André Mahé
Une médecine de la mécanique humaine : la vertébrothérapie

Et il ne s’agit pas d’une connaissance théorique et livresque acquise en consultant des planches et en assi­milant une terminologie spéciale, ni même de celle qu’on croit posséder, pour avoir disséqué à l’amphithéâtre. Il s’agit de tout autre chose. Et, d’abord, de posséder instinctivement le sens du corps humain, de la mécanique humaine, dans sa statique et surtout dans sa dynamique. Sambucy a raison de distinguer à travers l’Histoire deux grandes lignées de thérapeutes, que l’on peut différencier non en gymnastes et conformistes, mais en biologistes et mécaniciens. De toute évidence, cette distinction corres­pond à deux types d’esprit, de sensibilité, de philosophie peut-être, encore que le mécanicien comprendra souvent les questions biologiques, tandis que le biologiste reste généralement fermé à toute véritable connaissance mécanicienne. Et depuis des siècles, la médecine occi­dentale a tourné le dos à ce qu’on appelle aujourd’hui la médecine physique, alors qu’elle était contenue dans l’enseignement hippocratique.

(Extrait de Les médecines différentes. Encyclopédie Planète. LDP 1970)

À Rome, sous le règne de Marc Aurèle, Gallien reçut en consultation l’historien et géographe Pausanias. Le Grec, médecin de l’empereur, était déjà célèbre.

Pausanias souffrait d’un mal mystérieux que nul méde­cin de la ville n’avait pu définir, et encore moins soigner : peu à peu sa main gauche s’était engourdie, et déjà les trois derniers doigts n’avaient plus la moindre sensibilité. Gallien interrogea minutieusement Pausanias et apprit ainsi que, quelques mois plus tôt, en venant d’Asie Mi­neure, son char ayant versé sur la route, il avait été commotionné. « J’en conclus, écrit Gallien, que la pre­mière paire de nerfs, immédiatement voisine de la sep­tième cervicale, avait du être atteinte en quelque endroit dans cette chute, et que cela avait causé une inflamma­tion locale. Je compris cela parce que l’anatomie nous enseigne que les nerfs semblent émerger de la même source que les veines, chaque paire de nerfs suivant un cours semblable à celui des veines. Les nerfs, nombreux à leur origine, comprimés en faisceaux et communiquant dans des gaines communes, prennent leur source dans les méninges, dont ils sont des embranchements. Parmi eux, le dernier des nerfs cervicaux, c’est-à-dire celui des par­ties inférieures, se rend directement aux plus petits doigts qu’il atteint en se distribuant dans la peau qui recouvre ces doigts… Je prescrivis donc au malade de cesser les compresses appliquées localement, et traitai cette partie de l’épine dorsale où le mal avait son siège : les doigts affectés furent guéris à la suite du traitement de la colonne vertébrale.

En juin 1874, un médecin américain, Andrew Still, par­courait avec un ami une petite rue de Macon, État du Missouri. Il arriva ainsi à la hauteur d’une femme accom­pagnée de trois enfants, dont l’un laissait tomber sans arrêt quelques gouttes de sang. Le médecin pensa qu’il s’agissait d’une dysenterie hémorragique et prit l’enfant dans ses bras.

Tout en continuant à marcher aux côtés de la mère, Still palpa le gamin et s’aperçut que sa colonne vertébrale était dure, contracturée, chaude, dans la région lombaire particulièrement, tandis que le ventre restait froid. Or il était préoccupé depuis longtemps par les rapports, que ses observations lui paraissaient établir, entre la colonne vertébrale et les troubles organiques. Dans un éclair d’in­tuition, il eut la quasi-certitude que le mauvais état intes­tinal était en rapport avec les contractures de la région vertébrale, et qu’il améliorerait l’intestin s’il agissait sur le rachis. Toujours en marchant, Still s’efforça de mobi­liser les différents segments en appuyant principalement et progressivement sur les muscles lombaires. Après quel­ques minutes, il sentit les muscles se relâcher, tandis que la paroi abdominale devenait en même temps moins froide. Il libéra ainsi de son mieux toutes les petites ano­malies de structure qu’il trouva le long de la colonne de l’enfant, et le rendit ensuite à sa mère. Le lendemain même, celle-ci venait annoncer au médecin que le ga­min était totalement guéri.

Les secrets des rebouteux

Pendant près de deux millénaires, de Gallien jusqu’à Still, cette connaissance capitale du rapport entre la colonne vertébrale et de nombreuses maladies a été perdue en Occident [1]. Du moins par la médecine, car bien des rebouteux n’avaient pas cessé de la maintenir à travers l’empirisme. Et on peut penser que Still n’a pas bénéficié d’une découverte en génération spontanée, mais qu’il avait exercé ses connaissances d’anatomie et de physio­logie sur des faits observés par lui auprès d’empiriques. Les Chinois, les Hindous et les Égyptiens ont connu, bien avant les Grecs — qui ont sans doute été enseignés par les Égyptiens —, l’importance de la colonne vertébrale dans la genèse des maladies et ont su la soigner en rédui­sant les blocages. La médecine chinoise n’a jamais cessé d’utiliser les manipulations. Aux Indes, on pratique tou­jours diverses techniques, dont celle qui consiste à faire rouler, sur le dos du malade allongé, une massue enduite d’un corps gras. Les Japonais ont une préférence pour le Kaoua Tsou, qui apprend la percussion ou la pression sur la vertèbre intéressée. En Afrique du Nord et dans certains pays orientaux, deux méthodes très voisines, le Takyesse et le Tfarkah, se composent de massages le long des gouttières vertébrales, d’élongations et de manipulations diverses.

L’arbre de vie de notre organisme

Malgré la publication, depuis quelques années, de plu­sieurs ouvrages importants, on peut dire que la colonne vertébrale est encore une grande méconnue. Du moins par rapport à son rôle que l’on peut expliquer ainsi en quelques mots : « Elle commande tout, tout en sort, tout y arrive. La grande source de vie est chez l’homme la moelle, et les nerfs, quels qu’ils soient, sortent de la moelle par les trous osseux, comme la source sort de la pierre. »

Mais après cette définition exhaustive, serrons de plus près l’anatomie et la physiologie [2].

Notre colonne vertébrale constitue une sorte de tube contenant la moelle épinière, et est formée de ces an­neaux que sont les vertèbres. Celles-ci sont jointes par des surfaces articulaires, certaines vertèbres présentant jusqu’à dix surfaces. Chacune de ces surfaces ne permet qu’un jeu très réduit, mais l’ensemble de ces mouvements fait de notre colonne vertébrale une tige souple et flexible, d’une effarante complexité.

Dans le jeu du squelette humain, les différents heurts sont ainsi interceptés par les incurvations, tandis que le poids total des organes est amorti par le bassin grâce à une courbure en trois arcs superposés.

Le bassin est une pièce particulière à la mécanique hu­maine, l’évolution vers la station debout ayant en même temps constitué ainsi l’adaptation à cette situation nou­velle [3]. En anatomie comparée, c’est le bassin qui carac­térise notre squelette, offrant une assise nécessaire à cette poutre devenue colonne.

Les diverses méthodes de vertébrothérapie accordant un degré d’importance variable au bassin, il est néces­saire de bien le situer dans la mécanique humaine pour différencier ces méthodes.

Le sacrum, qui est fait de cinq vertèbres soudées, vient s’insérer, véritable clé de voûte de la colonne, entre les os iliaques. Les os iliaques forment les saillies des hanches, sur lesquelles s’articulent les têtes des fémurs. Le poids du tronc est ainsi répercuté sur le bassin par des articulations sacro-iliaques, dont le rôle est capital, comme on le verra. Mais la poussée s’opère aussi en sens inverse, du bassin au sacrum, donc à l’ensemble de la colonne vertébrale.

