Robert Linssen
Quelle est l’utilité du pseudo-ego ? (Questions et Réponses)

Les éveillés enseignent que la naissance, le développement la disparition des univers sont l’expression d’un Jeu Cosmique. Nous sommes à un tel point corrompus par le mental qu’il nous semble impossible que puisse exister pour l’être humain un processus d’action gratuite, spontanée, non souillée par l’avidité, la récompense, le gain. Lorsque nous « jouons », c’est toujours pour « gagner ». Sommes-nous donc inaccessible à la gratuité, au don de soi, à la spontanéité qui constituent les signes distinctifs de l’amour?

(Extrait d’une conférence à Montréal 1974)

Question: Quelle est l’utilité du pseudo-ego ?

A cette question, plusieurs réponses sont possibles.

Certains sages n’hésitent pas à déclarer qu’il s’agit-là d’un pseudo-problème parce que la « Vision pénétrante » leur révèle que l’ego est inexistant parce qu’il résulte d’une erreur de perception.

Mais cette réponse n’est provisoirement d’aucune utilité pour la grande majorité des chercheurs à moins qu’elle ne suscite une remise en question des valeurs que le chercheur accorde tant à lui-même qu’au monde extérieur.

Une autre réponse concerne la notion de but. Nous avons tendance à considérer qu’il est indispensable que nous nous fixions un but précis afin que nos actes soient efficients ou cohérents. Nous considérons qu’une action sans but conduirait à l’incohérence. Plusieurs la considéreraient comme un indice de régression, d’état dépressif ou névrotique.

Les éveillés enseignent cependant que la naissance, le développement la disparition des univers sont l’expression d’un Jeu Cosmique. Nous sommes à un tel point corrompus par le mental qu’il nous semble impossible que puisse exister pour l’être humain un processus d’action gratuite, spontanée, non souillée par l’avidité, la récompense, le gain.

Lorsque nous « jouons », c’est toujours pour « gagner ». Sommes-nous donc inaccessible à la gratuité, au don de soi, à la spontanéité qui constituent les signes distinctifs de l’amour?

Or, la Source créatrice d’où émane l’Univers est une plénitude indivise. Les Sages en parlent peu parce qu’ils se méfient de l’action déformante du langage verbal qui nous est familier. Mais les rares fois qu’ils tentent d’en évoquer la richesse, ils nous en parlent comme d’un océan de Claire Lumière-Conscience-infinie amour. Cette Source créatrice se suffit à Elle-même dans l’instantanéité toujours renouvelée de Son jaillissement. Elle est intemporelle et n’a nul recours à l’idée d’un but à atteindre dans un avenir imaginaire. Son activité est gratuite. Ainsi que le déclarent des éveillés, tels que Krishnamurti ou les Maîtres du Chan, la recherche d’ut but à atteindre résulte de notre médiocrité et de notre incapacité de vivre pleinement les richesses au Présent. Notre incomplétude engendre la recherche d’une compensation dans un futur imaginaire.

En ce qui concerne l’utilité du pseudo-ego, une réponse provisoire  peut maintenant être donnée après les réserves qui précèdent.

Il est préalablement nécessaire de rappeler que l’univers englobe plusieurs niveaux d’énergie ou dimensions: monde physique, monde psychique comprenant les énergies émotionnelles et mentales et le monde spirituel. Dès la naissance d’un Univers, tous les événements illustrant l’histoire de cet Univers sont enregistrés et forment un énorme réseau de mémoires. Ces mémoires sont pratiquement indestructibles et forment des « champs ». Les pensées, les émotions, les actes de chaque être humain forment des réseaux de champs ou mémoires qui s’accumulent constamment en vertu d’un processus appelé « néguentropie ». Autrement dit, le patrimoine informationnel de chaque être humain ainsi que celui de l’Univers augmente à chaque instant.

