Une astrologie de la personne, un entretien avec Alexander Ruperti

Pour moi, l’astrologie n’est ni une science, ni un art, mais les deux à la fois. Il ne faut pas oublier que sous l’appellation générique «astrologie» se groupent des approches différentes : astrologies natale, horaire, mondiale, météorologique, etc … Derrière toutes les approches il y a un principe de base : c’est le rapport — qu’on interprète de plusieurs manières — entre la Terre, tout ce qui y vit, et l’univers. Toutes ces interprétations varient — depuis l’homme archaïque jusqu’à nos jours — selon la façon dont l’homme comprend l’univers, se comprend lui-même et comprend sa place à l’intérieur de cet univers.

(Revue Aurores. No 14. Juin 1981)

L’astrologie humaniste, appelée à devenir transpersonnelle, constitue sans doute l’un des courants les plus remarquables de l’astrologie moderne; et, sur beaucoup de points elle recoupe la tradition astrologique ou la prolonge. Colette Cholet à interrogé Alexander Ruperti, le représentant le plus qualifié de cette école dont la fondateur est l’américain Dane Rudhyar. Nous n’en oublions pas pour autant qu’il existe aujourd’hui d’autres courants astrologiques, une astrologie d’inspiration psychanalytique et une astrologie divinatoire, une astrologie dite sensualiste et une astrologie dite conditionaliste, une astrologie des cycles, conservatrice, etc.

Colette Cholet : Alexander Ruperti, vous pratiquez l’astrologie depuis de nombreuses années. Comment vous y êtes vous intéressé?

Alexander Ruperti : Jeune homme, je m’intéressais beaucoup à la philosophie occulte, pour trouver un sens à la vie et comprendre ce qu’était l’être humain. Cet intérêt m’a amené à étudier l’astrologie. Mais il faut bien dire que ma première impression n’a pas été favorable je n’ai trouvé nulle part une discussion des principes de base — seulement un amas de points de vue contradictoires, de systèmes et de maîtres à penser irréconciliables. Jamais une explication du «pourquoi», seulement une profusion de «techniques» variées, de significations multiples et incohérentes. Ce n’est qu’en 1936, quand Dane Rudhyar a publié son premier livre The Astrology of Personality, que j’ai enfin trouvé une présentation valable, en fonction de la pensée du XXème siècle, des principes de base d’une astrologie capable d’aider une personne à accomplir pleinement sa nature.

C.C. : Pour vous l’astrologie est-elle une science ou un art?

A.R. : Pour moi, l’astrologie n’est ni une science, ni un art, mais les deux à la fois. Il ne faut pas oublier que sous l’appellation générique «astrologie» se groupent des approches différentes : astrologies natale, horaire, mondiale, météorologique, etc … Derrière toutes les approches il y a un principe de base : c’est le rapport — qu’on interprète de plusieurs manières — entre la Terre, tout ce qui y vit, et l’univers. Toutes ces interprétations varient — depuis l’homme archaïque jusqu’à nos jours — selon la façon dont l’homme comprend l’univers, se comprend lui-même et comprend sa place à l’intérieur de cet univers.

Je m’explique : les faits astronomiques seules bases «scientifiques» valables pour l’astrologie, fournissent les éléments de base du rapport homme-univers. Ces faits astronomiques n’ont aucune valeur en eux-mêmes; c’est l’emploi qu’on en fait qui compte et cet emploi diffère selon la conscience de l’homme. L’homme de science, qui déshumanise l’univers au nom d’une objectivité abstraite, ne peut jamais être d’accord avec l’astrologue qui, lui, persiste à donner un sens humain à ce même univers. Aujourd’hui, seul l’astrologue cherche à donner un sens aux faits astronomiques; mais il le fait inévitablement selon sa façon de comprendre son rapport à cet univers. S’il se base uniquement sur ce qu’il trouve dans les manuels — qui mélangent toutes les interprétations depuis les temps archaïques jusqu’à nos jours — il ne peut avoir une vue claire de son rapport à l’univers. C’est pourquoi il est important de «dés-engrener» ces interprétations qui se sont accumulées à travers les siècles.

