Alfred Hermann
Stonehenge et ses énigmes

Il s’agit, surtout, de faire le point de tout ce que l’on sait au sujet de Stonehenge, ou plutôt des Stonehenge qui se sont succédé, comme on le verra plus loin, et de répondre de la manière la plus logique, la plus probable et la plus simple, aux grandes questions qui se posent en analysant les vestiges du monument, questions relatives surtout à son origine, ses constructeurs, ses utilisations, ses destinations, ses significations, ses durées, et de tracer une ligne de démarcation, franche et sincère entre tout ce qui est certain, objectif, et tout ce qui est le résultat de déductions, de synthèses, de computations, d’inférences d’un caractère vraisemblable, logique mais incertain, et peut-être quelque peu subjectif…

STONEHENGE ET SES ENIGMES I

(Revue Le Lotus Bleu. No 6. Aout-Septembre 1970)

L’exposé qui va suivre ne doit pas être considéré comme étant une étude savante, élaborée par un archéologue, mais comme les commentaires d’un homme de science aux travaux effectués par des archéologues éminents et spécialisés, ayant pour objet les ruines d’un monument préhistorique, unique au monde, grâce à son état de bonne conservation relative et certainement fortuite, la richesse des informations qu’il est en état, de ce fait, de nous fournir.

Ces commentaires, et l’analyse des problèmes qu’ils posent, sont basés, en ordre principal, sur une documentation consacrée à divers sujets en liaison, non seulement avec Stonehenge, mais avec la préhistoire tout entière qui l’encadre émanant des opinions de spécialistes en la matière ayant adopté des points de vue souvent très différents et attachés à des disciplines variées et parfois divergentes.

Il s’agit, surtout, de faire le point de tout ce que l’on sait au sujet de Stonehenge, ou plutôt des Stonehenge qui se sont succédé, comme on le verra plus loin, et de répondre de la manière la plus logique, la plus probable et la plus simple, aux grandes questions qui se posent en analysant les vestiges du monument, questions relatives surtout à son origine, ses constructeurs, ses utilisations, ses destinations, ses significations, ses durées, et de tracer une ligne de démarcation, franche et sincère entre tout ce qui est certain, objectif, et tout ce qui est le résultat de déductions, de synthèses, de computations, d’inférences d’un caractère vraisemblable, logique mais incertain, et peut-être quelque peu subjectif.

Et tout d’abord, qu’est-ce donc Stonehenge ? Stonehenge même est un ensemble de pierres de toutes dimensions et de trous, répartis à l’intérieur d’un fossé circulaire d’un peu plus de 100 mètres de diamètre, bordé de talus, l’un intérieur, l’autre extérieur. Certaines de ces pierres sont restées dans leur position originelle, d’autres sont tombées. Beaucoup d’entre elles ont été déplacées, replacées, malmenées, brisées au cours de reconstructions successives et de séjours en plein air pendant les siècles où Stonehenge ne fut plus qu’une ruine abandonnée. Toutes ont été fortement rongées, corrodées par les intempéries ou abîmées par des visiteurs peu scrupuleux.

Cependant, Stonehenge ne doit pas être étudié isolément, mais ensemble avec un grand nombre de constructions, dispositifs de stèles, vestiges d’enceintes, tumulus, tombeaux, etc., répartis sur une aire de quelque 800 kms carrés qui fut, depuis une époque qui remonte à quelque 2200 ans avant l’ère chrétienne, et peut-être davantage, un lieu saint comme le furent le plateau de Marcahuasi au Pérou [1], il y a quelque 12000 années, la région des Pyramides et des temples égyptiens, celle des temples de Ninive, les lieux sacrés de la Grèce antique et beaucoup d’autres encore. Certains périmètres sacrés sont localisés là où se déroulèrent des événements religieux comme ce fut le cas pour Jérusalem, Rome, La Mecque, Lourdes ; d’autres paraissent avoir été choisis en fonction d’éléments plus matériels tels que des conditions géographiques, telluriques, climatériques, astronomiques, les signes du Zodiaque [2], d’autres encore pour des motifs inconnus.

Le périmètre sacré auquel appartient Stonehenge a été choisi par les peuplades primitives et encore peu civilisées, dans des temps très reculés (vers 2200 ans av. J.C.) pour des raisons de nature géographique (terrains dénudés et accessibles par voie terrestre et fluviale, grâce à l’absence de maquis et forêts, de roches calcaires affleurant le terrain ; aussi le voisinage d’un petit fleuve paisible : l’Avon ; également pour des raisons inconnues de nature culturelle et magique.

Les principaux vestiges de constructions, tumulus, tombeaux et monuments, énumérés selon un ordre chronologique, établi avec beaucoup de compétence par l’archéologue anglais R.J.C. Atkinson [3] sont les suivants :

Windmill Hill (la colline du Moulin) était un tertre en pierres calcaires, en forme de dôme, entouré de fossés circulaires, dont il ne reste que peu de traces et situé à environ 33 kms au nord de Stonehenge. Ce complexe a donné son nom à la première peuplade, semi-sédentaire, d’agriculteurs et d’éleveurs qui a résidé dans le sud-ouest de l’Angleterre vers 2400 à 2200 ans avant l’ère chrétienne. C’est le vestige le plus ancien du « périmètre sacré ». Windmill Hill semble avoir constitué, en ordre principal, un grand point de rassemblement des populations avoisinantes : il contenait aussi des abris pour le bétail.

Long Barrows (les tumulus oblongs) composés de deux tertres séparés par un fossé. Ils sont nombreux dans tout le périmètre et furent des tombes collectives du temps des premières peuplades semi-sédentaires du Windmill Hill (depuis environ 2200 ans av. J.C.).

Le West Kennet Long Barrow (tumulus oblong de West kennet) dont le tertre est très grand et allongé (environ 115 m de long), situé à environ 3 kms au sud-est de Avebury. Construit vers 2200 av. J.C. par les hommes de Windmill Hill et encore utilisé par des peuplades qui leur succédèrent, il fut un grand tombeau collectif. Le West Kennet Long Barrow caractérise le début d’une époque où l’on construisit des tombeaux collectifs puis individuels, faits de pierrailles entassées et contenant souvent des chambres protégées.

Le Stonehenge « Cursus » (vers 1800 av. J.C.) se trouve à environ 800 m au nord de Stonehenge et fut une sorte d’esplanade rectangulaire d’une longueur de près de 3 kms et d’une largeur de 100 m, bordée de fossés, qui constituait vraisemblablement une enceinte réservée à des cérémonies culturelles.

Woodhenge, à environ 3 kms au nord-est de Stonehenge, fut sans doute un « dispositif » magique et culturel (v. plus loin), entouré d’un fossé également circulaire, caractérisé par sa construction en bois et son enceinte circulaire faite de bois et couverte de chaume. Aussi, à cause de l’utilisation de ces matériaux fragiles, n’en a-t-on retrouvé que peu de vestiges.

