Micheline Flak
Thoreau, les arbres et nous

La préoccupation essentielle de Thoreau était de se mettre en résonance avec la vie universelle. Cette plénitude, il tâchait de l’apprendre au jour le jour, au contact des mille et une rencontres des bois, des champs, des cours d’eau, et des gens simples de son entourage immédiat. Le Journal, immense réservoir d’où est sortie toute l’œuvre, témoigne de son effort incessant pour faire de lui l’instrument parfait, le « Stradivarius » où puissent se jouer les harmonies du monde…

(Revue Énergie Vitale. No 6. Mai-Juin 1981)

On parle beaucoup actuellement de « conscience écologique ». L’expression peut paraître compliquée pour un sentiment vieux comme le monde, un sentiment que nous avons peut-être à réapprendre des sages, des enfants et des poètes. L’écologie est toute contenue en eux comme le chêne est contenu dans le gland.

Les termes d’écologie et d’environnement n’existaient pas encore au temps où Ralph Walde Emerson et Henry David Thoreau, voici un peu plus de 150 ans, vivaient en voisins au village de Concord, au Massachussetts, près de Boston. Pourtant, dans une histoire qui retracerait les origines de la conscience écologique, il faudrait faire la part du lion à la pensée des « transcendentalistes » américains qui ont, les premiers, lancé l’idée de préserver la nature. Thoreau, en particulier, a écrit: « C’est dans la nature sauvage qu’est la sauvegarde du monde ». Cette phrase sert aujourd’hui de devise aux parcs nationaux des États-Unis.

Emerson et Thoreau nous intéressent à un autre titre. Ils ont été en plein milieu du XIXème siècle, parmi les premiers à découvrir les écritures sacrées de l’Orient : Zoroastre, Lao-Tseu, Confucius, la Bhagavad Gîta, et à les mettre en relation avec notre pensée occidentale.

Lorsqu’il part faire une retraite de deux ans dans les bois de Walden, Thoreau emporte avec lui deux livres : Homère et la Bhagavad Gîta. Là, au bord du célèbre étang, il pratiquait le yoga, et nous avons dans Walden, le premier écho de la résurgence de l’antique science dans les temps modernes.

La préoccupation essentielle de Thoreau était de se mettre en résonance avec la vie universelle. Cette plénitude, il tâchait de l’apprendre au jour le jour, au contact des mille et une rencontres des bois, des champs, des cours d’eau, et des gens simples de son entourage immédiat. Le Journal, immense réservoir d’où est sortie toute l’œuvre, témoigne de son effort incessant pour faire de lui l’instrument parfait, le « Stradivarius » où puissent se jouer les harmonies du monde. Le passage suivant est inédit en français. Je l’ai traduit à l’intention des lecteurs d’Énergie Vitale pour que nous reconnaissions en Thoreau l’un des Maîtres vers qui l’Occident puisse se tourner pour apprendre à cultiver une conscience nouvelle. Chaque fois qu’il prend la plume, Thoreau nous parle de son expérience, mais son expérience, si nous sommes attentifs, ce peut être la nôtre. Nous sommes face à face avec un être humain plus clairvoyant et sensible que la plupart de ses contemporains. Et cet homme qui travaille à son progrès intérieur détecte en lui le malaise révélateur, malaise élucidé d’où sortira, grâce à cette attitude de témoin, l’intuition sûre de notre rapport avec la nature, de notre lien avec la vie du monde :

« Voici venu le temps des châtaignes ! Une pierre lancée contre un arbre le secoue et les fait pleuvoir sur la tête et sur les épaules ! Mais je ne puis trouver d’excuse pour l’usage d’une pierre. Il n’y a pas d’innocence ni de justice à maltraiter ainsi l’arbre qui nous nourrit. Ce qui me trouble, ce n’est pas la pensée qu’en abrégeant la vie de l’arbre, je ne jouirai pas longtemps de ses fruits. Non, je suis poussé à une pensée plus honnête, par des motifs de pure humanité. Je sympathise avec l’arbre et voilà que j’ai levé une pierre à son encontre, tel un voleur pas tout à fait capable de commettre un meurtre. Je crois bien que je ne le ferai plus. Des offrandes comme les siennes devraient être reçues non seulement avec reconnaissance, mais aussi avec une bonne dose d’humilité. L’arbre dont nous convoitons les fruits ne devrait pas être soumis à de trop rudes secousses. Nous ne sommes pas en un temps de disette qui justifierai un peu la hâte et aussi la violence. C’est plus que grossier, c’est criminel, d’infliger une blessure inutile à l’arbre nourricier qui nous abrite de son ombrage. Les vieux arbres sont nos parents et qui sait? les parents de nos parents. Si l’on a l’intention de percer les mystères de la nature, il faut montrer plus d’humilité que le tout venant. La pensée que je m’appauvrissais moi-même en blessant l’arbre n’affleura pas au niveau de ma conscience claire, mais j’étais remué comme si j’avais jeté la pierre sur une créature sensible, douée de moins de sensibilité que moi, certes, mais pourtant reliée à moi de quelque façon. Que penser d’un être humain qui coupe un arbre pour lui prendre ses fruits ! Quel est le sens d’un tel acte ? »

