Robert Linssen
Zen et Krishnamurti

En d’autres termes, chacun de nous est agi à son insu par un instinct de conservation dont la magie toute puissante est d’autant plus dangereuse que nous ignorons tout de son existence. Nous croyons être libres, nous croyons choisir, nous pensons savoir ce que nous voulons. Il n’en est rien.

(Quelques réflexions à propos du « Lâcher prise » du Dr Benoit.)
(Revue Être Libre Numéros 125-128, Avril-Août 1956)

Dans un ouvrage fort intéressant (Lâcher prise), le Dr Hubert Benoit reprend et développe un des thèmes fondamentaux de la pensée Zen, offrant certains parallélismes avec l’enseignement de Krishnamurti.

Nous avions précédemment mis en relief dans nos « Essais sur le Bouddhisme en général et sur le Zen en particulier », l’existence d’une habitude associative pliant à ses exigences le comportement de l’Univers.

La matière est une « constellation d’habitudes mortes », écrivait le professeur Edouard Leroy dans « L’Exigence Idéaliste ».

Ces habitudes associatives s’expriment en nous sur le plan psychologique par un instinct de conservation (Tanha pour les Bouddhistes) ou soif de vivre correspondant à la « soif de continuité » évoquée fréquemment par Krishnamurti.

Ainsi que l’exprime le Dr Hubert Benoit, toutes nos pensées, émotions, tous nos actes sont l’expression d’un « vouloir éprouver ».

En d’autres termes, chacun de nous est agi à son insu par un instinct de conservation dont la magie toute puissante est d’autant plus dangereuse que nous ignorons tout de son existence. Nous croyons être libres, nous croyons choisir, nous pensons savoir ce que nous voulons. Il n’en est rien.

Nous sommes inconsciemment prisonniers d’une habitude associative.

Le Dr Hubert Benoit la définit comme une tendance convergente s’exprimant par un langage convergent.

Toutes les démarches de la pensée, de l’émotion, du langage témoignent de cette avidité fondamentale du « moi ». Nous voulons sans cesse nous associer à tout ce qui nous entoure tant physiquement que spirituellement afin de nous éprouver comme une entité douée de solidité psychologique.

Le Dr Benoit nous suggère la réalisation d’un « Contre-travail » et l’utilisation d’une technique de langage divergente s’opposant à la convergence habituelle du « moi ».

En d’autres termes, il nous propose une attitude dissociative opposée aux habitudes associatives anciennes.

Il est évident qu’en dépit de toutes les précautions et de tous les avertissements, le « contre-travail » en question risque de n’être qu’un piège de l’esprit. Ce contre-travail restera convergent ou associatif aussi longtemps que le mobile qui le détermine émane du « moi ».

Ainsi que l’exprime le Dr Benoit lui-même, nous croyons choisir mais nous sommes en réalité choisis. La somme de nos engrammes mémoriels passés a établi ce que le Dr Godel appelle « les cheminements privilégiés de la pensée ». Ces cheminements privilégiés de la pensée nous poussent inconsciemment à réagir de la même façon devant des circonstances apparemment semblables. Mais en réalité les circonstances ne sont jamais absolument identiques.

La loi de l’habitude, de la répétition, de l’inertie, de l’association et, par conséquent, de la convergence est donc là, toute puissante, à l’œuvre.

Il n’y a qu’une façon d’en sortir : réaliser un « contre-travail » qui ne soit plus l’expression d’un mobile personnel ou, mieux, laisser opérer une transformation intérieure qui n’émane plus du « moi » tout en s’exprimant en lui et par lui. Tel est le thème fondamental que nous présente Krishnamurti.

Si nous nous rendons compte des servitudes auxquelles nous ont entraîné nos avidités égoïstes, nos attachements, nos ambitions, nos recherches de prestige, nos accumulations, il arrive très souvent que nous adoptions soudainement une attitude exclusivement oppositionnelle.

Nous apercevant que nos tendances convergentes et associatives nous conduisent à des conflits, à des souffrances sans fin, nous décidons d’adopter une méthode contraire.

