Vimala Thakar
Synchroniser le mouvement du savoir et de l’intelligence

Nous avons dit que le Cosmos est un Tout organique et que le cosmos est êtreté. Généralement, que voulez-vous dire par êtreté ? Vous vous appelez vous-mêmes être humain n’est-ce pas ? De quoi est constituée votre êtreté ? Premièrement, il  y a  un  bon nombre  de  système dans  votre être : système nerveux, musculaires, […]

Nous avons dit que le Cosmos est un Tout organique et que le cosmos est êtreté. Généralement, que voulez-vous dire par êtreté ? Vous vous appelez vous-mêmes être humain n’est-ce pas ? De quoi est constituée votre êtreté ?

Premièrement, il  y a  un  bon nombre  de  système dans  votre être : système nerveux, musculaires, glandulaires. Vous avez un bon nombre d’organes qui sont eux-mêmes des systèmes : il y a le système cardiaque, le système cérébral. Ces systèmes ne sont pas assemblés par l’homme. Leur entièreté est constituée de cellules et chaque cellule à son tour est un être. Le système cardiaque a sa propre façon indépendante de fonctionner comme le foie, les reins. Quand vous dites que vous êtes un être, cela signifie que tous ces systèmes constituent un tout cohérant. Les systèmes coexistent dans ce que vous appelez votre corps ou votre être. Ils travaillent de façon indépendante les uns des autres et néanmoins, ils sont reliés et dépendants les uns des autres. Il y a une simultanéité dans leurs mouvements, il y a une synchronisation spontanée de leurs actions. S’il vous plaît, regardez avec moi ces détails de la vie et du vivant.

L’êtreté a besoin de la cohésion, du Tout organique. Le Tout peut contenir d’innombrables systèmes ayant chacun leur propre être, leurs mouvements sont simultanément inter-reliés et spontanément synchronisés. C’est ce qui est normalement impliqué par le terme «être ».

Dans le cosmos, il y a d’innombrables êtres. À l’intérieur de votre propre corps aussi, le foie est un être, l’utérus est un être, votre cœur est un être, chacun vibrant à son propre rythme. Ils ne vivent pas mécaniquement, il y a un rythme mais pas un mouvement mécanique, répétitif. Si nous pouvons comprendre notre propre structure biologique, cela pourrait nous donner la clé majeure de la compréhension du mystère du cosmos, parce qu’ils sont uns et identiques. Vous êtes un cosmos condensé, vous n’êtes pas seulement le monde mais à une petite échelle, vous êtes le cosmos. En observant le jeu, l’interaction des innombrables cellules dans votre corps, le Tout minuscule, les minuscules êtres vivants dans votre corps, vous pouvez comprendre le mystère du cosmos.

Soyons conscient des implications du mot « Tout organique ». L’implication du mot « Tout organique », ayant le dynamisme de l’énergie créative, c’est qu’il n’a pas de modèle et qu’il n’est pas une structure assemblée par un créateur assis à l’écart du Cosmos. Il n’y a pas d’assemblage, ni de dessein. C’est l’esprit qui crée les structures. Les structures ont une finalité, c’est un ordre mort. Les parties d’une structure peuvent se séparer. Vous pouvez les assembler et les prendre ensemble mais les parties ne constituent pas des êtres entiers, elles n’ont pas d’êtreté ou d’entièreté. Les structures ont une finalité et un model de comportement.

Je pense que la race humaine s’est trompée quand elle a imaginé qu’il y avait des modèles de fonctionnement dans la vie. Les structures fabriquées par l’homme ont des modèles de comportements. Pour étudier le comportement des souris et des singes, on les a mis dans des cages et on a plaqué sur leur comportement le concept de modèle. Cela a mené la science de la psychologie dans une direction erronée. Je suis désolée si cela vous paraît arrogant et si vous ressentez que Vimala frappe dans toutes les directions. Je ne distribue pas des théories, par considération pour vous, je partage les révélations perçues par votre amie Vimala.