En bref, l’augmentation constante des mémoires individuelles et collectives constitue un facteur d’une importance capitale dans l’évolution de l’espèce humaine et de toutes les formes de vie. Ceci est enseigné depuis des millénaires par la plupart des gnostiques. Cet ensemble de mémoires ou informations correspond au Kunyi du bouddhisme tibétain ou encore à l’Alaya Vijnana des sagesses indiennes. Nous en trouvons les échos dans la notion jungienne d’inconscient collectif ou encore dans l’enseignement de Krishnamurti évoquant l’existence d’un « ego de l’humanité ».

Ces termes évoquent l’existence d’un réseau de mémoires résiduelles contenant les échos ou « champs d’informations actives » de tout ce qu’ont pensé, aimé, haï, espéré, désiré tous les êtres humains depuis l’âge des cavernes.

Dès l’apparition des premiers humanoïdes, le réseau de mémoires était d’une certaine densité. Il s’agrandissait jusqu’au moment où un courant secondaire (dit « courant de masse ») contribua à la transformation de ce qui n’était qu’un paquet de mémoires relativement inconscient en un réseau de mémoires doué d’une singularité propre et d’une tendance à l’objectivation. Telles ont été les circonstances de la naissance de l’ego. Ce qui n’était qu’un paquet de mémoires dénuées d’individualité se transforme dans une structure douée d’une relative autonomie, qui, à son tour, au cours des perceptions sensorielles, des plaisirs, des échecs, des souffrances enrichi, sans s’en rendre compte son patrimoine informationnel. Dès lors, s’amorcent trois phases dans l’évolution psychologique de l’être humain. D’abord une phase de naissance ou le « moi » n’est pas encore réellement un « individu ».

Ensuite, une phase de maturité ou l’être humain tend vers une autonomie qui, finalement, aboutit à la prise de conscience de son isolement, de ses limites, de ses contradictions et conditionnements. L’être humain commence à se remettre en question. Il voit le faux comme « étant faux ». Il arrive au seuil d’une phase de créativité, d’une véritable mutation psychologique. C’est le moment du dépassement de l’ego. Il découvre la Source dont il émane et s’aperçoit qu’il a été pris au piège d’une identification excessive aux apparences extérieures ainsi que celles de sa propre personne.

Ce qui précède n’est que le résumé caricatural d’une réponse à la question « quelle a été l’utilité du ‘pseudo- ego’ ». Ainsi que le déclarait Sri Aurobindo (Aperçus et pensées) : « L’égoïsme fut
une aide; l’égoïsme est l’entrave ». « l’animalité fut une aide; l’animalité est l’entrave ». « la pensée fut une aide; la pensée est l’entrave ».

Vers 1930, Krishnamurti lui-même évoquait l’existence d’un processus semblable en d’autres termes en présentant l’histoire de l’évolution comme partant de la perfection inconsciente d’une fleur par exemple arrivant ensuite à l’imperfection consciente de l’être humain, prisonnier et conscient de ses conditionnements, arrivant ensuite à la perfection consciente. Précisons cependant qu’une évolution considérable de l’enseignement de Krishnamurti dans la

La rigueur de son langage s’est réalisée entre 1930 et 1980. Il déclarait notamment que la véritable perfection était inconsciente d’elle-même.

Signalons cependant que l’évolution progressive de l’être humain qui a été évoquée ne se situe qu’au niveau de l’univers manifesté auquel nos erreurs de perceptions confèrent une impression d’existence, qui, en dépit de ses aspects logiques n’a pas la réalité que nous lui accordons.

La « vision pénétrante » de l’éveillé accordera toujours prédominance au « Jeu cosmique » de l’Univers dans sa gratuité et sa recréation perpétuelle. L’éveillé considère que l’Univers est le corps d’un seul et même Vivant.

Question: Qu’est ce qui nous empêche de nous ouvrir au Feu secret de l’univers?