Le premier « Sanctuaire », à environ 3 1/2 kms au sud-est de Averbury, « dispositif » circulaire d’environ 8 m de diamètre, à l’intérieur duquel furent creusés des trous dans lesquels on planta des poteaux de bois. Environ 200 ans plus tard (vers 1600 av. J.C.), le premier sanctuaire fut reconstruit et remplacé successivement par le sanctuaire 2 (diamètre d’environ 12 m) en bois et couvert, le sanctuaire 3 entourant plusieurs cercles de trous et de poteaux en bois, couvert également et enfin le sanctuaire 4 dont le cercle extérieur de pierres verticales avait un diamètre de plus de 40 m.

Stonehenge I, que nous décrivons plus loin.

Averbury. Averbury, à environ 30 kms au nord de Stonehenge, fut un vaste dispositif de dimensions plus élevées que Stonehenge (diamètre env. 430 m) composé d’un talus et d’un fossé circulaires, d’un grand cercle de blocs de pierres verticales (diamètre env. 325 m) et de deux cercles intérieurs, plus petits, de pierres également verticales, d’un diamètre d’environ 100 m. Le petit cercle-sud contient, à son tour, une sorte de secteur en pierres plantées debout.

Averbury semble avoir joué un rôle aussi important que Stonehenge. Toutefois, le plus grand nombre de pierres, l’absence d’assemblages en blocs géants (« sarsens ») et la grande étendue du complexe font qu’il n’en subsiste, actuellement, que peu de vestiges. Un très grand nombre de pierres ont été enlevées, fendues et utilisées pour des besoins domestiques. Averbury nous apporte, par conséquent, moins d’informations que Stonehenge et celles qu’il fournit coïncident en grande partie avec celles déduites de l’étude de Stonehenge. C’est pourquoi, dans le courant de notre exposé, nous ne nous occuperons plus de ce complexe, pourtant prodigieusement intéressant.

Stonehenge II, fut une réfection de Stonehenge I par le peuple des « Beakers » (v. plus loin) effectuée vers 1650-1500 av. J.C.

Stonehenge III (successivement Stonehenge IIIa, IIIb, IIIc) furent des reconstructions de Stonehenge II complétées également par un grand nombre d’infrastructures nouvelles, exécutées par le peuple du Wessex aidé, selon toutes probabilités, par des éléments méditerranéens (Phéniciens, Crétois, v. plus loin). Date probable : depuis 1500 av. J.C.

Les Bell Barrows et les Disc Barrows, tumulus servant de tombeaux, construits vers 1400 av. J.C. par le peuple du Wessex.

Silburq Hill : Le plus grand tertre artificiel connu de l’Europe ; à l’extrême limite du « périmètre sacré », dans la région d’Averbury. Entouré d’un fossé immense et profond, d’un diamètre de plus de 200 m, ayant lui-même un diamètre d’environ 110 m à sa base et une hauteur d’environ 43 m, ce tertre de moellons de pierre calcaire et de terre, élevé à une époque postérieure aux Stonehenge III, probablement par le peuple du Wessex, constitue une énigme car les fouilles qu’on y a effectuées n’ont donné aucun résultat. Sa destination et sa signification sont restées des mystères.

En dehors des constructions précitées, le « périmètre sacré » contient les vestiges de plus de 400 tumulus circulaires plus petits, répartis sur toute la région (Averbury et Stonehenge) et dont un certain nombre peuvent être considérés comme étant des tombeaux. Les dates de leur élévation sont réparties sur plus d’un millénaire, à partir d’environ 2400 ans av. J.C.

QUELQUES OBSERVATIONS AU SUJET

DES EPOQUES PREHISTORIQUES,

DES PEUPLADES ET DE LEURS ACTIVITES

La préhistoire recule d’année en année. Tandis qu’il y a environ 30 ans, on évaluait ses débuts à quelque 4.000 années avant l’ère chrétienne, des traces de civilisation et même de villes dont l’existence remonte au dixième millénaire avant J.C. ont été découvertes et datées.

En voici quelques exemples :

Daniel Bernat fait remonter l’origine des premiers dessins et objets d’art à 40.000 années avant l’ère chrétienne [4].

La création des plus vieilles religions d’Europe est attribuée, par Aimé Michel, à des populations vivant à des époques dont la plus ancienne remonte à environ 9.000 années avant J.C. [5].

La période de plein épanouissement de la civilisation Masma, auteur des rochers sculptés qui se trouvent au sommet de la Cordillère des Andes, au Pérou, est estimée, par Daniel Ruzo, à quelque 10.000 années avant l’ère chrétienne [6].

La plus vieille ville du monde (connue) est, à l’heure présente, Catal Hüyük en Anatolie et date de quelque 9.000-7.000 années avant notre ère [7].

Jérico était déjà une cité organisée, il y a 10.000 années.

En grandes lignes et d’une manière très sommaire, on peut résumer l’évolution des activités des peuples de la préhistoire dans le tableau suivant dont les dates ne sont, évidemment, que des approximations affectées de marges appréciables et sujettes à des corrections qui pourraient être importantes :

Années

avant J.C.

Naissance de l’agriculture…………………………………………………….                 vers 9000

Premières religions organisées…………………………………………….                 9000-6000

Construction des premières villes………………………………………..                        8500

Début de la production et de l’utilisation des métaux …………                       4000

Invention et utilisation des véhicules à roues

(Europe, Afrique, Asie)………………………………………………………..                        3000

Construction des premiers monuments importants:

temples, palais……………………………………………………………………                         2000

Toutes ces dates placent l’origine de Stonehenge I vers 1800 ans av. J.C., date approximative établie à l’aide du carbone 14, dans la dernière période de la préhistoire. Si, à cette époque, les traversées de pays, par les voies terrestres, étaient malaisées dans la partie septentrionale de l’Europe et en Angleterre à cause de l’absence de routes et même de pistes et la présence de forêts et de maquis impénétrables, par contre les voies maritimes et fluviales étaient déjà sillonnées de navires ; des contacts étaient établis entre différentes régions et peut-être différents continents ; à des dates qui, elles aussi, reculent d’année en année.

Pour citer un exemple, des représentations de visages, de coiffures, de silhouettes, d’animaux n’existant, à l’époque, qu’en Europe, en Afrique et en Asie, figurent sur les rochers sculptés du plateau de Marcahuasi en Amérique du Sud, âgées de quelque 11.000 ou 12.000 années.

Des influences sémitiques, crétoises, phéniciennes, ont été observées dans la structure et les sculptures de certains monuments de l’Amérique Centrale et du Mexique [8].

