personnes alentour, nous les prévenions, et nous essayions d’analyser les résultats de leurs tentatives d’interférence. Ensuite, nous nous concentrions sur les événements désagréables qui nous concernaient personnellement. Or, au cours de cette recherche, il nous sembla toujours que les prédictions «         valables » se réalisaient, quels que fussent les efforts entrepris pour les entraver.

Normalement, nous aurions dû être arrêté par la police

Alors que je vivais encore en Tchécoslovaquie, je fis une de ces expériences sur un sujet hypnotisé, dans la banlieue de Prague, ville d’environ un million d’habitants. Après l’expérimentation, je devais reconduire le sujet à vingt-cinq kilomètres de l’endroit où nous nous trouvions. Il fallait traverser toute la ville à mobylette, et j’ai pensé que ces conditions offraient une excellente occasion de tester nos expériences. Avant de partir, je demandai donc à cette personne, qui était capable de prédire le futur avec certitude, si elle pouvait prédire quelque chose de désagréable pendant notre voyage. Elle suivit très exactement le chemin que nous devions prendre et conclut : « Je ne vois rien de désagréable. A la fin du voyage, je rentre chez moi. » Pour changer cette prédiction, il aurait donc fallu créer une situation désagréable. Qu’auriez-vous fait à ma place ? J’aurais pu délibérément causer un accident, mais j’avoue que je n’ai pas osé, car on ne sait jamais jusqu’où peuvent aller les choses ! J’ai donc éliminé cette possibilité. Une autre solution consistait à enfreindre le code de la route de façon à s’attirer des problèmes avec la police. Dans ce temps-là, en Tchécoslovaquie, les deux-roues faisaient l’objet d’une réglementation très stricte. Il était rigoureusement interdit, et très sévèrement puni, de transporter un passager en amazone. Nous avons donc décidé que mon sujet s’assiérait en amazone derrière moi, puisque c’était interdit. Et nous avons ainsi traversé toute la ville. Je rappelle qu’il n’y avait pas d’autoroute, mais qu’il fallait franchir de multiples carrefours, tous surveillés par des agents de police : vingt-cinq kilomètres, avec une circulation très dense, en passant à un mètre sous le nez des policiers. Pas un seul ne se donna la peine de nous arrêter, et pourtant je ralentissais pour leur en donner l’occasion. Donc, ici encore, ce qui était prédit arriva.

J’agissais délibérément contre la prédiction

Ce cas est un peu trop anecdotique pour la recherche scientifique, et par la suite j’ai essayé d’agencer des situations plus « expérimentales » dans ce genre d’investigations.

Ainsi, imaginez une pièce avec deux portes à peu près identiques, et assez éloignées l’une de l’autre. Le sujet était hypnotisé, et je lui demandais de prédire par quelle porte j’allais sortir. Elle écrivait sa prédiction sur un bout de papier, puis je tirais à pile ou face la porte que j’emprunterais pour sortir de la pièce. En revenant, je vérifiais l’exactitude de la prédiction et nous recommencions toute l’expérience. Je ne me souviens plus exactement du nombre de prédictions justes, mais le résultat fut statistiquement significatif. J’ai alors décidé d’agir délibérément à l’encontre de la prédiction. Il fallait pour cela que je connaisse cette prédiction à l’avance, puis que je sorte systématiquement par l’autre porte. Il fallait aussi que le sujet ne se doute de rien. Je lui dis donc le plus naturellement possible « Nous perdons trop de temps à tout écrire. J’ai besoin de plus d’informations, plus vite. Donc vous faites la prédiction, vous la dites tout haut, je tire à pile ou face et je sors par la porte que le hasard a désignée. » Ce pile ou face n’était conservé que comme un rituel dénué de sens, et propre à tromper le sujet, car j’avais décidé de sortir par la porte contraire à la prédiction.

