Pierre d'Angkor
Sagesse d'Orient et d'Occident

Est-il certain que nos activités mentales soient ainsi, toujours et nécessairement, inspirées par un désir ou un sentiment égoïste ? L’homme serait-il donc incapable d’oubli de soi-même et d’une pensée sincère de désintéressement personnel ? Nos conceptions philosophiques et religieuses sont-elles nécessairement aussi le produit de ces causes subjectives, désir ou crainte, du « moi » ? Sont-elles ces constructions factices d’un mental toujours avide ? N’apparaissent-elles pas, plutôt et depuis les premiers âges, comme les intuitions naïves, vagues encore, et toutes approximatives et symboliques d’une vision directe de l’univers où nous vivons, vision que le mental primitif des hommes s’est efforcé de traduire en des formules le plus souvent puériles ?

(Revue Etre Libre. Numéros 133-135, Janvier-Mars 1957)

C’est un livre profondément émouvant, passionnant même, que le petit volume récemment sorti de la plume même de Krishnamurti : « Commentaries on living » .

Alors que ses précédents ouvrages se bornaient à reproduire le texte de ses conférences, prononcées un peu partout dans le monde, ce dernier est un extrait des notes écrites par lui-même au cours de ses rencontres journalières avec des hommes et des femmes de toute condition venant lui exposer leurs problèmes ou l’interroger sur leurs propres expériences spirituelles. Chacun des chapitres ou paragraphes de ce petit livre relate une de ces rencontres et constitue un vrai chef-d’œuvre d’analyse, de finesse, de pondération, de vérité. Il fait une description sommaire, et souvent curieuse, de l’interlocuteur, de son caractère, des circonstances de la rencontre, du décor ambiant, etc. Tout y est présenté en quelques lignes, puis le cas, exposé brièvement, y est analysé et jugé d’un point de vue supérieur et qui parait décisif.

Les mobiles les plus secrets souvent ignorés des visiteurs eux-mêmes, y sont dévoilés, clarifiés aux yeux du lecteur.

Il ne nous est pas toujours donné d’adhérer pleinement à toutes les vues et à tous les jugements de l’auteur sur les cas envisagés , et c’est sans doute alors notre propre jugement qui est en défaut ; c’est notre ignorance ou notre incompréhension qu’il nous faut accuser. Le langage très abstrait de Krishnamurti et l’acception inhabituelle qu’il donne à certains mots rendent parfois le sens précis difficile à saisir.

Ceci dit, je me bornerai à faire quelques remarques d’ordre général sur les idées exposées dans le livre, en rapprochant celles-ci de l’enseignement théosophique avec lequel il me parait intéressant de les confronter, et à la lumière duquel il est peut-être même possible de les éclairer.

Krishnamurti, nous le savons, évite toujours, systématiquement, d’aborder les problèmes philosophiques ou religieux, même lorsque ses visiteurs s’efforcent de l’attirer sur ce terrain. C’est au point que certains commentateurs de ses écrits l’ont jugé être un ennemi déclaré de la métaphysique.

Son enseignement, en effet, se cantonne exclusivement dans le domaine psychologique. Je crois toutefois que ce serait mal le comprendre et conclure un peu vite. Comment pourrait-on considérer en effet comme anti-métaphysicien un sage qui ne cesse jamais de nous entretenir de la suprême réalité, c’est-à-dire d’une réalité que ni nos sens, ni notre pensée, ne peuvent nous faire connaître, quoique cette Réalité soit l’intime de nous-même et de toute chose ?

Si Krishnamurti se montre ennemi de NOS métaphysiques, de NOS religions, de NOS philosophies, c’est que celles-ci ont la prétention de nous faire connaître la réalité. Or, en tant que créations de la pensée, elles y sont impuissantes, dit-il. La pensée humaine ne peut atteindre le réel ; il s’ensuit que tous nos systèmes de pensée nous abusent, que toutes nos doctrines philosophiques et religieuses sont des créatrices d’illusions. Tout au long de ces pages, Krishnamurti dénonce ce caractère subjectif de la pensée, instrument illusoire d’un moi pareillement illusoire, mais avide néanmoins de croissance, de puissances, de possession ou de sécurité. Ce moi, en chacun de nous, est un complexe, instable et changeant dans tous ses éléments ; et toutes les activités de son mental, ses pensées, ses aspirations, ne sont jamais que l’expression de ce désir du « moi » de croître et de trouver la sécurité, la pérennité.