Si les faits précités ne constituent que des présomptions et non pas des preuves, d’autres sont tout à fait convaincants :

— Un véritable commerce, notamment d’obsidienne (sorte de roche vitrifiée noire pouvant servir à la confection d’objets ménagers et d’armes), utilisant la plupart des voies terrestres, fluviales et maritimes, s’était établi, déjà aux temps de la préhistoire, entre les peuples méditerranéens, l’Europe Centrale, le Proche-Orient et les Indes et s’est probablement étendu vers l’Occident [9]. De même : « Les insulaires de Malte étaient déjà des marins et des navigateurs expérimentés dans les premiers temps de l’époque néolithique » [10] donc avant même la construction de Stonehenge I.

D’autre part, Serge Hutin écrit : « Il y a eu certainement, dans la préhistoire et au début de l’antiquité des liens entre la Corse, d’une part, la Bretagne, l’Ecosse, le Pays de Galles, de l’autre ».

(à suivre)

A. HERMANN

(École d’Eté de Bruxelles)

STONEHENGE ET SES ÉNIGMES – II

(Revue Le Lotus Bleu. No 7. Octobre 1970)

Des preuves nombreuses d’une navigation permanente, pratiquée en toutes directions, dès la deuxième moitié du troisième millénaire avant l’ère chrétienne, par les peuplades méditerranéennes, nordiques et de l’Europe septentrionale, existent aujourd’hui. Au cours de la deuxième moitié du deuxième millénaire avant J.C., les Phéniciens et les Crétois, entre autres, possédaient des flottes commerciales bien équipées qui pratiquaient le commerce des métaux avec l’Afrique (même du Sud), la péninsule Ibérique, l’Angleterre, l’Irlande et peut-être même avec les Amériques.

Ces exploits maritimes n’ont rien d’étonnant puisqu’à notre époque même, d’audacieux sportifs réussissent parfois à traverser l’Atlantique sur des coquilles de noix.

Par ailleurs l’usage des métaux a pris naissance, de par le monde, depuis environ 4000 ans avant J.C.

Dans ce domaine, le sud-ouest de l’Angleterre, le Pays de Galles et l’Irlande ont joué un rôle prépondérant à cause de leurs richesses minières. Citons, par exemple, des renseignements cueillis dans une petite brochure consacrée aux mines de Cornouailles, zone pas très éloignée de la région de Stonehenge [11] : « Il y a peu d’endroits de la terre où l’on peut découvrir groupées les unes près des autres, de telles variétés de mines produisant des métaux utiles, comme dans ce pays (les Cornouailles) : l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, le plomb, le zinc et le fer ainsi que d’autres de moindre importance ».

« Très longtemps avant l’invasion des Romains, nos îles étaient réputées pour leurs richesses minérales. La tradition nous affirme que les Phéniciens avaient organisé un commerce avec l’Angleterre, pour son étain… »

Et plus loin, Mr Paynter, l’auteur de cette brochure, rappelle « que les Phéniciens appelaient nos îles les « Cassitérites » ce qui, dans leur langage signifiait les « îles de l’Étain ». Ce nom est resté jusqu’à nos jours celui des minerais d’où l’on extrait l’étain.

Dans cette brochure également, Mr Paynter signale que près du Mont Saint-Michel (anglais) on a découvert, tout récemment, les restes d’un outillage complet en bronze, destiné à fondre l’étain et datant d’époques préhistoriques. D’autres vestiges de production d’étain, très anciens, ont été trouvés dans divers endroits des Cornouailles.

Les richesses minières des Cornouailles, du Pays de Galles et de l’Irlande ont, sans aucun doute, attiré les navigateurs méditerranéens, nord-européens et scandinaves, depuis des temps très anciens de la préhistoire. Toutefois, la région des Cornouailles semble avoir été, pendant longtemps, une zone préférentielle intéressant tout particulièrement les Méditerranéens qui paraissent avoir placé l’étain, l’un des composants du bronze, au premier plan de leurs besoins en métaux.

LES POPULATIONS ABORIGENES

DE L’ANGLETERRE MÉRIDIONALE,

DU TEMPS DE LA PREHISTOIRE

Dans sa brochure consacrée à Stonehenge, Averbury, etc., Atkinson a dressé un tableau, fort bien établi et très clair, de la succession et des activités des peuplades préhistoriques du sud-ouest de l’Angleterre.

Toutefois, selon certaines sources, la production et l’utilisation du bronze, en Angleterre, aurait débuté déjà vers 1800 av. J.C. qui est précisément la date évaluée comme étant celle de la construction de Stonehenge I.

L’âge du bronze est, évidemment, toujours fonction de la situation géographique des peuplades intéressées.

Le tableau d’Atkinson appelle quelques commentaires :

— Avant -2400 [12] : tribus nomades disparates et fort primitives vivant de la chasse et de la consommation de plantes sauvages. La seule activité « humaine » qu’on peut leur attribuer est la magie. Celle-ci a certainement exercé une influence sur les croyances et les cultes postérieurs.

A partir de -2400, le sud-ouest de l’Angleterre fut colonisé, une première fois, par des hommes venant — toujours d’après Atkinson — du continent nord-européen : France, Hollande, Allemagne, dont l’état de civilisation était relativement avancé pour l’époque puisqu’ils connaissaient la navigation ainsi que l’agriculture et l’élevage qu’ils enseignèrent à la population indigène. A cet exposé d’Atkinson, nous sommes enclins d’ajouter qu’il est possible — et même probable — que les colonisateurs précités n’étaient pas seulement nord-européens mais aussi méditerranéens. L’archéologie vient de prouver qu’à cette époque, très reculée, l’ile de Crète était reliée à la Grèce et l’Asie Mineure par un continent, englouti ensuite par l’effet d’une explosion volcanique souterraine apocalyptique et que ce continent était le foyer d’une civilisation fort avancée dont le rayonnement a pu s’étendre, par la voie maritime, jusqu’à l’Angleterre.

Une partie des aborigènes du sud-ouest de l’Angleterre, devenus des agriculteurs et des éleveurs, a constitué une peuplade nouvelle en s’alliant aux colonisateurs étrangers. Pourtant, cette civilisation n’a laissé que peu de traces car elle vivait en plein air ou dans des abris fort primitifs. Toutefois, c’est cette peuplade qui a bâti le complexe, déjà très important de Windmill Hill dont elle a reçu le nom.

Vers -2000, d’autres colons, venus de France — et probablement aussi des pays méditerranéens — ont pris pied une seconde fois dans le sud-ouest de l’Angleterre et se sont fixés, en colonies importantes, des deux côtés du Canal de Bristol. En plus de l’agriculture et de l’élevage, ils ont introduit, dans ces pays, la coutume d’enterrer les morts dans des tumulus en pierre. Absorbés par le peuple de Windmill Hill, ils ont laissé des traces qui ont résisté davantage à l’usure du temps que celles de leurs prédécesseurs, entre autres le West Rennet Long Barrow.