Le résultat fut extrêmement frappant. Le sujet était très assuré — il s’agissait de la personne capable de me corriger — et je pensais qu’en état d’hypnose, elle aurait une sorte de rêve et me dirait : « Je vous vois sortir par la porte n° 1. » Je serais donc sorti par la porte n° 2 et lui aurais dit en rentrant : « Cette fois-ci, malheureusement, vous vous êtes trompée. Recommençons, ce sera sans doute mieux la prochaine fois. » Il n’aurait ainsi dû s’agir pour elle que de la poursuite normale de l’expérience, mais je fus vraiment très surpris de sa réaction. « Vous permettez que je me repose un peu, me demanda-t-elle, je crois que je suis un peu fatiguée. » (Pour faciliter la recherche, les sujets étaient encouragés à proposer des commentaires sur le contenu de l’expérience, mais je gardais toujours le contrôle de son déroulement). Je lui demandai : « Qu’est-ce qui vous fait croire cela ? — Tout à l’heure, me répondit-elle, je vous poussais en esprit vers une des portes, et je vous voyais toujours la franchir. Mais maintenant, je ne comprends plus. Je fais exactement la même chose, mais quand j’essaie de vous pousser dans le futur, vous disparaissez dans une sorte de brouillard, et je ne vois plus par quelle porte vous sortez. » Ce résultat était très spectaculaire, car elle disait avec exactitude ce qu’objectivement elle pouvait percevoir. Elle ne cédait ni aux hallucinations, ni aux suggestions. Alors que j’attendais sa prédiction pour sortir par l’autre porte, elle répondait : « Je ne peux pas prédire une telle chose. » J’en ai conclu que nous allons probablement à la rencontre d’un futur qui existe déjà, mais que certains événements ne sont pas prévisibles. Ceux qui dépendent de nos décisions personnelles, tout en existant peut-être déjà, ne peuvent pas être détectés par nos facultés extra-sensorielles. Ma volonté, mes décisions, créeraient en quelque sorte une barrière, et rendraient le futur opaque.

Une prédiction fréquente : celle du danger

Vous vous demandez peut-être ce qu’il en est quand, apparemment, l’intervention dans le futur a réussi. Des cas de ce genre existent aussi. Prenons un exemple : Vous rêvez que vous conduisez vers un carrefour que vous connaissez, et là, dans votre rêve, une voiture rouge surgit subitement, à votre droite. Elle arrive sur vous à toute vitesse, et c’est l’accident. Peut-être même vous voyez-vous blessé. Le lendemain, alors que vous vous rendez effectivement en voiture à ce carrefour, vous vous souvenez de votre rêve, et vous êtes beaucoup plus attentif que de coutume. En regardant sur la droite, vous voyez qu’une voiture rouge arrive très vite. Mais vous êtes préparé. Vous ralentissez à temps, la voiture passe devant vous et l’accident n’a pas lieu. L’interprétation courante de ce genre de cas sera sans doute que vous avez changé le futur, mais je préférerais dire qu’il s’agissait d’une prédiction incomplète. En fait, ce qui était prédit avec certitude, c’est le danger. La prédiction commençait correctement, en annonçant que vous seriez au volant et qu’une voiture rouge arriverait sur la droite, mais, ensuite, le danger était représenté sous la forme symbolique d’un accident. L’E.S.P. se manifeste très souvent sous une forme symbolique. J’interpréterais donc ce cas particulier comme la prédiction partielle d’un danger que la vision d’un accident symbolise. Plutôt que d’un changement du futur, il s’agit là d’une compréhension du symbole. Qu’est-ce à dire ? Pratiquement, cela signifie que si la prédiction désagréable Que nous recevons est correcte et entièrement juste, nous ne pouvons, hélas ! rien faire. Mais nous ne contrôlons pas encore assez nos facultés extra-sensorielles pour être certains d’avance qu’une prédiction est juste. Je dirai donc qu’il vaut toujours mieux essayer de changer le futur, avec au moins l’espoir que la prédiction n’est pas l’annonce d’une réalité future, mais seulement le symbole d’un danger possible.

M. Ryzl

L’ÉNIGME DE LA PRÉCOGNITION  par ROBERT AMADOU

La précognition obsède Milan Ryzl. Je le comprends. A sa suite pensons-y. Milan Ryzl a conduit plusieurs expériences afin de déterminer si le futur prédit pouvait être modifié.

Comment comprendre en effet le temps, et la matière et l’espace, comment comprendre le psychisme que la psychologie et la parapsychologie concourent à disséquer, comment les comprendre, et, par conséquent, ouvrir la perspective d’une explication juste, avant d’avoir admis leur caractère irréel ? Irréel, mais non pas illusoire. Des lois régissent l’irréalité sensible et concevable. Des apparences articulées, combinées ne peuvent être que reflets, jeux de miroirs. Ces miroirs sont les foyers des jeux : réflexions et réfractions.

