Bruno de Jesse
Sophrologie et Bouddhisme

On peut parler de deux modes d’approche, l’approche scientifique, déterminée, moderne, qui dit que s’il y a des choses intéressantes pour nous, on verra ce qu’on pourra en faire, et puis il y a les promeneurs un peu explorateurs qui s’intéressent à l’histoire des communautés religieuses et qui essayent de trouver des matériaux pour de nouvelles psychothérapies. Nous appartenons à cette dernière et nous nous sommes mis à vivre la vie traditionnelle de l’Inde des Ashram, puis au Cambodge, au Vietnam, Hong-Kong, Taiwan et le Japon, compatible autant que possible avec des travaux qui nous permettaient de subvenir à nos besoins matériels.

(Revue Panharmonie. No 178. Septembre 1979)

Compte rendu de la conférence du 18.1.1979

Bruno de JESSE nous parla le 18 janvier de « Sophrologie et Bouddhisme ». C’est un peu la même chose, dit-il, quoique Caycédo, le psychiatre espagnol auquel on doit le mot de « sophrologie », ne serait pas d’accord sur ce point.

Ce mouvement, comme souvent les idées nouvelles, était dans l’air. Il est né de l’échec de la psychanalyse en tant qu’investigation de la psyché. Elle n’a pas eu de résultats thérapeutiques probants dans ce domaine. Vers la fin de la vie de Jung un certain nombre de psychiatres, en cherchant de nouvelles thérapies ont rencontré l’ascèse bouddhique et taoïste.

Comment cela s’est-il fait ? Sous l’influence de sa femme qui avait des difficultés d’ordre physiques, Caycédo a été amené à s’intéresser au Yoga. Au cours d’un voyage en Extrême-Orient, il a vu des choses qui l’ont beaucoup étonné en tant que psychiatre. Mais lui, ainsi que ceux qui l’accompagnaient, ont finalement réagi en hommes de sciences européens, mettant entre parenthèses tout l’aspect spirituel. Or les ascèses psychosomatiques dans ces traditions, sont inséparables de la tradition religieuse, bouddhiste, taoïste, etc.

Je suis allé en Asie avec des camarades dans un groupe international, continue Bruno de JESSE. Six d’entre nous ont formé un groupe de travail sérieux. Nous y sommes restés plusieurs années.

On peut parler de deux modes d’approche, l’approche scientifique, déterminée, moderne, qui dit que s’il y a des choses intéressantes pour nous, on verra ce qu’on pourra en faire, et puis il y a les promeneurs un peu explorateurs qui s’intéressent à l’histoire des communautés religieuses et qui essayent de trouver des matériaux pour de nouvelles psychothérapies. Nous appartenons à cette dernière et nous nous sommes mis à vivre la vie traditionnelle de l’Inde des Ashram, puis au Cambodge, au Vietnam, Hong-Kong, Taiwan et le Japon, compatible autant que possible avec des travaux qui nous permettaient de subvenir à nos besoins matériels.

Pour ma part j’ai eu certaines difficultés de passer de cela au monde médical ; parce que j’avais un peu l’impression de profaner quelque chose en en extrayant ce qui pouvait être pragmatique, utilisable, de ce qui était spéculatif, moral, mystique. Nous étions d’ailleurs tous un peu dans le cirage et chacun fit ce qu’il crut bon. Depuis j’ai beaucoup réfléchi et je suis arrivé à penser que c’était un faux problème, l’homme étant un tout, psycho-bio-méta et qu’il n’appartient pas au psychothérapeute d’orienter son patient vers une vision du monde, alors que le sujet n’en manifeste pas le désir et que cette vision peut ne pas correspondre à son tempérament.

Le problème est posé, je ne l’ai pas résolu. Finalement je pense qu’il faut être discret sur tout ce qui peut être pensé et ouvert aux curiosités de la personne avec laquelle on a à travailler.

Réponses à des questions : En tant que thérapeute vous avez à aider quelqu’un à trouver sa propre vision du monde, ce qui est difficile, sans rien lui communiquer de la vôtre, ce qui n’est pas commode. Ce serait faire de l’angélisme que de dire qu’on va donner à quelqu’un les possibilités pour arriver à une harmonisation fonctionnelle neuropsychique.

On parle de transferts : Il est impossible d’avoir deux personnes ensembles sans qu’elles ne soient pas sous l’influence l’une de l’autre. Pour qu’il puisse y avoir progrès il faut que le thérapé s’ouvre au thérapeute et à ce moment il ne s’agit pas de sa vision du monde, c’est quelque chose d’autre qui entre en jeu. Il semblerait que la sophrologie soit par rapport au Bouddhisme comme l’allopathie par rapport à l’homéopathie, prenant la propriété, mais rejetant l’esprit de la plante.

Question : Faites-vous une différence entre analyste et psychanalyste ?

Réponse : Aux U.S.A. ceux-ci ne sont pas médecins. En France ils sont spécialistes-médecins avant d’être spécialistes en psychiatrie. Bien des psychiatres ne sont pas analystes. Les gens avec lesquels j’ai travaillé, étaient des psychiatres spécialisés, pas tous analystes, mais tous étaient passés par une thérapie quelconque.

Je n’ai eu des discussions qu’avec deux psychiatres qui savaient que je suivais une pratique Zen. Ils étaient respectueux, mais ils voulaient bannir tout contexte religieux, spirituel.

Quelqu’un : On refuse par esprit cartésien.

B. de Jessé : Le Maître, quand il transmet quelque chose c’est quand même un maître bouddhiste qui transmet le dharma sacré à ses disciples.

