Vous n’avez pas de mesure pour vous mesurer. Vous vivez uniquement d’après « cela me plaît » ou « cela ne me plaît pas ». C’est dire que vous n’avez d’appréciation que pour vous-même. Vous ne reconnaissez rien au-dessus de vous — théoriquement, logiquement peut-être, mais réellement, non. C’est pourquoi vous êtes exigeants et continuez de croire que toutes les choses sont bon marché, que vous avez dans votre poche de quoi tout acheter si vous le désirez. Vous ne reconnaissez rien au-dessus de vous, ni au dehors ni en vous-même. C’est pour cela, je le répète, que vous n’avez pas de mesure et vivez passivement selon votre bon plaisir. Oui, votre « appréciation de vous-même » vous aveugle ! Elle est le plus grand obstacle à une vie nouvelle…
Étiquette : processus du moi
Carlo Suarès : La défaite sur le seuil : Jésus et Nietzsche
Cette auto-défense d’un moi vitalisé par sa propre fissure, donc qui aspire à la retrouver, et qui dans chacun de ses actes ne fait au contraire que la replâtrer, est très exactement le nœud du drame de tous ceux qui connurent l’extase du présent (qui la désignent sous le nom d’état de grâce, ou sous tout autre nom mythique) et qui ne peuvent jamais plus la retrouver, du fait qu’ils la veulent retrouver ; qui dès lors se précipitent dans des pratiques à rebours qui sont censés amener leur opposé ; mais qui par toutes ces disciplines s’efforcent quand même de répondre au désir qu’à le moi de se nourrir, de se vitaliser aux dépens de la Réalité ; et qui finissent de ce fait par satisfaire le moi d’autant plus complètement qu’il aura mieux construit un monde illusoire où l’éternité ne pourra jamais plus pénétrer.
Carlo Suarès : La maturation d'un moi : L'éducation créatrice
Selon la loi de contradiction qui régit le moi, l’amour et l’intellect ont des fonctions qui s’opposent à leurs propres mouvements. L’amour donne à l’individu l’impression d’un mouvement centrifuge : le moi a l’impression de se donner, de s’abandonner ; mais s’il se laisse en effet emporter par le cours de ses sentiments et de ses passions, s’il accepte d’y éteindre le sentiment de soi, ce n’est que parce qu’il espère y trouver (par l’union avec l’objet de son amour) une permanence dont il ne se sent pas assez assuré. L’amour est une recherche de permanence, qui s’effectue au détriment du désir qu’a le moi de se percevoir ; l’amour cherche, par tous les moyens, à utiliser le monde extérieur pour construire cette permanence intérieure. Loin d’être centrifuge, c’est donc un mouvement centripète, mais qui donne l’illusion d’être centrifuge, parce que la notion qu’a le moi de sa propre réalité s’y trouve obscurcie. Dans le monde à rebours qu’est celui du moi, c’est donc bien en perdant le sentiment de sa réalité, donc en sortant de lui-même, que le moi rentre en lui-même, et s’affermit dans sa propre permanence intérieure.
Carlo Suarès : La croissance d'un moi : Son processus
Le moi, en se refermant sur lui-même, en se détachant, en s’isolant, ne perd point pour cela l’orientation de toute l’activité du subjectif qui l’a conduit à ce point. On se souvient que cette orientation est une recherche de permanence. Le moi utilisera ce désir pour son propre compte, au détriment de sa propre essence sur laquelle il s’est refermé. Il se séparera donc de plus en plus de son essence, il perdra complètement toute notion réelle au sujet de sa raison d’être, il s’isolera de plus en plus. Et parce qu’il en souffrira, il ne fera qu’exacerber sa soif de permanence, jusqu’à un degré qui devrait devenir insoutenable, jusqu’à se briser lui-même. Là encore, les congrégations des moi stérilement assurées de leurs possessions spirituelles et matérielles, viendront l’aider, le consoler, lui apporter la foi, l’espérance, la charité, ou sous d’autres formes, n’importe lesquelles, la sécurité, l’ambition et l’exploitation, qui le feront mourir, étouffé.
Carlo Suarès : L'enfance d'un moi : «Je suis un moi»
La façon dont le je, non-conscient, de l’enfant parvient, lorsqu’il est mûr, à se détacher de l’univers subjectif qui l’a créé, et dont il ne s’était pas encore nettement différencié, est d’une importance extrême, car elle caractérise le moi qui surgit, ses tendances, ses possibilités, et nous révèle sa nature la plus intime. Ce phénomène d’individualisation n’a cependant jamais été étudié, à notre connaissance sous cet aspect. Ne pouvant nous appuyer ici que sur notre propre documentation, encore très restreinte, nous nous bornerons à indiquer des voies de recherches, telles qu’elles se présentent en ce moment à nous.