H.D. Thoreau, Journal, 23 octobre 1855 (traduction inédite)

Depuis toujours les poètes ont mis l’accent sur les liens qui unissent notre Être à la Nature-Mère, la Prakriti : c’est ainsi que la nomme le Samkya, texte qui sert de base théorique au yoga tantrique. Dans la culture française, écoutons la voix de Nerval :

« Homme, libre penseur, te crois-tu seul

pensant

Dans ce monde où la vie éclate en toute

chose ?

Des forces que tu tiens ta liberté dispose

Mais de tous tes conseils, l’univers  est

absent.

Crains dans le mur aveugle, un regard

qui t’épie.

A la matière même, un Verbe est attaché,

Ne la fais pas servir à quelque sage

impie… »

Nous pourrions composer un florilège de beaux passages sur ce thème. Mais à quoi bon les anthologies, si elles ne servent qu’à décorer notre culture? Il est dans le destin des poètes d’être galvaudés et leurs plus beaux chants ont trop souvent servi de façade à une civilisation fondée, quoiqu’elle prétende, sur l’esprit de conquête et non sur l’esprit d’amitié.

Un jour d’été, Thoreau se promène à travers la campagne et observe une famille, père, mère et enfants, équipés de seaux, paniers et bâtons; charmante patrouille qui écume les collines couvertes d’airelles. Afin d’aller plus vite en besogne, ces barbares avaient imaginé d’arracher les touffes, puis fouettent vigoureusement les tiges déracinées sur le rebord des seaux, ils recueillaient les fruits dans les paniers. Le rendement comme on dit aujourd’hui, en était sensiblement amélioré ! On n’aurait pas eu autant de baies si on les avait rassemblées à la cueillette une par une. Au prix d’un saccage, on devenait riche en tartes et en confiture. Voire ! Comment qualifier une telle abondance?

Comment, sinon en constatant,  un siècle plus tard, que sur les collines « civilisées » de la Nouvelle Angleterre, on ne voit plus personne cueillir des airelles sauvages pour une raison bien simple : c’est qu’elles n’y poussent plus…

Ainsi en est-il de la défiguration des paysages et de la disparition des espaces, de la menace sur la qualité de la vie quotidienne.

Ne pleurons plus sur l’irrémédiable. Seule une prise de conscience vécue de notre appartenance à notre Mère, la Terre, peut empêcher le pire : c’est nous appauvrir nous-mêmes que de la maltraiter. D’où la sourde culpabilité que Thoreau repère en lui et qui pourrait bien avoir une relation avec la dépression et la morosité de l’homme moderne. Le diagnostic que fait Thoreau nous invite à redresser la barque : il suffirait d’éprouver en soi très fort — même sans parole — une parenté entre le cosmos et nous pour se sentir revivre. En tant qu’humains, donc doués d’une conscience, nous sommes maîtres d’une sensibilité capable de s’affiner et celle-ci modifiera alors notre manière de voir et d’agir. Par la pratique du recueillement, de l’attention au souffle, de la méditation, nous donnons une voix à nos vrais besoins, à notre communion avec la vie. Il est étonnant de penser que cette démarche qui nous régénère, commence tout simplement par de bonnes nouvelles. Il y a quelques années, la presse à grand tirage[i] nous alertait sur le fait que « les plantes pensent ». La science a son mot à dire. Un technicien américain, Cleve Backster, « le-plus-grand-spécialiste-américain-des-machines-à-détecter-le-mensonge » (sic), avait placé, pour voir, les électrodes de son galvanomètre sur les feuilles d’une plante verte qui se trouvait dans son bureau. Il fit alors un constat stupéfiant : la plante, un banal dracaena, réagissait aux intentions de l’expérimentateur[ii]. Un tracé en tous points valable et analogue à celui produit par un homme ou un animal affolé s’inscrivait sur le papier.