Est-il certain que nos activités mentales soient ainsi, toujours et nécessairement, inspirées par un désir ou un sentiment égoïste ? L’homme serait-il donc incapable d’oubli de soi-même et d’une pensée sincère de désintéressement personnel ? Nos conceptions philosophiques et religieuses sont-elles nécessairement aussi le produit de ces causes subjectives, désir ou crainte, du « moi » ? Sont-elles ces constructions factices d’un mental toujours avide ? N’apparaissent-elles pas, plutôt et depuis les premiers âges, comme les intuitions naïves, vagues encore, et toutes approximatives et symboliques d’une vision directe de l’univers où nous vivons, vision que le mental primitif des hommes s’est efforcé de traduire en des formules le plus souvent puériles ? Et puis il y a la science. Peut-on nier que les meilleurs parmi les savants, sans souci de gloire personnelle ou de bas mercantilisme, poursuivent de façon désintéressée et parfois héroïque, leurs recherches objectives et expérimentales, mûs par le seul amour de la science pour elle-même et dans le seul but de servir l’humanité toute entière ? Nier ces choses serait méconnaître ce qui fait la noblesse et la grandeur de l’homme. On croit apercevoir parfois dans le langage de Krishnamurti quelque chose de trop rigide, d’inhumain même, dans la vue systématiquement péjorative qu’il nous présente de l’homme, de ses idées, de ses mobiles, de son comportement. Après les grands Etres qui l’ont précédé Krishnamurti lui-même serait un vivant démenti à un tableau de l’homme, poussé au noir, ainsi qu’il nous le présente. Aussi serait-ce sans doute mal le comprendre que de croire qu’il entend nier les meilleurs aspects de l’être humain. Il conteste seulement que ces aspects puissent avoir leur origine, tirer leur source, du mental, de la pensée conceptuelle. La vision de l’esprit transcende en effet le mental. La pensée ne peut nous faire voir le réel, nous dit-il. Celui-ci est au delà, n’a rien à voir avec les vaines cogitations que nous émettons à son sujet. Que représente alors notre pensée, demandera-t-on ? Rien que nous-même, dit-il. Certes, il peut paraître décourageant, à première vue, pour l’homme ordinaire que nous sommes tous, d’admettre, a priori, que ce que l’on nomme le réel (avec ou sans majuscule — Kr. l’écrit sans majuscule) est quelque chose ne disant rien, ne pouvant rien signifier au regard de notre intelligence, de notre imagination, autrement dit quelque chose qui demeure en dehors de notre connaissance et de notre compréhension. Pour que le réel apparaisse, notre pensée doit être détruite, nous dit le Sage.

J’ai dit qu’il ne parlait guère, dans ses écrits en général, des aspects élevés, lumineux, sublimes, de la Nature humaine, aspects qui éclatent au grand jour chez les Etres exceptionnels, mais qui sont comme un trésor caché au cœur des humbles parce qu’ils demeurent enfouis chez eux derrière l’insignifiance des apparences. Krishnamurti démontre par contre avec la plus grande subtilité les rouages compliqués de l’égoïsme mental et découvre les mobiles les plus secrets de ses visiteurs, mobiles ignorés le plus souvent d’eux-mêmes, parce qu’ils se dissimulent à leurs yeux derrière des dehors aimables, nobles et généreux.

Krishnamurti nous décrit donc ces expériences comme n’étant toutes que des formes, apparentes ou secrètes, du désir d’expansion du « moi », désirs de gloire, de vanité, de cupidité, de récompense désir de sécurité aussi inspirant à leur auteur la crainte de voir leur « moi » compromis ou en péril — leur moi temporel ou spirituel.

Mais à côté de ceux-là, pensons-nous, combien en est-il, philosophes, artistes, savants ou humbles mortels, qui travaillent dans l’ombre, sans souci personnel de gloire, d’ambition, ou de lucre et dans le seul but désintéressé de servir l’humanité ! Nos aspirations les plus hautes, les plus désintéressées vers le bien, le beau, le vrai, ne seraient-elles donc, elles aussi, que des formes déguisées de notre égoïsme, émanant d’un « moi » plus raffiné seulement, plus élaboré, épuré de ses tendances grossières ? Toute activité, en tant qu’émanant du mental, est nécessairement teinté d’égoïsme nous assure Krishnamurti, et ne peut donc nous faire connaître le réel.