Ce peuple, encore souvent nomade, constitué, par la fusion des peuplades de Windmill Hill et d’étrangers venus de l’autre côté de la Manche et des pays méditerranéens, était très adroit dans l’exécution d’ouvrages en bois. On lui attribue, entre autres, la construction du grand « dispositif » couvert et circulaire de Woodhenge, du premier « Sanctuaire » et surtout de la première configuration du « dispositif » Stonehenge I, dont les infrastructures en bois, qui n’ont laissé aucune trace, étaient sans doute fort complexes et ingénieuses.

Ce peuple vécut en paix jusque vers  -1700, à côté d’un grand nombre d’aborigènes restés sauvages et réfugiés dans les forêts. Ces derniers furent sans doute cernés et capturés par les populations moins paisibles, plus actives et plus conquérantes qui succédèrent à celle des Windmill Hill et qui fusionnèrent avec des étrangers.

Vers -1700, un peuple de navigateurs énergiques, guerriers et brutaux envahit le sud-ouest de l’Angleterre et soumit aisément ses habitants pacifiques et sans défense. C’était le peuple des « Beakers » (le peuple des « gobelets » ou « coupes »), ainsi appelé parce qu’il enterrait ses morts ensemble avec certains objets familiers leur ayant appartenu, dont des gobelets en terre cuite. Les « Beakers », d’après Atkinson, étaient originaires de la Hollande et de la Rhénanie et avaient subi des influences venant de civilisations continentales du sud et de l’est (indo-européenne). Malgré leur caractère agressif et brutal, ce n’étaient pas des sauvages et ils possédaient les qualités, entre autres, de bons constructeurs de bateaux, de bons marins, de bons fabricants d’armes et de bons commerçants.

Les Beakers dominèrent les populations indigènes pendant au moins un siècle et demi. Leur invasion, d’ailleurs, ne fut pas unique mais multiple. Ce n’est pourtant que vers -1500 que la fusion totale entre les Beakers, minoritaires et les populations aborigènes, largement majoritaires, fut achevée, pourtant elle ne fut que très progressive ; elle donna naissance à un peuple plus cohérent désigné sous le nom de « Wessex people ».

Commerçant avec le Pays de Galles et l’Irlande, les Beakers ont été inspirés par les croyances et les cultes de ces régions. Ils ont, entre autres, transformé Stonehenge I en Stonehenge II en y éliminant beaucoup de dispositifs de caractère astronomique et astrologique, en y creusant les deux cercles de trous, et en y plantant — du moins partiellement — des « pierres bleues » (v. plus loin), en provenance d’une carrière « sacrée » des Prescelly Mountains, au Pays de Galles. Par ailleurs, cette peuplade, active et énergique, a érigé le grand « dispositif » de Averbury et reconstruit, à plusieurs reprises, le « Sanctuaire ».

Petit à petit, une transformation sociale et politique semble s’être élaborée au sein du peuple de prédominance Beaker. Elle était due à la fois à une prospérité croissante qui résultait d’un commerce toujours en extension et d’un contact intensifié avec les civilisations méditerranéennes, elles-mêmes en progression politique et commerciale continue.

Malgré qu’il n’y eut pas de point de démarcation bien défini constituant un repère pour marquer cette évolution, néanmoins on est convenu de désigner la nouvelle formation culturelle des peuples du sud-ouest de l’Angleterre sous le nom, déjà cité, de « Wessex People » et d’en fixer le début vers -1500.

Les Wessex caractérisèrent une transformation radicale de l’état politique, religieux et culturel des anciennes peuplades d’influence Beaker. Une sorte d’oligarchie prit le pouvoir; formée par des représentants des guerriers, du clergé, des riches commerçants et de tous ceux qui, du temps des Beakers étaient arrivés à une situation plus en vue. Les regards, tournés auparavant vers l’est : le Pays de Galles, l’Irlande, se retournèrent résolument vers le sud où l’époque de la plus grande puissance, la plus grande prospérité, la plus grande richesse des peuples méditerranéens : Crétois, Phéniciens, Mycéniens, avait débuté. A leur tour, les Wessex connurent une ère de grande efflorescence. Voulant faire montre de leur puissance et de leur richesse, atteints de mégalomanie, ils furent les auteurs des trois Stonehenge III où la mise en place des immenses blocs de pierre sarsen coûta des fortunes et certainement de nombreuses vies humaines. Les « Bell » et « Disc » Barrows, l’immense tertre de Silbury Hill sont également l’ouvre des Wessex.

On ignore combien de temps rayonna la culture Wessex ni quelles populations prirent sa succession. Vers -400 ou -300, le pays fut dominé par des Celtes et au cours du premier siècle de l’ère chrétienne, il fut conquis par les Romains qui édifièrent le grand camp retranché du « Sarrum », aux portes de l’actuelle ville de Salisbury et à une douzaine de kilomètres au sud de Stonehenge.

Les deux facteurs qui inspirèrent les bâtisseurs de Stonehenge.

En dehors de l’éternelle aspiration des hommes à vouloir dépasser leur temps et de se trouver en avance sur leur époque, les deux facteurs qui inspirèrent ceux qui édifièrent Stonehenge I furent :

— d’une part, la magie cultuelle ;

— d’autre part, l’astronomie-astrologie.

La magie cultuelle.

Celle-ci fut dérivée, sans aucun doute, de très anciennes croyances et pratiques magiques des aborigènes nomades qui habitèrent le pays avant l’année -2400. Ce fut, en quelque sorte, l’élément indigène et probablement primordial qui préoccupa les bâtisseurs de Stonehenge I. La magie ne fut pas toujours — surtout chez les peuples de l’Europe septentrionale — ce que l’on en croit généralement : un ensemble de pratiques spectaculaires et burlesques, invoquant des déités ou des esprits imaginaires afin d’obtenir la réalisation de certaines manifestations naturelles ou surnaturelles, mais constituait une véritable science initiatique capable d’obtenir l’intervention de forces psychiques, supérieures à l’homme, dont l’existence est aujourd’hui admise par la science officielle. Les moyens de mettre ces forces en action faisaient l’objet de secrets hermétiques, transmis oralement de génération à génération et les hommes de ces époques — ou plus exactement leurs subconscients — étaient davantage capables d’agir sur ces forces que ceux de nos contemporains dont les facultés psychiques ont été érodées par les effets de notre civilisation matérielle.

La « métapsychique », héritière de la magie d’antan, constitue actuellement l’objet d’études sérieuses et a suscité la création de chaires universitaires, par exemple à Oxford et à la Duke University (Dr et Mme Rhine). Des organismes scientifiques et militaires étudient la télépathie et la prémonition afin d’en retirer un avantage matériel.