Le sophrologue donne des trucs pour se sentir moins mal. La sophrologie est basée sur des exercices d’origine religieuse de concentration, de contemplation et d’appréhension. Par exemple dans la manière de voir un objet, différentes attitudes personnelles, impersonnelles, faisant abstraction des qualités esthétiques. Il y a toute une gymnastique intérieure. La pratique centrale est le recueillement de l’esprit. La chose la plus difficile est l’exercice fondamental de la méditation.

Question : L’importance de la posture Zen chez Caycédo est très grande.

Réponse : Je ne crois pas que ce soit si important. Quand j’étais en Inde on ne nous a jamais demandé de prendre quelque posture que ce soit. Ce qui importe c’est de ne pas être gêné par son corps.

En sophrologie on dégage les choses de leur contexte idéologique. L’entraînement essentiel de toutes les pratiques traditionnelles est celui du recueillement de l’esprit, maîtrise de l’imagination, concentration. A moins de raisons pathologiques, dans quatre-vingt-dix cas sur cent la dépression est due à la dispersion mentale. Celle-ci peut s’accentuer par l’analyse, mais en arrivant à apprendre au malade à mieux sentir son corps, à se détendre intérieurement, à apaiser son esprit, à l’équilibrer dans le calme, les symptômes peuvent être vaincus. Il faut travailler à la fois la concentration et la détente musculaire complète, le laisser-aller et le centrage.

Dans le Bouddhisme on arrive à cela en partant de prémices très philosophiques, « la doctrine de la Voie du milieu » enseignée par un grand Sage bouddhique Nagarjuna. Il disait que pour appréhender un phénomène il fallait en envisager les deux aspects contraires. Les Bouddhistes pratiquent cette méthode dans la méditation. Nous avons l’habitude du complexe. La sophrologie préconise des exercices de simplification. Nous ne sommes pas habitués à ce qui est simple. Ce n’est pas « qui suis-je ? » mais : « pourquoi suis-je là et pourquoi pas ? ». Si vous envisagez l’état de votre conscience comme étant le pur étonnement, vous vous apercevrez que tout en connaissant les choses, vous ne les connaissez pas. Vous découvrez que vous avez en puissance la possibilité de connaître n’importe quoi, mais que ce qui résiste, c’est la connaissance que vous en avez en vous. A ce moment il y a une inversion. L’étonnement est la première étincelle, la deuxième est le retournement pour connaître vraiment les choses. La connaissance doit se retourner sur elle-même. C’est cela la concentration, l’exercice de recueillement. Il est simple et difficile. La sophrologie est une nouvelle mise en situation de la conscience avec elle-même, la conscience à la recherche de sa source.

Réponses à des questions : La sophrologie ne fera pas que quelqu’un aime mieux son métier lorsqu’il ne l’aime pas, mais elle l’aidera à le supporter.

Toute question est source de progression. L’objection à toute thérapie est de dire que l’on bloque l’évolution. Il ne faut rien forcer si la conscience du patient ne le demande pas, même si celui-ci a une conscience plus globale. La guérison alors sera plus rapide et plus appréciable. Il y a danger de banalisation, de castration.

La conception moderne est que l’âme doit servir à un but très précis. Le médecin est là pour arranger la pièce… Si vous arrangez trop bien, tous seront bloqués au niveau d’un levier.

Quand vous avez un sujet que vous amenez à des exercices de curiosité tels que je vous les ai décrits, vous ne savez jamais quelle va être sa réaction. Le praticien doit avoir l’art de voir ce qu’il y a à faire. Les sophrologues de l’école de Caycédo insistent sur le fait qu’ils ne savent jamais dans quelle direction ils vont aller. Car le seul chemin est celui du thérapé. L’éveil de la conscience est déjà un but.

Question : Quelle différence faites-vous entre la sophrologie et la psychanalyse ?

Réponse : Je ne suis pas contre la psychanalyse, quoique les résultats pratiques aient déçu un grand nombre de professionnels. Il n’y a aucun rapport entre les deux. Les sophrologues cherchent des méthodes pratiques et rapides.

Schultz avait déjà fait un travail qu’il avait extrait de Patanjali ou d’autres hindous. L’astrologie a amené des éléments complémentaires. Ce qui est commun à toutes les thérapies psychologiques, c’est le transfert et c’est souvent quelque chose dont vous ne vous apercevez pas et que vous ne sentez pas. C’est très important, cela fait partie de l’irrationnel.

Si le patient a suivi un entraînement pendant un temps suffisant, il a acquis des réflexes différents et sa réaction aura une certaine secondarité, une distance entre lui et la situation nouvelle. La réaction sera au second degré et non intellectuelle. La sophrologie doit faire que l’être, par ce choc de sa conscience, arrive à rectifier son comportement et à se donner de bons réflexes. Ce n’est pas recherché, cela vient naturellement, le rapport avec soi-même étant différent. Ce ne sera plus un rapport premier, mais un rapport second. Par ce retournement vous prenez conscience de vous-même comme objet de connaissance, la conscience s’est prise elle-même comme objet de sa propre connaissance. Ayant pris conscience de ce dédoublement, ayant appris une nouvelle manière de vous envisager, un instinct second va venir et quand il va se produire quelque chose, c’est toujours vous-même, c’est un rapport, un instant de vous.

Ne mêlons pas le karma à la sophrologie, elle ne paiera pas les notes pour vous, mais si vous avez une note un peu trop salée… J’ai vu en Orient deux conducteurs de transports qui se télescopaient. Ils ne se sont pas attrapés comme des cochers de fiacres : « Ah ! tout n’est qu’impermanence ! » disaient-ils.

Ce sont des questions très complexes. A bâtons rompus nous avons évoqué quelques thèmes. Cela éveille au fond de soi et peut inciter à des recherches personnelles.