La fonction primordiale de la colonne vertébrale consiste à former un conduit, le canal rachidien, qui protège la moelle épinière. La moelle épinière parcourt donc le canal rachidien, en émettant trente et une paires de nerfs ou racines rachidiennes dont chacune passe par un trou de conjugaison, espace compris entre deux vertèbres. Après avoir traversé les trous des conjugaison, ces racines forment le nerf rachidien, dont les diverses rami­fications vont à leur tour, par le canal des ganglions sympathiques, commander tous les organes, réglant ainsi les fonctions de notre organisme. À travers ce schéma, très simplifié pour ne pas entrer dans des explications physiologiques complexes, on voit que chaque vertèbre figure une touche dans le clavier vertébral.

Notre colonne vertébrale est composée de sept cervicales, de douze dorsales reliées aux côtes, de cinq lombaires, de cinq vertèbres soudées formant le sacrum, et de quatre ou cinq coccygiennes atrophiées ou coccyx. Toutes les vertèbres, dont la forme dépend de la position dans la colonne, sont constituées d’un corps situé en avant et d’un arc vertébral placé en arrière. C’est la juxtaposition des corps qui forme le canal rachidien contenant et protégeant la moelle épinière.

L’arc vertébral comporte sept prolongements ou apophyses : en arrière, une apophyse épineuse, celle que l’on sent au toucher ; deux apophyses sur les côtés, deux apophyses supérieures s’articulant avec la vertèbre située au-dessus, et deux inférieures dont la fonction est inverse.

Deux vertèbres essentielles : l’axis et l’atlas

Toutes les écoles sont d’accord pour attacher une im­portance particulière à la première vertèbre, l’atlas, qui porte le crâne, et la deuxième, l’axis, sur laquelle l’atlas pivote. Mais également à la cinquième lombaire qui se trouve à la base mobile de la colonne, portant sur le sacrum par le dernier disque appelé disque sacré, le plus épais et le plus important puisqu’il est l’amortisseur nu­méro 1 de tout le bâti humain.

Quoi qu’il en soit de l’importance respective des ver­tèbres, les paires de nerfs qui sortent de leurs trous de conjugaison commandent dont le fonctionnement de nos organes. L’état actuel des connaissances ne permet pas d’établir ces rapports, d’ailleurs fort complexes, d’une façon absolument précise. Cette réserve n’enlève rien au principe commun à toutes les écoles pratiquant les manipulations articulaires : quand l’ensemble d’une arti­culation vertébrale n’est plus normal, il s’ensuit une per­turbation, fonctionnelle ou lésionnelle, du niveau orga­nique en relation avec la vertèbre. Mais on verra aussi qu’il existe, entre ces méthodes, des différences sur la façon de concevoir ces rapports d’organe à vertèbre, donc sur les soins à pratiquer.

Qu’est-ce qu’un déplacement vertébral ?

La vertébrothérapie se heurta longtemps au scepticisme de tout le corps médical, tout particulièrement en ce qui concerne la notion de « vertèbres déplacées ». L’ex­pression était malheureuse, et actuellement le vocabu­laire reste encore trop diversifié. Dans les écrits, on relève les termes de déviation, luxation, subluxation, blocage, lésion…

Toutefois, grâce à une évolution menant de l’empirisme du départ à la connaissance scientifique, des données précises se sont dégagées, qui sont désormais communes aux diverses méthodes malgré les dénominations différentes. Et, sur ce point, tous les auteurs sérieux en arrivent sensiblement aux mêmes conclusions.

Tout d’abord, il ne faut pas parler de « vertèbre dépla­cée », du moins dans l’usage abusif que l’on fait de cette expression. La colonne vertébrale et solidement cette protégée par les muscles et les ligaments : un déplacement réel de vertèbre est une chose rare, très grave, consé­cutive à un choc des plus violents ou à une maladie osseuse, et qui n’est plus du domaine de la vertébrothérapie. Mais cette protection n’empêche pas un certain jeu des vertèbres : chacune d’elles possède une mobilité relative, un champ physiologique de mouvement. Cette mobilité est permise grâce aux disques situés entre les corps des vertèbres, celles-ci étant donc articulées entre elles par leurs apophyses.

Or il arrive fréquemment qu’une vertèbre, à la suite d’une chute ou d’un mouvement violent, pour ne considérer provisoirement que ces deux facteurs, se bloque à la limite de son champ de mobilité. L’anomalie se constate alors dans la position debout : cette vertèbre reste dans la position qu’elle ne devrait prendre qu’au cours d’un mouvement. Pour certains auteurs, ce blocage peut même se situer légèrement au-delà des limites du mouvement normal. Mais on peut considérer que le dénomina­teur commun des diverses écoles est exprimé, en l’oc­currence, par cette définition du Dr Lavezzari : « La lésion ostéopathique est donc caractérisée par la fixation d’une vertèbre dans une position qu’elle ne devrait nor­malement occuper que dans les limites extrêmes d’un mouvement physiologique. »

On retrouve désormais cette conception dans toutes les méthodes, quels que soient les termes utilisés, lésion, subluxation, blocage, etc. Par conséquent, l’expression courante de « vertèbre déplacée » constitue une erreur, c’est à elle qu’on doit l’incrédulité de tant de médecins à l’égard de la vertébrothérapie.

Le blocage de la vertèbre peut avoir diverses consé­quences : pincement ou hernie discale, dégénérescence du disque, mauvaise position des surfaces articulaires, distension des ligaments. À ce moment, un certain désé­quilibre s’opère, le trou de conjugaison n’a plus son ouverture normale, les tissus sont enflammés, le nerf rachi­dien se trouve plus ou moins comprimé, les ligaments et tissus s’altèrent à leur tour.

Chaque école explique ce processus à sa façon, mais tous les praticiens de la vertébrothérapie, quelle que soit leur formation, considèrent que cette compression reten­tit plus ou moins sur l’organe correspondant à ce nerf, donc à la vertèbre bloquée. Et qu’en rendant à la ver­tèbre sa mobilité on obtient un retour à la normale de la fonction organique.

Cette conception rencontra une opposition très vive du corps médical : le nerf ne remplissant pas le trou de conjugaison, il ne pouvait pas être gêné par une légère déformation de ce trou consécutive à un insignifiant dé­placement de vertèbre. Les vertébrothérapeutes déve­loppaient alors une argumentation qui se trouve résumée par le Dr Lavezzari : « N’est-il pas absurde pourtant d’admettre qu’une luxation d’une vertèbre cervicale ou lombaire puisse produire une paralysie dans un membre, et de refuser à une subluxation la possibilité de produire une névralgie ou une névrite ou un trouble trophique, c’est-à-dire dans la nutrition des tissus ? Entre les deux lésions, il n’y a qu’une question de degrés. De même, puisqu’on admet que l’oblitération complète d’une artère importante peut produire parfois la gangrène d’un membre ou d’un organe, pourquoi ne pas admettre avec les ostéopathes qu’une simple compression de cette même artère puisse produire des effets importants dans l’organe correspondant ? » Avec Still et ses successeurs, la vertébrothérapie n’a pas inventé, elle a retrouvé une grande voie qui, en Occident, s’était égarée, mais était aussi conservée dans l’empirisme des rebouteux [4].

Hippocrate, dans son traité sur les articulations, répète à plusieurs reprises qu’il est nécessaire de bien connaître la colonne vertébrale, cette connaissance étant indispen­sable dans de nombreuses maladies, car beaucoup d’entre elles sont en rapport avec la colonne vertébrale. Il donne des renseignements sur la façon dont se luxent les ver­tèbres et comment ces déplacements, s’ils ne sont pas correctement réduits, causent des maladies.

