René Fouéré
Tortionnaires conscients et inconscients

On insiste beaucoup sur l’ignominie des tortionnaires militaires désignés, dont on fait volontiers des « criminels de guerre »… quand ils se sont trouvé être dans l’autre camp ! Ces tortionnaires pouvaient d’ailleurs avoir eu l’« excuse » de s’être donné pour objectif de chercher à épargner les vies de leurs compatriotes, en arrachant à leurs victimes, par la torture délibérée, des aveux, d’ordre stratégique ou tactique, précieux pour la conduite de la guerre dans leur propre camp. Mais on est étrangement muet sur la culpabilité humaine des simples combattants, ces tortionnaires inconscients qui tiraient des obus ou lançaient des projectiles sur l’ennemi catalogué. Lesquels obus ou projectiles désarticulaient, brûlaient atrocement, détruisaient les corps sur lesquels ils s’abattaient.

(Extrait de La révolution du Réel, Krishnamurti, Édition Le Courrier Du Livre 1985)

On insiste beaucoup sur l’ignominie des tortionnaires militaires désignés, dont on fait volontiers des « criminels de guerre »… quand ils se sont trouvé être dans l’autre camp !

Ces tortionnaires pouvaient d’ailleurs avoir eu l’« excuse » de s’être donné pour objectif de chercher à épargner les vies de leurs compatriotes, en arrachant à leurs victimes, par la torture délibérée, des aveux, d’ordre stratégique ou tactique, précieux pour la conduite de la guerre dans leur propre camp.

Mais on est étrangement muet sur la culpabilité humaine des simples combattants, ces tortionnaires inconscients qui tiraient des obus ou lançaient des projectiles sur l’ennemi catalogué. Lesquels obus ou projectiles désarticulaient, brûlaient atrocement, détruisaient les corps sur lesquels ils s’abattaient.

Cela vaut, du reste, pour les guerres qui se déroulent dans le présent.

Ce n’était pas parce qu’ils n’étaient pas les témoins oculaires des ravages qu’ils faisaient que ces combattants en étaient, pour autant, irresponsables.

Distinguer les simples combattants mobilisés des tortionnaires désignés, des tortionnaires de métier, ce n’est que s’attacher à des nuances sur un fond d’horreur, d’indicible horreur. Que le prétendu ennemi soit torturé délibérément par des hommes ou torturé au hasard par des obus, des bombes, des explosifs, des projectiles meurtriers, empoisonnés ou incendiaires lancés par d’autres hommes, cela ne change pas grand-chose à son épreuve.

A bien des égards, qu’ils en soient conscients ou non, les lanceurs ou les déclencheurs de projectiles sont humainement coupables de toutes les horreurs, commises dans la chair de leurs adversaires, par leurs engins. Il n’y a pas de guerre sainte ou de torture infâme. Dans les deux cas, il s’agit de crimes.

Serait-on innocent parce que, tout en lançant consciemment des projectiles — dans l’espoir qu’ils déchiquetteront, brûleront, asphyxieront ou assassineront autrui —, on ne voit pas les blessures, les fractures, les arrachements, les tortures qu’on inflige, les assassinats qu’on commet ? Faire honneur au combattant régulier et taxer d’infamie le tortionnaire désigné, c’est accorder une espèce de prime à l’irréflexion.

« Crime contre l’humanité ». Quelle fourberie ou quelle inconscience ! Est-ce que la guerre elle-même n’est pas un crime contre l’humanité ? Un crime qui ouvre la porte à tous les autres, à ceux-mêmes qu’on veut couvrir de honte, alors qu’on glorifie les vainqueurs des guerres les plus sanglantes, les plus horribles !

Les criminels de guerre, ce sont tous ceux qui font la guerre, fût-ce à contrecœur ; ce sont ceux qui la déclenchent, au nom des nationalismes quels qu’ils soient.

Il ne s’agit pas ici de s’attaquer à un nationalisme particulier pour en défendre ou glorifier un autre, mais de constater un fait effroyable qui, dans l’état présent de l’humanité, est planétaire. Il s’agit de se libérer d’un coup, par une prise de conscience neuve, d’un conditionnement millénaire et sanglant.

23.8.1983