Les premiers rapports suscitèrent pas mal de controverses et de scepticisme. Mais les expériences répétées confirmèrent cette découverte.

Je vous conseille de raconter la chose à des enfants : vous verrez leurs yeux briller et vous entendrez les questions fuser… Vous verrez par contre certains professeurs d’histoire naturelle froncer le sourcil… Qu’importe ! Maintenant nous savons que la vie est traversée de conscience. Approfondissons notre enthousiasme surtout si nous avons la chance de le partager avec des enfants, des poètes et des initiés. Laissons le temps mûrir les vérités jusqu’à ce qu’elles éclatent en fleurs et en fruits, et guérissent l’âme collective de son « morne désespoir »[iii].

J’ai vu, l’automne dernier, une famille assise à l’ombre d’un pommier sauvage dans un champ du Beauvaisis. Le père, la mère, les enfants et les grands-parents avaient l’air content. Peut-être savaient-ils remercier comme il faut l’arbre de vie qui leur donnait la sève.

APPROCHE DE LA MÉDITATION

1. La méditation dans la vie

Il n’est pas nécessaire d’être assis sur le sol, les jambes croisées pour méditer. Il existe des techniques de méditation, les yeux ouverts, et dans le mouvement. La marche, la danse et n’importe quel type de travail manuel ou toute action de la vie quotidienne sont à même de fournir le tremplin d’une plongée dans les profondeurs. Ainsi notre douche du matin peut-elle servir à nous rappeler — dans la sensation même — que nous devons nous purifier et nous revitaliser à chaque commencement.

On rapporte qu’un empereur de Chine avait fait graver au-dessus de sa baignoire : « Renouvelle-toi chaque jour ».

La préparation des repas peut être pour la maîtresse de maison l’occasion superbe de se concentrer sur la texture, la couleur, la forme, la senteur de chaque légume, et de ressentir l’énergie vitale qu’il recèle dans ses fibres. Elle se relaxera en créant des arrangements pour la nourriture, en veillant à l’harmonie dans la présentation des plats. Ainsi imprégnés par l’attention de la mère, par sa joie et son amour, les aliments seront chargés d’une force et d’une sève, qui pour être invisibles, n’en sont pas moins présentes et accroîtront la vitalité des enfants. Une qualité que n’ont guère les repas fabriqués à la chaîne…

2. La méditation sur l’arbre

Asseyez-vous dans un cadre naturel et repérez un bel arbre au milieu d’un paysage. Vous pouvez aussi vous servir d’un tableau ou d’une photo. Observez la scène jusqu’à ce que vous en ayez absorbé tous les détails. Puis fermez les yeux et essayez de recréer la scène dans votre mental. Essayez d’en avoir une image très claire. Puis effacez l’arrière plan, partie par partie. Par exemple, ôtez le ciel, ôtez l’herbe, puis les arbres qui entourent celui qui est au centre de votre attention. La seule chose qui va demeurer sera cet arbre.

Maintenez votre perception en alerte sur votre thème central pendant un temps. Puis toujours les yeux clos, reconstituez peu à peu l’ensemble, dans l’ordre inverse où vous l’aviez effacé. Vous devez retrouver l’image intégrale. Étudiez-la bien, en vérifiant chaque détail.

Puis ouvrez les yeux et comparez.

Vous pouvez recommencer ce travail jusqu’à ce que votre vision soit bien au point. Alors seulement concentrez-vous sur l’arbre que vous avez choisi et sentez votre parenté avec lui.

Notez bien que ce type de méditation se fonde sur une observation attentive de la nature : formes, couleurs, sensations, odeurs, éventuellement toucher. Ne confondons pas la concentration avec une vague rêverie.

Vous pouvez aussi choisir un autre trait du paysage : un lac, un animal, une maisonnette, un personnage …


[i] Paris-Match, 22 décembre 1974, page 92.

[ii] Voir : Peter Tompkins et Christopher Bird : « La vie secrète des plantes » Ed. Robert Laffont, 1975, page 355.

[iii] « La masse des hommes vit une vie de morne désespoir » Thoreau, « Walden ».