L’astrologie a donc une base scientifique : les données astronomiques sur l’état de l’univers dans lequel nous vivons. Mais l’application de cette base scientifique à des fins humaines restera toujours un art puisqu’elle nécessite une interprétation personnelle. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne l’interprétation du thème de naissance d’un individu. Les données scientifiques qu’on peut assembler sur la nature humaine, ses fonctions et capacités, au moyen de statistiques et d’études biologiques et psychologiques, forment la base de l’interprétation. Mais savoir comment un individu, en tant qu’individu, peut utiliser ces moyens humains pour s’accomplir psychologiquement et spirituellement, est un art.

L’astronomie est une science; l’astrologie (natale) est un art. A la base de chaque art, on peut trouver une science, puisque l’individu naît du sol du collectif. Chaque individu est une variation particulière sur le thème «genre Homo-Sapiens». Mais, étudier le genre ou l’espèce ne résoudra jamais complètement, et de manière satisfaisante, les problèmes qu’affronte le moi individuel.

C.C. : Quelles ont été les étapes de votre cheminement dans cette voie ?

A.R. : Mon point de départ a été celui de la plupart des astrologues : une étude de la tradition, des leçons auprès d’un astrologue professionnel, une application de ce que j’avais compris pour établir le caractère et les événements ou pour aider dans le choix d’initiatives. Une expérience comme membre de la rédaction d’un journal astrologique, dans lequel je devais répondre aux lettres et aux questions des lecteurs, a provoqué une crise de conscience : mes correspondants écrivaient avec une telle foi, une telle confiance dans mes capacités de résoudre leurs problèmes que j’ai été amené à me poser la question «Suis je vraiment en mesure, sur la base de l’astrologie, de répondre à ces questions, de décider pour ces gens ce qu’ils doivent faire ou ne pas faire ? » J’en arrivai à la conclusion que la responsabilité était trop grande pour moi, que je manquais de maturité psychologique (j’avais 22 ans) et surtout de connaissances psychologiques pour continuer à répondre à mes correspondants. Je décidai alors de ne plus pratiquer l’astrologie pour les autres.

Après la découverte de Rudhyar avec «The Astrology of Personality» et l’étude de la pensée de Jung, l’astrologie prit pour moi un autre sens. Je compris que telle qu’on la pratique couramment elle traite de la nature humaine et non pas de personnes; que l’astrologie dite occulte, basée sur des concepts théosophiques ou cabalistiques, s’occupe des forces cosmiques ou astrales qui entourent l’être humain, et non pas de personnes. Dans les deux cas, on présume que l’être humain est soumis à des forces extérieures à lui.

Petit à petit, j’ai compris que le thème de naissance ne montrait pas ce que nous sommes et ce qui nous arrivera mais, plutôt, nos potentialités de base, les qualités et moyens à notre disposition pour que nous les utilisions consciemment en vue d’accomplir une destinée particulière. J’ai aussi compris que l’astrologie doit traiter d’une personne vivante, et non pas d’une âme transcendante, puisque l’âme n’est pas née au même moment que la personne.

Vint ensuite, en 1969, la naissance de l’astrologie dite humaniste. Elle était censée correspondre au développement de la psychologie humaniste aux Etats Unis, selon Maslow, Rogers, Frankl, Assagioli entre autres. Mais elle prenait aussi en considération le travail d’Anthony Sutich et d’autres qui ont introduit la psychologie «transpersonnelle» avec son accent sur la valeur de facteurs transcendants, de la méditation, et les systèmes de développement personnel selon le yoga hindou, le zen japonais et les techniques derviches.

Une astrologie qui ne tient pas compte de toutes ces tendances n’est pas adaptée à notre temps. Depuis 1969, j’ai consacré de plus en plus de temps à la diffusion de cette nouvelle façon d’appliquer l’astrologie, tant aux Etats-Unis, où j’ai fait plusieurs tournées de conférences et séminaires, qu’en France, en Angleterre, en Allemagne et en Suisse. Un livre sur le signe de la Balance a paru en Italie et un autre, Cycles of Becoming, a été publié aux Etats-Unis et en français sous le titre Les cycles du Devenir (Editions du Rocher).

