(Revue Psi International. No 3. Janvier-Février 1978)
Né à Paris le 16 mai 1874, le Dr Osty, après des études médicales très brillantes, dut, pour des raisons de famille, et un peu contre son gré, s’installer comme médecin dans une toute petite ville du Berry.
Là, écrit son fils, Marcel Osty, la vie s’y déroulait monotone et dure se consacrant entièrement à son travail, il trouvait cependant le temps de se tenir au courant des nouvelles études scientifiques et philosophiques.
De la médecine rationaliste…
Mais, comme la plupart des jeunes médecins de cette époque, il sortait de la Faculté de Médecine avec une formation strictement rationaliste. « Jusqu’en 1909, écrit-il, comme presque tout le monde, j’avais entendu, et d’une oreille assez distraite parler de chiromancie, de cartomancie, d’astrologie, de voyants, de liseuses d’avenir par divers et bizarres procédés. Certains m’avaient vanté la justesse étonnante des révélations qui leur avaient été faites ou l’exacte réalisation des prédictions les concernant. Soit que l’esprit de ces personnes me parut enclin à l’entraînement mystique, soit que de tels faits ne pussent trouver place dans un cerveau asservi aux méthodes des sciences positives, ces convictions définitives, que je rencontrais chez d’autres, il me faut l’avouer, n’eurent pas le pouvoir d’éveiller ma curiosité. Je ne comprenais pas comment la raison consciente et l’automatisme intellectuel subconscient dont le jeu synergique, d’après la psychologie moderne, constitue tout le psychisme, pouvaient expliquer de semblables phénomènes. Et je rencontrais avec satisfaction la confirmation de mon aversion à priori dans quelques ouvrages et articles du Professeur Grasset qui, à propos de spiritisme et d’occultisme, niait l’existence de la lucidité et en expliquait l’apparence par l’activité de l’imagination subconsciente. J’étais donc un de ceux qui, de parti pris, ne veulent pas accepter ni étudier la matière des sciences psychiques ».
C’est alors qu’en 1909 une circonstance fortuite le met en présence d’un sujet pourvu, selon l’heureuse expression de Boirac, de « facultés métagnomiques » c’est-à-dire d’un sujet capable de prendre connaissance soit de choses sensibles, soit de pensées normalement inaccessibles à l’esprit, soit d’événements à venir.
« Elle était cependant de bien modeste talent, écrit Osty, cette chiromancienne qui, un soir l’hiver 1909, dans le salon d’un de mes amis, par le simple examen de la paume des mains, fit successivement l’analyse psychologique de six personnes présentes, totalement inconnues d’elle quelques instants auparavant, mais bien connues de moi. Je ne m’arrêtai pas aux quelques prédictions qu’elle fit pour chacune d’elles. Mais je fus profondément étonné de voir cette femme de médiocre instruction donner en quelques minutes et avec une suffisante exactitude la formule mentale de chacun. »
Tout d’abord, le Dr Osty voulut se rendre compte de la valeur de la chiromancie et de la divination par l’examen des mains en apprenant les méthodes utilisées par les spécialistes connus à Paris et en les appliquant aux mains des malades qu’il soignait. Très rapidement il se rend compte que ces vagues notions scientifiques varient, en réalité, d’un auteur à l’autre et que, sous les apparences de la chiromancie, le sujet lucide perçoit directement par intuition ce qu’il révèle au consultant et que sa science est à peu près nulle.