Krishnamurti nous demanderait immédiatement « Qui » veut se débarrasser du processus d’asservissement ? « Qui » veut se libérer des conditionnements ?

Quels sont les mobiles présidant à ce changement d’attitude ? Il y a deux possibilités :

1° La première ~ celle qui se présente la plupart du temps est celle du « moi ».

Nous y trouvons un réflexe d’auto-défense, une peur de souffrir, une résistance d’autoprotection.

Le « moi » est toujours avide de méthodes, de recettes. Il pourra les désigner par des étiquettes apparemment véridiques et flatteuses pour le mental. Il les désignera sous les termes de méthodes dissociatives ou divergentes.

Mais rien n’est fondamentalement résolu. Le simple fait de « pratiquer une méthode », de s’exercer à une technique entraîne inévitablement un conditionnement de l’esprit, un renforcement du « moi » et la dégradation de la pensée dans un processus de conformisme ou d’imitation.

Krishnamurti attire notre attention sur ces dangers. La plupart de nos transformations spirituelles ne sont que des « continuités modifiées ». C’est-à-dire que sous-jacente aux innombrables transformations de surface (et même de profondeur ~ c’est tellement subtil !) la pseudo réalité du « moi » se conserve et continue.

Le « moi » se nourrit des tensions existant entre les opposés parmi lesquels il oscille constamment.

Ceux-ci d’abord grossiers et immédiatement perceptibles deviennent de plus en plus subtils et inconscients.

Il est donc nécessaire que le « contre-travail » suggéré par Hubert Benoit ne subisse plus la loi des « mécanismes pendulaires de l’esprit » (définie par Roger Godel).

Les moyens déterminent la fin, nous dit Krishnamurti. Toute réalisation porte les empreintes indélébiles des méthodes ou techniques dont elle s’est inspirée. Telle est la raison pour laquelle Krishnamurti nous suggère la « non-méthode ». En cette dernière réside le secret de la « passivité créatrice ».

Seule, la « non-méthode » permet au Réel d’être sa propre loi en nous et par nous.

2° La deuxième possibilité est celle de l’exercice de la « non-méthode ».

« Vous ne pouvez choisir la Vérité », nous dit Krishnamurti. C’est Elle « qui vous choisit ».
La non-méthode ne peut résulter d’un acte de choix du « moi » au même titre que l’exercice du langage divergent.

La non-méthode résulte de la cessation de tout acte de choix.

Lorsque nous nous posons l’inévitable question de savoir comment cesse le processus du choix et de la convergence, nous trouvons une réponse paradoxale de Krishnamurti : c’est l’Intelligence-Amour qui libère et non le « moi ». Le « moi ne peut briser le moi ».

Lorsque le Zen nous dit « d’obéir à la nature des choses », il nous donne une clé. Obéir à la nature des choses signifie que nous laissons à notre être réel la possibilité de s’exprimer librement en nous et par nous.

La solution est infiniment plus simple que le supposent la plupart.

Elle est simple et ardue à la fois. Elle est ardue en raison de nos complexités inutiles. Elle est simple et proche, car si l’ « Intelligence-Amour » n’est pas le « moi » tel que nous le vivons actuellement, elle en est cependant l’essence, la substance. Ainsi que l’expriment les maîtres Zen, « tout est le Mental Cosmique », rien n’est en dehors de lui, ni dans la matière, ni dans l’esprit, pas une seule de nos pensées, même les plus absurdes, n’est en dehors de lui.

Nous n’avons pas de biens à acquérir. Rien ne nous manque. Le problème n’est pas une question de substance ni de nouvelles richesses à acquérir. Le problème se limite à une question de fonctionnement harmonieux entre les éléments qui nous constituent. Il suffit de mettre de l’ordre dans notre désordre intérieur.

L’ « Intelligence-Amour » est au delà des personnes séparées, au delà des pseudo-entités, des barrières artificielles et des distinctions élaborées par le mental.

L’ « Intelligence-Amour » confère au « moi » ou à ce qu’il en reste une attitude dissociative et divergente.

Encore faut-il dire que l’exercice d’un langage divergent ne peut recréer l’ « Intelligence-Amour » ni réaliser une disponibilité au Réel.

