Robert Linssen
Vraie et Fausse Spiritualité

La fascination de plus en plus grande exercée par les progrès techniques sur l’homme moderne a entraîné au cours des trois premiers quarts du vingtième siècle une mise en sommeil de la vie intérieure. Les villes tentaculaires, les progrès et les réalisations de l’électronique offrent mille possibilités d’évasion qui sont souvent autant de pièges dont les victimes innombrables sombrent, sans s’en rendre compte, dans la médiocrité intérieure inhérente à l’absence de toute valeur spirituelle. Celles-ci constituent le cadet de leurs soucis par le fait que pour beaucoup de telles valeurs sont inexistantes. Il semble cependant que les choses ont changé.

(3e Millénaire ancienne série No 9 1983)

Il est indéniable que de plus en plus d’hommes et de femmes sont à la recherche d’une spiritualité. La vie moderne trop axée sur le matériel devient lourde et pénible à supporter dès lors qu’un déséquilibre s’instaure, privant l’humanité de ses aspirations les plus hautes. Beaucoup se lancent dans une quête, à la recherche d’une voie spirituelle. Mal conseillés ils sont souvent la proie des charlatans de l’esprit, des escrocs de l’initiation, des margoulins de l’éveil. Que de sectes, de chapelles, de faux maîtres on trouve sur ce chemin et combien en sont dupes ? . Robert Linssen, ami depuis très longtemps de Krishnamurti et de quelques vrais sages, était à même de nous montrer la rigueur de la vraie voie et les absurdités des voies frelatées. Puisse cette étude déciller quelques-uns de ceux qui se sont égarés ou qui seraient sur le point de se perdre.

« Le psychisme, ses noms, ses formes ne peuvent être confondus avec le domaine spirituel. La parapsychologie, l’occultisme relèvent de la science et n’ont aucun rapport avec la spiritualité. Ils ne sont d’aucun intérêt pour l’Éveil intérieur. »
(Sam Tchen Kham Pâ.)

La fascination de plus en plus grande exercée par les progrès techniques sur l’homme moderne a entraîné au cours des trois premiers quarts du vingtième siècle une mise en sommeil de la vie intérieure.

Les villes tentaculaires, les progrès et les réalisations de l’électronique offrent mille possibilités d’évasion qui sont souvent autant de pièges dont les victimes innombrables sombrent, sans s’en rendre compte, dans la médiocrité intérieure inhérente à l’absence de toute valeur spirituelle. Celles-ci constituent le cadet de leurs soucis par le fait que pour beaucoup de telles valeurs sont inexistantes. Il semble cependant que les choses ont changé.

Nous assistons, depuis une vingtaine d’années surtout, à une renaissance soudaine de l’intérêt pour les valeurs spirituelles, la recherche d’un autre mode de vie. On parle de plus en plus de méditation, de yoga, de relaxation et les ouvrages consacrés à ces sujets sont de plus en plus nombreux.

Ceci résulte de l’ampleur des crises qui s’étendent dans tous les domaines : crises économiques, corruptions, violences, tortures, génocides, pollution, drogues. L’incapacité évidente dans laquelle se trouvent les autorités et structures économiques, politiques, religieuses anciennes pour résoudre ces crises entraîne le doute, la remise en question de toutes les valeurs, l’angoisse et souvent le désespoir.

Nous assistons à la manifestation d’un mécanisme pendulaire. Il se traduit par un rejet progressif des traditions religieuses occidentales et un attrait considérable des philosophies orientales. Ce mouvement n’a pas toujours la profondeur que l’on pense. Il s’y mêle ce que l’on appelle souvent « la fatigue du pouvoir », la recherche du changement, le charme de l’exotisme, l’attrait de l’occulte. Il existe néanmoins, dans tous les pays, une élite grandissante parmi laquelle se trouvent les grands noms des disciplines scientifiques les plus variées. Cette élite comprenant les éléments d’égale valeur, connus ou anonymes, se réfère aux formes supérieures d’une spiritualité orientale complètement étrangère aux pratiques aberrantes des sectes, des faux gurus, des magies, occultismes, et leurs prétendues initiations.

La forme supérieure de spiritualité que nous venons d’évoquer n’a rien de commun avec la recherche de pouvoirs occultes, tels que voyance, pratiques intensives visant à l’éveil de la kundalini, etc. Voilà 55 années que se poursuit notre long itinéraire et nos enquêtes dans tous ces milieux, partout dans le monde, et nous avons le devoir de dissiper le malentendu fréquent consistant à confondre spiritualité et occultisme. La mise en évidence de cette distinction ne résulte pas d’un discrédit que nous formulons à l’égard de l’occultisme.

