Patrick Lebail
Vingt trois versets de l'Ashtavakra Samhita

Tu es l’Unique spectateur de toutes choses ; en toi prédomine en tout temps la libération. Ta servitude est en vérité que tu conçoives un autre Spectateur. (1-7)
Te croyant libéré, tu es libéré ; te croyant asservi, tu es asservi. Il est vrai, ce dicton : « ce que l’on pense, on le devient ». (1-11)

Jean de Ruisbroek ou Jan van Ruusbroec (ou Ruysbroeck) est un clerc brabançon né en 1293 dans le village de Ruisbroek, (Duché de Brabant) non loin de Bruxelles et mort en 1381 à Groenendael, situé également dans le Brabant. Considéré parfois comme un disciple de Maître Eckhart, il tient une grande place dans le courant de la mystique rhéno-flamande. Ses ouvrages, inspirés par les doctrines du Pseudo-Denys l’Aréopagite, sont écrits en moyen néerlandais et ont été publiés en latin par Surius (Cologne, 1552), et réimprimés en 1609 et 1692. Ruysbroeck a été béatifié en 1908 par le pape Pie X. Il est fêté le 2 décembre.

(Revue Être. No 2. 3e année. 1975)

La rectitude a et son contraire, la joie et l’affliction sont mentales : elles ne sont pas de toi, ô Présence en toutes choses. Tu n’es pas l’auteur de l’action, tu ne jouis d’aucun plaisir ; tu es libre pour l’éternité. (1-6).

Tu es l’Unique spectateur de toutes choses ; en toi prédomine en tout temps la libération. Ta servitude est en vérité que tu conçoives un autre Spectateur. (1-7)

Te croyant libéré, tu es libéré ; te croyant asservi, tu es asservi. Il est vrai, ce dicton : « ce que l’on pense, on le devient ». (1-11)

Tu es sans attaches ni actions, intrinsèque et pure lumière. Ta servitude est en vérité que tu pratiques la concentration b. (1-15)

Connaissance, connu, connaisseur : il n’est rien de réel en cette triade. Je suis le Soi dans lequel elle apparaît par ignorance. (2-15)

Celui dont l’âme est élevée voit bouger son corps comme étant celui d’un autre. Loué ou blâmé, comment serait-il troublé ? (3-10)

Tu n’as aucune attache : dans ta pureté, que pourrais-tu souhaiter abandonner et comment ? Dissous le complexe c et ainsi atteins la résorption. (5-1)

Aho ! Je suis seulement conscience. Le monde n’est guère qu’un rets d’illusions d. Comment, à quel sujet pourrais-je dès lors concevoir un rejet, une acceptation ? (7-5)

Sans je : libération. Avec je : servitude. Pense de la sorte : sans difficulté, tu n’acquerras pas, tu n’abandonneras pas. (8-4)

Dormant, je ne perds rien. M’efforçant, je n’accomplis rien. J’ai quitté la ruine et la joie dès lors je vis selon le bonheur. (13-6)

Tu n’es pas un corps ; tu n’as pas de corps, tu n’éprouves pas, tu n’agis pas non plus. Ta nature est conscience ; tu es l’immuable Témoin, vis heureux, sans le moindre désir. (15-4)

Qu’il s’efforce ou ne s’efforce pas, l’homme dans l’illusion n’obtient pas la félicité. Le sage la goûte par la seule connaissance du vrai. (18-34)

L’homme dans l’illusion ne se libère pas par la mise en œuvre d’une pratique. Celui que le Savoir a libéré vit heureux et immuable. (18-36)

L’homme dans l’illusion n’obtient pas la paix parce qu’il la cherche dans la pacification du mental. Le sage n’a pas de doute quant à la vérité, son esprit est toujours paisible. (18-39)

Quand on sait de soi-même que l’on n’agit pas, que l’on n’éprouve pas, tous les mouvements mentaux disparaissent. (18-51)

L’inaction de l’homme dans l’erreur fait naître de l’activité. L’activité du sage lui donne en partage le fruit de l’inaction. (18-61)

Ni joyeux ni dans l’affliction, ni détaché ni attaché, ni libéré ni désireux de l’être, ni ceci ni quoi que ce soit. (18-96)

Où est la rectitude, où le désir ? où la richesse, où le discerne­ment, où la dualité, la non-dualité, pour moi qui suis ferme en ma propre grandeur ? (19-2)

Où le savoir, où l’ignorance ? Où suis je, où donc sont mes biens, où sont la servitude, la libération, où la parure de ce que je suis ? (20-3)

Où est celui qui agit, qui éprouve ? Où donc la négligence ? Où y aurait-il des gains sensibles pour moi qui demeure sans person­nalité ? (20-5)

Où le monde, où celui qui désire la libération ? Où est le yogin, où le sage ? Où le non-libéré, l’homme libre ? Je réside au plus profond de moi-même, dans la non-dualité. (20-6)

Où est la distraction, où la concentration e, où la compréhen­sion, où l’erreur ? Où la joie, où l’affliction ? Je suis à jamais inactif. (20-9)

Où y a-t-il un monde empirique, où y a-t-il un but suprême ? Où sont le plaisir et le déplaisir pour moi qui suis à jamais au-delà des impressions résiduelles. (20-10)

Trad. P. Lebail


a dharma : la vertu individuelle en harmonie avec la norme universelle.
b samâdhi : l’absorption en soi-même obtenues par les disciplines du yoga.
c l’agrégat psychologique.
d « le filet d’Indra ».
e le processus yoguique de fixation sur une seule pensée.