La divergence est une conséquence du satori ou état de libération. Encore faut-il préciser que le libéré peut employer, et ne fait d’ailleurs qu’employer le langage convergent tout en étant libre des associations psychologiques et des identifications généralement impliquées par ce dernier.

La grande erreur consiste à prendre comme moyen de réalisation spirituelle une conséquence quelle qu’en soit la nature.

Nous avons insisté, dans nos « Essais sur le Bouddhisme en général et sur le Zen en particulier », sur le caractère rigoureusement irréversible du processus du Réel.

La mise en pratique d’une conséquence d’un état de réalisation spirituelle n’apporte pas cette réalisation. Nous pouvons nous entraîner à la chasteté, au jeûne, au silence, au calme mental, au langage divergent : rien de tout ceci ne peut nous apporter une réalisation authentique. On ne s’entraîne pas « au Réel ». On s’entraîne à un match de boxe, à un examen technique, à un travail mental. On ne s’entraîne pas à « percevoir le Réel ». On ne peut le percevoir que « non-préparé », entièrement dénudé de toutes les tensions psychologiques, totalement libéré du choix, des méthodes.

Telles sont les conditions fondamentales de la suprême « innocence » permettant la réalisation de l’Inconnu total de l’instant neuf.

Il ne s’agit donc pas de s’entraîner à un « contre-travail » divergent en risquant presque toujours de sombrer inconsciemment dans une attitude oppositionnelle purement « anti-convergente ».

L’attitude krishnamurtienne est toute autre : il nous suggère de découvrir au cœur même de la convergence et des habitudes associatives les mobiles fondamentaux du comportement convergent ou associatif.

Au cœur même de nos habitudes égoïstes, de nos répétitions mentales, émotionnelles ou physiques, Krishnamurti nous demande de démasquer une soif de continuité fondamentale, une avidité de durer, une résistance au changement, un recul devant le neuf, une « peur d’être rien ».

Cette soif de continuité étant démasquée, le « vieil homme » en nous s’éteint de lui-même. En cette mort même est une renaissance. L’ancien est mort. Le nouveau, l’éternellement neuf apparaît de lui-même. Il se suffit à lui-même. Mais une fois de plus, ne nous entraînons pas artificiellement à « être neufs ». Au cœur d’une telle nouveauté, entièrement sophistiquée, nous ne trouverons jamais la fraîcheur, ni le parfum de l’Eternel printemps qui ne peut être construit, ni manufacturé, ni préparé.

En d’autres termes, « nous » ne pourrons jamais réaliser une « divergence » ou un « renouvellement » authentique. La tâche qui nous incombe consiste à laisser opérer l’« Intelligence-Amour » (que nous sommes) sur nos centres convergents, sur nos habitudes associatives, etc.

***

La réalisation effective du « Satori » ou état de libération résulte peut-être plus de l’Amour que de la seule Intelligence. Encore faut-il dire que l’expression commune « seule Intelligence » est un non-sens.

L’Intelligence véritable est également Amour.

L’Amour est essentiellement divergent, dissociatif, rayonnant. L’Amour véritable est incorruptible. La corruption de l’amour et ses tendances associatives sont l’œuvre de la pensée.

Les habitudes associatives du « moi » tendent de dégrader la pureté première de l’Amour dans les pièges de la possessivité et la répétition de certains automatismes mentaux ou sensuels.

Il est à notre avis très grave d’affirmer, comme le fait le Dr Hubert Benoit (p. 277) qu’il n’y a aucun amour dans le Satori ou sa préparation. L’état de satori n’est, certes, ni mental, ni émotionnel, et l’amour véritable n’est pas une émotion. L’auteur l’admet d’ailleurs dans d’autres ouvrages.

Cependant, si nous nous refusons résolument à l’Amour, quelle que soit sa nature, en vertu d’un « a priori » entraînant sa dévalorisation systématique, il nous est impossible d’être authentiquement libre, c’est-à-dire totalement divergent.