La preuve en est que nous avons consacré de nombreux séminaires internationaux et divers ouvrages à l’étude des énergies inhérentes à un espace-temps psychique, à la psychotronique, à la nature des phénomènes « psi », mais notre approche de ce domaine est uniquement scientifique. Elle est complètement étrangère à toute préoccupation spirituelle. L’étude du mécanisme d’un poste récepteur de télévision est aussi étrangère à la spiritualité que celle des processus qui, dans les expériences du Dr John Hasted, Professeur de Physique à l’Université de Londres, démontrent l’action de la pensée sur des fragments métalliques placés dans des ampoules de verre scellées.

Les ondes mentales ou « psychiques » ne sont pas plus spirituelles que les ondes hertziennes. La nouvelle psychophysique des physiciens les plus avancés rejoint ici l’optique sévère et dépouillée des Maîtres de la Voie Abrupte qui nous ont instruits. Les énergies physiques et mentales sont matérielles.

Le monde spirituel, quoiqu’étant l’essence ultime des énergies physiques et psychiques, est l’objet de processus non seulement différents mais en opposition radicale avec ceux des mondes psychiques et physiques.

Le domaine spirituel est a-causal, intemporel, autogène, en récréation constante, inconditionné, champ de conscience cosmique, nouménale, holomouvement spontané, dégagé de toute mécanicité.
Toute tentative de représentation, tout symbole, y compris les mots qui viennent d’être énoncés sont d’ailleurs inadéquats. Le fait est d’autant plus paradoxal qu’il s’agit du domaine de la plus grande clarté et de la plus grande harmonie.

***

Par rapport à cette réalité essentielle que les « Gnostiques de Princeton » désignent l’Endroit unique de l’Univers, base essentielle de nature spirituelle, l’homme moderne est un exilé. La civilisation hyper-technicienne l’a coupé de ses forces vives. Il est un déraciné coupé des forces vives que la Nature lui a données. Consciemment ou inconsciemment, il perçoit le caractère artificiel de son exil. Telle est la principale source de l’angoisse.

Telles sont les raisons pour lesquelles un nombre grandissant d’êtres humains deviennent les victimes prédestinées des exploiteurs professionnels de la détresse, de la faiblesse humaine et de la recherche soudaine de valeurs spirituelles.

D’innombrables « gurus » ou « pseudo-gurus » venus d’Orient l’ont compris et envahissent autant l’Europe que l’Amérique, entraînant dans leur sillage une foule d’élèves. Les plus habiles d’entre eux, voyant que le jeu fait recette, brûlent les étapes et deviennent à leur tour « gurus » portant la robe, fondant des sectes, réclamant obéissance aveugle et participation financière substantielle.

Il va de soi que ces pratiques constituent la négation absolue d’une spiritualité authentique. Le manque de sens critique des adeptes de certaines sectes dépasse les bornes de l’imagination.
Des informations de plus en plus nombreuses et des faits douloureux dont nous avons été souvent les témoins motivent une mise au point à la fois aussi nécessaire que délicate.

Un long pèlerinage de plus de 50 années nous a cependant permis d’entrer en contact avec des instructeurs intègres, des êtres de lumière et d’amour authentiques, dégagés de leur ego et de tout intérêt psychologique ou financier. Ceci nous a permis de séparer le bon grain de l’ivraie.

Il est utile d’insister sur la nature de la motivation présidant aux diverses critiques contenues dans cet article. Ces critiques ne sont dirigées contre personne en particulier et sont inspirées par la compassion que nous éprouvons à l’égard des victimes qui, en toute bonne foi, consacrent leurs énergies physiques, morales et la totalité de leur patrimoine matériel aux pires requins de la spiritualité.

Nous n’appartenons à aucune secte, aucune religion, ne suivons aucun « guru ».

Rappelons d’abord la double signification du mot « guru ». Il signifie à la fois, celui qui montre la Voie, ou encore, celui qui arrache le voile.

Mais sur cette Voie, il nous invite à marcher par nous-même, en tant qu’être humain adulte. Il dénonce les fausses valeurs dans lesquelles notre mental s’est engagé, masquant à nos yeux notre Nature réelle. Mais le voile ne se dissipe que par la clarté d’une « Vision pénétrante » exercée en nous-même et par nous-même.

Les Maîtres de la Voie Abrupte (1) qui nous ont instruits évitent de mettre leurs auditeurs dans une situation de dépendance à l’égard de leur personne. Ils ne s’imposent pas comme autorité, ne prennent pas de disciple au sens habituel de ce terme. Ils souhaitent que leurs auditeurs soient leur propre lumière mais ils enseignent les éléments précis d’une approche intérieure permettant à ces auditeurs d’être à l’écoute du niveau spirituel fondamental formant leur Réalité essentielle.