Parmi les éléments magiques et paranormaux du passé, dont certains sont parvenus jusqu’à notre époque, il faut citer les « dispositifs » et les « représentations » dont l’envoûtement est un cas particulier. Certaines figures et configurations géométriques, certaines formules constituées par des lettres, des nombres, des mots, certains symboles possèdent des propriétés métapsychiques, occultes et souvent surnaturelles qui, utilisées à bon escient, sont en état d’influencer des individus ou des sociétés, de guérir des maladies, d’influencer des événements individuels ou collectifs, d’éviter ou de provoquer des accidents, des catastrophes, des conflits.

Nos ancêtres lointains connaissaient ces pratiques — efficientes ou apocryphes — beaucoup mieux que nous-mêmes et étaient capables d’imaginer des applications et des usages étonnants de celles d’entre elles — et elles étaient nombreuses — qui n’étaient point des simulations.

Les Pyramides égyptiennes et de l’Amérique Centrale, les temples, beaucoup de monuments préhistoriques et antiques abondaient en « dispositifs », figures et symboles magiques ; leurs constructions elles-mêmes, telles les Pyramides et, sans aucun doute, Stonehenge, constituaient, avant tout, des « dispositifs » magiques.

Tous ceux qui se trouvaient à l’intérieur de l’un de ces « dispositifs » et dans certaines positions, notamment à l’intérieur de « cercles magiques » tels que le fossé circulaire de Stonehenge, subissaient des influences, naturelles ou surnaturelles dont certains effets, encore reproductibles à l’heure présente [13], sont incontestables. Les pratiques cultuelles, occultes et magiques de l’époque n’avaient d’efficience que si elles étaient accomplies à l’intérieur du « dispositif » : monument, cercle, carré, combinaison d’objets ou de pierres, entourés d’un grand nombre d’inscriptions, de formules et de symboles de caractère sacré ou magique.

C’est sans aucun doute dans cet esprit que le peuple de la région du sud-ouest de l’Angleterre a édifié Stonehenge I.

***

Quant à l’astronomie-astrologie, originaire, sans aucun doute, des régions exposées à de grands cataclysmes telluriques, elle a très vraisemblablement inspiré, au même degré que la magie cultuelle, les bâtisseurs de la première configuration de Stonehenge, entrés en contact avec des voyageurs venant des régions méditerranéennes ou même des « missionnaires » envoyés par ces contrées.

La plupart des peuples de la préhistoire ont vécu dans l’angoisse des cataclysmes ; plus on recule dans la préhistoire et plus les bouleversements telluriques furent nombreux et catastrophiques. Nous n’avons que peu d’indications au sujet des séismes « mineurs », comparables à ceux que nous subissons à notre époque, qui se produisaient dans les temps les plus reculés : cyclones, tremblements de terre, éruptions volcaniques. Les spécialistes des observatoires nous ont cependant affirmé que ces cataclysmes devaient être beaucoup plus nombreux et violents que ceux des temps présents.

Nous n’avons connaissance, grâce à des vestiges géologiques et archéologiques, que de séismes titanesques, à côté desquels ceux de notre ère font figure de petits faits divers. Les petits séismes, évidemment, n’ont laissé aucune trace.

Il faut citer tout d’abord les grands mouvements orogéniques qui ont eu lieu au moment où les régions qui en furent les théâtres étaient probablement déjà habitées : le soulèvement de l’écorce terrestre qui fait que l’on trouve, dans les environs du lac Titicaca, à 3.800 m d’altitude, des vestiges de la faune et de la flore marine ; présence, dans les deux Amériques, de descendants de peuplades du type mongol dont les ancêtres ont, sans aucun doute, franchi le détroit de Behring sur une terre ferme ; traces de végétation tropicale et abondante, de grands lacs et de dessins rupestres exécutés par les habitants, dans le périmètre de l’actuel désert du Sahara ; disparition peut-être de l’hypothétique « Atlantide » mais certainement de zones ou d’îles de l’Atlantique, à l’ouest des côtes européennes et africaines.

Si les cataclysmes précédents remontent à des époques dont la date, même approximative, est impossible à déterminer, d’autres, plus récents, se sont produits à des époques qu’on a pu déterminer avec une certaine précision ; elles ont fait périr des dizaines de milliers d’êtres humains, voire des peuplades presque tout entières. Citons :

— Le « déluge » de la Bible : Entre les années -2350 et -1800, une grande civilisation, les « Harappiens » a été presque entièrement engloutie par un déluge apocalyptique provoqué par des pluies diluviennes entraînant des débordements de l’Indus et de ses affluents [14].

— Un véritable continent, reliant l’île de Crète à l’Asie Mineure et peut-être à la Grèce, fut englouti par une explosion sous-marine provoquée par des infiltrations d’eau dans la cheminée d’un volcan. La date de ce cataclysme n’a pas encore été déterminée avec précision, mais elle se situe certainement avant -1600. Cette catastrophe a probablement été précédée d’éruptions formidables du volcan en question et de tremblements de terre d’un degré très élevé.

— Des tremblements de terre de grande intensité ont, de tous les temps, ébranlé de nombreux pays tels que l’Asie Mineure, la Grèce, le sud de l’Italie, la Corse.

Vers l’époque de l’édification de Stonehenge I : -1800, l’appréhension de cataclysmes telluriques était certainement très grande chez les peuplades méditerranéennes. Elles les attribuaient souvent à la « colère des dieux » mais les prêtres et les initiés connaissaient déjà les corrélations qui existent souvent entre les cataclysmes et les mouvements des grands astres : le soleil et la lune. D’où le désir d’observer ces astres, ce qui fut accompli non seulement dans les pays menacés mais aussi un peu partout dans le monde préhistorique accessible.

Par ailleurs, l’influence du soleil et de la lune à la fois sur les manifestations météorologiques et telluriques, sur des réactions physiques et chimiques, sur le psychisme humain collectif et individuel, sur des événements qui intéressent les foules, les peuples ainsi que les familles et les individus, est reconnue aujourd’hui par la science officielle. Ces processus constituent l’objet d’études approfondies effectuées dans diverses villes et universités (Florence : Professeur Piccardi ; Bruxelles, Paris : M. et Mme Gauquelin) et de symposiums : Bruxelles 1958, Rutgers University (U.S.A.) en 1966 ; du 1er au 7 septembre 1968 s’est tenu, à l’Université Libre de Bruxelles, un autre symposium, consacré aux influences matérielles, somatiques et psychiques exercées par le soleil, auquel ont assisté de nombreux hommes de science, venus de toutes les parties du monde.

Les phénomènes précités se rapprochent de l’astrologie d’antan qui, hélas, avaient conquis, depuis le moyen-âge, une mauvaise réputation à cause des nombreux simulateurs et charlatans qui s’en étaient servis pour exploiter le monde.

L’astrologie, sous une forme nouvelle, se trouve sur le point d’être réhabilitée et l’astrologie, pratiquée du temps de Stonehenge I et basée sur les principes initiatiques, probablement fort justes et efficients, n’a certainement pas manqué d’exercer une grande influence sur les foules ignorantes, mais pacifiques, du peuple de Windmill Hill et sur celles qui les ont suivies au cours d’un grand nombre de siècles.