Gallien ne s’est pas contenté de soigner ainsi Pausanias ; il a dépassé Hippocrate, semble-t-il, par ses précisions. En commentant son illustre prédécesseur, le non moins illustre médecin de Pergame a même donné une défini­tion très moderne de ce qu’il nomme pararthrema et qui correspond à ce que l’on appelle aujourd’hui subluxa­tion, lésion ostéopathique ou blocage : « Les vertèbres ne sont pas déplacées, mais ont perdu l’alignement cor­rect dans leur juxtaposition les unes par rapport aux autres. » Puis, Gallien démontre parfaitement à son tour que ce déplacement minime déforme le trou de conju­gaison, ce qui lèse les racines nerveuses à leur point de sortie. « Quiconque désire savoir, écrit-il, à quelle ver­tèbre ou à quel nerf attribuer l’origine d’une affection doit bien étudier l’épine dorsale, sinon il est impossible de déterminer où se trouve cet état, à quelle vertèbre se situe la cause et à quelle paire de nerfs remonte l’ori­gine. » Si la médecine moderne occidentale avait gardé plus de fidélité à sa tradition et à ses sources, il n’eût pas été indispensable, pour prouver la lésion et ses consé­quences, de martyriser des animaux.

L’importance de la médecine humaine

Au XVIIe siècle, le médecin anglais Harvey découvrit et démontra la circulation du sang. Et il compta parmi ses adversaires les plus acharnés des hautes autorités médi­cales de l’époque, à commencer par la Faculté de méde­cine de Paris. Still rencontra le même accueil auprès du corps médical américain quand il exposa ses conceptions dont voici le principe de base : « Là où le sang circule normalement la maladie est impuissante à se développer, car notre sang est capable de fabriquer tous les principes utiles pour assurer l’immunité naturelle et lutter contre les maladies. » Il faut souligner que cela était affirmé vers 1875, bien avant les grandes découvertes sur le rôle du sang dans notre organisme.

Au niveau de connaissance que permettait l’état de la biologie à cette époque, Still était un précurseur génial en l’occurrence. « Toutes les découvertes sur la phago­cytose, l’immunologie, la sérothérapie étaient encore lettre morte, rappelle le Dr Lavezzari. La pathologie était encore plus rudimentaire. Il fallait évidemment une dose d’optimisme peu commune pour affirmer que le sang humain était capable de fabriquer par lui-même toutes les substances dont il a besoin pour se défendre contre la maladie… Il paraît aujourd’hui naturel aux jeunes générations médicales d’admettre la merveilleuse plasticité du sang humain, et même l’existence de forces formatrices spéciales, comme l’ont montré, il y a quel­ques années déjà, les belles expériences sur la cristallisation… et les recherches modernes sur la sérologie. Mais à l’époque de Still, c’était une véritable révolution et un bouleversement des conceptions médicales cou­rantes. Rattacher cette immunité du corps humain au squelette parut à la plupart une véritable hérésie. Et quand Still vint affirmer que ces lésions structurales du squelette étaient d’importance majeure et qu’on pouvait les corriger manuellement, beaucoup pensèrent que c’était là un non-sens, une folie. »

En effet, avec un remarquable esprit de synthèse, Still trouvait dans cette conception le fondement de ses expé­rimentations vertébrales : toute modification circulatoire, avec retentissement pathologique inéluctable sur l’or­gane, est commandée par un trouble vaso-moteur, donc par le nerf. Or le nerf, à sa racine même, subit les effets fâcheux de la moindre lésion structurale du squelette. Andrew Still établit ainsi les principes suivants :

a) c’est dans cette porte (trou de conjugaison) que se trouvent les lésions ;

b) elles sont causées par l’inflammation des ligaments et par un petit déplacement ;

c) ce petit déplacement est souvent consécutif à une chute ;

d) un déblocage libérera le nerf lésé et transformé ;

e) même s’il n’y a pas eu chute, et même s’il n’y a pas de lésion à cet endroit, le déblocage amènera une vie nouvelle dans le nerf et toutes les fonctions commandées par ce nerf s’en trouveront améliorées.

En même temps, Still étendait le champ de ses observa­tions et de ses soins. Il trouva des causes mécaniques, osa-t-il alors affirmer, dans tous les désordres examinés par lui. Et il créa, pour désigner sa méthode, le terme d’ostéopathie (ostéon, os, et pathos, maladie). L’ostéo­pathie n’est pas l’étude des maladies particulières aux tissus osseux, mais la science qui consiste à soigner les maladies par les os et leurs articulations. Il ne s’agissait donc pas d’un traitement local, ayant seulement des effets limités, mais d’une méthode générale affichant de vastes ambitions. À l’origine de toute maladie, l’ostéo­pathie prétendait déceler un déséquilibre de structure, et guérir en le corrigeant. L’ostéopathie déborde donc, tout en l’incluant, le cadre de la vertébrothérapie, mais ce dernier mot continue généralement à être utilisé.

Still envisagea d’abord d’enseigner l’ostéopathie à ses confrères. Mais le corps médical américain réagit avec la plus vive hostilité contre cet homme qui prétendait guérir des maladies en manipulant les os.

Still forma donc des disciples en dehors du cadre médical et ouvrit en 1892 la première école d’ostéopathie, The American School of Osteopathy. Cette nouvelle méthode rencontra une telle faveur auprès du public que rien ne put freiner son expansion aux États-Unis et au Canada. Des milliers de praticiens exercèrent dans ces deux pays, après avoir été formés dans de grands collèges, reconnus par l’État et décernant un diplôme spécial. Plus tard, ce mouvement s’étendit à l’Angleterre, dans les mêmes conditions d’enseignement et de pratique.

David Palmer et la chiropractie

En 1895, alors que Still enseigne depuis longtemps déjà, un autre Américain, David Palmer, fonde à son tour la chiropractie. Lui aussi, d’après les disciples, l’aurait fait à partir d’une intuition. Mais il est plus vraisemblable que Palmer connaissait fort bien l’ostéopathie de Still et qu’il s’en est inspiré pour créer une autre branche de la ver­tébrothérapie.

Les deux méthodes ont en commun la conception du rapport qui existe entre la colonne vertébrale et les troubles organiques, et des perturbations causées par un blocage ou subluxation d’une vertèbre. Mais à partir de cette identité de vues, les divergences sont très impor­tantes. Tout d’abord l’ostéopathe ne borne pas son champ d’investigation à la colonne vertébrale, il l’étend à toute la mécanique humaine. Au contraire, le chiropracteur, tout au moins dans le principe de la méthode, n’attache une réelle importance qu’aux deux premières vertèbres cervicales, l’atlas et l’axis [5]. La raison physiologique de ce choix est condensée dans ces quelques lignes de M. Schwing, chiropracteur américain installé en France, qui écrivit la Chute d’Esculape alors qu’il était président de l’« Association Pro-Chiropractic française » et de la « Fédération internationale des Sociétés Pro-Chiroprac­tic » : « Étant donné que tous les nerfs ont leur origine dans le cerveau et qu’ils forment, en le quittant, la moelle épinière qui passe dans l’atlas, une déviation de cette vertèbre peut irriter ou comprimer la moelle épinière et provoquer un dérangement dans l’organe qui corres­pond à ces nerfs [6].