Carlo Suarès : La première réponse au présent : Naissance d’un moi
Ce que nous appelons conscience résulte donc d’un effort vers la conscience de soi : le moi graduellement devient conscient d’être lui-même, indépendamment de certains rôles qu’il joue, de leurs associations et dissociations ; en s’affranchissant de ces objets un à un, il affirme qu’il est un moi, même sans ces objets. Or, nous avons déjà vu, et nous reverrons en détail, que le moi n’est pas autre chose que des vibrations (associations-dissociations) entre deux pôles, qui ont pris le corps d’une entité ; donc plus le moi devient conscient de soi-même, plus il se défait : il se dévore véritablement. En effet la conscience de soi n’est qu’une illusion, l’affirmation « je suis moi indépendamment de mes rôles » émane de la perception de soi qui résulte de rôles sous-conscients, de rôles dont on ne sait pas qu’ils sont des rôles, c’est-à-dire encore que cette affirmation émane d’un personnage qui se compose de tout ce dont il n’a pas encore douté, d’un personnage qui n’est que partiellement défait. L’affirmation moi qui subsiste, s’appuie sur ce qui reste encore debout de son édifice croulant…
Carlo Suarès : L'évolution du subjectif dans la nature
La naissance de la liberté, est la naissance de caractères isolés, individuels, qui affranchissent le sujet des réactions rigoureusement déterminées de l’espèce. Cela ne veut dire aucunement que ces réactions individuelles ne sont pas déterminées, mais elles le sont par des causes qui sont devenues individuelles. Ce je se met à avoir des réactions qui lui sont propres, il devient à lui tout seul une nouvelle espèce. Mais du fait qu’il s’applique dès lors à protéger et à faire durer son équilibre, (son je, ses réactions particulières), il s’oppose à l’équilibre plus général qu’il désire atteindre, il s’oppose à sa propre essence, et sa liberté devient cela même: qui l’enchaîne.
Simonne Fabien : Pour que l’enfant reste uni à son «moi»
« Si vous ne changez pas et ne devenez pas comme des enfants, vous n’entrerez pas au Royaume des cieux », enseignait le Christ. Qui tient encore compte de cette parole ? Allègrement, nous saccageons la perception qu’ont les petits enfants du « sens caché des choses » (si nous admettons qu’ils voient « le roi nu », l’idée ne nous vient pas de tenter de discerner comment nous y prendre pour qu’ils soient capables de toujours et encore le voir nu), ce sens qui les unit à la Connaissance, à une Connaissance immédiate et globale de la Réalité derrière les réalités.
Carlo Suarès : Le «quelque chose» et les objets
Tout le drame humain réside dans la lutte des hommes contre leur propre essence, lorsqu’en tant qu’expressions de la vie, ils ne savent pas s’adapter à la vie. Cette lutte est la souffrance. La souffrance est le contraire de l’état naturel, car l’homme n’est pas comme un objet manufacturé qui ne peut se modifier lui-même, mais il possède en lui le moyen de s’adapter toujours à son essence, c’est-à-dire au sens positif de la vie. Ce moyen, il l’a grâce à un instrument, la conscience. La conscience, développée à son maximum, est l’instrument même au moyen duquel la vie se modifie elle-même, dans la race humaine. L’homme complètement conscient se modifie sans cesse, car au lieu de s’identifier à un objet — son entité — il s’identifie à la raison d’être de cet objet — la vie. Si à un moment donné il doit choisir entre la vie et lui (entre le poussin et la coquille) il optera pour la vie, sans qu’il lui en coûte, mais bien au contraire, parce qu’il y trouvera sa suprême joie. Son centre se déplacera et ira même jusqu’à voler en éclats. Cette identification constante avec la vie ne comporte pas, et ne peut pas comporter de souffrance. Un Dieu qui souffre n’est qu’un pauvre être inconscient, qui n’a pas su s’identifier à la vie. C’est un tel Dieu incapable, qu’adorent les Chrétiens…
Carlos Suarès : La dialectique du moi
Par rapport à la Nature nous envisagerons le moi comme une crise qui se produit dans l’évolution naturelle des règnes, lorsque le sens subjectif (le je), après être devenu conscient et avoir augmenté d’intensité à travers les règnes inférieurs à l’homme, est devenu assez aigu pour assumer à sa propre perception la valeur d’entités isolées, de moi nettement séparés des autres moi. Nous reprendrons ainsi, dans le domaine psychologique, la méthode matérialiste, en faisant sauter ses propres cadres, et nous indiquerons par quelles voies le moi peut et doit parvenir à comprendre sa nature et sa raison d’être, passer de l’état d’isolement à l’état de connaissance.