Une énergie dynamique n’a pas de modèle de comportement, elle a un rythme. Il y a un bon nombre de rythmes, une grande variété de rythme dans la vie cosmique. Et parce qu’ils sont libres des structures et des modèles, nous les appelons un mystère. Cela demande une immense vivacité et sensibilité pour s’y relier, parce que le dynamisme implique le changement, n’est-ce pas. Changer prend place à chaque moment, chaque seconde, soit dans la qualité de l’expression, soit dans la vitesse de l’expression et même parfois, il y a une transmutation dans le contenu même de l’expression. C’est pourquoi le grand Bouddha pouvait dire : « sarvam anityam sarvam kshanikam ». Le Tout de la vie dans un système particulier, dans une expression particulière de l’énergie, éclate en ce que vous appelez le moment présent et, le moment suivant, il a une expression différente.

Il y a un rythme dans le mouvement de la vie cosmique et il y a un constant changement de la nature dans son expression. Vous et moi, en tant qu’êtres humains, participant et étant partie prenante de cette suprême intelligence ou énergie créatrice, avons la responsabilité de nous réguler nous-mêmes à partir de cette expression toujours changeante de l’énergie cosmique. Afin d’être relié au rythme du mouvement libre de structure, de modèle et donc non mécanique, vous devez être alertes et sensibles ; pas de blocage sur le chemin de l’intelligence. Vous devez avoir cette inconditionnelle et totale liberté intérieure. La conscience doit être épurée de toute la rigidité de la crédulité, des croyances, des théories, des dogmes transmis au nom du savoir à propos de dieu et du divin.

Voyez-vous pourquoi c’est nécessaire d’écarter le passé tout entier, tout le savoir organisé  et  toute  l’expérience  au  sujet  du  divin ?  Il  doit  y  avoir  un  vide magnifique pour la circulation de l’énergie, le flux de la créativité, le flux de la sensibilité. Pour une totale liberté intérieure inconditionnelle, toutes ces bêtises de croyances, de théories, de dogmes, de goûts et de dégoûts, de préjugés, de préférences doivent être complètement vidées. L’Intelligence relie à l’expression toujours changeante de la vie autour de soi et à l’intérieur de soi, parce que vous êtes vous-mêmes le cosmos. Ce qui est applicable à la vie cosmique est aussi bien applicable à la vie individuelle, également, sinon plus.

Cela est un aspect de notre vie, mais l’être humain n’est pas une créature unidimensionnelle. La vie elle-même n’est pas unidimensionnelle, c’est un phénomène multidimensionnel. Maintenant regardons l’autre dimension de notre vie. Tandis que nous sommes nous-mêmes reliés à la vie cosmique, nous avons une autre responsabilité : celle de vivre avec nos semblables, les êtres humains et les structures fabriquées par l’homme, dans lesquelles le mouvement répétitif du savoir devient nécessaire et dans lesquelles il y a des modèles de comportements.

Nous devons vivre dans ce monde fabriqué par l’homme. Vous devez remplir des fonctions d’enseignant, de fermier, d’industriel etc.… Vous accomplirez ces fonctions, en utilisant la mémoire fonctionnelle, en acquérant le savoir académique, en le retenant dans ce que vous appelez la mémoire et en accomplissant des mouvements répétitifs et mécaniques. Il doit y avoir une synchronisation entre la liberté absolue, la sensibilité, le comportement libre des structures, libre des modèles, en relation avec le cosmos, et le mouvement en relation avec les structures fabriquées par l’homme, basé sur le savoir et les modèles. Ces deux mouvements doivent être synchronisés. Voyez-vous le défi ?