Les Maîtres de la Voie Abrupte s’attaquent immédiatement aux sources premières de notre égarement et de notre douloureux exil. Ils montrent clairement la façon dont s’est constitué le « mirage de l’ego ». Ils enseignent très simplement la nature d’une attention globale nous délivrant de l’enfer des fausses valeurs résultant d’un vice de fonctionnement de la pensée. Il n’y a là rien de mystérieux ni de secret.

Les Maîtres de la Voie Abrupte ne cherchent jamais à se singulariser. Ayant démasqué en eux-mêmes les pièges de l’ego, ils se caractérisent par leur simplicité, leur affection. Ils ont un régime alimentaire sobre, évitent l’alcool et le tabac, l’usage de ceux-ci étant incompatible avec la claire disponibilité intérieure.

Quoiqu’étant convaincus de l’existence de la réincarnation et de celle d’autres niveaux énergétiques, ils évitent systématiquement de parler des pouvoirs psychiques et pardessus tout d’en faire des démonstrations. Ils en parlent uniquement dans l’intention de mettre leurs auditeurs en garde sur les dangers et l’inutilité de ces recherches par rapport au domaine de la vie intérieure.

En résumé, ils sont libres de l’attachement à leur ego. Ceci leur donne le sens de l’humour. Ils ne se prennent pas au sérieux et peuvent rire comme des enfants.

Il n’est peut-être pas inutile d’insister ici sur le fait qu’ils se distinguent de la plupart des attitudes traditionnelles par leur refus catégorique de toute compromission avec ce qui relève du domaine de l’autorité spirituelle, des rituels, des mondanités, du dogmatisme.

Le climat exact de l’Eveillé authentique est évoqué dans la tradition indienne par les commentaires relatifs à l’état du « libéré vivant » (Jivan-Mukta). Les instructeurs le présentent intentionnellement comme une « coque vide ». La véritable signification de cette expression symbolique est rarement comprise. Elle évoque le fait que le « libéré-vivant », homme ou femme, quoique vivant physiquement dans un corps harmonisé par le yoga, est « vidé » de toute image mentale inadéquate. Cette absence complète des revendications, des avidités, des attachements, des violences de l’ego permet une disponibilité parfaite au niveau spirituel caractérisé par trois termes sanscrits : Sat, Chit-tapas, Ananda. Sat évoque l’Etre dans sa plénitude supramentale, Chittapas évoque une conscience infinie, nouménale, très différente de la nôtre qui est conditionnée par notre structure cérébrale, notre hérédité, notre éducation et enfin Ananda évoque la pure félicité existentielle source suprême de tout amour.

Tel est le climat spirituel présidant aux instructeurs des Voies Abruptes. Pour eux,  la véritable pratique est à ce niveau et pas uniquement au niveau des postures quoique ceux avec lesquels nous avons vécu pratiquent le yoga. La véritable pratique se situe surtout au niveau d’une mise en ordre de la pensée. Nous l’examinerons sommairement dans nos conclusions.

Telles sont les raisons évidentes pour lesquelles les Eveillés ne donnent pas à leurs auditeurs des modèles à imiter ni symboles sur lesquels se concentrer. Ils se gardent de conseiller la répétition de mantras et surtout de les vendre à prix d’or.

La réalité est malheureusement très différente et nous allons pendant quelques instants tomber de haut. L’inflation des « gurus » est, sur le plan psychologique, plus grave que l’inflation monétaire.

L’âpreté au gain de certains est à tel point développée qu’elle met en veilleuse le sens du ridicule.

Nous avons reçu une circulaire d’un certain Swami X… ananda se présentant lui-même comme le plus grand yogi des Himalayas, le plus grand des initiés, garantissant à ses futurs disciples le développement de tous les pouvoirs dans un délai de six mois de cours intensifs. L’importance du tarif du cours étant à la mesure de celle des promesses énoncées. Des circulaires de plus en plus nombreuses nous parviennent annonçant des cours de méditations intensives (sic) et d’illumination rapide (sic).

Un autre pseudo-Swami X… ananda a fondé la secte des « Lévitants » et donne, à prix d’or, des « cours » garantissant la lévitation en faisant danser quelques malheureux naïfs sur la pointe des pieds.

Des pages entières seraient nécessaires pour exposer les pratiques aberrantes et les escroqueries morales des sectes Moon, scientologie, etc., mais le spectacle est vraiment trop affligeant.

Nous pensons ici avec émotion au spectacle incroyable de ce pseudo-guru indien, s’intitulant « Dieu le Père en personne » roulant dans sa superbe Cadillac, tandis que des jeunes fanatiques embrassaient le sol sur lequel les pneus avaient laissé leur trace. Nous pensons ici à ce que pourrait donner cette ferveur accordée à un imposteur indigne d’elle si cette ferveur pouvait se consacrer à une spiritualité authentique éclairée d’un minimum de sens critique.