(à suivre)

A. HERRMANN

STONEHENGE ET SES ENIGMES III

(Revue Le Lotus Bleu. No 9. Novembre 1970)

STONEHENGE D’AUJOURD’HUI

Les ruines de Stonehenge, dans leur état présent, contiennent les vestiges et les débris d’un complexe monumental parfois démantelé puis reconstruit plusieurs fois, à des époques séparées par des siècles, et par des peuplades très hétérogènes ; ces vestiges et débris, délaissés, ayant subi, ensuite, l’attaque des longues périodes d’abandon, des intempéries et des intentions, souvent malveillantes, des curieux et des visiteurs.

Nous avons examiné ces ruines avec attention mais, n’étant pas archéologue et pouvant difficilement apprécier de nombreux éléments qui nous sont étrangers, nous préférons nous en référer à la description et l’énumération, très précises et documentées, effectuées par le savant archéologue Atkinson, dans la brochure officielle et dans son grand livre [15].

Stonehenge actuel contient les principaux éléments suivants :

— Un fossé d’un peu plus de cent mètres de diamètre, tracé avec une grande précision et bordé de deux petits talus circulaires, l’un extérieur, l’autre intérieur.

— La voie d’accès à l’aire circulaire (entrance Causeway) constituée par une allée, bordée de fossés, d’environ 10 m de largeur et un passage, également d’environ 10 m de largeur en travers du fossé et des talus, interrompus à cet endroit.

— Le cercle des 56 trous dits « d’Aubrey » d’après le nom de l’antiquaire John Aubrey (1627-1697) qui les découvrit, formant un cercle précis d’environ 83 m de diamètre. Ces trous n’ont jamais servi à recevoir des pierres mais doivent être considérés comme étant non seulement des éléments figuratifs du « dispositif » magique, mais encore comme des repères pour certaines observations astronomiques. De plus, ils devaient avoir un caractère sacré puisque, dans un certain nombre de ces trous, on a trouvé des ossements humains qui, sans doute, étaient ceux de hauts personnages du clergé ayant eu droit à ce tombeau privilégié.

— Le « Heel Stone », un grand bloc de « sarsen » (v. plus loin) placé au milieu du « causeway » d’entrée, en position oblique, dont on ne connaît pas la destination exacte ; l’hypothèse selon laquelle il aurait servi de plateforme pour des observations astronomiques au travers des dispositifs de pierres, ne semble pas se confirmer.

— Le « Slaughter Stone » ou « pierres des sacrifices », un grand bloc en « sarsen » couché à l’entrée, à main gauche (en entrant) tout contre la solution de continuité du fossé circulaire et dont la signification est aussi mystérieuse que celle du « Heel Stone ». La dénomination de « pierre des sacrifices » est totalement erronée car ce bloc n’a jamais servi de table pour y maintenir des victimes de sacrifices.

— Les « Station Stones », blocs de « Sarsen », placés à peu prés sur le cercle des trous d’Aubrey, en direction sud-est et nord-est.

— Les deux « Barrows », nord et sud, ouvrages constructifs circulaires de provenance et d’origine inconnues. Leur appellation : « Barrows » (tumulus) est impropre.

— Le cercle des 30 trous Y d’un diamètre d’environ 50 m, dont les distances ne sont pas toujours très régulières. Ces trous semblent avoir été creusés au cours de la période de Stonehenge IIIb par les Wessex (v. plus loin) ; ils étaient destinés, probablement, à recevoir des pierres bleues ce qui toutefois, pour un motif ignoré, n’a jamais été fait.

— Le cercle des 29 trous Z, d’un diamètre d’environ 38 m et dont l’un est manquant ; creusés dans les mêmes circonstances que les trous Y.

Les trous Y et Z ne doivent donc pas être considérés comme des éléments d’un « dispositif » magique mais celui-ci aurait été constitué par les pierres bleues qui devaient y être plantées.

— Le cercle des grosses pierres « sarsen ». Le « sarsen » est un grès naturel et compact, en provenance de carrières situées à environ 28 kms de Stonehenge.

A l’origine (depuis Stonehenge III, vers -1500), ces pierres formaient un cercle d’un diamètre d’environ 28 m et étaient couvertes de linteaux, également en blocs de « sarsen ». Il y avait 30 blocs verticaux dont 16 seulement sont restés debout. Les linteaux, admirablement taillés en arc de cercle, reposaient sur leurs piliers à l’aide de tenons et mortaises et étaient assujettis les uns aux autres par l’intermédiaire de saillies et d’encoches. Toutes les pierres : piliers et linteaux, avaient des surfaces dressées avec soin.

— Le fer à cheval en « trilithes » (ensemble de deux piliers et d’un linteau) de « sarsen ». Ils étaient 5 à l’origine mais 2 seulement sont restés debout et intacts. Les piliers sont des blocs énormes pesant jusqu’à 50 tonnes. La hauteur des trilithes, au-dessus du sol, variait entre 6,60 m et 8 m y compris le linteau. La plus grande longueur totale des piliers est de 9,60 m. Les blocs de trilithes portent presque tous des gravures représentant des haches, des poignards et d’autres figurations de nature inconnue.

— Les « pierres bleues » : ne sont pas de la même nature que les pierres bleues françaises ou belges, mais, comme nous l’avons déjà écrit, ce sont des pierres d’origine volcanique (dolérite), en provenance de carrières « sacrées » du Pays de Galles. Elles pèsent une moyenne de 5 tonnes. Ces pierres, apportées par les Beakers (Stonehenge II) devaient être plantées dans les trous Q et R et ne l’ont été que partiellement, pour des raisons inconnues. Enlevées ensuite par les reconstructeurs de Stonehenge IIIa (v. plus loin) et entreposées dans un endroit indéterminé, elles ont été reprises par les reconstructeurs de Stonehenge IIIb, placées dans un ordre qui n’a pas pu être établi avec certitude, puis disposées en cercle et fer à cheval au cours de l’aménagement de Stonehenge IIIc (v. plus loin).

Le cercle des pierres bleues de Stonehenge IIIc a un diamètre d’environ 25 m. Les distances entre les pierres sont irrégulières et leur nombre était évalué à 30, selon les uns, 40 selon les autres, cette dernière estimation paraissant la plus probable. Toutes les pierres sont dans leur état naturel et leurs surfaces n’ont pas été dressées, sauf deux pièces qui, pourvues de mortaises, étaient destinées à servir de linteaux.

