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N°113 - Libres comme le monde
N°113 - Automne 2014 - Libres comme le monde - Viator, Paul Kossak, Nicole Montineri, Philippe Muller, Philippe Roblin, Mathieu Yon, Dayana, Jean Bouchart d’Orval, Gérard, Franck Terreaux, Karl Renz, Denis Marie, Jean-Marc Mantel, Rudolf Steiner, Sri Aurobindo, Phillip Charles Lucas, Lisa Cairns, Oria, Caroline Halley des Fontaines, Anna Guégan, Rupert Spira
N° 113 - Automne 2014
Thème : Libres comme le monde
Liberté ? Egalité ? Fraternité ?
Sommaire
3e millénaire : Le fil d'Ariane
Viator : Libres comme le monde
Paul Kossak : Quand l'Esprit s'adapte aux exigences de la modernité
Nicole Montineri : Le changement intérieur
Philippe Muller & Philippe Roblin : Liberté, égalité, fraternité au coeur de l'humain
Mathieu Yon : A égale distance de la vie
Dayana : Reconnaître notre nature indivise
Jean Bouchart d'Orval : Le vital désencombrement
Gérard : “Je suis” est justesse
Franck Terreaux : La toute possibilité
Karl Renz : La lumière est une porte qui ne laisse aucune idée pénétrer
Denis Marie : Le réenchantement de notre Nature
Jean-Marc Mantel : Liberté, égalité, fraternité
Documents :
Rudolf Steiner : La triplicité de l'organisme social
Sri Aurobindo : Trois divinités de l'âme
Étude :
Phillip Charles Lucas : Les gourous de l'Advaita Moderne Non Traditionnelle et leurs critiques par l'Advaita Moderne Traditionnelle
Témoin d'Éveil :
Marion : Nous sommes la simplicité même.
Entretien filmé :
Lisa Cairns : La liberté est votre nature
Poésie :
Oria : Liberté, égalité, fraternité
Portfolio : : Caroline Halley des Fontaines
BD : : Série Désillusion
Anna Guégan : Flower Power
Méditation : : supplément vidéo avec Rupert Spira
Fil d'ariane
La perte de sens
La trop célèbre devise républicaine « à force d'être répétée, nous dit Viator, a fini par ne plus rien dire »... au point où la remarque provocatrice de Franck Terreaux est devenue une évidence : « Ce concept de liberté, d'égalité, de fraternité, fait penser à un alignement de piquets de clôture. Il demeure comme l'unique réponse à l'univers imaginaire et petit bourgeois que notre civilisation s'est forgée ». Dans une optique différente, suivant une critique guénonienne [1], Paul Kossak constate que ces « idéaux de la révolution française » ne sont aujourd'hui qu'« une coquille vide ». « A la soi-disant tyrannie d'une monarchie omnipotente s'est substituée une médiocratie qui devient de plus en plus visible. La liberté a été réduite à la possibilité de “jouir sans entraves” comme le disait un slogan de mai 68. L'égalité, dans ces conditions, a consisté à niveler les individus par le bas. Et finalement, la fraternité devient bien fragile alors que chacun proclame son droit à la différence et à l'individualisme le plus forcené. » Pour Jean Bouchart d'Orval la méprise repose sur le mensonge, et « La fraternité ne peut exister tant que l'on vit sur le mensonge. Quant à l'égalité », il s'agit alors d'« un des plus grands mensonges de nos sociétés modernes. Prétendre, comme il est écrit dans le préambule de la constitution américaine, que tous les hommes naissent égaux est tout de même une des choses les plus fausses qui aient jamais été écrites. La nature elle-même le démontre chaque instant. L'histoire même des Etats-Unis, par exemple, le démontre amplement. »
Vers l'essence
Avec Viator, nous porterons une triple question : « Liberté, égalité, fraternité... s'agit-il d'autre chose que de mots, et la réalité n'est-elle pas d'une tout autre nature ? » Il nous semble en effet vital, comme le suggère Philippe Roblin, d'envisager « une guérison de l'organisme social » en puisant à la source de notre humanité.
Car « cette vie humaine, questionne Denis Marie, n'est-elle pas le lieu où chaque jour nous nous employons à essayer de concrétiser nos rêves, nos attentes de liberté, d'égalité et de fraternité ? » Il s'agit toutefois de se désidentifier des opinions et des illusions constitutives de notre confusion. Mais « se désidentifier, fait-il remarquer, ne repose pas sur notre perspicacité et notre intelligence, mais découle d'une simple et authentique reconnaissance, du fait de se rendre concrètement à l'évidence. Il n'existe pas une confusion “générale”. Il existe une confusion que chacun permet pour lui, car il la considère comme “normale” ».
