Wei Wu Wei
Trouver le chercheur

Quand tu me regardes c’est dans ‘ton’ mental que je parais exister.
Quand ‘je’ te regarde, c’est dans ‘mon’ mental que tu parais exister.
Quand chacun de nous regarde l’autre, c’est dans le mental du ‘regardant’ que ce qui est vu paraît.
Tout ce que nous pourrions penser, chacun de l’autre, ‘semble’ exister seulement dans le mental où il apparaît.

(Revue Être. No 4. 2e année. 1974)

Cherches-tu quelque chose ?

Oui, mes lunettes.

Tu ne les trouveras jamais.

Pourquoi pas ?

Sans les porter tu ne peux les voir.

Et si tu les portes tu regardes à travers elles.

Donc je peux les trouver quoique je ne puisse les voir ?

Hélas non.

Pourquoi cela ?

Tu ne peux trouver le trouvé.

Qu’est-ce que le ‘trouvé’ ?

‘Le cherchant’.

Comment cela ?

Tout ‘cherchant’ n’est que ‘cherchant’ — qu’importe ce qui est

cherché.

Veux-tu dire que quel que soit l’objet cela ne change rien ?

Cela ne change rien — et il n’y a pas d’objet.

Qu’est-ce donc ? Le chercheur ?

Il n’y a pas de ‘chercheur’.

Mais qu’est-ce qui cherche ?

Le cherché.

Posthumous Pieces (Edit. Université de Hong-Kong), 91, p. 182.

La délivrance

Quand ‘voyant’ laisse ‘Regardant’ se Regarder,

Quand ‘écoutant’ laisse ‘Entendant’ s’Entendre,

Quand ‘faisant’ laisse ‘Agissant’ Agir,

Quand `vivant’ laisse ‘Étant’ Être,

L’objectivité disparaît,

L’espace-temps devient l’ubiquité éternelle

Et la relativité réintègre l’Absolu.

Telle est la délivrance.

‘Regardant – Regardant – Regardant’

Tout REGARDANT survient dans le mental.

Où ‘tu’ survient-il ?

Où ‘je’ survient-il ?

Où ‘lui’, ‘elle’, ‘cela’, surviennent-ils ?

Seulement dans le mental qui regarde !

Qui voit ?

N’est-ce pas JE qui regarde, toujours JE ?

Mais je ne peux pas voir mon ‘regardant’,

entendre mon ‘entendant’, goûter mon ‘goûtant’,

sentir mon ‘sentant’, toucher mon ‘touchant’.

Pas plus que je ne peux connaître ma connaissance d’aucun de ceux-ci.

Donc je suis absent, toujours absent.

Je ne semble exister que comme un objet dans le mental.

Je ne suis ni ‘ici’ ni ‘là’ sauf comme un concept.

Qui ‘me’ voit, qui ‘nous’ voit, à travers l’un l’autre,

nous qui sommes absents comme Ce-qui-regarde ?

Je, absent, vois nous tous via chaque objet vu comme ‘nous’,

et ce qui est vu n’est pas, ne peut jamais être, ‘nous’,

mais toujours, et seulement, ce qui est ‘regardant’ :

Conscience qui regarde,

‘Regardant’ à travers des objets conditionnés

qui perçoivent chacun ‘l’autre’ dans la Conscience,

et dont aucun n’a quelque existence comme ‘autre’.

C’est pour cela qu’il n’y a point ‘d’autres’,

parce que JE étant absent,

aucun ‘je’ n’est présent.

Jalal ed-Din Roumi (Traduit du Persan).

Commentaire

Quand tu me regardes c’est dans ‘ton’ mental que je parais exister.

Quand ‘je’ te regarde, c’est dans ‘mon’ mental que tu parais exister.

Quand chacun de nous regarde l’autre, c’est dans le mental du ‘regardant’ que ce qui est vu paraît.

Tout ce que nous pourrions penser, chacun de l’autre, ‘semble’ exister seulement dans le mental où il apparaît.

Et rien de tout ce que nous attribuons l’un à l’autre n’existe objectivement.

‘Ton’ mental n’est qu’apparemment ‘le tien’ :

Il n’est pas ‘le tien’ mais ce que tu es, tout ce que tu es.

Son ‘Regardant’ est tout ‘regardant’, voyant-comme-tel, qui se manifeste relativement comme sujet percevant objet.

(Posthumous Pieces, 98, pp. 200-201).