Certes, nous sommes tenté d’argumenter, de poser ici des objections. Si la pensée conceptuelle ne peut atteindre le réel, ne peut-elle tout au moins nous en approcher, fût-ce par l’approximation symbolique, l’analogie lointaine ? Et l’Univers objectif que pénètre chaque jour un peu plus la pensée scientifique n’est-il pas également un aspect du réel ? Au surplus, qu’elle soit subjective ou objective, la pensée elle-même ne fait-elle pas partie de ce tout dont rien ne peut être disjoint ? Sans doute, la pensée est créatrice d’illusions, nous fait mouvoir dans le relatif, l’apparent, l’éphémère, par opposition à l’éternel, à l’absolu, Mais ne sont-ce pas là les deux aspects de l’Etre ? Et n’en est-il pas de même de toutes ces dualités qui s’opposent, le Non-Manifesté et le Manifesté, l’un et le multiple, l’immuable et le changeant, l’éternel et le temporel, tous pareillement aspects corrélatifs et nécessaires du réel universel ?

Krishnamurti écrit que « le désir du gain, que ce soit pour l’individu ou pour le groupe, conduit à l’ignorance, à l’illusion, à la destruction, à la misère ». Nous l’en croyons volontiers, et qu’il en est ainsi de tout désir égoïste, de tout désir pour soit, qu’il soit subtil ou grossier, élevé ou sordide, individuel ou collectif. Mais qu’en est-il du désir pour le bien général ? Serait-il vraiment impossible à l’homme de ressentir quelque aspiration désintéressée, sans souci de soi-même ? S’abuse-t-il lui-même sur ce point ?

En d’antres termes, toute pensée, tout sentiment humain, serait-il, par nature, nécessairement égoïste ? Il est certain que le désir de connaître est, pour l’homo sapiens, aussi essentiel, aussi fondamental, que l’aspiration au bonheur. De telles aspirations répondent-elles seulement à l’avidité centripète du « moi » et ne peuvent-elles être inspirées au contraire par la force centrifuge de l’Amour universel, tendant à l’unité ? Je ne vois pas, je le répète, que Krishnamurti nie ces tendances supérieures en nous. Il se borne à affirmer qu’elles n’émanent pas du mental, lequel est centré sur le « moi ». Mais d’où proviennent-elles alors ?

Devons-nous conclure que nous nous trompons nous-mêmes sur la qualité de ces tendances élevées en nous, ou bien, si elles existent réellement, qu’elles appartiennent à quelque partie supérieure de nous-même qui nous échappe encore ? Y aurait-il donc en nous deux egos, un ego supérieur et un ego inférieur ? Telle est la question qu’il nous importe d’examiner. Ignorer ces tendances supérieures serait, je le répète, discréditer l’homme, l’imputer de la plus noble, de la meilleure partie de lui-même !

Dès lors l’alternative se pose : ou bien ces tendances supérieures procèdent, tout comme nos tendances inférieures, de notre mental et elles nous abusent — ou bien elles procèdent d’un centre plus élevé de nous-même, d’une source cachée, principe ou faculté que nous connaissons peu ou mal, grâce divine de notre propre esprit que notre ignorance attribue alors à une grâce divine étrangère à nous-même, à un don gratuit du ciel.

Que l’on ne croie pas que l’enseignement de Krishnamurti sur l’égoïsme du mental diffère ici de celui de la Sagesse orientale traditionnelle. L’antique livre des « Préceptes d’Or », traduit partiellement par H. P. Blavatsky dans « La Voie du Silence » nous dit : « Le mental est le destructeur du réel : détruis le destructeur ». De son côté, le Bouddhisme insiste sur cette nature complexe et illusoire de l’ego qui n’est qu’une construction instable et éphémère de nos pensées, de nos désirs changeants. Toutes ces composantes (skandas) de l’ego sont périssables, nous dit-il, et en ce sens irréelles. Mais que signifie ce mot « irréelles » ?

Veut-on dire par là, qu’elles ne sont qu’un vain mirage ? Non, mais qu’elles n’ont aucune réalité permanente, c’est-à-dire éternelle. Cela ne signifie donc pas que notre ego ne soit qu’une pure illusion de notre part. Envisagé de notre point de vue l’ego est réel, le monde est réel, mais ce sont là des réalités éphémères, périssables.

Quoiqu’il en soit, une opposition radicale semble séparer ici la Sagesse d’Orient de celle d’Occident. Alors que la Sagesse d’Orient dénonce à l’envi l’apparence trompeuse de ce monde la nature illusoire du « Moi » et de son instrument la pensée, source de la grande illusion des hommes, la Sagesse occidentale exaltait au contraire et déifiait la réalité de l’Univers et de sa plus noble création, l’homme. Toute la dignité de l’homme est dans sa pensée, affirment Descartes et Pascal, héritiers de la grande tradition gréco-romaine.