Les pierres bleues du fer à cheval sont plus grandes que celles du cercle (en moyenne elles avaient une hauteur de 2 m au-dessus du sol) et leurs surfaces étaient dressées. Les espaces entre ces pierres démontrent qu’elles devaient être, à l’origine, au nombre de 19, placées à environ 1,80 m l’une de l’autre. Leur finissage révèle une technique plus avancée que celles des pierres de « sarsen » ce qui donne à penser qu’elles ont été plantées après les « sarsen ».

La première conception du fer à cheval en pierres bleues a certainement été sous forme de trilithes, comme les « sarsen » mais ensuite, pour une raison inconnue, elles ont été disposées en monolithes. Quoi qu’il en soit, ces pierres semblent avoir été déposées dans l’enceinte en même temps que celles du cercle, réparties d’une manière inconnue puis, plus tard, rangées d’au moins deux manières qui se sont succédé après de longs intervalles.

— La « Pierre de l’Autel » (Altar Stone). C’est la plus grande pierre de Stonehenge qui ne soit pas un « sarsen ». Longue de 4,90 m, large de 1,05 m, épaisse de 0,58 m, elle pèse environ 6 1/2 tonnes. Elle est de grès mais d’une espèce différente des « sarsen », caractérisée par la présence de paillettes de mica, scintillantes. On a localisé sa provenance dans le Pembroke shire (Pays de Galles), pas très loin des carrières de pierre bleue. Par conséquent, on peut en déduire qu’elle aurait été apportée à Stonehenge par les Beakers, du temps des transports des pierres bleues. La « Pierre de l’Autel » est couchée dans la terre de telle manière qu’une de ses faces affleure le sol à l’intérieur du fer à cheval en « sarsen ». Ce n’est toutefois pas sa position originelle au sujet de laquelle on n’est pas encore bien fixé. Elle est dressée sur toutes ses faces et seule de son espèce à Stonehenge. Sa destination primitive est inconnue et l’appellation de « Pierre de l’Autel » est évidemment erronée.

— Les trous Q et R, découverts récemment (1954) et qui étaient sans doute destinés à supporter des pierres bleues au cours de la période de Stonehenge II. C’est grâce à l’existence de ces trous qu’on a pu calculer que les pierres bleues, à l’origine, devaient être au nombre de 82.

Un certain nombre d’autres trous ont été trouvés ou repérés. Symboliques ou destinés à contenir des pierres. Rien de certain n’a pu être établi à ce sujet.

En dehors de l’entrée et de l’enceinte de Stonehenge, il y a lieu de dire encore un mot d’une vaste allée inclinée, appelée l’« Avenue », qui s’étend depuis les ruines jusqu’au fond d’une petite vallée. Elle a une largeur utile d’environ 13 m et est bordée, des deux côtés, d’un petit talus et d’un fossé. A partir du fond de la vallée, le tracé de l’Avenue est mal connu. On pense qu’elle se divisait en deux branches dont l’une se prolongeait jusqu’aux rives de l’Avon, mais ceci n’est pas certain.

Il paraît très probable que l’Avenue a été aménagée par les Beakers pour charrier leurs pierres bleues.

Signalons, enfin, que l’Avon a l’aspect d’une petite rivière paisible dont le courant est modéré et dont la profondeur moyenne est d’un mètre ; elle est comparable à la Seine entre Châtillon et Troyes, la Meuse en amont de Neufchâteau ou, en Belgique, la Semois.

LA SUCCESSION DES CONSTRUCTIONS

ET DES ETATS DE STONEHENGE

Pour ce qui concerne l’étude des éléments les plus fondamentaux de l’histoire de Stonehenge, nous pouvons accorder toute notre confiance aux travaux et aux conclusions des services archéologiques de la Grande-Bretagne et surtout aux études effectuées par R.J.C. Atkinson, professeur d’archéologie à l’University College de Cardiff.

Toutes les dates, établies à l’aide de déductions ainsi que de la méthode du carbone 14, sont dignes de confiance même si elles ne sont parfois qu’approximatives.

D’après Atkinson, il y a lieu de diviser l’histoire de Stonehenge en trois époques, en fonction de sa construction et sa reconstruction, sa destination, la population qui a effectué ces constructions et qui a utilisé ce sanctuaire.

La troisième époque elle-même doit être divisée en trois périodes au cours desquelles Stonehenge avait une destination commune mais où l’on a procédé à des modifications importantes des dispositions intérieures. Ces configurations successives sont les suivantes :

Stonehenge I : Construit vers l’an -1800 et dont l’existence se serait prolongée jusque vers les années -1650.

Le complexe initial comprenait le fossé circulaire avec ses deux talus, le « Heel Stone », deux trous contenant des piliers, à l’entrée, les trous du « Causeway » et ceux du voisinage du Heel Stone, ensuite et surtout, un grand nombre de constructions et de dispositifs en bois et matières périssables répartis à l’intérieur de l’enceinte, dont toute trace a disparu.

Stonehenge II, dont l’existence a duré de -1650 à -1500, comprenant 82 pierres bleues, partiellement plantées, en deux cercles, dans les trous Q et R ; l’« avenue », le fossé du « Heel Stone » et les deux trous axiaux dans le Causeway.

Stonehenge III (à partir de -1500) a été divisé en trois périodes :

Stonehenge IIIa (vers -1500) comprenait la « pierre du sacrifice », le cercle des blocs de « sarsen » avec leurs linteaux et le grand fer à cheval des énormes blocs de « sarsen », disposés en 5 trilithes individuels.

Afin de pouvoir ériger les grands blocs et trilithes de « sarsen », les pierres bleues avaient été enlevées et entreposées dans un endroit inconnu avant d’être réutilisées pour les versions IIIb et IIIc.

Stonehenge IIIb (-1500 à -1400) : les pierres bleues avaient été rapportées et posées à l’intérieur du cercle de « sarsen ». Les trous Y et Z avaient été creusés, probablement dans le but d’y planter des pierres bleues, intention abandonnée dans la suite pour une raison inconnue.

Stonehenge IIIc (à partir de l’an -1400) ne diffère de Stonehenge IIIb que par le fait que les pierres bleues ont été plantées : 1° en rond entre le cercle et le fer à cheval des « trilithes » en « sarsen » et 2° en fer à cheval à l’intérieur du fer à cheval en « sarsen ».

Les trois Stonehenge III restaient entourés par le fossé et les talus circulaires primitifs ainsi que par les trous d’Aubrey, intacts.

Les Stonehenge II et III, tout comme Stonehenge I, contenaient, en outre et selon toute vraisemblance, de nombreuses constructions intérieures, des abris et des dispositifs en bois et autres matériaux périssables dont il n’est resté aucun vestige. Pourtant ce sanctuaire n’a jamais été couvert, ne fût-ce qu’à l’intérieur du grand cercle des « sarsen ». Les manifestations, réunions et cérémonies cultuelles s’y déroulaient en plein air.