La distinction entre vraies et fausses spiritualités s’éclaire par l’étude des techniques de méditation. Les quelques lignes qui suivent dissiperont toute ambiguité et tout malentendu.

Ceux-ci sont nombreux en raison des déformations aussi incroyables qu’insensées répandues par la plupart des sectes, écoles ou religions traditionnelles. Celles-ci offrent des solutions de facilité dont s’empare la majorité. Elles donnent des recettes dites « pratiques » s’abaissant au niveau de l’égoïsme du grand nombre dans le secret espoir de recueillir davantage de succès, de profit.

Un abîme sépare le sens des valeurs que les Voies Abruptes accordent à la méditation par rapport à la signification et aux pratiques absurdes qui sont actuellement prédominantes.

Nous dirons d’abord ce que, dans cette optique à la fois claire, sévère et très dépouillée, la méditation n’est pas.

Elle n’est certainement pas le simple fait de se concentrer sur un point ou une image à l’exclusion de tout autre par un acte de volonté intense et persévérante ni encore de chasser, au fur et à mesure, toutes les images qui se présentent dans le champ du mental.

Cela enferme l’ego en lui-même, le divise en fragments opposés entre lesquels se créent de puissantes tensions oppositionnelles qui, loin d’être libératrices, forment un obstacle insurmontable.

Rappelons une fois pour toutes que dans l’optique des Voies Abruptes la méditation a pour but la délivrance du mirage de l’ego et la parfaite disponibilité aux richesses du champ de conscience universelle.

De ce fait, la méditation véritable est complètement étrangère à la pratique du « japa » indien, c’est-à-dire à la répétition constante ou à heures fixes de certaines syllabes ou « mantras ». Cette méthode aboutit à certains états de quiétude qui n’ont rien de commun avec l’Eveil intérieur. Au contraire. Il s’agit d’un état d’endormissement résultant d’un engourdissement et d’une autohypnose complètement opposés à l’état de vigilance, de clarté et d’Eveil intensément vivant inhérent à la vraie méditation. Les méditants mal informés sont victimes d’un malentendu engendré par le contraste existant entre une situation névrotique d’agitation constante et d’angoisse passée d’une part, et d’autre part, l’expérience d’une quiétude ou d’une détente qu’ils n’ont jamais connue auparavant.

Nombreux sont ceux qui prennent pour une expérience spirituelle ce qui n’est qu’une simple détente qui n’en est pas moins une situation autohypnotique. Nous n’en contestons d’ailleurs pas l’utilité, à titre provisoire, dans le cas de certaines névroses. Mais cela n’a rien de commun avec la méditation et le terme de méditation transcendante utilisé pour désigner cette technique est inadéquat et trompeur.

Une méditation véritablement transcendantale digne de ce nom a pour objectif essentiel le dépassement du mirage de l’ego. Ce processus requiert la rigueur d’une vision pénétrante dont les implications sont immenses.

En bref, la méditation véritable n’a rien de commun avec , le pathos ténébreux des faux mysticismes, ni l’entraînement à l’éveil des « chakras » ou de la « kundalini ». Inutile de signaler que la préoccupation des vies antérieures et les promenades astrales n’ont absolument rien d’authentiquement spirituel. L’exploration des niveaux psychiques de l’énergie correspond à une investigation qui se poursuit dans un univers matériel semblable au nôtre mais simplement plus fluide et subtil. Nous ne contestons pas l’existence d’autres espaces, d’autres temps, d’autres dimensions et nous avons consacré de nombreux travaux à ces domaines. Nous insistons simplement sur le fait que l’exploration d’autres niveaux d’énergie n’a rien de plus spirituel que celle d’un pays ou d’une contrée que nous n’avions jamais vus.

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Enfin et surtout, le poison suprême, de plus en plus à la mode et que toute une littérature associe à la méditation : la drogue.

Les expériences psychédéliques ont toutes les apparences d’états mystiques authentiques: intemporalité, dépassement  des conditionnements habituels, extension de la conscience. Mais ces expériences ne résultent pas d’une extinction des énergies alimentant le mirage de l’ego. Elles résultent au contraire d’une intoxication entraînant des perturbations dans les processus de polarisation et de dépolarisation des neurones cérébraux, et les facultés de perception spatio-temporelles normales.

Le noeud du problème reste intact. Il s’agit de la tricherie la plus grave faussant complètement le processus de l’Eveil intérieur naturel. Les instructeurs des Voies Abruptes dénoncent l’usage de quelque drogue que ce soit et attirent l’attention sur les effets secondaires, non seulement physiques mais psychologiques qui en résultent.

Les rapports officiels des académies des Sciences de divers pays exposent les détails d’altérations provoquées même par des drogues douces au niveau des gênes et chromosomes. Ces modifications du code génétique ont comme conséquence pour de jeunes couples drogués la naissance d’enfants difformes ou mongols. Nous avons consacré à ce sujet une étude avec références scientifiques (2).