Il me semble que depuis bien longtemps, l’humanité a réalisé un compromis confortable. Si vous êtes intéressés par ce qu’on appelle le divin, par dieu, vous devez vous détourner du monde, être libre de toute responsabilité, mort socialement, Qu’est-ce qu’un sanyasi, en accord avec sa tradition ? Le sanyasi est mort en tant que membre de la société, il n’existe pas, il n’a pas de responsabilité. Quand vous prenez le sanyas et menez le vrajhom, vous allez à travers le rituel de atma shradhdha. Vous menez votre propre Shradhdha et alors vous dites « sanyastam maya iti ». « Ici, je renonce à mon nom », vous prenez encore de l’eau, la verser dans la rivière, le lac ou l’océan et vous dites « je renonce par-là au nom, à la famille, à l’attachement à la forme, au savoir, je suis  mort ».  Ainsi,  ils  se  détournent  de  la  responsabilité  d’agir  dans  les limitations des structures et des modèles. Ils quittent la maison, abandonnent leur femme, les enfants, la famille et vont dans la forêt. D’autres qui étaient plus intelligents ont étudié les écritures, en ont parlés, ont parlé du divin, ont chanté des bhajans temporairement, et puis sont revenus vivre dans le monde, sur le chemin du matériel. Vous savez ce qui ne va pas en Inde, c’est cette fragmentation. En dépit de paroles sur la non-dualité, ils fragmentent la vie, ils écartent l’un de ses aspects. Tandis que dans d’autres régions de l’hémisphère, la majorité dit : seulement ce qui est visible, tangible, est réel. Dieu, le divin reste une idée pour eux. Ils focalisent toute leur attention sur la physique, la biologie, la  médecine,  la  technologie.  Ils  considèrent  que  seul  ce  qui  est  peut  être expérimenté par les sens, ce qui peut être compris par le cerveau et l’intellect est réel. Vous voyez qu’ils ont leur problème comme les Indiens ont les leurs.

Comme nous essayions d’explorer le moyen de sortir du chemin sans issue dans lequel l’éducation pérore, nous cherchons ce matin s’il y a une issue à cette autre impasse dans laquelle nous sommes coincés en tant qu’individus.

Est-il   possible   qu’en   nous   ait   lieu   la   synchronisation   entre   les   deux mouvements : le  mouvement  cérébral  et  le  mouvement  de  l’intelligence simultanément ? Être intérieurement avec le rythme cosmique et physiquement, biologiquement, vivre avec les modèles, les structures. Rejeter les structures n’est pas la liberté. Elles ne doivent être ni rejetées, ni acceptées. Vous devez vous réconcilier avec les limitations.

Quand le savoir est retenu sans que se développe un sens de propriété, de possession, sans attachement, le mouvement ne devient pas une habitude. L’homme aimerait aller sur Mars, vivre dans l’espace, mais dès que vous commencez à lui parler d’une façon entièrement alternative de vivre, d’une perspective alternative à la vie, d’une psychologie alternative, il s’inquiète. Il demande : comment  cela  peut-il  être  possible ?  Un  mouvement  simultané, synchronisé, du savoir d’un côté et de l’intelligence de l’autre. Avancer à travers les limitations dans une dimension et se ravir de la liberté inconditionnelle dans l’autre.

Le cœur de la question c’est de vivre dans des modèles et des structures sans s’identifier psychologiquement avec eux, sans se retrouver attacher à eux. Vivre à travers des modèles et des structures sans jamais être égratigné. Vous utilisez les structures, vous évoluez à travers les modèles. Il n’y a pas d’identification avec elles, vous n’essayez pas de tirer un quelconque plaisir de ce mouvement, ou vous ne reculez pas à cause de la peur de la douleur mais vous les traversez avec élégance comme une responsabilité. Comme vous cuisinez des aliments dans votre cuisine, vous cuisinez le savoir, ou quoique vous ayez acquis, et l’utilisez quand c’est nécessaire. Où est alors l’esclavage ? Et y aura-t-il besoin de  parler  de  libération  ou  d’illumination ?  Horribles  mots : « esclavage » et « libération ».

Où serait l’esclavage si vous appreniez à acquérir le savoir, le retenir mais pas vous l’approprier ou le posséder ? Si vous viviez au travers les structures et les modèles  sans   identification,   où   serait   l’esclavage ?   C’est   uniquement l’identification qui mène aux schémas habituels. Détachés, désidentifiés, vous pouvez vivre à travers le politique, l’économique, le social et tous les autres champs d’action, sans que la cicatrice de l’expérience reste dans votre psyché. Excepté pour la mémoire fonctionnelle, aucune autre mémoire psychologique n’est nécessaire.