Ainsi est gêné cet « influx nerveux » que l’on a tant reproché, comme étant une pure notion métaphysique, à plusieurs générations de chiropracteurs. Pourtant, les chiropracteurs sont très soucieux de progrès scienti­fique et technique, et se servent généralement d’appareils plus ou moins compliqués, par exemple l’électroencépha­loneuromentipographe, qui enregistre les variations de l’influx nerveux, le protracteur, permettant de mesurer les changements de position des vertèbres subluxées, le neurocalorimètre, qui doit permettre de découvrir le nerf rachidien surchauffé, et le spinographe, avec lequel le chiropracteur peut vérifier les effets progressifs de son traitement.

Ce traitement paraît simple au premier abord. « Le re­dressement de la vertèbre, écrit Schwing, est fait unique­ment par les mains du praticien. Par de scientifiques applications de force, il repousse peu à peu la vertèbre vers sa place originelle, c’est-à-dire vers la ligne mé­diane. Le traitement comporte une série d’ajustements dont le nombre varie selon la gravité de la déviation de la vertèbre. » Mais il faut dire que l’étude de ce geste demande plusieurs mois d’entraînement dans une école américaine. Car les chiropracteurs ont très exactement imité les ostéopathes pour développer et imposer leur méthode, et il existe en Amérique du Nord plusieurs grands collèges qui dispensent un enseignement auto­nome faisant l’objet du diplôme de docteur en chiro­practie.

En France, l’ostéopathie commençait à s’implanter avant la Première Guerre mondiale. Les docteurs Moutin et G.A. Mann publiaient, en 1913, un Manuel d’Ostéopathie pratique, rédigé d’après les ou­vrages de Still et de son principal disciple, Riggs. Et il était destiné aux « Élèves de l’école d’Ostéopathie », ce qui prouve qu’il existait un enseignement, probablement organisé et dirigé par les deux auteurs qui pratiquaient l’ostéopathie depuis pas mal de temps déjà. C’est, en effet, un véritable manuel pratique, avec de nombreuses illustrations. L’ensemble des manipulations est basé sur le principe qui reste, de nos jours, celui de l’ostéopathie : que le malade soit assis, debout ou bien allongé sur le dos, le ventre ou le côté, c’est sa masse qui est utilisée en flexion ou en rotation, ou bien ses membres qui ser­vent de levier, pour réduire la lésion ostéopathique.

Mais, après la guerre, l’ostéopathie disparut dans notre pays. En 1920, Schwing s’installa en France pour y pra­tiquer la chiropractie, et, peu à peu, quelques praticiens iront apprendre cette méthode aux États-Unis. En 1931, le Dr Leprince publia deux ouvrages dans lesquels il exposa les méthodes de vertébrothérapie, mais, à part sans doute quelques masseurs qui apprirent à manipuler sur le sujet même, ce domaine de la thérapeutique resta à peu près ignoré.

C’est seulement après la Seconde Guerre mondiale que la vertébrothérapie va enfin avoir droit de cité chez nous, et elle le devra à une personnalité exceptionnelle. Dès 1944, le Dr André de Sambucy crée un premier service de vertébrothérapie dans un centre d’accueil pour enfants délinquants. Et, rapidement, il se multiplie pour fonder des services analogues dans des hôpitaux de Pa­ris, puis en province, formant ainsi déjà de nombreux élèves parmi les masseurs, créant aussi des centres où l’on commence à appliquer ses méthodes.

Un pionnier de la vertébrothérapie en France

C’est le médecin, du moins à notre connaissance, qui a formulé le premier ce que beaucoup considèrent comme la règle d’or de la vertébrothérapie moderne : toute manipulation articulaire, vertébrale ou autre doit être précédée par un traitement des tissus mous, dont la durée sera fonction de l’état de ces tissus et de l’ancien­neté du blocage. « La colonne est composée, a-t-il pré­cisé, de tous les tissus, os, nerfs, articulations, ligaments, cartilages, artères, veines… De plus, tout cela est recou­vert d’un énorme manteau de muscles, durcis en général. Quand un farceur fait croire aux gens qu’avec un craque­ment tout ce monde délabré est guéri, il se comporte en illusionniste. »

Mais le praticien, chez Sambucy, ne nuit jamais à l’homme de connaissance qui veut dominer le sujet. « La médecine, écrit-il, est le royaume des compartiments étanches : associer est dangereux ; réunir, téméraire ; si on synthétise, on est mal vu… Nos doctrines viennent de la Suède, de l’Amérique, de l’Inde, de l’Égypte ancienne, et de médecins gymnastes du temps passé, entièrement différents de la lignée médicale. Mais, cherchant la syn­thèse entre la lignée gymnastique et la médecine confor­miste, nous avons trouvé des points communs. »

Et il lie ainsi ce qu’il appelle les huit points de base :

1) Le sympathique a son origine dans la moelle. Il sort par des vertèbres et s’allonge le long de la colonne. Il commande les organes (Bichat, Dastre, Cannon, A. Tho­mas, Reilly, Leriche, etc.).

2) Toute bande de peau, tout muscle, tout organe, est en relation avec une vertèbre (Déjerine).

3) Le nerf est tout (Ranvier, Vulpian).

4) Le trou de conjugaison commande le nerf, la vertèbre en est la clé (Still, Palmer).

5) Le ligament est le maître de l’articulation (Leriche).

6) La vie du système nerveux central dépend de sa cir­culation, de sa minéralisation, de son oxygénation (la neurologie).

7) Le frisson vertébral inconnu de la médecine officielle, « la réponse du sympathique prouve que l’on a agi sur les organes » (Dr Gachet).

8) L’allongement doit être spontané chez le serpent dor­sal autonome, d’où la stupidité des tractions violentes. Massage+autotorsion entre des points fixes = allonge­ment (Sambucy).

Dans le cadre des dimensions indiquées par sa concep­tion synthétique, André de Sambucy a élaboré une mé­thode générale qu’il enseigne à ses élèves, la méthode dite des Neuf temps énumérés ainsi :

masser, calmer;

se redresser, respirer ;

détendre, se suspendre ;

se remuscler, se réchauffer;

tirer, allonger;

débloquer, manipuler ;

désinfecter, recalcifier;

soutenir, corseter;

sentir, surveiller le dos, yoga.

« La clavier de ce cerveau genre électronique à neuf touches, indique A. de Sambucy, ce sont les neuf ma­nières de traiter la colonne vertébrale, les neuf temps, les neuf techniques, réunion de toutes les pratiques des anciens et des modernes. » Il n’est évidemment pas ques­tion d’employer toutes les touches de ce clavier dans chaque traitement, c’est un arsenal dont disposent les praticiens français et étrangers formés par Sambucy, et dans lequel ils font un choix suivant l’état du malade.

Gymnastes et conformistes, ou mécaniciens et biologistes

En une vingtaine d’années, les travaux du Dr de Sam­bucy, les confrontations entre diverses écoles d’ostéo­pathes, puis entre ostéopathes et chiropracteurs, ont permis de mieux préciser les théories et les pratiques de la vertébrothérapie [7].

Les diverses écoles sont à peu près d’accord pour consi­dérer comme périmée, ou tout au moins vraiment trop élémentaire, la théorie d’après laquelle les nerfs sont comprimés, au niveau du trou de conjugaison, par un déplacement vertébral. La notion de déplacement a été remplacée, rappelons-le, par celle de blocage de la ver­tèbre à la limite de son champ physiologique de mouvement. Or ce blocage semble trop minime pour opérer une compression sur le nerf.

En réalité, le blocage est la cause, ou l’effet, d’un ensemble extrêmement complexe de phénomènes méca­niques et congestifs mettant en jeu les vertèbres, les liga­ments, les muscles paravertébraux et les tissus. Il faut souligner cette conception nouvelle, à savoir que le blo­cage peut fort bien être un effet, et non une cause.