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L’essor des drogues de tous genres et plus particulièrement celui des hallucinogènes ou psychédéliques dans les milieux s’intéressant à la spiritualité orientale résulte principalement de la publication des ouvrages d’Aldous Huxley et d’Alan Watts.

D’autre part, plusieurs psychiatres et psychanalystes américains tels W.N. Pahnke, Bush et Johnson utilisent certaines drogues, tel le L.S.D., dans des traitements psycholytiques et psychédéliques destinés à guérir des perversions sexuelles, soulager des angoisses, diminuer l’agressivité, etc.

Il n’entre pas dans nos intentions de formuler des critiques à l’égard des traitements médicaux ayant recours aux psychédéliques.

Le psychiatre américain Stanislas Grof est également partisan de la thérapie psychédélique mais ses travaux ainsi que ceux qui viennent d’être évoqués servent d’excuse à d’innombrables drogués qui sombrent finalement dans le processus irréversible de la dépendance et de l’autodestruction.

D’autres psychiatres, tels Hanscarl Leuner et Van Dunsen déclarent que « l’expérience psychédélique est le centre qui rend possible une compréhension du Tout ».

Cette expérience étant l’objectif de la méditation véritable, il n’en faut pas plus pour induire en erreur un public superficiel et mal informé qui n’a pas la moindre idée de ce que peut impliquer une telle méditation.

Les affirmations au terme desquelles quelques microgrammes de L.S.D. ou autres volatiliseraient en quelques secondes l’écran des accumulations mémorielles accumulées depuis des milliards d’années témoigne de l’inconscience et de l’ignorance de ceux qui les formulent.

Il est toujours possible de tricher en perçant l’écran masquant à nos yeux la Réalité suprême mais le spectacle que nous livre cette vision prématurée, loin de libérer l’ego, le renforce par la formation de clichés mentaux beaucoup plus puissants que la norme, par le fait de l’immaturité du méditant drogué.

Il n’empêche qu’un nombre de plus en plus important de drogués sont convaincus que quelques poussières de L.S.D. leur permettent d’atteindre en moins d’une minute des niveaux spirituels que d’autres ne peuvent atteindre qu’après des années d’effort.

Une claire compréhension du fait que les expériences psychiques telles que voyances, visions de couleurs extraordinaires, clairaudience, dédoublements, suspension du temps n’ont absolument rien de spirituel permettrait de dissiper la confusion et les malentendus.

Les expériences du Dr Henri Gastaut et du Dr A. Tassirini de l’université de Marseille faites conjointement à celles des Dr Akira Kasamatsu et Dr Tonia Hiraï de l’université de Tokyo montrent que les tracés encéphalographiques des drogués en extase sont perturbés et désynchronisés en opposition avec ceux réalisés à l’aide de méditants zen. Des constatations identiques ont été faites à l’Institut Méru par les Prix Nobel Eugène Wigner et Dr Brian Josephson ainsi que le Professeur L. Domash (3).

De son côté, Krishnamurti déclare :
« Vous prenez une drogue, vous voyez des couleurs plus intenses, vivantes… Quand vous prendrez cette drogue, vous verrez vos propres projections… mais il est évident que vous ne connaissez pas cette chose essentielle que l’on a toujours cherchée. Lorsque vous prenez des drogues, vous en dépendrez tôt ou tard, elles auront un effet désastreux. » (4)

Le Dr Sidney Cohen, directeur de l’hôpital psychiatrique de Los Angeles déclare :
«Il est important de dire que la plupart des expériences L.S.D. d’euphorie, d’hébétement, d’absence de conscience de soi, accompagnée de plaisirs perceptifs et d’extravagances sensorielles n’ont aucun rapport avec l’expérience mystique. » (5)

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Nous abordons enfin ici la partie la plus importante de cet exposé. On peut considérer l’existence de deux sortes de méditation. La première, la plus connue, remportant le plus de succès est l’approche dite « positive ». On la désigne de cette façon parce qu’elle donne immédiatement des résultats, des visions, divers phénomènes psychiques. Les instructeurs de la Voie Abrupte désignent cette méthode, la voie de l’autoprojection. Le méditant se conforme à certains modèles, il fixe son attention sur certains symboles et finit par être le témoin ébloui de ses propres créations. Cet état est appelé «autoprojeté». Il correspond au « Savikalpa Samadhi » des yogis indiens et laisse l’ego prisonnier dans sa condition d’exil.

L’autre approche est dite « négative ». Elle ne donne pas de modèle à imiter et ne suggère pas l’application de la pensée sur telle ou telle image, telle ou telle qualité. Au contraire. La voie dite « négative » s’attaque directement au vice de fonctionnement de la pensée. Elle dénonce le piège de nos constantes projections mentales.