RECONSTITUTION DE L’HISTOIRE DE STONEHENGE

Nous ne nous sommes documentés, jusqu’ici, qu’en tablant sur des faits positifs, des données incontestables, des existences matérielles, des événements et des dates qui, même si elles ne sont qu’approximatives, ont été établies d’une manière très sérieuse par les archéologues les plus compétents.

Hélas, faute de vestiges, d’écriture ou de gravure, beaucoup d’éléments et des plus importants, ne peuvent pas être établis sur base de preuves matérielles mais seulement à l’aide de déductions, de synthèses, d’inférences et parfois même de simples hypothèses logiques. C’est le cas, entre autres, des deux questions suivantes : Qui a construit Stonehenge ? Quelle était la destination des configurations successives de ce sanctuaire ?

Les travaux et les écrits d’Atkinson offrent déjà des réponses très satisfaisantes à ces questions et il y a lieu de rendre un grand hommage à la science, l’application et la persévérance de cet archéologue éminent.

Le long préambule, la présentation d’arguments et de citations qui précèdent le présent chapitre, sont destinés à apporter quelques précisions, quelques approches de plus aux informations fournies par les ouvrages d’Atkinson qui forment déjà un bloc solide de faits incontestables qui, entre autres, réduisent à néant les nombreuses versions fausses, imaginaires, apocryphes, les innombrables légendes qui ont circulé au sujet de ce monument fantastique. Notre travail s’efforce, surtout, de placer les faits établis par Atkinson dans le cadre des dernières découvertes, faites par les archéologues, au sujet des mondes du continent européen et du bassin méditerranéen, du temps de la préhistoire. Certes, beaucoup de renseignements et d’éléments essentiels concernant Stonehenge sont — et resteront sans doute toujours — des énigmes. On peut dire, en utilisant une expression classique : que les constructeurs et les usagers du monument « ont emporté leur secret dans leur tombe ». Toutefois, hormis quelques points d’interrogation, rares sont les monuments de la préhistoire et antiques, au sujet desquels tant d’informations ont pu être recueillies et tant d’éléments, réels, probables et approximatifs ont pu être reconstitués.

Ceci étant, efforçons-nous de raconter l’histoire la plus vraisemblable de Stonehenge.

Au cours des époques les plus reculées de la préhistoire de l’Angleterre, jusque vers les années -2400, ce pays n’était habité que par des tribus, nomades et sauvages, de chasseurs dont l’état de civilisation ne dépassait pas celui des papous les plus arriérés ou des bushmen des temps présents. Néanmoins, dans ces temps et probablement déjà depuis un grand nombre de siècles, les mers, entourant l’Angleterre, étaient sillonnées de bateaux en provenance de trois régions principales du monde préhistorique : les pays scandinaves, le continent européen septentrional et occidental et les régions méditerranéennes.

La zone qui fait l’objet de notre étude le sud-ouest de l’Angleterre, intéressait sans doute fort peu les Scandinaves qui visitaient des périmètres plus rapprochés de leur point de départ qu’ils pouvaient atteindre plus aisément. Ce sont donc des navigateurs, partis des rivages nord-européens, empreints de quelques éléments de civilisation originaires des zones continentales (entre autres : indo-européens) et des navigateurs des pays méditerranéens, déjà beaucoup plus organisés et civilisés, qui débarquèrent sur toute la côte sud-est, sud et sud-ouest de l’Angleterre. La côte sud-ouest était sous doute la première qui fut atteinte par les bateaux méditerranéens. Beaucoup de navigateurs ont résidé dans les pays abordés, ont formé de petites colonies et se sont efforcés de transmettre des rudiments de civilisation : agriculture et élevage, aux tribus de chasseurs sauvages dont une grande partie s’est sans doute laissé convaincre et a constitué, avec les colonisateurs, le peuple de Windmill Hill qui a bâti le premier complexe dont il porte le nom. Il est à présumer que, déjà à cette époque, la région de Stonehenge-Averbury — étant donné sa situation géographique privilégiée et l’absence de forêts impénétrables — aura constitué une zone de rassemblement et de refuge pour la population, encore semi-nomade, des environs qui y construisit, entre autres, des abris pour le bétail, protégés contre les intempéries et les loups.

Petit à petit, cette zone de rassemblement et de refuge sera devenue une zone « sacrée » formant sans doute protection, également, contre les « génies du mal ». Quelques fossés circulaires semblent prouver que dans l’enseignement magique, hérité probablement des ancêtres chasseurs, le cercle jouait un grand rôle à titre de dispositif et de protecteur contre les esprits maléfiques et ainsi s’explique l’existence d’un si grand nombre de cercles, aussi bien que de constructions et de dispositifs circulaires, dans toute la région sacrée et notamment dans les trois Stonehenge successifs.

Toutes les tribus de chasseurs nomades ne se sont, pourtant, pas laissé « civiliser » et ont continué à errer dans les forêts, très nombreuses à l’époque. Elles n’ont vraisemblablement été complètement éliminées que beaucoup plus tard, par les Beakers et les Wessex qui en ont tiré une main-d’œuvre abondante et bon marché, composée de véritables esclaves.

(à suivre)

A. HERRMANN


[1] Daniel Ruzo : La culture Masma. Librairie Orientale Paul Geuthser, Paris, 1959.

[2] Civilisations disparues ; Planète n° 34, mai-juin 1967, p. 178.

[3] Stonehenge, Averbury and neighbouring monuments, par R.J.C. Atkinson. Brochure éditée par Her Majesty’s Stationary Office, 1959.

[4] 40.000 ans d’art et d’énigmes, par Daniel Bernet ; Planète n° 9, mars-avril 1963, p. 67.

[5] La plus vieille religion d’Europe, par Aimé Michel ; Planète n° 9, mars-avril 1963, p. 59.

[6] Daniel Ruzo : La culture Masma. Librairie Orientale Paul Geuthser, Paris, 1959.

[7] Catal Hüyük, la plus vieille ville du monde, par J. Vidal ; Science et Vie, mai 1968.

[8] L’Amérique découverte quatre fois avant Colomb, par Gerald Messadié Science et Vie, mars 1967.

[9] Obsidian and Origin of Trade, par J.E. Dixon, J.R. Cann et Colin Renfrew; Scientific American, mars 1968.

[10] La grande énigme des rochers sculptés, par Serge Hutin ; Planète n° 2. décembre 1961 – janvier 1962.

[11] Our old Cornish Mines, par William H. Paynter.

[12] Nous affecterons les dates avant l’ère chrétienne du signe – pour ne devoir répéter, pour chaque date, la mention « av. J.C. ».

[13] Nous avons vu, nous-même, un mage de notre époque réaliser des processus étonnants à l’aide d’objets placés en un certain endroit d’une pyramide miniature en carton.

[14] The decline of the Harappians, par George F. Dales ; Scientific American, mai 1966.

[15] Stonehenge, by R.J.C. Atkinson, Harnish Hamilton, Londres.