Les chiropracteurs, ainsi que les ostéopathes de l’école ancienne, ont toujours décrit le même processus : à par­tir d’une lésion ou d’une subluxation, pour reprendre leurs termes, il s’ensuivait un dérèglement de l’organe correspondant au niveau vertébral lésé. Mais les choses peuvent se passer ainsi ou bien de la façon exactement inverse. Il existe des relations réciproques entre toutes les parties du corps et la colonne vertébrale. Le dérègle­ment d’un organe peut s’inscrire, certains affirment même qu’il s’inscrit toujours, au niveau vertébral [8].

L’importance de cette conception n’échappera pas. En effet, si elle est juste, la vertébrothérapie ne s’adresse plus seulement à des séquelles de traumatismes, d’ailleurs infiniment plus nombreuses qu’on ne le pense étant donné la dégénérescence ligamentaire et musculaire des civili­sés que nous sommes, chez lesquels un choc minime, un faux mouvement peuvent bloquer une vertèbre ou la sacro-iliaque. Elle est aussi une méthode de soins beaucoup plus générale, qui peut être employée avec succès, au moins à titre complémentaire, dans la plupart des troubles fonctionnels et des maladies organiques.

L’origine d’un blocage n’est donc pas forcément d’ordre mécanique ; elle peut avoir une cause chimique. Il faut ajouter, d’après les vertébrothérapeutes, qu’elle peut avoir également une cause psychique. Bien après que le bon sens populaire l’eut exprimé, la psychosomatique a démontré que le mental était étroitement lié au physiologique. On sait qu’un choc émotif violent, vive contrariété, préoccupations, angoisse, peut avoir une répercussion organique, mais il peut s’inscrire ainsi au niveau vertébral.

Le trou de conjugaison, cette échancrure où passe le nerf rachidien issu de la moelle épinière, reste le point central de tous les troubles consécutifs à un blocage, mais d’une façon beaucoup plus complexe que ne le supposaient les théoriciens de « l’influx nerveux ». En l’occurrence, le blocage de la vertèbre et la déformation consécutive du trou de conjugaison ont une répercussion sur les liga­ments qui se durcissent et deviennent raides, sur les muscles qui présentent alors des contractures et sont douloureux au toucher, tandis que certaines zones du tissu sous-cutané tendent à la sclérose.

Ces durcissements ligamentaires, ces contractures des muscles, cette modification des tissus peuvent accentuer une déformation du disque déjà amorcée par le déséqui­libre vertébral. Mais ici, comme toujours, l’inverse est possible, la déformation du disque peut être à l’origine de tout le reste.

Après les tâtonnements d’une première phase, la concep­tion du blocage paraît établie définitivement. Il s’agit d’une modification de la place normalement occupée par une vertèbre et portant sur la position de ses surfaces articulaires. Cette modification est, suivant le cas, la cause ou l’effet de différents troubles des parties avoisi­nantes : segments correspondants de la moelle, ganglions sympathiques en relation immédiate, ligaments, muscles, tissu sous-cutané.

À partir d’une telle vue d’ensemble, à la fois complexe et synthétique, on aperçoit aussitôt le côté simpliste des techniques vertébrales basées sur la seule manipulation. Il ne s’agit plus de « faire craquer » pour tout remettre en place comme par miracle, mais d’appliquer une tech­nique prudente de soins et s’attaquant progressivement aux différents niveaux lésés ou perturbés, avant de traiter les vertèbres.

Certains praticiens pensent que ce travail de normali­sation peut avoir lieu immédiatement après le ou les blo­cages, mais ils sont une minorité.

Le sens du corps humain

Pour pratiquer correctement la vertébrothérapie, il faut des hommes connaissant à fond l’anatomie et la physio­logie.

Et il ne s’agit pas d’une connaissance théorique et livresque acquise en consultant des planches et en assi­milant une terminologie spéciale, ni même de celle qu’on croit posséder, pour avoir disséqué à l’amphithéâtre [9]. Il s’agit de tout autre chose. Et, d’abord, de posséder instinctivement le sens du corps humain, de la mécanique humaine, dans sa statique et surtout dans sa dynamique. Sambucy a raison de distinguer à travers l’Histoire deux grandes lignées de thérapeutes, que l’on peut différencier non en gymnastes et conformistes, mais en biologistes et mécaniciens. De toute évidence, cette distinction corres­pond à deux types d’esprit, de sensibilité, de philosophie peut-être, encore que le mécanicien comprendra souvent les questions biologiques, tandis que le biologiste reste généralement fermé à toute véritable connaissance mécanicienne. Et depuis des siècles, la médecine occi­dentale a tourné le dos à ce qu’on appelle aujourd’hui la médecine physique, alors qu’elle était contenue dans l’enseignement hippocratique. On peut dire que tout individu ayant la vocation et les dons pour exercer la médecine physique se trouve ainsi écarté actuellement des études et de la profession médicales, dégoûté dès les premières approches. L’exception confirme cette règle, mais il faut alors, après la Faculté, apprendre un métier nouveau.

Ce don, ce sens du corps humain, n’est qu’une condition préalable ; il faut ensuite le former, puis le cultiver et le pratiquer. Ce qui suppose une étude approfondie de l’anatomie et de la physiologie, mais aussi, mais surtout une longue habitude du maniement de ce corps humain vivant, un exercice continuel des aptitudes et des connais­sances mécaniciennes pour le soigner.

Un don, plus de la pratique

Or, aucune formation ne peut prétendre dépasser ni même égaler celle des kinésithérapeutes dans la connaissance directe, effective, à chaque instant vécue, de la mécanique humaine. Sambucy, pourtant médecin, n’a cessé de l’écrire et de le proclamer, sans omettre de signaler qu’il parlait des vrais kinésithérapeutes, non de ceux qui pratiquent la « caressothérapie ». Il n’est certes pas interdit à un médecin de devenir kinésithérapeute. Mais, dans l’immense majorité des cas, le médecin ne pourra pas apprendre ce métier nouveau après ses études ; et, le ferait-il, qu’il n’aura pas, dans l’exercice de sa profession, le temps nécessaire pour donner des soins aussi minutieux et aussi fatigants manuellement. On comprend alors aisément pourquoi la vertébrothérapie est devenue, aux États-Unis, au Canada, en Angleterre, une profession indépendante de la médecine, exercée avec un diplôme spécial, qui n’est certes pas inaccessible aux médecins, mais que très peu d’entre eux ambi­tionnent d’obtenir à cause des longues études particu­lières qu’il implique.

La vertébrothérapie a d’ailleurs évolué, aux États-Unis, d’une façon assez paradoxale. En fait, seule l’école Palmer, de Davenport, enseigne encore selon la doctrine du fondateur. En conservant leur appellation d’origine, les, grands collèges américains de chiropractie ont tellement évolué qu’ils pratiquent finalement l’ostéopathie, et les ouvrages américains de chiropractie préconisent la mobilisation de toutes les articulations. En même temps, autre aspect du paradoxe, tandis que la chiropractie amé­ricaine se transformait en ostéopathie, le courant ostéo­pathique dégénérait aux États-Unis. Les ostéopathes y sont nombreux, mais pratiquent souvent beaucoup plus la médecine médicamenteuse que leur propre méthode, reprise en charge par les chiropracteurs.

Somme toute, seule l’école de Davenport reste fidèle au dogme primitif. Mais, jusqu’à une date assez récente, tous les Français qui voulaient apprendre la chiropractie et avoir un diplôme américain ne fréquentaient que cette école.