Dans cette optique, l’état de méditation véritable n’est plus un état autoprojeté. La réalité n’est pas le résultat de nos manipulations mentales. Elle existe par Elle-même et la méditation consiste à La laisser opérer en nous par le silence intérieur. Dans cette réalisation le mirage de l’ego se dissout et le méditant sort de son exil.

La méthode

La plupart des écoles de méditation s’accordent à considérer l’importance du silence mental afin d’accéder à la prise de conscience de niveaux plus profonds que ceux de la vie ordinaire. Mais la réalisation du silence intérieur est l’objet d’approche non seulement différentes mais souvent radicalement opposées suivant les écoles.

Ainsi que l’expose Krishnamurti, les moyens utilisés conditionnent la fin. Cela implique que si les moyens sont conditionnés, limités, le méditant restera prisonnier des conditionnements particuliers dans le cadre desquels s’effectue sa recherche.

L’approche de la méditation évoquée ici est différente de la plupart des écoles connues, exception faite pour le Ch’an (Shen-Hui et Hui-Haï), Krishnamurti et Wei Wu Wei (6).

Ceux-ci enseignent qu’avant de méditer sur tel ou tel sujet et avant de penser à ceci ou à cela, il est fondamental d’examiner le fonctionnement de la pensée, sa nature, son rôle, ses limites et la source des énergies qui entretiennent l’agitation mentale permanente.

Avant de prendre toute initiative et de dire « je » vais méditer, « je » vais maîtriser ou obtenir ceci ou cela, « je » vais réaliser le silence mental, il est préalablement nécessaire de prendre conscience de l’origine de telles motivations et se rendre d’abord compte d’une évidence généralement insoupçonnée : le « je » n’existe pas tel que nous l’éprouvons. Il n’existe qu’une succession rapide et chaotique de pensées sur laquelle nous superposons arbitrairement par ignorance et manque d’attention, la notion d’une entité, d’un ego. Il n’y a pas d’ego, mais une constellation de milliards de mémoires. Cela se trouve partiellement évoqué dans les formes dépouillées du bouddhisme, du taoïsme, de l’advaïta védanta et par Krishnamurti.

Les premiers pas de la méditation consistent en l’exercice d’une attention de plus en plus vigilante qui se dégage des automatismes de la mémoire, des processus de choix, de comparaison, de référence au passé.

Parmi les automatismes de la mémoire, il importe de signaler les processus de verbalisation nommant les objets, émettant des jugements de valeurs et pardessus tout l’existence d’une image de nous-mêmes dont peu d’êtres humains sont conscients de l’action constante.

En résumé, la méditation véritable consiste en un état d’attention parfaite, souple, réalisant une perception globale immédiate dégagée de l’identification à un « ego », sujet observateur.

L’absence d’ego n’est ni un état négatif, ni vague, ni infra-intellectuel.

En lui se réalise enfin l’ordre, la clarté d’une lucidité pure, créatrice, dégagée des automatismes de la pensée.

Dans cet état, que les Voies Abruptes considèrent comme l’Etat Naturel, le méditant est à l’écoute d’une Présence toujours renouvelée que la pensée ne peut atteindre ni concevoir.

La tâche fondamentale incombant au méditant consiste à démasquer les énergies qui entretiennent l’agitation mentale et confèrent à la conscience une impression de continuité.

La conscience n’est pas continue. La tradition indienne évoque l’existence de moments de silence ou « vides interstitiels » existant entre les pensées (états de Turya). C’est la rapidité du déroulement des images mentales qui confère à la conscience une impression de continuité.

Le processus est identique à celui de la projection d’un film provenant du déroulement rapide d’images entre lesquelles existent de brefs intervalles de vide. L’apparente continuité du geste d’un acteur levant un bras provient de la projection rapide de clichés séparés représentant chacun une position légèrement plus élevée du bras. Mais entre ces clichés existe un vide. La projection du film au ralenti révélerait un mouvement d’élévation discontinu au cours duquel le bras s’élève par bonds.

La méditation véritable accorde une importance fondamentale au moment de silence existant entre les pensées. Ce moment de silence, également appelé « l’état d’intervalle » par Krishnamurti est l’opportunité permettant au niveau spirituel de révéler la plénitude de ses richesses.
Ici se révèle le sens ésotérique de l’opportunité évoquant l’ouverture de la « Porte intérieure » livrant accès aux profondeurs essentielles.

La difficulté de la méditation résulte de l’action toute-puissante du réseau des mémoires passées mettant obstacle à la pleine disponibilité au Présent intemporel du niveau spirituel fondamental. Le problème pourra se résumer par une lutte entre les forces du passé dont l’être humain est l’incarnation ou matérialisation d’une part, et d’autre part une Réalité spirituelle, éternellement présente se caractérisant par une pulsation créatrice toujours renouvelée.