Vous pouvez maintenant comprendre pourquoi la recherche religieuse est une recherche sur une révolution holistique. Rien de moins qu’une révolution holistique dans la psyché, dans la façon de voir la vie, dans le mode de vie, dans la psychologie, ne nous aidera à résoudre les problèmes. La race humaine est au seuil du 21ème  siècle, aussi avons-nous à résoudre les problèmes, à assumer les défis crées par le développement technologique du 20ème  siècle. Nous devons reconsidérer notre perspective de vie.

Si vous n’aviez pas la mémoire psychologique d’une quelconque expérience, il ne devrait pas y avoir de souffrance. Plaisir et douleur seront là parce qu’il y a les réactions de la structure biologique, mais il n’y aura pas de souffrance, pas de détresse. C’est la mémoire psychologique des événements, de ce qui advient dans les relations humaines et dans le rapport à la naissance et à la mort qui conduit à ce que vous appelez souffrance et détresse. La religion est la fin de toute souffrance psychologique, c’est la fin de toute détresse, et non la fin du plaisir et de la douleur qui continuent à être là. Vous vivez dans votre corps, quand le corps est dans la chaleur à Delhi ou à Bombay il trouve cela pénible, quand il est à Simla ou à Dalhousie il trouve cela très plaisant. Plaisir et douleur il y aura, mais pas de goûts ni de dégoûts, de préférences ou de préjugés, pas d’obsessions ni d’attachements, pas de mémoire psychologique.

Le vide total nous permet d’avoir la souplesse de nous relier au rythme toujours changeant de la vie cosmique. Vous voyez la totalité de la danse cosmique prendre place dans votre être. La danse des mouvements au cœur de l’êtreté immuable. Emanations des manifestations, des formes, des apparences, au cœur du vide.

La vie est un Tout organique, c’est une êtreté dynamique. Je n’ai pas de mots préfabriqués, je tâtonne, j’explore avec votre coopération. Vivre c’est être libre des modèles, des structures, être un Tout cohérent, contenant d’innombrables systèmes vivants en mouvement à l’intérieur de lui-même, c’est votre vie. Vous parlez de la vie cosmique mais vous l’avez en vous.

Intérieurement, vous vivez libres des structures, libres des modèles, et extérieurement, vous vivez dans la société humaine, dans les structures fabriquées par l’homme, vous conduisant avec compétence et élégance. Vous n’acceptez ni ne rejetez les structures, les modèles, mais vous vivez au travers eux, comme une nécessité. Magnifier et s’identifier au particulier  conduiraient à l’indifférence ou à la dureté envers les autres, et l’équilibre serait rompu.

L’harmonie devrait être le parfum de cet équilibre intérieur. La paix devrait être le parfum de cette harmonie intérieure. Etre sans peur devrait être le parfum de cette inconditionnelle liberté intérieure. J’espère que ce ne sont pas que de simples mots pour vous, nous avons plongé profondément dans le phénomène d’être et de  devenir.

LA MYSTÉRIEUSE CRÉATIVITÉ

La vie est une danse cosmique du « sans forme » se manifestant lui-même dans d’innombrables types de formes. Les formes ayant joué dans l’espace du rien retournent dans le sans forme d’où elles étaient venues. Le sans forme, le rien, le vide de l’espace semble être créativité, cette créativité est appelée être ou êtreté.

Comment le vide sans forme de l’espace contient la créativité, ou plutôt est créativité, c’est réellement un mystère. Laissez- moi retirer le mot « contenir ». Pourquoi et comment la graine est l’arbre tout entier, et a un désir de manifester l’arbre contenu en elle, c’est vraiment un mystère. Comme la graine devient une jeune pousse, la pousse devient une plante, la plante grandit en arbre, l’arbre grandit en fleurs et fruits ; les fruits mûrissent en graines, ainsi la graine a retrouvé son essence de graine. Dans le corps humain, la créativité est condensée sous forme de certains fluides. L’interaction entre un homme et une femme et la créativité dans leur corps mène à la reproduction d’un être humain tout entier. Le fluide sans forme contient un être humain tout entier, par interaction créative dans l’utérus et le corps de la mère. Dans le corps de la mère, le fluide manifeste la forme contenue dans ce rien.

