Bill Wapepah
Une relecture de la création

Ce dont je parle va bien au-delà des mots écologie ou environnement de la nature-mère : cette terre est une femme, toutes les plantes qui poussent sur elle sont ses cheveux. L’eau est son sang et nous sommes ses petits-enfants. Nous avons, nous aussi, des plantes sur la tête, de l’eau et des fleuves à l’intérieur de notre corps.

(Revue Itinérance. No 2. Novembre 1986)

Bill Wapepah, authentique descendant des Indiens d’Amérique du Nord, chef Sioux, a appris avec son peuple à vivre la nature de façon si intime que son rapport avec elle a changé : de la crainte à la communion, de la peur à la partici­pation ; de la domination au respect. Son message, oral comme sa tradition, nous invite à une compréhension des forces en présence dans des termes de non-conflit.

Les gens recherchent le confort, moins de douleurs, plus de plaisirs et ils créent des machines à détruire.

L’électricité, en Amérique, nous offre beaucoup de luxes, mais pour produire cette électricité, que ce soit par des moyens hydro-électriques ou en utilisant la force nucléaire, il faut intervenir dans la nature. Cette intervention dans la nature est aussi une ingérence dans notre culture.

Ainsi, les plaisirs de Hollywood, de Las Vegas et des grandes villes d’Amérique signifient la mort pour notre peuple. La mort de notre culture qui est très pro­fondément enracinée dans la terre. Ce dont je parle va bien au-delà des mots écologie ou environnement de la nature-mère : cette terre est une femme, toutes les plantes qui poussent sur elle sont ses cheveux. L’eau est son sang et nous sommes ses petits-enfants. Nous avons, nous aussi, des plantes sur la tête, de l’eau et des fleuves à l’intérieur de notre corps.

Nous autres humains, nous sommes devenus arrogants. Nous ne faisons plus attention aux autres vies.

Pourtant, cette même science que nous voulons, cette technologie dont nous croyons avoir besoin, sont une atteinte à notre mère. Les mines d’uranium, les houillères, la pollution de l’eau, tout cela est un viol de la mère. C’est comme s’asseoir sur sa mère et lui ôter tout le calcium de son corps. On l’oblige à une stérilisation afin de nous donner des machines électriques et afin de créer de nouvelles armes pour terroriser autrui.

Le résultat est que nous nous retrouvons vide et à la recherche de quelque chose. Cela nous laisse dans un état dans lequel nous ne comprenons plus les valeurs. Qu’est-ce qu’une valeur ? Qu’est-ce que nous brisons ? Comment guérissons-nous ?

Pour nous, la guérison a été lutte. Pour nous, la guérison est venue des ensei­gnements de nos aïeuls. Cette guérison a eu lieu dans une vision du monde qui a été cohérente pendant des millénaires et qui a été interrompue par beau­coup de choses, notamment par le colonialisme, le christianisme, à cause de l’idée erronée que nous étions des sauvages ou des païens, à cause de malentendus historiques comme la théorie du détroit de Berhing, à cause des hypothèses anthropologiques, des invasions archéologiques. Ce sont certains des éléments face aux­quels notre peuple se trouve confronté. Il y a aussi toutes les maladies de l’esprit qui accompagnent ceci, le racisme, le sexisme, les classes, les différences entre générations.

Nos structures sociales existent depuis des milliers d’années. Nous avons des poètes, des musiciens, de grands orateurs, des hommes politiques et des entités politiques, des langues et une culture. Parce que rien de tout ceci ne tient son origine de l’Europe, cela a été mal compris. On appelait cela le Nouveau Monde, mais cette terre a exactement le même âge sur toute sa superficie.

Nous souffrons de beaucoup de contradictions comme celle-là. Non seulement nous en souffrons, mais d’autres peuples dans le monde souffrent aussi de ces erreurs historiques. Nous voulons que les gens regardent la vraie histoire et qu’ils commen­cent à chercher dans leur propre histoire pour voir le rôle qu’ils ont joué dans l’oppression, pour voir quel est le résultat lorsque l’on vit dans une société qui opprime.

Qu’est-ce qui manque aux enfants ? Si ce qui attend nos enfants est la contami­nation radioactive des mines d’uranium du Mexique et du sud-ouest des États-Unis, quelle signification cela aura-t-il pour les enfants de la société non indienne si on ne leur apprend pas la vérité ? L’histoire de l’Amérique n’a pas commencé en 1492. Notre peuple est là depuis des milliers et des milliers d’années.

Il y a là, dans cette pièce [1], des gens qui vont analyser ce que nous disons en ce moment, et qui ne seront pas d’accord avec ce que nous disons. Des gens qui vont se caresser l’ego et qui vont dire que c’est leur histoire, à eux, qui est exacte parce qu’elle est écrite, la tradition orale est tout aussi valable que la tra­dition écrite ; la tradition écrite est, en fait, une dépendance.

Nous aussi, nous cherchons la vérité. Nous voulons que dans nos communautés il règne la vérité. Dans nos communautés il y a la vérité. Je ne sais pas si vous pouvez croire ce que je dis là mais, dans l’hémisphère occidental, il existe encore des com­munautés dans lesquelles il n’y a pas de mensonges. Dans ces communautés, il n’existe pas de mots ni pour l’amour ni pour la haine. L’amour est un comporte­ment, c’est une façon de faire et d’être et non pas simplement un mot. Il y a là des gens qui suivent la Voie chrétienne sans savoir ce que c’est que le christianisme. Il y a des coutumes dans notre culture qui complètent cette Terre même.

Nous autres, êtres humains, nous ne comprenons plus le pouvoir que nous avons, nous ne comprenons plus nos obligations, nos devoirs envers le reste de la création. Alors, nous nous réunissons pour guérir, et nous voulons que nos mots soient comme des médi­caments. Mais quelquefois, un médicament n’a pas un très bon goût.

Récemment, dans ma vie, j’ai rencontré beaucoup de gens qui pratiquaient le bouddhisme. Je me suis assis dans les temples, au Japon, et j’ai fait zazen avec un maître vénérable qui était un ami de Kodo Sawaki et qui avait étudié avec lui. Je lui ai posé des questions au sujet des églises et des temples et il m’a dit : « Où que vous soyez, vous êtes dans un temple. » Je pense que c’est vrai. Il a aussi dit que même les fourmis et les insectes pleurent, mais les êtres humains ne peu­vent entendre ces pleurs. Il fut un temps où nous les entendions. Il faut faire revenir ce temps en devenant conscient des pouvoirs de cette création. Nous avons une obligation envers cette Terre. Il faut la protéger ; il faut honorer cette Terre.

Bill Wapepah

1 Au symposium Guérir l’esprit, organisé au temple Zen de la Gendronnière.