Ce qui vient d’être évoqué s’éclaire soudainement lorsque nous savons que nous ne sommes que « mémoires », physiquement et psychologiquement et que chaque être humain est un milliardaire de la mémoire et du temps. L’inconscient n’est autre qu’une forme résumée, intégrée de milliards d’enregistrements mémoriels. Il est le « Vieil homme » dont le dépouillement est nécessaire afin de nous rendre disponibles à la création neuve de chaque instant. Cet énorme réseau de mémoires met tout en oeuvre pour assurer sa continuité. En d’autres termes, le « Vieil homme » en chacun de nous sait très bien que les moments de silence existant entre les pensées mettent ses jours en danger. Lui — qui se souvient de millions de naissances et de morts, de réussites et d’échecs, de plaisirs et de douleurs — ne veut pas abdiquer. Il met tout en oeuvre pour assurer sa continuité et masquer à nos yeux les états d’intervalle qui consacreraient sa ruine. Des aliments, des énergies lui sont indispensables pour assurer sa survie. Ceux-ci lui sont fournis par l’agitation mentale, par nos recherches de sensations. En résumé, les Eveillés considèrent que l’agitation mentale est le réflexe d’autodéfense du « Vieil homme » afin d’assurer sa continuité. Nous découvrons ici la signification profonde du mot Satan dont l’origine s’apparente non seulement au mot Saturne mais surtout au vieil arabe « Sheitan » qui signifie « je résiste ». Les difficultés majeures de la méditation résultent du rôle satanique du « Vieil homme » (le réseau des mémoires passées) qui résiste à la loi divine de création toujours renouvelée éternellement présente.

La prise de conscience de ce processus tarit la source première des énergies entretenant l’agitation mentale.

Les « pulsions prémentales » cessent dès lors leur rôle perturbateur et le méditant réalise enfin un état de silence mental délivré de toute tension imposée par la volonté.

Dans cet état se révèlent instantanément les richesses du niveau spirituel engendrant l’ordre, la clarté d’une plénitude de conscience et d’intelligence qui ne se trouve plus pervertie par les automatismes de la mémoire. Ceux-ci sont toujours présents mais le méditant est affranchi de leur influence. Pour lui, la pensée n’est seulement qu’un instrument de communication répondant adéquatement aux circonstances mais elle n’est plus complice du désir de continuité (Tanha) du « Vieil homme ».

Les Eveillés considèrent enfin que la méditation véritable n’est pleinement révélatrice qu’au cours des relations avec les êtres et les choses. Les réactions que provoquent les relations humaines révèlent l’existence et le rôle important de l’image que chacun possède de soi.

Celle-ci constitue l’une des barrières les plus subtiles formant obstacle à notre parfaite disponibilité.

***

Il est utile de souligner ici la parfaite convergence existant entre les approches sommairement exposées de la Voie Abrupte et la science moderne. Cette similitude est principalement soulignée par les physiciens de réputation internationale tels que Fr. Capra, David Bohm, D. Finkelstein, G. Chew, les Prix Nobel Br. Josephson et Eug. Wigner.

En résumé le vécu essentiel de l’état de méditation véritable peut être considéré comme un état de réceptivité parfaite par le corps humain et spécialement le cerveau à l’égard du champ de conscience cosmique formant le niveau spirituel, a-causal, intemporel.

L’être humain peut être considéré comme une « fenêtre ouverte » située dans le monde extérieur où s’expriment les contenus du monde intérieur.

Un nombre grandissant de physiciens tente d’éclaircir la nature des rapports existant entre le champ de conscience cosmique, les fonctions d’onde de probabilité, le cerveau, les pensées, les actes de conscience.

Les conclusions du physicien Henry Stapp de l’université de Berkeley sont, dans ce domaine, du plus haut intérêt.

Il déclare (revue 3e millénaire n° 8) :
« Dans la théorie quantique, il y a, en plus de la fonction d’onde qui représente l’analogie des positions et des vitesses de toutes les particules, un second élément : une série d’actes.
« Ces actes sont des réductions des paquets d’onde.
« Si chaque pensée consciente est interprétée comme étant un acte, alors chaque acte subjectivement ressenti peut être identifié à un acte physique et peut être représenté dans la théorie physique par un acte correspondant à la réduction du paquet d’ondes. »

Constamment, émanent des profondeurs ultimes de la matière, en écho à la pulsation constante du champ de création pure, des paquets d’ondes de probabilité auxquels le cerveau humain aurait la possibilité de répondre adéquatement ou inadéquatement.

L’homme, dans cette optique nouvelle, n’est plus simplement un observateur passif, subissant les répercussions d’un acte créateur initial cataclysmique, tel le fameux « big-bang ». Au contraire : il devient participant actif dans le processus de création universel.