Quand  nous  utilisons  le  terme  « être »  ou « êtreté »,  nous  sous-entendons  une créativité mystérieuse, non créée par la pensée de l’homme ou la main de l’homme, mais un mystère né et existant de lui-même. Cette créativité semble avoir un désir spontané de manifester sa substance. Ainsi il y a cette créativité, elle a un désir spontané de manifester sa nature, c’est le mouvement de la manifestation.

La manifestation ne conditionne pas l’êtreté. La manifestation ne limite pas l’êtreté ou la créativité. L’expression ou la manifestation est plutôt une libération de la créativité contenue dans le Rien de l’Être sans forme, l’êtreté. S’il vous plaît, soyez très prudents et très alerte pour m’accompagner dans cette progression difficile. Nous sommes dans une ascension ce matin.

La créativité née d’elle-même et maintenue par elle-même, n’a pas de forme, elle est le rien sans forme et vide de l’espace. Elle se manifeste dans des formes sans aucune motivation. La motivation est le privilège de la race humaine. Il n’y a pas de cause, il n’y a pas de motivation, il n’y a pas de force à l’extérieur la contraignant, l’obligeant à le faire. Il n’y a pas d’attente. Cela semble être sa propre nature, un désir inhérent à la créativité. La manifestation libère l’abondance, la richesse, la grandeur, la majesté contenue dans le rien.

Il n’y a pas de processus de devenir, dans le sens où nous l’entendons dans les domaines socio-économique et politique. Au début, nous avons utilisé le mot « être » et « devenir » ; maintenant nous approfondissons, nous voyons les choses de plus haut. La créativité et sa manifestation, le mouvement de l’expression n’est   pas   un   processus   de   devenir.   Devenir   limite   et   conditionne,   la manifestation libère.

Le fluide, la créativité condensée dans le corps humain, la créativité comme l’essence de ce fluide, le sans forme, est ici notre êtreté, notre présence. C’est l’essence  existentielle  de  notre  être : « Vie », « Créativité »,  « vide »,  « espace », « vacuité », utilisez le terme que vous souhaitez pour le signifier, pour l’indiquer.

Nous sommes cette énergie créatrice, ce rien sans forme, qui était le fluide dans le corps de notre père et de notre mère ; cette créativité s’est manifestée elle-même  dans  cette  forme.  Ce  n’est  pas  devenu,  cela  s’est  manifesté.  C’est l’essence de notre vie, c’est notre Réalité. Ce rien sans nom, sans forme, cette créativité contenue dans le fluide, c’est l’essence de ce qu’est notre être, notre êtreté. S’il vous plaît, voyez cela. Cela se déploie en l’enfant, en un garçon ou une fille, puis en adulte. C’est un processus d’épanouissement, de manifestation de la substance, d’expression de la nature. Parce que nous le mesurons dans le temps, nous l’appelons évolution. Il y a des théories de l’involution et de l’évolution par des personnes comme David Bohm, le célèbre physicien. Mais aussi loin que l’on puisse le percevoir, cela ne semble pas être une évolution. C’est une manifestation. Parce que l’être humain a crée la mesure du temps, il le mesure en termes d’années, de mois, et dit que c’est vieux de 10 ans ou 80 ans. C’est votre calcul appliqué à l’essence de la vie. Si vous pouvez voir cela avec moi, alors nous pouvons aller plus loin.

La petite fille devient une femme, l’enfant devient adulte, l’adulte devient un vieillard, mais la créativité ne devient pas. La créativité n’est ni le garçon, ni la fille. Elle n’a pas d’âge. Elle n’a pas 80 ans ou 45 ans. Elle est comme elle a été et le désir de se manifester ou de s’exprimer est là, dans la créativité, jusqu’au dernier souffle. Cela s’exprime à travers les yeux, c’est ce que vous appelez la perception. Cela se manifeste ou s’exprime à travers le son, c’est ce que vous appelez la parole. Cela s’exprime à travers le toucher, le mouvement des membres, c’est une expression. S’exprimer n’est pas devenir, s’exprimer, c’est s’épanouir.