En France, la situation actuelle de la vertébrothérapie est très complexe. Disons tout d’abord qu’une association de médecins ostéopathes a été créée, et qu’elle décerne, après études, un diplôme à ses membres. Parmi les ostéo­pathes non médecins, on peut discerner en gros trois catégories.

La première comprend des masseurs et kinésithérapeutes qui ont appris l’ostéopathie à travers les écrits principa­lement de Sambucy, de Lavezzari, de Wanono, pour ne parler que des auteurs français. Beaucoup se contentent de manipuler. D’autres pratiquent, avant de débloquer, le massage classique en pétrissant les grosses masses musculaires.

Les kinésithérapeutes diplômés d’État et formés par l’école du Dr de Sambucy constituent la seconde caté­gorie. Ils ne s’intitulent généralement pas ostéopathes, mais le sont en fait puisqu’ils ont appris la méthode dite des neuf temps.

Enfin, la S.R.O. (Société de Recherches ostéopathiques) donne un enseignement complémentaire à des kinésithé­rapeutes diplômés d’État et délivre ensuite son propre diplôme, après examen devant un jury dans lequel se trouve un professeur de la Faculté de médecine. L’ensei­gnement de la S.R.O. a été influencé par l’un des exami­nateurs de son jury, le professeur d’ostéopathie anglais Dummner, qui a apporté une contribution très intéres­sante à la vertébrothérapie avec son traitement neuro­musculaire.

L’état des articulations dépend en grande partie du tonus des groupes de muscles correspondants. Dans toute sa masse, le muscle est traversé par des nerfs, mais la partie la plus richement innervée se trouve autour des racines et des insertions. C’est ici que la lésion neuro-musculaire s’installe, causant la contracture des grosses masses. Elle se compose généralement de petites adhérences fibreuses, parfois de grosses infiltrations. Au toucher, le trajet donne effectivement une impression de fibrose et est douloureux.

L’application du traitement neuro-musculaire paraît simple : il s’agit d’un très lent glissement opéré par le pouce enduit d’un lubrifiant pour permettre la glissée sans irriter la peau. Mais l’art consiste à savoir où elle doit se faire. En outre, ce traitement doit être mené avec pru­dence et progressivement, car son abus peut provoquer des réactions violentes. Dans certains cas, le résultat de ce seul temps du traitement d’ensemble est spectaculaire. En effet, agissant par voie réflexe sur l’ensemble du système sympathique, le traitement neuro-musculaire a aussi des effets régulateurs sur les fonctions, respiration, digestion, élimination, et sur les états d’anxiété, voire d’angoisse. Dans le traitement, l’ostéopathe cherche surtout à provoquer ainsi une relaxation des masses mus­culaires en état de contracture.

Ayant ainsi préparé le terrain, l’ostéopathe, pratiquant la méthode enseignée par la S.R.O., poursuit le trai­tement des tissus mous grâce à une manœuvre dite d’éti­rement, qui consiste à opérer manuellement une élonga­tion prudente. Ensuite, et parfois après plusieurs séances, il aborde les manipulations de déblocage selon une tech­nique aujourd’hui classique.

Une situation légale complexe

La législation ne contribue pas à éclairer le profane dans cette situation déjà complexe. Tiraillé entre les méde­cins ostéopathes et les ostéopathes non médecins généra­lement adhérents à leur syndicat, le législateur promulgue périodiquement des décrets dont certains sont franche­ment dérisoires. Par exemple, quand il interdit aux non-médecins, c’est-à-dire aux kinésithérapeutes, de pratiquer des manipulations vertébrales, même sous contrôle d’un médecin. Malgré l’intervention des intérêts particuliers dont l’influence est ici évidente, la France ne résistera pas indéfiniment à la poussée qui vient de l’Amérique du Nord et de l’Angleterre, où la vertébrothérapie est une profession distincte de la médecine, avec un ensei­gnement et un diplôme particuliers. La médecine offi­cielle ne pourra pas plus arrêter la vertébrothérapie générale et l’ostéopathie qu’elle n’a pu arrêter la den­tisterie, malgré des efforts tenaces et inutiles pour obli­ger les dentistes à être docteurs en médecine.

En attendant, les ostéopathes non médecins continuent à pratiquer ; leur nombre s’augmente chaque année de jeunes kinésithérapeutes, ils sont de plus en plus connus du public, et bien des médecins généralistes leur confient des malades qui doivent être manipulés.

La carte pathologique de la vertébrothérapie est en expansion

À partir des définitions anatomiques et physiologiques, on comprend aisément que la vertébrothérapie ait des ambitions très étendues. Dans l’inventaire consacré à la méthode des neuf temps, le Dr de Sambucy indique une centaine de maladies justiciables de cette méthode. D’une façon générale, et pourtant très limitative, relevons que la vertébrothérapie peut être utilisée efficacement dans les troubles et les maladies suivants : arthroses, rhu­matismes non infectieux, lumbagos, lombalgies, scia­tiques; névralgies diverses d’origine non infectieuse, troubles digestifs, asthme d’origine non allergique, troubles cardiaque fonctionnels, maux de tête, migraines, torticolis, règles anormales (aménorrhée et dysménor­rhée), certains genres d’insomnies, états d’anxiété et d’angoisse, traumatismes consécutifs à de mauvaises attitudes professionnelles ou à la pratique des sports, déformation type chez l’enfant.

Des chercheurs apportent parfois une aide imprévue à la vertébrothérapie, comme ce fut le cas du regretté Dr Henry Zwahlen. Spécialisé dans le traitement des troubles vasculaires, ce médecin novateur, qui avait inventé une méthode de pénétration locale du médica­ment, a cherché la cause première des artérites en se limitant aux deux types les plus fréquents, l’artérite lente, sénile, artério-sclérotique, et l’artérite thrombosante d’installation subite.

L’étiologie de ces affections est imprécise. On ne sait pas trop pourquoi, par exemple, les hommes sont plutôt frappés que les femmes. On a invoqué l’âge, le sexe, la profession, les traumatismes, les infections, les auto-intoxications, les facteurs endocriniens, les troubles métaboliques, mais finalement on en reste aux hypothèses. Certes, on connaît les conditions locales néces­saires pour qu’une artérite puisse se former, mais la cause initiale, première, déclenchante demeure ignorée. Le. Dr Zwahlen, acharné à comprendre, avait repris tous les travaux récents sur l’anatomie et la pathogénie du système neuro-végétatif qui lui semblait logique­ment devoir être incriminé de par ses rapports immédiats avec le système vasculaire. Peu à peu, sans aucune théo­rie ni même hypothèse de travail au départ, il remonta jusqu’à la colonne vertébrale. Sa conclusion est formelle. Sans vouloir dire, comme le font les ostéopathes, que des altérations à ce niveau doivent aboutir inéluctable­ment à des troubles vasculaires des membres inférieurs, il constate que la cause déclenchante des artérites est très souvent due à une anomalie de la partie lombo-sacrée du rachis. Quelle que soit la hauteur de l’atteinte artérielle du membre, a-t-il écrit ; les lésions vertébrales sont le plus souvent retrouvées au niveau des lombaires 4 et 5, et une irritation de cette région peut donc donner toutes les variétés d’artérites. Même quand il avait cru trouver d’abord, chez certains artéritiques, une région lombaire intacte, il s’est aperçu ensuite qu’une lésion ancienne de cette région avait échappé à son premier examen.