Le temps, en particulier, est irréel et l’inconscient l’ignore. L’inconscient, qui appartient au psychisme, est irréel aussi, mais dans l’irréel la conscience fixe une hiérarchie : les images des miroirs expliquent les jeux, et leur irréalité dont notre conscience est ainsi la première, l’idée d’inconscient englobe la relativité du temps et de l’espace, prélude à la conscience de leur irréalité.

Cette conscience est le propre de l’esprit. Cette conscience a pour symbole l’esprit qui en serait le lieu. Mais, à ce dernier titre, il est irréel aussi. Irréel comme semble l’être le vide qui est la seule réalité, c’est-à-dire ce qui reste quand tout a été, ainsi qu’il devait l’être, nié. Le vide peut être dit — façon de parler — le lieu, le lieu unique où se déploie l’irréel. L’irréel n’offre d’autre choix que d’être reconnu pour illusoire ou pour symbolique.

Tout notre destin est en nous

Toutes images sont donc en nous, tout est images, tout est en nous. Point de futur externe. Point de passé ou de présent externe. Le présent en nous, l’absence du temps. A l’extérieur, l’illusoire du temps que nous introjectons dépouillé de son illusionnisme, sans lui conférer néanmoins, et pour cause, de réalité.

Le destin est, en nous, les événements — sous la forme d’images, toujours. Quand le « voyant » voit mon futur, n’entendez pas qu’il me voit dans le futur, il voit le futur en moi. Nous, modifiant les images nées du désir, orientées à la vie et à la mort, au plaisir et à la souffrance, les modifiant par exemple à la suite d’une prédiction communiquée, nous modifions l’événement qui lui correspond, nous changeons le mode de sa réalisation ou bien nous lui substituons une autre image qui se réalisera sans rapport avec la potentialité première. Peut-on changer le futur prédit ou non prédit mais toujours prévisible, puisque les images qu’il réalisera sont toujours présentes ? Oui, en se changeant. L’occultisme recèle une vieille sagesse. Le macrocosme n’étant que la projection du microcosme, il n’advient que ce qui est voulu inconsciemment et la volonté peut immédiatement changer les images qui peuplent l’inconscient. Le choc d’une prédiction peut les bouleverser immédiatement.

Mais l’inconscient sait aussi résister. Dans la dernière phase de son expérimentation, Ryzl n’a pas vraiment désiré de faire mentir son médium, et il n’y eut pas de procès-verbal dressé par la police pour une infraction « manquée ». Dans cette dernière phase, Milan Ryzl a triché. N’a-t-il pas en effet enchaîné son désir à celui de l’autre (ou inversement) et frustré son sujet d’avance, puisque le désir de l’autre traduit le sien et l’assimile, en vivant son propre désir et celui de l’autre par le fait même qu’il lui a refusé d’avance et par définition ce propre désir qui est l’être du sien ?

Coïncidences et images réalisées, tout n’est que situation, ou bien l’on s’illusionne. Dans l’irréel il n’est que le symbole qui ne soit illusoire et tout le non-illusoire est symbolique.

L’énergie « psi » : nous en ignorons la nature

Que devient alors l’énergie qu’à un premier degré d’analyse semblent impliquer les phénomènes psi ? Le premier pas dans l’intelligence de cette notion fut accompli quand, avec Milan Ryzl, nous avons refusé de l’identifier avec aucune autre énergie, et avoué que nous en ignorions tout, sauf des effets que nous lui rapportions en la sollicitant de nous en rendre compte.

Un pas de plus et nous refuserons aussi à l’énergie, dont la parapsychologie étudie les « effets », la réalité substantielle. Cette énergie est métaphysique (quoiqu’elle puisse se manifester en symboles et en illusions au plan de l’irréel) et elle n’est pas cause, donc n’a pas d’effets au sens de la physique newtonienne ou relativiste.

Cette énergie, ce fluide doit s’entendre symboliquement. Les « clichés » du plan astral (plan du fluide, de l’énergie en cause) sont les images susdites. C’est le plan de l’inconscient, le plan médian de l’astral. Les idées, elles, qu’on nomme divines, sont mères, et de l’irréel, en leur royaume seul réel, dont le nom propre est vacuité.

R. Amadou