J’essaie de partager avec vous, mes collègues, quelque chose d’assez important. Il y a ces deux aspects de nos vies, rien et quelque chose, personne et quelqu’un. Parce que vous avez la forme d’un corps, vous avez le désir d’expression. S’il vous  plaît,  voyez  cela.  Ce  désir  n’est  pas  quelque  chose  de  créé  par  la civilisation humaine et la culture. Cela n’est pas induit, obligé, contraint. Le processus entier de ce que vous appelez croissance est là, dans ce rien. Vous le mesurez et vous l’appelez progrès, vous le mesurez en temps et vous l’appelez évolution. C’est votre affaire, mais quand vous le regardez sans le mesurer, sans vos jugements, vos valeurs, vous voyez le rien s’exprimer en quelque chose.

Il y a l’êtreté, le désir, la créativité, la manifestation, l’émergence et puis, ce que vous appelez dissolution, qui est retour aux sources et fusion : fusion en cendres, dans la terre, le feu, l’espace. C’est la danse cosmique de l’émergence et de la ré-immersion. Ce n’est pas dramatique comme création et destruction, c’est la danse de l’émergence et de la ré-immersion. Il n’y a rien qui soit destruction dans la nature. C’est encore une construction du mental humain. Il ne peut imiter la créativité, mais dans son effort d’imitation, il a développé le processus de construction et de destruction.

L’expression est née des parents, dans une famille à New York, Tokyo ou ailleurs. Elle devient alors la fille ou le fils de… Ils sont les parents et vous êtes le fils ou la fille. A cause du corps et de la forme, il y a maintenant la relation parent enfant. Vous êtes devenus le fils, le frère, la sœur, le père, la mère, indépendamment de cette créativité et de son mouvement de manifestation. La race humaine s’est conditionnée par le mouvement des relations humaines. Elle doit donner un nom, une identité, sinon, elle ne peut se nommer. L’enfant né est « mon fils ». C’est de cette manière que vous le nommez. Par le processus des relations humaines, vous conditionnez ce qui est né : par le nom, par un sens d’appartenance et de possession, par l’identification, cela vous appartient.

C’est de cette manière que le conditionnement commence et alors, vous attendez de cet être humain qu’il se comporte comme votre fils, votre fille, réponde à vos attentes, accomplisse vos ambitions, voyez le processus du conditionnement ! Mais vous ne vivez pas seuls, vous vivez en société. La société attend que ses membres se comportent d’une certaine façon. Ainsi, il y a un enchevêtrement de liens. Ce sont des liens économiques, politiques, familiaux, fonctionnels. On nomme, on identifie, on possède, on attend. Donc la manifestation de la vie devient une mère, une sœur, un fils, une fille, un membre de la société. Il est baptisé par les prêtres comme hindou, chrétien, bouddhiste etc.… En plus du nom et de l’identité donnée par les parents, il y a celle donnée par la religion. Vous devenez un hindou, un musulman, un chrétien, un bouddhiste et si vous êtes nés ici, vous devenez un indien.

Vous voyez, couche après couche, noms et identités sont greffées sur la psyché ; on attend que vous vous identifiiez à ce nom, à ce code de comportement, aux attentes des prêtres, et de la hiérarchie politique et sociale. Ils vous obligent à devenir. Il n’y a pas de désir, mais ils cultivent les besoins dans votre structure psychique. Ils vous apprennent comment être ambitieux, à revendiquer, à comparer, à entrer en compétition, à résister, à attaquer. Tout cela est enseigné. Le mécanisme de défense est nourri en vous. Donc, vous êtes conditionnés à devenir un hindou, un chrétien, un indien, un communiste. Le désir sexuel est inhérent au corps, mais afin de créer un ordre, vous construisez un conditionnement de mari et femme et de la famille comme cellule de base. Tout ceci n’est qu’arrangements fabriqués par l’homme.

Le processus de devenir dans la vie sociale, dans la vie familiale est le résultat de besoins, de désirs, de normes, de critères, d’identifications, qui sont nourris dans le système. Ce sont des éléments étrangers, ils sont greffés sur la forme originelle.