C’est l’instinct de conservation. Les sagesses anciennes et maintenant les scientifiques enseignent que nous sommes « des milliardaires de la mémoire et du temps ». Sans instinct de conservation, ni vous ni moi serions ici en train de nous poser ces questions. Chacun de nous, avant d’être présent ici,  a traversé des millions de naissances et de morts, d’échecs et de réussites .Ceux-ci ont été mémorisés et constituent notre inconscient. Ce réseau de mémoires résiduelles a été personnifié par l’expression du « Vieil Homme ».  Il est enseigné que nous devons nous dépouiller du  « Vieil Homme »  afin de mourir à nous-mêmes. Tous les êtres humains sans exception portent en eux, dans leur inconscient les empreintes indélébiles de l’instinct de conservation. Celui-ci est un désir de durer,  une lutte pour sauvegarder la continuité apparente. En d’autres termes, les êtres humains éprouvent consciemment ou inconsciemment une peur de se perdre.

Le règne humain est l’aboutissement de millions d’années de luttes afin de sauvegarder la continuité des espèces qui l’ont précédé et de la sienne propre. Lorsque l’on sait que processus de mémorisation constant a présidé à l’évolution, il est facile de comprendre et d ‘admettre qu’une telle habitude tend à se continuer par vitesse acquise.

La réponse que nous venons de donner apportera vraisemblablement satisfaction au mental des intellectuels mais elle n’est pas complètement adéquate. Elle est en fait beaucoup plus une explication qu’une réponse directe. Il serait nécessaire de poser une question à l’auteur de la question lui-même et lui demander les raisons pour lesquelles il attend très souvent une réponse en recherchant les causes, les origines passées d’un problème. 0r ce problème et cette question ne peuvent pas être résolus par le processus discursif du mental. La solution véritable exige une approche non mentale de l’actualité du fait.

Cette approche non mentale résulte de la remise en question complète du bien fondé de nos approches mentales passées qui n’ont jamais réussi à résoudre nos problèmes quels qu’ils soient. Il est donc nécessaire de voir réellement, sans le nommer, sans le classer, le fait que nous refusons de nous ouvrir réellement au « Feu secret de l’Univers ». Cette ouverture nous révélera l’ampleur d’une peur et le surgissement d’une image de nous-mêmes, d’une résistance fondamentale, sans les nommer. Une rupture dans la continuité apparemment confortable de nos habitudes pourra nous rendre disponible à l’écoute adéquate. En elle surgit la réponse, claire et simple qui ne sera plus la réaction mécanique habituelle du mental mais celle d’une plénitude de conscience et d’amour qui ne demande qu’à nous éclairer.

Question : Pourriez-vous nous dire en quelques mots en quoi consistent les « vides-interstitiels »?

Notre conscience nous donne une impression de glissement uniforme et continu dans la durée. 0r cette impression est fausse. Il existe des vides interstitiels ou des moments de silence entre les pensées.

Celles-ci sont à tel point rapides et désordonnées qu’elles nous donnent l’impression d’un déroulement continu. Une comparaison très simple nous en expose le mécanisme. Elle nous est donnée par le déroulement d’un film au cours duquel les images nous montrent un personnage levant un bras. Si le déroulement du film se fait normalement, nous ne découvrons pas les brefs instants correspondant au moment où un vide se réalise entre deux photos du film. En revanche, si nous projetons le film au ralenti, nous verrons que le bras du personnage se lèvera lentement, par bons successifs.

La question qui se pose est la suivante: comment se fait-il que la presque totalité des êtres humains se trouvent dans l’incapacité de percevoir l’existence de ces vides interstitiels? Existerait-t’il une force qui naturellement aurait intérêt à masquer à nos yeux l’existence de cette discontinuité?

La réponse du Sage est simple et évidente. Cette force n’est autre que l’instinct de conservation symbolisé par le « Vieil homme ». Celui-ci sait que ces vides interstitiels sont un danger pour son existence car leur découverte nous ferait pressentir le caractère artificiel et limité de la conscience qui nous est familière. Autrement dit, l’agitation mentale, l’apparente continuité de la conscience constituent la manifestation de l’autodéfense du « Vieil homme » qui refuse d’abdiquer. Car, ainsi que l’enseignent les sciences nouvelles, le niveau d’évolution de l’être humain lui donne la capacité d’auto-organisation et d’auto-transcendance, c’est à dire la capacité de dépasser son ego, ses limites et ses conditionnements afin de s’intégrer au Grand Vivant universel dont il est coparticipant à part entière.