Grâce aux compétences et à la collaboration dévoués de Marief Cavaignac, l’œuvre de Rudhyar commence à paraître en France. Après un premier livre Le Cycle de la Lunaison, un second Le Rythme du Zodiaque a paru en avril 1981 et le troisième Les Aspects Astrologiques début 1982, toujours aux Editions du Rocher.

C.C. : Dans quel but enseignez-vous l’astrologie «humaniste» ?

A.R. : Les raisons ressortent déjà de ce que je viens de vous dire. Mais il y a aussi les tâches qu’affronte chacun de nous pendant cette période de transition entre deux ères. Nous sommes trop préoccupés par nos petits problèmes personnels, sans aucune notion de nos liens avec lui et de nos responsabilités envers lui: le plus grand tout dont nous faisons partie. Le concept moderne de «holisme» est une expression moderne du rapport entre le microcosme et le macrocosme. L’homme est un microcosme, une partie fonctionnelle de la Terre en tant que macrocosme. La Terre est un microcosme par rapport au macrocosme-système solaire, ce dernier étant lui-même partie fonctionnelle de la galaxie. Nous avons donc une hiérarchie d’ensembles organiques, ce que la science appellerait une hiérarchie de systèmes ou de champs de forces.

Chaque partie — ou microcosme — a une certaine fonction au sein du macrocosme. En tant que tout, une entité possède sa propre identité. Mais, en tant que partie d’un tout plus grand (macrocosme), elle remplit une fonction et joue un rôle particulier au sein du plus grand tout. Pour atteindre un équilibre harmonieux dans tout système d’activités organisées, il faut qu’il y ait un rapport stable entre les parties et le tout. C’est de qu’on appelle en cybernétique «l’homéostasie» : l’équilibre sain de fonctions interdépendantes et intégrées au sein d’un tout plus grand. Quand il y a homéostasie, il y a santé, harmonie, plénitude. L’idéal opposé, prévalent dans notre société occidentale qui prône le culte de l’individualisme sans aucun sens du rapport de l’individu à la société, nous a conduit au chaos actuel, à la violence et aux conflits qui déchirent le monde.

Le concept holiste demande à l’homme d’établir un rapport nouveau à l’univers; il y a appel à la transformation. L’astrologie humaniste montre comment utiliser les énergies de base de l’être afin que chacun les intègre pour jouer ensuite le rôle fonctionnel qui est le sien au sein du plus grand tout dont il peut faire partie. Au lieu de nous contenter d’une vie qui ne soit que l’expression de la nature humaine, nous devons chercher à vivre comme un système solaire. L’homme vraiment «humain» vit sa vie comme un système solaire. L’homme vraiment «humain» vit sa vie au lieu d’être dominé par les évènements. Il utilise des pouvoirs au lieu d’être influencé par des forces naturelles. Il réalise que l’univers est en lui tout autant qu’il est dans l’univers.

L’astrologie humaniste nous fait comprendre que chacun de nous est né parce que l’univers avait besoin de lui à ce moment précis et dans ce lieu particulier. Tout ce qui arrive dans la vie personnelle a une raison définie, en fonction d’un besoin du plus grand tout au sein duquel on est né. Nous sommes tous une solution (potentielle) à quelque problème mondial. Il n’y a rien d’autre à faire que de la comprendre et de savoir comment la combler.

Enfin l’astrologie humaniste n’est pas simplement une nouvelle technique d’interprétation; c’est une nouvelle façon de vivre qui exige, face aux événements, une attitude différente de la moyenne. Au lieu de regarder le thème pour savoir ce qui est ou sera, du point de vue du caractère et des événements, l’astrologue humaniste cherche à savoir ce qui devrait être si la personne veut arriver à la maturité spirituelle que le thème natal contient et révèle en germe.