… à la découverte de la métagnomie
Dès ce jour, son esprit ne connaît plus de repos. Une sorte d’idée fixe s’est implantée en lui. Il veut savoir ce qu’est cette faculté dont ne parle pas la science, cette possibilité de prendre connaissance directe du réel sans le concours des sens. « Alors, dit-il, je fus l’anonyme consultant de toutes les devineresses qui me furent indiquées. Strictement impénétrable, je proposais l’énigme de ma personne tour à tour à des somnambules, à des voyantes, à des cartomanciennes, et, peu à peu, je connus ainsi une bonne partie de ce monde qui dispense du mystère à Paris. »
Dans cette façon directe d’observer les faits, nous trouvons là un des traits caractéristiques d’Osty. Il ne fut pas en effet l’un de ces théoriciens du paranormal, comme il en existe malheureusement beaucoup trop, qui n’ont jamais rien observé, ni le faux, ni le vrai, et qui cependant se posent en spécialistes de la parapsychologie, écrivent des livres et pérorent volontiers à la radio ou à la télévision. Partout où il pouvait soupçonner une lueur de vérité, il s’informait directement, ne s’arrêtant ni devant les difficultés matérielles, ni devant les critiques de ceux qui font profession de science et s’enferment dans leur système de philosophie positive se refusant à ne rien reconnaître de ce qui n’est pas officiellement admis, et, à ce propos, il disait : « le supplice le plus insupportable qui soit est bien d’être taxé de naïveté par des naïfs ».
En 1913, il publie les premiers résultats de son exploration de la connaissance paranormale dans un livre intitulé Lucidité et Intuition. Tout le volume, consacré à l’étude de la clairvoyance, ne contient aucune histoire sensationnelle. Osty y expose simplement la technique suivie pour l’exploration des sujets et les conclusions auxquelles il aboutit. Il le termine par cette phrase qui sera en quelque sorte la conclusion de toutes ses recherches : « Savoir qu’une pensée existe en nous, et dont les sens ne sont pas les seuls moyens de connaître, n’est-ce pas un peu d’espoir qui luit à l’horizon, comme une toute petite lumière au fond de la nuit hostile ?… »
Une connaissance qui ne dépend pas uniquement des données des sens
Le Dr Osty pensait ainsi amener le milieu savant officiel et universitaire à s’intéresser à ces questions. « Il serait à souhaiter, écrivait-il dans l’ouvrage, qu’une docte assemblée nommât une commission dans le but de vérifier la réalité des phénomènes de lucidité, sans autre parti-pris que celui d’aller vers la vérité. Car, une fois les faits tenus pour réels, les recherches s’orienteraient passionnément dans une voie à l’extrémité de laquelle s’élève l’énigme de l’esprit humain. »
Mais il y eut de la part des savants officiels un silence résolu, comme si ce sujet « insolite » menaçait leur tranquillité ou pouvait les compromettre. En revanche, le livre attira sur Osty l’attention de personnalités de premier plan, telles que Bergson, Richet, Arnault de Gramont, Flammarion, le Dr Maxwell, le Dr J.-C. Roux, qui s’intéressaient déjà à ce domaine particulier de la psychologie.
Puis ce fut la guerre mondiale de 1914, pendant laquelle, tout en étant médecin militaire, le Dr Osty rédigea un livre de méditations philosophiques, Le sens de la vie humaine, publié en 1919.
Dans une vue d’ensemble, il y décrit le lent progrès intellectuel et moral de l’humanité. Après tant d’efforts la pensée humaine aboutit à une impasse. L’explication matérialiste, pas plus d’ailleurs que les hypothèses spiritualistes, souvent, perdues dans des rêves, ne peuvent satisfaire le désir humain de comprendre. Balloté entre des tendances contraires, l’homme ne peut trouver l’explication ni le sens de sa destinée et le débat paraît sans issue. Le seul espoir qui subsiste, selon Osty, est l’étude plus approfondie et plus complète des faits révélés par la psychologie nouvelle. Or, la première conclusion est qu’il existe une connaissance qui ne dépend pas uniquement des données des sens. Rien ne faisait prévoir une faculté si étrange, mais si elle est bien établie, et Osty est parfaitement convaincu de sa réalité, ne fait-elle pas éclater les anciennes barrières entre lesquelles matérialistes ou spiritualistes voulaient limiter la pensée humaine ?
La guerre terminée, le Dr Osty reprend activement ses recherches expérimentales et il devient ainsi une des personnalités les plus importantes du mouvement métapsychique. Le Dr Geley lui demande alors de faire partie du Comité de Direction de l’Institut Métapsychique International (I.M.I.) qui venait d’être créé par le Professeur Santoliquido avec l’aide financière de Jean Meyer. De même, la Société de Recherches Psychiques de Londres le nomme membre correspondant.
