Robert Linssen
Signification des Relations Humaines

L’histoire d’un univers est celle des milliards de relations tou­jours neuves, qu’il s’agisse de l’infiniment petit ou de l’infiniment grand. Rien n’est isolé. Tout se tient. Tout est physiquement, biolo­giquement et psychologiquement relié. Chacun de mes souffles est une relation par rapport à l’atmo­sphère ambiante et l’air qui pénètre en mes poumons est chaque fois renouvelé. Les cellules de mon corps sont en relations continuelles et la base de la vie n’est qu’échange perpétuel, renouvellement intensif, fluidité, souplesse.

(Revue Être Libre Numéros 115-118, Avril-Août 1955)

L’histoire d’un univers est celle des milliards de relations tou­jours neuves, qu’il s’agisse de l’infiniment petit ou de l’infiniment grand. Rien n’est isolé. Tout se tient. Tout est physiquement, biolo­giquement et psychologiquement relié.

Chacun de mes souffles est une relation par rapport à l’atmo­sphère ambiante et l’air qui pénètre en mes poumons est chaque fois renouvelé. Les cellules de mon corps sont en relations continuelles et la base de la vie n’est qu’échange perpétuel, renouvellement intensif, fluidité, souplesse.

Lorsque le pain dont je me nourris était épi de blé se mouvant dans les champs dorés par le soleil de juillet, il n’était aussi que « relations », interférences entre l’énergie lumineuse du roi du jour, les conditionnements particuliers de son absorption et les richesses minérales de la terre.

Tout n’est que relations, interférences, résidus de relations et figures d’interférences, mais notre attention possède une qualité d’inertie qui lui dicte de se poser davantage sur l’aspect résiduel que sur le vivant.

Ce bon pain de froment qui semble devant moi figé, aban­donné, « résiduel », victime d’une sorte d’exclusion résultant de l’isolement apparent que dessinent ses contours définis, n’est pas moins « relations » maintenant, qu’il ne l’était lorsque sa structure de blé vivant semblait l’incorporer davantage aux échanges « soleil-lumière-terre-atmosphère ».

Ses atomes réagissent sur la totalité de l’Univers jusqu’aux ultimes confins de celui-ci parmi les explosions nébulaires. L’inti­ité de sa substance non seulement chimique mais physique est en état de bouleversement prodigieux.

Redisons-le, car c’est important : tout n’est que relations et résidus de relations et là même où il nous semble que l’aspect rési­duel, statique l’emporte sur l’aspect dynamique, il n’y a en fait que mouvement, mobilité, transformations, interférences, interdépen­dances.

La signification profonde du fait universel et permanent des « relations » ne peut être comprise par la pensée. La relation n’a pas besoin d’être pensée. Elle se vit et pour se vivre ne peut se penser. Elle est.

***

« L’échelle d’observation crée le phénomène », disait un grand physicien.

Ceci est aussi vrai en physique qu’en psychologie.

Nos phénomènes perceptifs de la relation sont conditionnés par l’échelle d’observation mentale qui les analyse.

Il n’y a là ni affirmation métaphysique ni contradiction.

Le fait fondamental de l’univers, sa vie même est relation entre éléments que nous percevons « particuliers ». Les événe­ments, expériences, interférences s’enregistrent à l’échelle humaine sous forme de mémoires résiduelles. Dès l’instant où ces mémoires passées interviennent sur le plan des relations psychologiques pré­sentes, il y a corruption, travestissement du sens véritable des relations humaines.

Les relations humaines révèlent leur pleine signification dans une totale adhérence de la conscience au Présent.

Dans l’expérience ou relation véritable, il doit y avoir absence à soi-même et présence au Présent. La relation véritable est par­faite momentanéité et pleine adéquacité. Elle est aussi action pure, gratuite, spontanée, impersonnelle.

Dans la relation véritable, il n’y a plus « moi » et le Présent. Une seule chose demeure : le Présent réalisant ce paradoxe — à jamais impénétrable par l’intellect — d’être à la fois particulier et cosmique (1).

Ceci montre clairement que la relation véritable est un pro­cessus totalement différent de ceux qui nous sont familiers.

Notre façon normale d’aborder les choses et les êtres — donc d’établir des relations — est tellement différente, qu’il est bon d’insister et de nous répéter.

Nous n’approchons les choses et les êtres que munis de nos certitudes, de nos jugements de valeurs, de nos mémoires. Que sommes-nous, nous demande souvent Krishnamurti ? Le « moi » est-il autre chose qu’un paquet de mémoires d’habitudes ? Et la mémoire n’est-elle pas un résidu d’actions incomplètes, de relations fausses, d’actes manqués ?

Aborder le Présent, totalement neuf de chaque instant, à l’aide du passé, c’est entrer dans la ronde infernale de l’ignorance, de l’habitude, de la séparativité, de l’angoisse et de la mort. C’est assurer le triomphe du « vieil homme » sur la loi de la Vie. C’est aussi tomber dans les pièges de l’identification.

Adhérer pleinement à la fraîcheur de l’instant neuf, par la mort à son propre passé, par une absence totale de tout attachement personnel, c’est entrer dans le royaume d’un printemps éter­nel et d’une perpétuelle résurrection; c’est ouvrir son cœur à un chant d’indicible beauté et de sereine grandeur.

La relation s’établissant dans le présent par une mort totale à soi-même est acte pur. La relation qui s’inspire des mémoires du passé est résiduelle.

Elle n’est que réaction. Elle est incomplète et nous entraîne de servitudes en servitudes.

Ces considérations ne peuvent être résolues dans le seul champ des activités mentales, rationnelles qui nous sont familières.

Il est d’ailleurs strictement impossible de définir par des mots ce qu’est la relation véritable (true relationship) telle que l’enten­dent Krishnamurti ou des maîtres Zen tel Alan Watts.

L’expérience elle-même doit être vécue dans le feu de l’action, mais une action non mentale qui s’est affranchie de ses habitudes, de ses préférences, de ses attachements et de ses routines.

Par l’emploi des mots, nous ne pouvons que dénoncer ce que la relation véritable n’est pas. Et pour la plupart d’entre nous, c’est l’étape première d’un voyage merveilleux. Quoique fait de mille arrachements qui, étant librement consentis et compris, ne sont cependant plus des arrachements, il y a mille surprises, mille résurrections dans un royaume étrange et suprêmement naturel pourtant, où tout est imprévisible, tout est impréfigurable.

Dans ce royaume, nous ne « re-connaissons » plus rien ! Il est la plénitude de l’inconnu krishnamurtien ou celle de l’Inconscient Zen. Mais à ce point de notre exposé, le silence s’impose. Ici, chaque mot devient une trahison.

L’un criera au désespoir, à l’incohérence. Il n’aura rien compris. L’autre criera qu’il sait, qu’il a vu. Il n’aura rien compris non plus

La relation véritable est vaste, insondable. En elle, se révèle un amour différent de nos amours et une intelligence différente de nos intelligences.

R. LINSSEN.

(1) Pour l’homme intégré, il n’existe cependant rien qui soit strictement particulier tel que nous le comprenons généralement et, de ce fait, l’opposition disparait.