Nous trouvons-nous donc ici devant une opposition foncière, irréductible, entre les deux sagesses ? Non, car elles ont raison toutes deux, chacune à son point de vue, répétons-le. Il est évident, en effet, d’une part que la pensée en l’homme est cet instrument qui le distingue de l’animal, le fait supérieur à l’animal. Sa faculté d’abstraction est une fonction supérieure qui le fait excéder à l’art, à la science, à la philosophie. Ceci aussi est une vérité indéniable.

J’ai dit que Krishnamurti dénonçait l’impuissance de la pensée à atteindre le réel. Il peut sembler paradoxal, dans ces conditions, de le voir préconiser cette même pensée comme seul instrument valable, seul moyen efficace pour nous faire accéder au réel. Il nous faut procéder, nous dit-il, à l’analyse du moi, à la connaissance du Moi (self-knowledge). Sans doute — et il y insiste aussi — le moi n’est pas une chose simple : en chacun de nous, en effet, il s’étage sur divers échelons de niveaux différents : de là, la difficulté de le saisir. Beaucoup de nos désirs cachés et subtils nous échappent. Mais le moi est toujours le moi et il nous faut le poursuivre en ses derniers retranchements, car si profondément caché qu’il soit, l’égoïsme s’y retrouve. C’est un fait que chaque homme se fait le centre du monde, que tous ses désirs, ses aspirations, sont axés sur lui-même ou sur ce qui lui appartient, sa famille, son pays, sa religion, etc… Que recherche-t-il ? Le pouvoir, la richesse, l’ambition, l’expansion de son moi en ce monde et le salut de son Arne dans l’autre, s’il est croyant. De cette nature égocentrique, mue par la force centripète qui l’oriente vers soi, le mental est l’instrument. Krishnamurti, il est vrai, distingue du mental, de la pensée, ce qu’il nomme « understanding » ou « intelligence », la compréhension ou l’intelligence; mais ces termes nous semblent insuffisamment précisés par lui. S’agit-il d’une faculté supérieure au mental (mind) et n’ayant aucun rapport avec lui ? La pensée en nous ne se référerait-elle qu’au passé mort et serait-elle d’une impuissance totale à exprimer la Vie. Faut-il donc réellement la détruire, l’annihiler ? Non, conjuguée étroitement avec le cœur, la pensée doit nous mener à l’intuition de l’Esprit. Eclairés, illuminés, par l’intuition supérieure, nous réaliserons ainsi la vraie intelligence, nous atteindrons à la perception directe du réel, dans le passé, le présent, l’avenir. Sans doute la pensée comme le sentiment, pris isolément et livrés à eux-mêmes, à leur niveau respectif, sont-ils inhérents au moi, à l’ego inséparables de lui. Toute l’évolution d’ailleurs a eu pour but cette individualisation de la Vie cosmique dans l’ego humain. Mais comme le dit Shri Aurobindo dans ses aphorismes : l’ego fut une aide, l’ego devient l’obstacle qui doit être surmonté. Mais surmonter l’ego ce n’est pas le détruire. Sans plus nous identifier à lui comme par le passé, il nous faut le garder comme instrument à notre service sur les plans de conscience où nous vivons. La pensée et le sentiment sont le flambeau que la Nature a mis en nous pour nous guider dans la Vie. Mais il nous faut apprendre à les utiliser dans un sens non-égoïste, dans un sens impersonnel et universel. Il nous faut donc renverser le courant de nos désirs, de notre psychisme mental habituel. Ceci aussi d’ailleurs répond à un aspect supérieur de nous-même : car il serait profondément injuste d’attribuer toujours à un égoïsme hypocrite, subtilement dissimulé, les actes du réel désintéressement, d’oubli de soi-même, de dévouement, d’abnégation, de sacrifice sans arrière-pensée de soi, actes, éclatants ou obscurs, qu’il importe tout de même de porter au crédit de l’humanité. Et comment autrement jugerions-nous le comportement de Krishnamurti lui-même dans toutes les activités de sa propre existence ? Il n’y a donc pas que des tendances egocentriques dans l’être humain. Si donc, comme Krishnamurti nous le dit, l’ego demeure toujours le même dans ses caractéristiques et son orientation essentielles, sa présence à des niveaux différents ne rendrait pas compte de cette orientation opposée des tendances que chacun perçoit effectivement au fond de soi-même. L’explication ne suffit donc pas pour nous faire comprendre notre nature double. Aussi l’enseignement de la théosophie vient-il à point pour nous fournir cette explication.