En 1923, il expose dans son remarquable ouvrage La Connaissance supranormale ce que l’expérience lui a appris au cours de douze années de recherches et d’observations. Cette œuvre fondamentale, qui complète et remplace son premier livre Lucidité et Intuition, met en évidence les extraordinaires possibilités de l’esprit humain.
Osty fondateur de la métapsychique scientifique
Après la mort tragique du Dr Geley, survenue en 1924, le Dr Osty, sur les instances amicales du professeur Charles Richet, prend en 1925 la direction de l’Institut Métapsychique International.
C’est là qu’il étudie d’abord divers sujets métapsychiques à effets intellectuels : le clairvoyant Ludwig Kahn, le métagnome Pascal Fortuny, le calculateur prodige A. Fleury, Lesage, qui peignait sans avoir appris, Mme Kahl, qui faisait apparaître sur ses bras, par une sorte de dermographie, ce que l’opérateur pensait, la voyante Jeanne Laplace, Mlle Osaka, qui possédait une prodigieuse mémoire des nombres, Mme Detey, etc.
C’est également à l’I.M.I. que le Dr Osty démasqua quelques médiums à effets physiques : Mme Bourniquel et Stanislawa P.
Peu porté vers l’étude des phénomènes matériels de la médiumnité, le Dr Osty devait faire cependant, dans cette branche de la métapsychique, une découverte capitale qui constitue le couronnement de son œuvre.
Après avoir observé dans d’excellentes conditions de contrôle le médium polonais à matérialisations et à télékinésies Jean Guzik, il entreprit, en collaboration avec son fils l’ingénieur Marcel Osty, l’étude psychophysique du médium autrichien Rudi Schneider.
Grâce à un dispositif expérimental très ingénieux, le Dr Osty et Marcel Osty montrèrent que lorsque Rudi cherchait à produire une télékinésie, c’est-à-dire un déplacement d’objets à distance et sans contact, il projetait une substance invisible capable d’absorber partiellement l’infrarouge.
Ainsi, le Dr Osty et son fils furent les premiers à déterminer les caractères de la force médiumnique, à en suivre les manifestations et à en enregistrer les variations. Leurs travaux sont consignés dans une brochure parue en 1932 : Les pouvoirs inconnus de l’esprit sur la matière.
Ce court résumé ne peut donner qu’une idée imparfaite de l’œuvre du Dr Osty. Pour en mesurer l’étendue et l’importance, il faut aller aux sources et lire les livres et les articles du regretté Directeur de l’I.M.I. On est alors tenté de penser : avec Osty commence vraiment la métapsychique scientifique. Ses travaux, en effet, conduits selon les règles de la plus saine logique, ne sont, en aucun cas, ternis par la relation de phénomènes douteux ou frauduleux. « C’est que, écrit le Dr. François Moutier, grâce à des dons innés, développés par un labeur incessant, Osty sut isoler le vrai du faux, le probable du possible… Il était clair, logique, sincère, convaincu sans crédulité, ardent sans impatience, enthousiaste sans irréflexion. »
On appréciera encore mieux la grandeur de son œuvre en apprenant que le Dr Osty accomplit à l’I.M.I. un véritable apostolat. Il eut, sans doute, à vaincre de grandes difficultés matérielles, mais il dut surtout lutter contre l’indifférence, la sottise, l’incompréhension et l’envie. Les primaires, les incompétents, les sots et les exaltés, comme on en trouve d’ailleurs encore aujourd’hui, tentèrent de minimiser la valeur de ses travaux. Si le Dr Osty ressentit quelque amertume en face d’attaques sournoises et méchantes, il eut du moins la satisfaction de constater que les gens sensés, les métapsychistes et les savants dignes de ce nom désignaient son œuvre comme l’une des plus importantes de toute la métapsychique. Ainsi que le dit très justement le Dr. F. Moutier : « Là où d’autres avaient rêvé, Eugène Osty a su construire une œuvre, œuvre féconde, œuvre durable. »