Cette désidentification est aussi simple que le témoignage de Mathieu Yon : « Pour ma part, la liberté m'est tombée dessus en regardant la pluie ». Car, comme le dit Lisa Cairns : « la liberté, elle est là. Ce qu'on cherche, c'est là ! »
Il y a 100 ans : deux visions complémentaires
Au cours de la première guerre mondiale, Sri Aurobindo, en Inde, et Rudolf Steiner, en Allemagne, voyaient la devise républicaine sous un nouvel éclairage. Aurobindo dénonçait l'approche superficielle et « mécanique » que nous en avons [2]. « La liberté, tant proclamée comme essentielle au progrès moderne, n'est qu'une liberté extérieure, mécanique et irréelle. L'égalité, tant recherchée et pour laquelle on s'est battu, est, elle aussi, extérieure et mécanique, et finalement elle se révélera irréelle. Quant à la fraternité, elle n'est même pas considérée comme un principe praticable d'organisation de la vie, et ce que l'on propose à sa place, est un principe extérieur et mécanique d'association égale ou, au mieux, une camaraderie du travail ». Il clamait alors l'importance de redécouvrir ces « trois divinités de l'âme » (voir notre document). Rudolf Steiner voyait cette triple réalité spirituelle fonder l'organisme social [3] (voir notre document). Il montrait pourquoi la liberté devait être réalisée sur le plan culturel et éducatif ; pourquoi le système législatif, porté par l'égalité, devait être totalement indépendant de l'économie politique et comment la fraternité pouvait alors se réaliser sur le plan économique, celui des échanges et de la consommation. Pour lui : « C'est en partant de l'être humain tel qu'il se présente dans ses états psycho-spirituels, dans cette triple articulation psycho-spirituelle, que nous en arrivons à la triple organisation sociale. »
Une compréhension de la Présence
La liberté et l'égalité ont systématiquement été opposées. L'une menant au libéralisme absolu, à « l'individualisme compétitif », l'autre à « une société artificielle et mécanique », au totalitarisme. Il est alors « parfaitement vain, souligne Nicole Montineri, d'essayer d'établir et d'harmoniser la liberté et l'égalité sociale sans une profonde compréhension de la nature véritable de l'être humain. C'est elle seule qui nous fera vivre dans une vraie fraternité, celle de la conscience d'une seule et unique Présence en chacun de nous. La fraternité est au cœur de la conciliation entre liberté et égalité. » Le déséquilibre, la confusion, les oppositions entre les trois membres du ternaire républicain se produisent inévitablement lorsqu'on l'entend « à partir d'un point de vue personnel, c'est-à-dire mental » remarque Dayana. Ce point de vue s'appuie sur les oppositions « libre/aliéné, égal/discriminé, frère/exclu » relève-t-elle, alors que « vu de l'impersonnel », liberté, égalité, fraternité « est un écho direct à notre nature » et ne s'entendent plus en opposition à des contraires.
De la forme à la transcendance
Les contradictions demeurent dès lors que nous essayons de comprendre la liberté, l'égalité et la fraternité « du point de la vue de la forme ». Si bien, nous dit Jean-Marc Mantel que, finalement, « on ne peut donc parler de liberté, d'égalité et de fraternité au niveau de la forme ». C'est pourquoi Gérard constate qu'« en l'absence d'objet, aucune idée de fraternité ou d'égalité ne peut apparaître. Contrairement à la liberté, ces deux qualités présupposent l'existence d'un “autre” ». Parce que, souligne Karl Renz : « La liberté est la nature de l'Absolu, et l'Absolu n'a jamais besoin d'être libre [...] Tu ne peux pas atteindre la liberté et personne ne sera jamais libre. La réalité est la liberté parce qu'il n'y a pas de second : il n'y a que la réalité ». L'esprit dualiste, conditionné et limité à un mode de vie personnel, qui fonctionne par opposition, ne peut réaliser une vision profonde transcendant la forme. Pourtant, nous dit Jean-Marc Mantel : « La liberté y réside, en tant que pouvoir créateur infini. La fraternité y réside, dans l'unité de ce qu'elle est. Et l'unité est la source de l'esprit fraternel. L'égalité y réside aussi, car ce qui précède et transcende la forme est à l'origine de tout sentiment d'égalité, tout comme l'or est ce qui relie tous les bijoux en or ». Dans la vision transcendante, nous réalisons avec Jean Bouchart d'Orval que : « L'égalité, celle qui ne se fonde pas sur une prétention mensongère, est une non-division, une absence de séparation d'avec l'autre. Cette égalité-là a un goût tout à fait différent que de simplement avoir l'idée commune de l'égalité, qui dégénère en égalitarisme ».
Une tout autre vision du ternaire républicain peut alors s'offrir à nous. Elle participe d'un changement de société dans un accomplissement spirituel de notre humanité.
[1] - Voir de René Guénon, La crise du monde moderne et Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, Éd. Gallimard.
[2] - De septembre 1915 à juillet 1918, Sri Aurobindo publie dans la revue indienne Arya, les trente-cinq chapitres de L'idéal de l'unité humaine où figure ses réflexions sur la devise républicaine.
[3] - Lors de conférences d'octobre à novembre 1918, Rudolf Steiner partage ses idées sur la manière de comprendre la devise républicaine ; voir Symptôme dans l'histoire (Triades).