Réitérant les vues de la Sagesse antique sur la complexité de l’homme, la théosophie reconnaît en chaque être humain ce qu’elle nomme le Soi supérieur — ce que la religion nomme l’âme immortelle — et le soi inférieur, orientés respectivement vers deux pôles opposés que l’on peut désigner symboliquement par les expressions équivalentes : le ciel et la terre, l’Esprit et la Matière, Dieu et la Nature, etc…

Krishnamurti a nié à diverses reprises l’existence de ces deux « moi » en l’individu. La théosophie confirme qu’il n’y a qu’un seul Moi en effet mais qu’aux niveaux différents où il se situe ou s’étage, il crée en nous deux natures d’orientation opposée, l’une terrestre, égoïste, orientée sur elle-même (centripète), l’autre spirituelle ou divine, orientée sur le Soi unique ou Cosmique (centrifuge). De là l’apparence de deux « Moi » distincts en nous. Ceci souligne donc la complexité de l’homme, complexité affirmée par toute la Sagesse antique de l’Egypte, de l’Inde, de la Perse, de la Grèce, etc…) La théosophie moderne, qui est l’expression authentique la plus récente de cette sagesse immémoriale, précise que cette nature divine en nous est la Monade manifestée sur les plans supérieurs de la Nature en tant que triade « trinité » spirituelle s’exprimant dans le Corps causal, dit ego supérieur, et que notre nature humaine proprement dite est le quaternaire inférieur (mental, psychique, vital, physique) s’exprimant dans notre conscience cérébrale, notre moi conscient . Ces deux aspects opposés de l’Ego sont donc la source même de nos aspirations opposées ou de direction contraire. La Sagesse nous apprend encore que la nature divine sommeille en nous, à ce stade actuel de notre évolution ; qu’elle doit s’éveiller en nos cœurs (Noël) et qu’après la souffrance et la mort symboliques du vieil homme, elle doit ressusciter et nous faire triompher de la mort (symbole de notre moi égoïste) en ressuscitant dans notre conscience comme Homme-Christ, comme Homme-Dieu (Pâques).

Les deux natures, divine et humaine, sont donc en tout homme dans l’unité de la personne humaine (unité de l’ego).

On sait les discussions byzantines que les hérésiarques des premiers siècles de l’ère chrétienne firent surgir concernant la nature et la personne du Christ historique. Arius, Nestorius, Eutychès, se disputèrent à l’envi, au sein des Conciles, sur ces questions abstruses, avant que l’Eglise proclamât officiellement par la voix de ses docteurs que dans le Christ il y avait dualité de nature, divine et humaine, dans l’unité de la personne.

Ainsi présenté, comme problème historique, et en ce qui concerne la seule personne de Jésus considéré comme incarnation unique d’un Dieu, étranger par nature à l’univers, et l’homme, la question demeure insoluble — car qui pourrait en décider valablement, qui aurait autorité pour trancher un tel problème ?

Mais comme énigme psychologique intéressant le genre humain tout entier, la question demeure au contraire pleine de sens, en tant qu’elle se rapporte au Mystère des rapports du divin et de l’humain en tout homme. On voit dès lors que c’est en rétablissant la vraie valeur de l’homme intégral que l’on pourra, sur la base d’un humanisme régénéré, réconcilier entre elles les antiques positions antagonistes du théocentrisme et de l’anthropocentrisme et réaliser, dans une atmosphère de paix des âmes et des consciences, la Religion — une de l’Humanité. Dieu et l’Homme libéré sont UN.

Tandis que je lisais le petit livre de Krishnamurti, ces notes, écrites au jour le jour par un homme aussi étranger à notre genre de vie et à nos coutumes, par un sage qui plane d’aussi haut au-dessus de nos modes habituels de penser et de sentir, une voix de l’ombre me suggérait ces mots, insidieusement : « Et si tout cela n’était qu’apparences trompeuses ! Si Krishnamurti lui-même était la victime de ses propres illusions…! » Mais la réponse surgit en même temps. Krishnamurti se meut avec simplicité et aisance dans une région de sérénité, de paix, d’euphorie, de plénitude. Cette région, nous ne pouvons encore y aborder nous-même. Mais dès à présent, elle projette sur nos ténèbres, sur nos espaces sombres et maudits, de telles lueurs éclairantes, qu’il nous est permis de conclure : là est la Vérité et non l’illusion ; là est la lumière, et non l’obscurité !

Et tel est aujourd’hui, une fois de plus dans l’Histoire, le témoignage véridique d’une grande figure, d’un noble exemple, mis journellement sous nos yeux étonnés et proposé à nos plus sérieuses méditations.