Chaque relation vous limite, vous conditionne. Ce n’est pas l’émergence et la ré-immersion, c’est accepter l’autorité du processus de nommer et d’identifier. C’est accepter l’autorité des normes et des critères organisés, standardisés et donc, vous faites un effort pour vous y conformer, pour vous en rapprocher dans votre comportement et dans chacun de vos mouvements. D’un côté, il y a la créativité, un besoin de manifestation, qui émerge et se résorbe, c’est la danse cosmique de la suprême créativité ou de l’intelligence, et d’un autre côté c’est le monde fabriqué par l’homme.

Dès que vous devenez quelqu’un, c’est à dire une forme, vous entrez dans le monde des relations, lequel est limitation et duquel vous ne pouvez vous échapper. Regardez le destin, vous ne pouvez échapper au royaume des relations humaines, vous ne pouvez échapper au fait d’être emprisonné par les conditionnements et les relations. Vous devez les traverser.

Dans la systématisation des concepts, la standardisation des normes et des critères, le développement des codes de conduite etc.…, la race humaine a jusqu’à maintenant échoué misérablement à faire évoluer les relations dans le sens de la liberté, de l’amour et de la compassion. Ainsi, il y a exploitation. Chaque affirmation devient agression et l’agressivité mène à la violence. Nous sommes  une  race  humaine  violente  aujourd’hui,  polluant  la  planète,  nous polluant  les  uns  les  autres,  autocentrés,  nous  isolant  nous-mêmes  dans  la maison-prison de notre ego. Nous ne pouvons plus rien en faire de bon. Il n’y a rien  de  mauvais  dans  le  processus  de  nommer,  identifier,  développer  des concepts ou des symboles et les utiliser. Ce n’est pas mal en soi mais, pour quelque raison, la race humaine a échoué au point que les relations humaines sont remplies de détresses et de souffrances. Or cela n’est pas nécessaire.

Vous et moi, en tant que chercheurs, pouvons comprendre que nous devons vivre dans ces limitations. La maison ne limite-t-elle pas la liberté ? Mais vous devez accepter les limitations de la maison et l’utiliser. Dans notre vie multidimensionnelle, en tant que rayon de l’intelligence cosmique, nous devons être conscients de cette essence existentielle de notre être et rester enracinés en elle.

Chacun doit vivre dans ce monde de concepts, de systèmes, de structures fabriqués par l’homme. Mais qu’en faites-vous ? Comment conserver sa santé mentale dans des structures malsaines ? Comment garder et  maintenir votre équilibre intérieur dans les structures déséquilibrées ? Comment conserver votre innocence, votre paix, votre amour et votre liberté dans la société violente qui vous entoure? Si on a la possibilité de sortir complètement des structures, et d’accepter la mort sociale qui est le Sanyas, alors la question ne se pose pas. Mais pour vous et moi, nous n’avons pas cette possibilité d’échapper aux structures, c’est exclu pour à peu près 99% des gens. Il y a très peu de gens qui peuvent se passer de travailler, d’être dans un bureau pendant huit heures par jour, durant 40 ans de leur vie, 99% des gens doivent faire avec.

Comment peut-on vivre avec ces complications ? Je dois m’éduquer, aller à l’université et devenir un scientifique ou un juriste ou autre chose. J’ai fait cela. J’ai  accepté  cette  limitation,  cette  charge  de  savoir  emmagasinée  dans  la mémoire pour gagner ma vie. Sinon, je vais dans un village, dans n’importe quel pays, je cultive une petite parcelle de terre et vit de façon très simple. Si je ne peux pas le faire, je dois obtenir un diplôme et un travail. Je le fais, je m’y résigne, mais il n’y a pas d’envie. S’il vous plaît, voyez bien cela. Ce n’est pas l’expression  d’un  désir,  il  n’y  a  pas  d’ambition  même  pour  devenir  un talentueux avocat, médecin ou scientifique. Mais, c’est incontournable, je ne peux pas fonctionner autrement. Pour des raisons fonctionnelles, j’obtiens un diplôme. Vous construisez une maison et y vivez, tout comme vous jouissez des montagnes et des arbres, mais vous ne vivez pas sous un arbre toute votre vie.