Au seuil du IIIe millénaire, l’univers se présente comme une totalité organique d’un seul et même vivant en état de création éternellement présente se manifestant par des processus imprévisibles échappant à toute prédétermination, toute mécanicité, toute planification. Le sens des valeurs est ici assez différent des concepts téléologiques ou finalistes des philosophies judéo-chrétiennes.

Dans ce climat de liberté et de haute spiritualité, nous voyons les oeuvres d’Ilya Prigogine, de David Bohm confirmer et compléter celles de Krishnamurti et des Eveillés du Ch’an. Le comportement de l’univers n’est pas celui d’une mécanique fermée obéissant une fois pour toutes aux directives d’une impulsion initiale.

L’univers au contraire se recrée d’instant en instant, et chaque être humain peut être le coparticipant de cet acte de création par la disponibilité spirituelle que réalise en lui la méditation véritable. Ainsi que le déclare le physicien Henry Stapp :
« Deux aspects distincts de cette participation sont mis en évidence par la théorie quantique. La théorie montre en termes mathématiques la nature d’un aspect local déterministe et personnel, tout en impliquant l’existence d’un aspect non local, non déterministe, cosmique.
« La théorie quantique conçoit donc l’homme comme un mélange mathématique bien défini d’éléments personnels et cosmiques. »

Dans la mesure où s’installe en chacun de nous la primauté du personnel, de l’égocentrisme, de l’identification aux mémoires du passé, nous renforçons notre condition d’exil. Les conséquences de cette inadéquacité sont à l’origine de la souffrance et de l’angoisse.

Mais si nous avons l’intelligence requise pour laisser opérer en nous, sans résistance, l’impulsion des paquets d’ondes émanant de la pulsation créatrice fondamentale, nous sommes en cet instant même participants actifs dans le processus de création cosmique.

Il serait plus exact d’utiliser ici un autre langage et de déclarer qu’au cours de cette mutation, tout le « résiduel » en nous (le mirage de l’ego) cède la place à l’immensité insondable de la Vie cosmique.

Ainsi que l’exprime David Bohm (Wholeness and the implicate order, p. 25, éd. Kegan, London) :
« La vision intérieure, originale et créatrice dans la totalité du champ du mesurable est l’action de l’immesurable. »

Les Maîtres chinois résument cette réalisation par trois mots : « Retourner chez soi. »

BIBLIOGRAPHIE

Wei Wu Wei : All else is bondage (Voie Abrupte), University Press, Hong Kong 1972.
Wei Wu Wei : La Voie Négative, éd. la Différence, Paris 1975.
Hui-Haï : The Path to sudden realization, éd. Sidgwick, London.
Linssen R. : La Méditation véritable et Au-delà du Hasard et anti-hasard, éd. Courrier du Livre.
Krishnamurti : L’Eveil de l’Intelligence, éd. Stock, Paris.
Fr. Capra : le Tao de la Physique, éd. Tchou, Paris.
G. Zukav : La Danse des éléments, R. Laffont, Paris 1982.
1. Prigogine : La Nouvelle Alliance, Gallimard, Paris.
Dr Th. Brosse : La Conscience-Energie, éd. Présence, Sisteron 1975.
R. Nirmayananda : La Divine Féérie.
Henry Stapp revue 3e Millénaire n 8.

NOTES

(1)    Les Voies « Abruptes » sont les moins connues. Il ne s’agit pas d’une secte mais d’une approche très dépouillée de l’Eveil intérieur, dégagée de l’autorité, des rituels, des pratiques posturales. On en trouve des traces dans l’Advaïta Védanta, le Satya Dharma, le Ch’an de Hui-Neng, Shen Hui et Hui-Haï, le Yoga Vashishta, Sri Bhagavan Maharshi. Parmi les contemporains signalons Sam Tchen Kham Pâ, Wei Wu Wei et Krishnamurti.
Le terme « Abrupte » provient de la soudaineté du passage de l’état de rêve familier à l’état d’éveil relatif. La distance entre les deux est la même qu’entre l’éveil relatif familier et l’Etat d’Eveil intégral. Il est aussi instantané (ekaksana en sanscrit signifie en un instant).
(2)    Encyclopédie parapsychologique, étude sur la drogue, vol. I par R. Linssen, éditions Martinsart, 1976.
(3)    Voir étude du Dr Brosse, dans Yoga de l’Energie, n° 5, mars 1981.
(4)    Krishnamurti, Au seuil du silence, «  Ed. Stock (Paris).
(5)    Revue Planète n° 33, avril 1967.
(6)    Wei Wu Wei, la Voie négative, Ed. la Différence, Paris, Krishnamurti, l’Eveil de l’Intelligence, Ed. Stock, Hui-Hai, The Path to sudden realization, Ed. Sidgwick-London, 1948.