Henri Zwahlen pensa donc qu’il n’est pas rationnel de traiter une affection aussi grave que l’artérite sans savoir dans quel état se trouve la colonne vertébrale dans sa partie lombaire. Et, finalement, il fit toujours soigner ses artéritiques, en complément de son traitement particu­lier, par un kinésithérapeute ostéopathe. Ce témoignage fortuit, dû au hasard des circonstances, pèse un poids très lourd. Un esprit sceptique peut penser que les ostéo­pathes, à partir de leur conception, sont en quelque sorte obligés de relier l’artérite à des lésions vertébrales, autrement dit de découvrir ce qu’ils voulaient trouver d’avance. Mais voilà un médecin spécialisé dans l’arté­rite, cherchant sa cause première sans aucune idée pré­conçue, sans connaître la vertébrothérapie. Et par une patiente recherche, remontant des effets à la cause, il justifie expérimentalement, dans son secteur de recher­che, la conception clé de la vertébrothérapie d’après laquelle toutes les maladies sont exprimées par une anomalie au niveau de la colonne vertébrale. L’exemple de Zwahlen ouvrira un jour la voie à des recherches analogues dans tous les secteurs de la pathologie.

Défendons nos vertèbres

Il est bien rare qu’une méthode efficace ne soit pas une arme à deux tranchants, et ne présente pas des dangers quand on l’utilise à tort et à travers. Mais cette remarque est particulièrement vraie en matière de vertébrothérapie, et elle le restera tant qu’il n’y aura pas un enseignement obligatoire et, dans une certaine mesure, unifié.

Le charlatan n’est pas à craindre, sinon pour le porte-monnaie, car n’ayant aucune illusion sur sa science il se contente de quelques manipulations anodines. Le vrai massacreur est sincère, il croit dur comme fer à son talent, et c’est ce qui le rend dangereux. Il ne massacre pas d’ailleurs à jet continu, sinon il ferait le vide autour de lui. Sambucy éclaire parfaitement la question avec cette définition lapidaire : « Celui-là y va carrément. Tantôt il fait de belles cures, quand c’est déblocable, tantôt il abîme les gens quand c’est gravement lésé, mais il est actif. » Activité redoutable contre laquelle on ne saurait trop mettre le lecteur en garde. Le premier critère, chez le bon vertébrothérapeute, c’est la prudence, le second, la douceur. Une colonne vertébrale, même solide et ne présentant que de très légers blocages, se manie avec précaution, et le praticien qualifié ne prend jamais de risques, il n’a jamais d’accident. Il peut échouer dans son traitement, il ne doit en aucun cas aggraver l’état du malade, et c’est là le troisième critère. Une séance de vertébrothérapie n’a rien à voir avec une démonstration de judo agrémentée d’une série de craquements [10].

Après une période héroïque, dont elle commence à sortir, en France, la vertébrothérapie a trouvé son assiette scien­tifique dans les grandes lignes, et prouvé indiscutable­ment son efficacité.

Le système ostéo-articulaire n’est pas tout, et il ne faut pas, comme ont tendance à le faire certains ostéopathes trop exclusifs, compter pour rien les autres niveaux phy­siologiques et accorder aux manipulations vertébrales une valeur de véritable panacée. Tout est complémentaire dans le sens de l’utile, et c’est en lançant des ponts entre les diverses disciplines et méthodes que nos générations pourront enfin créer une médecine de l’homme total.

Toutefois, un effort particulier doit être fait pour donner toute sa place, dans le domaine de la connaissance aussi bien que des soins, à la mécanique humaine, parce qu’elle a été jusqu’ici bien méconnue, alors que son importance est capitale. Le fait n’est pas nouveau. Avant Pasteur, nul ne s’était avisé du rôle immense que jouait dans nos maladies le minuscule agent microbien. Puis nous avons eu la prétention de tout connaître, parce que nous avions vaincu les maladies infectieuses et créé une pharmacopée impressionnante. Or, beaucoup de choses oubliées sont en train de renaître : sous l’éclairage d’une science plus ouverte et mieux appareillée, Hippocrate et Gallien restent des précurseurs, pour l’ensemble du corps médi­cal, en ce qui concerne les rapports de la colonne verté­brale avec les maladies, et la façon de soigner les mala­dies par des manipulations vertébrales.

ANDRÉ MAHÉ

[1] Still a pu toutefois avoir connaissance des travaux, publiés en 1834, de deux médecins anglais, les frères William et Daniel Griffin. Ils avaient alors révélé une statistique démontrant que les vertèbres devenaient sensibles dans beaucoup d’affections : les cervicales dans presque toutes celles de la tête et des bras, les dorsales de la région moyenne quand il s’agissait des poumons, du cœur, et de l’estomac, les dorsales inférieures et les premières lom­baires dans les maladies du foie, des reins, de la vessie, des membres inférieurs.

Il ne faut pas oublier non plus le poète suédois Ling, créateur de la célèbre gymnastique fondée sur les lois de la mécanique et de la physiologie humaines. Ling décri­vait les mêmes phénomènes que les frères Griffin, qui ont fort bien pu s’inspirer de l’enseignement de Ling dans l’établissement qu’il ouvrit à Stockholm, en 1814, sur mission du gouvernement suédois. Et Ling, avec sa méthode de gym­nastique, apportait en outre le moyen de remédier, dans une cer­taine mesure, à ces blocages verté­braux, ou tout au moins de les prévenir.

[2] « Si l’on proposait à un ingé­nieur de construire un tube flexible, formé de trente-trois anneaux, comprenant cent cin­quante articulations et près de mille ligaments, et qui soit capable de supporter deux cent cinquante kilos tout en conservant son élasticité, il parviendrait peut-être, après des années d’essai, à résoudre péniblement ce problème. Si, au moment de la livraison, quelqu’un exigeait de l’ingénieur qu’il ajustât la moelle épinière à l’intérieur de ce tube, soit un câble nerveux formé de millions d’éléments pouvant glis­ser entre les anneaux, et qui ne soit pas lésé par les mouvements de la colonne ou les soubresauts du corps, l’ingénieur croirait avoir affaire à un fou. La nature a pourtant eu cette audace et a réus­si à la perfection ». H Dr F. Khun, Ton corps et toi (Éd. H. Studer, Bruxelles).

[3] Plusieurs auteurs considèrent que la nature n’avait pas conçu notre épine dorsale pour servir de colonne, mais de poutre, et que nous payons la rançon de notre station verticale. L’argument laisse sceptique dans la mesure où l’on attribue à la nature des plans aussi prémédités, et l’intention au départ de nous maintenir défini­tivement parmi les quadrupèdes. Mais on peut penser que la posi­tion debout reste une acquisition relativement récente, et que la mécanique humaine ne s’y est pas encore totalement adaptée. La comparaison avec les animaux semble le prouver. Dans la posi­tion verticale, le solide soutien osseux à quatre piliers disparaît, et des ligaments ne sont pas assez forts pour y suppléer. Les vertèbres tendent à s’affaisser, for­mant ainsi des surfaces articulaires imparfaites. Chez l’animal, grâce au double support à chaque extrémité, les vertèbres se joignent exactement aux surfaces, ce qui donne un maximum de possibilité de mouvement à chaque vertèbre, à l’ensemble de l’épine dorsale. La démarche d’un félin, du chat par exemple, illustre ce parallèle qui n’est pas en notre faveur. L’adaptation à notre station verticale s’est faite par la courbure, en forme de S, de notre épine dorsale. Grâce à cette courbure, les problèmes que posait la station debout se trouvent relativement résolus. Si notre colonne était restée droite, les poids des organes se totalise­raient pour produire à la base une pression trop forte. Mais, grâce à sa forme à incurvations, le seg­ment supérieur de l’S porte la tête, le segment moyen, les orga­nes thoraciques, tandis que le seg­ment inférieur correspond aux organes abdominaux. (André Mahé, Colonne vertébrale, arbre de vie. Éd. Pierre Horay. De nombreux développements de cette étude ont été empruntés à cet ouvrage.)