Nous pensons que dans le jeu de la vie nous avons à utiliser les cartes que nous avons en mains. Ces cartes sont nos facultés d’aimer, de penser, d’éprouver sur tous les plans.

La faculté d’aimer existe latente ou développée au cœur de tous les êtres. Nos civilisations hyper-intellectualisées, corrompues par l’intérêt et le calcul, n’ont fait aucune place à l’éducation du sentiment. Celle-ci est de la plus haute importance. Pendant de nombreuses générations, parents et éducateurs ont méprisé les manifestations affectives en ignorant totalement les richesses extraordinaires que leur épanouissement pouvait engendrer. En dépit de ses perfectionnements techniques, des miracles de ses cybernéticiens, l’humanité du vingtième siècle compte une immense majorité de monstres d’insensibilité et d’égoïsme.

La suppression des cruautés et des injustices du monde ne résulte pas d’une évolution intellectuelle. Seule, la naissance d’une sensibilité nouvelle, profondément naturelle, inspirée de l’Amour véritable, peut opérer les transformations souhaitées par les gens de cœur.

A tout ceci certains répondront : « A quoi bon parler de l’Amour véritable puisque nous ne le connaissons pas ? »

De l’amour ordinaire, corruptible, identifié, limité, à l’amour réel, une voie très simple et naturelle s’offre à nous.

Il suffit de conserver intacte la flamme de l’amour en la dégageant de ses points d’attache.

Cette libération ne peut être l’œuvre du « moi ». C’est l’amour lui-même qui brûle les liens de l’habitude associative et convergente. Cet amour est un état d’être se recréant d’instant en instant. Il n’est plus distinct de l’Intelligence.

Du point de vue expérimental, c’est l’intensité rayonnante de l’Amour vrai qui suspend les activités associatives et convergentes du « moi ».

Le véritable silence mental n’émane pas d’un choix de la pensée.

La paix intérieure ne résulte ni d’un acte de discipline ni d’aucun entraînement artificiel.

L’amour véritable agit par simple présence. Chaque seconde est vécue dans la plénitude ineffable du Réel. Dans cette félicité et cette joie — qui ne sont plus « notre » félicité, ni « notre » joie seulement nous réalisons une parfaite adéquacité aux circonstances neuves de chaque instant.

La suspension totale de la pensée et la concentration naturelle, impersonnelle de l’attention dans la plénitude de chaque moment est définie par certains maîtres Zen comme « la parfaite momentanéité ».

Pour être strictement véridique, nous ne devrions même plus parler « d’attention et de plénitude de chaque moment ». Toute opposition, toute dualité disparaît dans l’acte d’ultime intégration.

L’ « Intelligence-Amour » du Satori nous donne cette faculté à la fois simple et merveilleuse de tout observer, tant intérieurement qu’extérieurement, en étant totalement libre du choix et de l’identification. Nous pouvons jouer pleinement le jeu du monde en étant libres des formes innombrables qui lui servent d’expression.

Cette attitude nous délivre totalement du « karma ». Chaque seconde étant vécue pleinement, nous ne cherchons plus à nous projeter dans un futur qui ne serait qu’une compensation à notre incapacité de vivre le présent. Etant comblés à chaque instant, nous ne désirons plus rien.

Une fois de plus, répétons-le, la cessation du désir est une conséquence et non un moyen d’entraînement spirituel.

C’est l’amour véritable qui permet au mental de se libérer des habitudes associatives de la mémoire.

Chacun peut en faire l’expérience vivante. Dans la mesure où se réalise en nous une adhérence à chaque moment présent, l’acuité même de l’instant vécu nous délivre de l’emprise du passé. Si nous laissons œuvrer en nous la puissance d’amour, telle qu’elle ne demande qu’à s’exprimer, nous serons portés entièrement dans chaque instant présent, complètement renouvelés à chaque seconde, totalement affranchis de toute identification personnelle. Dans cet état, nous sommes non-exclusifs, non-accumulatifs, non-convergents. Nous ne le sommes pas en vertu d’un acte de choix ou de discipline. Nous le sommes, car il est impossible d’être autrement.

