Robert Linssen
Splendeurs du Kégon Zen

Les enseignements de la secte japonaise du Kégon Zen sont très peu connus. Ils sont le prolongement de l’école chinoise bouddhiste intitulée : « Hua yen tsung ». Sa doctrine initiale était basée sur l’un des principaux Sûtras du bouddhisme Mahayana indien : l’Avatamsaka Sûtra. L’étude des commentaires chinois de l’Avatamsaka Sûtra nous révèle les profondeurs d’une recherche spirituelle exceptionnelle. La traduction chinoise de l’Avatamsaka Sûtra s’intitule: « Hua yen ching ». Il s’agit d’une œuvre très vaste divisée en de nombreuses sections. L’une d’elle, intitulée « Sûtra des dix étapes » (en sanscrit Dasabhumika Sûtra) avait attiré l’attention des érudits chinois. Les commentaires du Dasabhumika Sûtra par les grands maîtres indiens Nâgarjuna et Vasubhandu avaient partiellement été traduits en chinois entre le VIe et le VIIe siècles. Les commentateurs et les adeptes de ces traductions avaient formé une secte connue sous le nom de Ti lun. Cette secte constitue l’origine principale de l’École chinoise de Hua yen dont le Kégon Zen est le prolongement japonais.

(Revue Être Libre, Numéro 238, Janvier-Mars 1969)

Les enseignements de la secte japonaise du Kégon Zen sont très peu connus. Ils sont le prolongement de l’école chinoise bouddhiste intitulée : « Hua yen tsung ». Sa doctrine initiale était basée sur l’un des principaux Sûtras du bouddhisme Mahayana indien : l’Avatamsaka Sûtra. L’étude des commentaires chinois de l’Avatamsaka Sûtra nous révèle les profondeurs d’une recherche spirituelle exceptionnelle. La traduction chinoise de l’Avatamsaka Sûtra s’intitule: « Hua yen ching ». Il s’agit d’une œuvre très vaste divisée en de nombreuses sections. L’une d’elle, intitulée « Sûtra des dix étapes » (en sanscrit Dasabhumika Sûtra) avait attiré l’attention des érudits chinois. Les commentaires du Dasabhumika Sûtra par les grands maîtres indiens Nâgarjuna et Vasubhandu avaient partiellement été traduits en chinois entre le VIe et le VIIe siècles. Les commentateurs et les adeptes de ces traductions avaient formé une secte connue sous le nom de Ti lun. Cette secte constitue l’origine principale de l’École chinoise de Hua yen dont le Kégon Zen est le prolongement japonais.

Le Sûtra indien qui avait été à l’origine première du Kégon Zen, c’est-à-dire l’Avatamsaka Sûtra n’a été traduit dans sa totalité que plus tard, vers le VIIe siècle. Le maître chinois Tu shun (557-640) fonda une école basée sur la totalité des doctrines développées dans ce Sûtra. Finalement, les adeptes les plus réputés de la secte précédente l’École de Ti lun — se sont joints autour du maître Tu shun qui est considéré comme le premier patriarche de la secte Hua yen, originaire du Kégon.

L’École de Hua yen connut son apogée lors de son troisième patriarche, le maître Fa Tsang (643-712). Les commentaires du Hua yen ching par le maître Fa Tsang forment un ensemble d’une centaine de volumes empreints d’une grande élévation spirituelle.

Après la mort de Fa Tsang la succession des patriarches fut provisoirement suspendue. Son plus important disciple, Hui yuan ne fut jamais reconnu par la secte, ses enseignements ne correspondant pas à ceux du maître. La succession patriarcale ne fut rétablie que deux ou trois générations plus tard, par le maître chinois Ch’eng kuan (737-838) très connu au Japon sous le nom de Shôryo Daishi.

Le maître Ch’eng kuan a été nommé quatrième patriarche de la succession de Hua yen parce qu’il a réfuté les hérésies de Hui Yuan et rétabli les doctrines dans leur pureté première. Le cinquième patriarche de la secte fut le maître Kuei feng (780-841). Kuei feng était un grand érudit, adepte de l’école de Confucius. Il étudia les doctrines du Hua yen avec le maître Ch’eng kuan. A la mort de celui-ci il fut désigné cinquième patriarche.

Les enseignements de l’École Hua yen (Kégon Zen) furent introduits au Japon en 736 par le maître Tao hsüan (en japonais Dôsen) (702-760). Tao hsüan avait une connaissance parfaite du bouddhisme Ch’an et des enseignements de l’École Hua yen. Il eut pour successeur un moine originaire de Corée : Shêng hsiang (en japonais Shinshô).