[4] En Amérique, au moment de la querelle entre médecins et ostéo­pathes, ces derniers voulurent apporter des preuves de la justesse de leurs conceptions. Comme elles ne pouvaient être obtenues sur l’homme, ils produisirent de mi­nuscules lésions vertébrales sur des animaux.

Après un temps plus ou moins long, variant de quelques jours à quelques mois, relate le Dr Lavezzari, on sacrifiait ces animaux et on examinait alors attentive­ment le siège de la lésion verté­brale, l’état des nerfs partant de ces points, et aussi l’état des orga­nes où se rendaient ces nerfs.

Ces expériences ont été faites des milliers de fois, et Lavezzari cite les références des ouvrages qui en ont rendu compte.

La conclusion de toutes ces expé­riences est formelle et le Dr La­vezzari la résume ainsi : « Dans tous les cas, on a pu constater d’une façon évidente qu’il y avait toujours un certain état de congestion au niveau même de la lésion. Les méninges et les nerfs eux-mêmes étaient net­tement plus congestionnés en ce point qu’au-dessus et au-dessous de la lésion vertébrale. D’autre part, en examinant les organes correspondant à ces nerfs, on a pu se rendre compte que ceux-ci présentaient aussi des signes évi­dents de congestion active, d’in­flammation, et même parfois des signes plus graves pouvant aller jusqu’à la nécrose des tissus. Entre le moment de la production de la lésion et le moment où l’animal était sacrifié, les différents obser­vateurs notèrent l’apparition de troubles fonctionnels déterminés, qui ne se produisaient pas chez les animaux témoins. »

[5] « Le Dr Palmer avait à son ser­vice un nègre nommé Lilliard qui, depuis dix-sept ans, était affligé d’une surdité totale. Lilliard n’entendait même plus le bruit des tramways qui passaient dans la rue. Interrogé sur l’origine de son mal par le Dr David Palmer qui était un homme fort intelligent et d’esprit curieux, Lilliard expliqua qu’un jour en se baissant brusquement il avait entendu un craquement dans son dos et qu’à la suite de ce craquement il était devenu complètement sourd. Cette explication eût certes fait sourire bon nombre de praticiens, mais Palmer était un chercheur, il fut intrigué et se demanda quel rapport pouvait exister entre le dos et les oreilles de son nègre. En examinant très attentivement la colonne vertébrale du patient, il découvrit une saillie différente de celles que révèle l’examen ordi­naire des vertèbres et pensa que cette saillie pouvait provenir d’une luxation ou d’une subluxation d’une vertèbre. Par des pressions scientifiques, il essaya de réduire cette subluxation, jusqu’à ce qu’il se produisit un craquement indi­quant que la vertèbre avait repris sa place. Presque aussitôt, le nègre Lilliard recouvra l’usage de l’ouïe. (T.H. Schwing, la Chute d’Esculape. Paris, 1947.) En réalité, Palmer n’était pas, comme Still, docteur en médecine.

[6] Max Briant, dans son livre Doc­teur à mains nues, publié en 1954, complète ainsi la définition de Schwing : « Pourquoi cette importance supérieure de l’atlas ? Parce que tous les filets nerveux sortant de l’encéphale passent obligatoirement par son anneau, alors que les mêmes nerfs formant la moelle épinière, mais émer­geant un par un à chaque espace intervertébral pour se ramifier à l’infini dans les membres et les organes, ne se retrouvent plus tous au passage dans les vertèbres basses. »

[7] Il faut citer pour mémoire, car elle est très peu utilisée en France, la spondylothérapie créée par le médecin américain Abrams. Au début de sa carrière, formé à l’allopathie, Abrams fut d’abord un acharné détracteur de l’homéo­pathie et de la vertébrothérapie. Mais la construction d’appareils à radiations « lui montra que les remèdes homéopathiques existaient encore à hautes dilutions et faisaient remuer les aiguilles sur le cadran ». Ayant ainsi remis ses préjugés en question, Abrams étu­dia l’ostéopathie et en arriva à créer sa propre méthode, la spon­dylothérapie, qui consiste à agir par percussions sur les vertèbres, principalement avec de légers marteaux en bois.
[8] « Lorsqu’un organe particulier ou une partie du corps devient malade, irrité ou surmené, il apparaît des réflexes qui produisent des symptômes dans la partie cor­respondante de la moelle, écrit M. Paul Geny, président de la So­ciété de Recherches ostéopa­thiques. Si l’irritation se poursuit quelque temps, des lésions ostéo­pathiques authentiques en résultent. Elles tendront à leur tour à maintenir l’état pathologique de l’organe. Il faut se rappeler que, bien que toutes les maladies n’aient pas une origine spinale, elles ont presque toutes des mani­festations spinales. Le traitement ostéopathique est souvent le plus facile, et parfois la seule façon de briser le cercle vicieux. »
[9] Parce que l’on se fiait totale­ment au travail en amphithéâtre, on a longtemps cru et enseigné, en anatomie, que la charnière formée par le sacrum et les os iliaques était en quelque sorte soudée. Mais Still et ses disciples ont dé­montré que le sacrum est attaché, et non soudé aux os iliaques, ce qui permet une assez grande amplitude de mouvement ; et qui dit mouvement dit possibilité de lésion. Or la cinquième lombaire, ce point faible de la charpente humaine malgré son rôle de char­nière essentielle, repose sur le sa­crum et est intéressée par tous ses mouvements. Donc un blocage de l’articulation sacro-iliaque va, par la cinquième lombaire et le disque sacré, désaxer toute l’épine dorsale. Le Dr Lavezzari décrit ainsi ces divers mécanismes de compensa­tion :

« Une lésion primaire de la sacro-iliaque entraîne presque toujours une lésion secondaire de la cinquième lombaire du même côté. Si la lésion n’est pas corrigée, nous constaterons au bout de quelques semaines une lésion en sens opposé, au niveau de D 12/L 1 (douzième dorsale, première lom­baire). Plus tard encore, la lésion diffusera dans la région thoracique moyenne du côté opposé. Par exemple, les sixième et septième vertèbres (dorsales) et les côtes correspondantes auront subi un léger décalage. Ultérieurement, nous constaterons que cette charnière particulièrement sensible qu’est la septième cervicale réa­gira alors. Elle se bloquera à son tour, presque toujours sur la première dorsale. Enfin celle-ci entraînera presque à coup sûr un décalage de l’atlas sur l’axis. Ainsi donc, voici une lésion pri­maire caractéristique de la sacro-iliaque qui aura provoqué toute une série de lésions secondaires. Toute lésion secondaire est un phénomène d’adaptation de l’or­ganisme à la lésion primaire. »

[10] Le craquement n’est pas for­cément obtenu dans toute manipu­lation efficace, et en tout cas il n’est pas nécessairement très fort. Sambucy a fait un curieux inven­taire, qui rappelle la conception chinoise des pouls, pour essayer de classer ces bruits vertébraux :

sec et faible : colonne desséchée, ou bien faible adhérence articu­laire ;

humide et faible : colonne fraîche, normale, enfant, jeune fille ;

humide et fort : adulte souple, sain, sans rhumatisme ;

sourd et sec : vieille colonne forte et saine ;

très sourd, très fort, profond, lointain : sacro-iliaque et cin­quième lombaire ;

de rupture : spondylose, rhuma­tisme ;

de décollement, sourd, grave arthrose ;

collant aspiratif : rhumatisme non ossifié ;

de frottement granuleux : vieilles arthroses du cou.