Le prestige de l’amour vrai projette une sorte d’interdit sur les agitations mentales habituelles. C’est par ce moyen seulement que la réalisation spirituelle s’affranchit des conditionnements perpétuels du « moi ».

***

Dans la réalisation du Satori, nous ne nous associons plus aux choses et aux êtres, car la toute-puissance de l’amour vrai nous révèle notre présence en eux et la leur en nous. Il n’y a d’ailleurs plus de distinctions entre « eux et nous ». Il n’y a plus « les autres » et « moi ».

L’état d’amour et de « non-choix » nous confère cet étrange pouvoir de pénétrer au cœur des choses et des êtres. La Réalité nous révèle d’étranges résonnances par la vision de ce que nous sommes en Elle au cœur de ce qui nous entoure. Mais, répétons-le. Il n’y a ni les autres ni nous, ni « ce qui nous entoure ». L’univers des apparences extérieures se dépouille progressivement de son opacité. Dans cette transparence nouvelle, le monde « de surface » semble s’approfondir irrésistiblement. Plus rien ne nous arrête. Le limité devient illimité.

Tout devient insondable à tel point que profondeurs et surfaces s’intègrent en une homogénéité nouvelle totalement inconnue. Les êtres et les choses n’ont jamais été autrement. Seule notre vision a changé. Elle n’est d’ailleurs plus une vision comme nous l’entendons généralement.

Il n’y a plus là ni expérimentateur, ni expérience. Il n’y a plus d’entité ni de choses. Il y a l’indicible « mouvement de la vie ». Mais chaque terme de cette expression contient une faiblesse. Disons simplement comme Carlo Suarès dans la « Critique de la Raison Impure » : « Il y a… Il y a… ».

Peut-être serait-il mieux de ne rien dire ?

Chaque mot, chaque image est une trahison, car les mots et les images sont des concessions faites au langage dualiste responsable des mirages du « moi ».

La Réalité se joue de nos mots et de nos représentations mentales.

L’aspect Amour de l’« Intelligence-Amour » possède le pouvoir à la fois simple et merveilleux de nous apprendre à nous orienter vers des saveurs dont la puissance est plus grande que celle des mots prétendant les contenir. Tout être humain possède à l’état latent cette divine magie de l’Amour véritable dont les qualités libératrices et divergentes opèrent d’elles-mêmes sans intervention des disciplines ou méthodes du « moi ». De telles forces peuvent en certains cas travailler « malgré » nos résistances égoïstes et nous révéler la divine surprise.

Dans le cœur de ceux qui s’éveillent selon cette Religion Naturelle, l’océan des rêves anciens forme des vagues de mots qui se brisent aux rivages du Présent Eternel. Le contenu de chacun de ces mots pâlit devant la lumière prestigieuse de l’instant.

Seconde après seconde, des « pensées-mots » apparaissent. Elles naissent, s’épanouissent, s’épuisent et meurent. Elles n’ont plus pour mobile l’avidité d’une pseudo-entité qui se nourrit d’elles pour entretenir le rêve d’une continuité morte. Ainsi que l’exprime Suarès, « sur les ruines de l’entité qui s’écroule, une autre veut se reconstruire ». Mais à la lumière de l’« Intelligence-Amour » chaque vague ancienne se brise sur le roc du renouveau éternel. Dans l’état de Satori ou libération, il n’y a plus d’entité. A chaque moment naît une pensée. Il n’y a plus d’entité nous le répétons à dessein.

Voyons-nous bien la nuance ? Il n’y a qu’une pensée. A peine est-elle apparue en réponse aux exigences de l’adéquacité de l’instant qu’elle se dissout entièrement, libérée de l’identification. Elle peut être suivie d’une autre pensée sollicitée par les circonstances du moment et s’épuisant aussitôt totalement. Il se peut aussi qu’un silence insondable comme l’infini lui-même révèle les imprévisibles richesses de l’instant neuf. En dehors de cela, il n’y a rien… Rien en tant que « moi »… c’est-à-dire qu’il y a Tout.

En cette réalisation réside la fraîcheur et le parfum d’une Réalité qui est au delà de la vie et de la mort.

Robert LINSSEN.