Ce dernier eut enfin pour disciple le moine japonais Rôben 689-773) qui eut un rôle important dans le développement du Kégon au Japon. Il enseigna la doctrine à l’empereur Shoma (régnant de 724 à 749) et fut l’un des fondateurs du Todai-jinle, grand temple Kégon situé à Nara.

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Parmi les principes les plus profonds du Kégon Zen signalons l’idée fondamentale de l’interpénétration mutuelle de tous les plans, de toutes les parties de l’Univers. L’Univers n’est une réalité que dans sa totalité. Ses parties sont complètement liées entre elles par une interdépendance profonde. En un certain sens « tout est dans tout ».

Le climat de l’École du Kégon Zen peut être illustré par de simples titres de chapitres nous montrant la profondeur de ses préoccupations. Dans son traité sur le Kégon, le maître Ch’eng kuan avait divisé la doctrine de l’Avatamsaka Sûtra en quatre points :

1°) Le domaine des phénomènes, nous décrivant le monde des apparences extérieures et des formes telles que les perçoivent nos sens. L’ouvrage insiste sur le caractère fragmentaire de cette perception.

2°) Le domaine du noumène. Au delà des apparences extérieures et des formes que nos sens aperçoivent dans l’Univers manifesté il existe un monde invisible mais profondément réel : le noumène ou univers non manifesté. C’est le domaine de la pure essence au delà des zones ultimes de la matière, au delà même de la pensée et de la pure lumière des grandes profondeurs.

3°) Le domaine de l’interpénétration mutuelle du noumène et des phénomènes. En fait, pour l’Éveillé, il n’existe pas de distinction ni de séparation entre le noumène et les phénomènes. Le Réel, ou cette Vérité que nul ne peut nommer ni penser, est une parfaite Unité. Cette Unité englobe et domine le noumène et les phénomènes, c’est-à-dire les mondes non manifestés et l’univers manifesté. Néanmoins, comme il s’agit d’une Unité, tout se tient. Le noumène ou univers non manifesté agit sur les phénomènes ou univers manifesté. Non seulement le noumène agit sur les phénomènes mais il en constitue l’essence même, le soutien, la base primordiale. Ensuite, la présence du noumène ou univers non manifesté au cœur des phénomènes ou univers manifesté se traduit par des effets visibles dont la vie, l’évolution des espèces, la conquête d’un système nerveux et d’une complexité d’architecture cellulaire de plus en plus souple sont des manifestations. Une pierre contient comme l’homme éveillé les aspects du noumène en profondeur et des aspects du monde extérieur « en surface » comme tous les phénomènes. Mais une différence existe (pour l’observateur situé dans le monde des phénomènes) : la pierre ne peut exprimer la plasticité ni la recréation du monde nouménal, tandis que l’homme peut, grâce à sa souplesse, à sa disponibilité psychique et spirituelle, être réceptif aux mystères et aux richesses inexprimables du noumène.

4°) Le domaine de l’interpénétration mutuelle des phénomènes entre eux. Nous avons montré maintes fois dans nos ouvrages à quel point la notion d’objet ou d’entité isolés est fausse.

Tout se tient, rien n’est séparé. L’Univers n’est une réalité que dans sa totalité. Il existe une présence potentielle de l’aspect ondulatoire de chaque atome de la substance de ce papier, s’étendant jusqu’aux ultimes confins de l’Univers en expansion. Et réciproquement, quelque chose de chacun des atomes situés à des millions d’années lumière se trouve dans chaque atome de ce papier. Des milliards de filaments invisibles relient le moindre caillou bordant le chemin à la totalité de l’Univers et réciproquement. Tout est dans tout. Une véritable interfusion ou interpénétration existe à l’échelle cosmique entre tous les éléments constitutifs de l’Univers manifesté qui doit être considéré comme un seul et même vivant.

Les notions de matière, de temps, d’espace, de vides interstellaires doivent être entièrement révisées. Matière, temps, espace sont des facettes d’une seule et même réalité échappant à nos possibilités de représentation mentale. Mais n’en déduisons pas pour autant qu’elle soit inaccessible à l’expérience. Au contraire, son accès expérimental par la conscience constitue l’un des éléments essentiels de l’expérience Ch’an ou Zen.

L’unité entre le noumène et les phénomènes a été évoquée par le grand maître chinois Fa Tsang : « Du fait que les êtres sensibles se font des illusions, ils pensent qu’ils devraient abandonner ce qu’il leur semble illusoire et trouver ce qui est « véritable »… Mais dès que l’illumination est acquise, l’illusoire devient lui-même le « véritable » (parce que le monde des phénomènes et celui du noumène sont une seule et même réalité).

Robert LINSSEN.