Après avoir accepté les structures et acquis des capacités, vous entrez dans la vie sociale d’une façon très simple. Dans cette société violente, si mes besoins sont réduits au minimum, je n’ai pas besoin de beaucoup d’argent. La simplification des  besoins  matériels  vous  protège  et  vous  empêche  d’être  victime  de  la publicité  et   des   industries  qui   gagnent  de   l’argent   uniquement  par   la prolifération des biens de consommation. Nous devons être très vigilants. Etre conscient de l’essence de la vie, de cette pure créativité et de la danse de ses expressions, émergence et immersion, savoir que la mort est à notre porte, à nos côtés. La mort est là, donc il n’est pas utile de s’embarrasser de futilités telles que la prolifération des besoins. Non parce que vous êtes Gandhien ou sanyasin, mais parce que la simplification des besoins est le moyen de sortir des complications de ces structures économiques violentes, injustes et génératrices d’exploitation. La simplicité est le moyen de sortir de la complexité. Donc, vous réduisez vos besoins.

Deuxièmement, vous ne vous comparez à personne d’autre. Vous ne décidez pas de vos besoins en regardant ce que les autres ont. Leur conception des besoins peut être différente. Avec la simplification des besoins matériels, vous simplifiez aussi la structure psychologique. Si vous vous comparez et rivalisez, vous devenez agressif et violent et commencez à exploiter. Vous êtes alors retombés dans le piège de la société, que vous soyez en Inde, aux USA, en Russie ou en Chine. A la place, vous vous dites « je ne vais pas comparer » ; ce sont mes besoins et pour cela je vais travailler. Il n’y a pas d’autre implication psychologique à avoir avec la société.

Si vous êtes un chercheur religieux, si vous voulez vivre religieusement, si vous voulez être accordés avec la danse cosmique de laquelle vous êtes nées et dans laquelle vous devez vivre et dans laquelle vous retournerez, si vous êtes intéressés par cela, alors non seulement la simplification de la vie matérielle, mais aussi la simplification de la vie psychique, est une nécessité.

Pour la simplification de la vie psychique, vous commencez par ne pas accepter l’autorité des concepts de reconnaissance, d’être accepté, apprécié par les autres. Si vous acceptez l’autorité de tous ces concepts, si vous portez ce « besoin de reconnaissance », vous porterez dans vos mains un bol psychologique de suppliques afin d’être reconnu, accepté, sympathique. Vous n’aurez jamais vos racines dans votre être propre. Vous céderez l’initiative aux autres et votre paix et votre bonheur dépendront de leurs comportements et de leurs réactions, de leurs  jugements, pas  de  la  qualité de  votre être.  N’est-ce pas  là  source de détresse et de souffrance dans la vie ?

Ce n’est pas un cours pour discuter des problèmes socio-économiques, c’est pourquoi je n’ai pas mentionné que de telles structures doivent changer, je le sous-entends. De telles structures doivent être changées, des révolutions devront avoir lieu. L’homme s’est occupé à changer les structures, mais le problème est qu’il ne s’est pas occupé de se changer lui-même, donc même les meilleures structures sont mal employées et détournées par des êtres humains déséquilibrés, exploiteurs et autoritaires. Mais, nous n’allons pas discuter de cet aspect ici, maintenant nous nous occupons de notre vie et de comment nous allons vivre.

Vous utilisez les structures socio-économiques sans en devenir victimes. Vous vivez très simplement. Nous, la race humaine, ne sommes pas des créatures unidimensionnelles, nous sommes multidimensionnels. Nous devons vivre dans cette danse cosmique et dans le monde fabriqué par les humains simultanément, en harmonisant leurs mouvements. Quand il y a de la simplicité, quand il n’y a pas de comparaison, quand il n’y a pas d’agressivité, vous constaterez que la synchronisation de votre mouvement dans les structures humaines avec votre mouvement dans le monde cosmique a lieu.

(Extrait de ÊTRE ET DEVENIR par Vimala Thakar, Dialogues ayant eu lieu à Dalhousie (Inde) durant l’été 1989 Traduits par Véronique Charroux et Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre