Au point de quiétude du monde qui tournoie. Ni dans la chair, ni désincarné;
Ni provenance ni visée; au point de quiétude, c’est là qu’est la danse,
Mais sans arrêt ni mouvement. Ne l’appelez pas fixité,
Le lieu où le passé et l’avenir se joignent. Ni exode ni élan,
Ni ascension ni déclin. N’était le point, le point de quiétude,
La danse n’aurait pas lieu, or il n’y a rien que la danse.
— Extrait de Burnt Norton (n° 1 des Quatre Quatuors), T. S. Eliot
Un soir, il y a des années, je me promenais dans un parc tranquille de New York, écrasé par le poids d’un choix qui me paraissait démesuré : partir à l’autre bout du pays pour ouvrir un nouveau chapitre de ma vie. À l’époque, je fréquentais quelqu’un sans engagement sérieux. Nous n’étions pas dans une relation sérieuse, et nous savions tous deux qu’une version à distance aurait peu de chances de durer — mais la profondeur de notre lien était indéniable.
Plus tôt dans la journée, cette personne était allée au marché fermier et m’avait rapporté des prunes, mon fruit préféré. Ce geste simple m’accompagnait tandis que je marchais sous les branches nues, l’esprit emmêlé de désir, de crainte et de possibilités.
Au fil de ma marche, je découvris une petite bibliothèque de rue nichée sous un vieux chêne. Sur un coup de tête, je l’ouvris et en sortis un exemplaire bien usé de The Norton Anthology of American Literature. Je m’assis sur un banc voisin et me mis à en feuilleter les pages. Là, sur une page cornée, un poème familier m’accueillit : « This Is Just to Say » de William Carlos Williams :
J’ai mangé les prunes qui étaient dans le bac à glace
et que sans doute tu gardais pour le petit déjeuner
Pardonne-moi elles étaient délicieuses si sucrées et si fraîches.
Mon cœur fit un bond. La coïncidence était troublante : le fruit même qui avait occupé mes pensées ce matin-là, le geste d’affection que j’avais chéri, se trouvait reflété dans ce texte comme si l’univers m’avait laissé un mot discret. À cet instant, quelque chose bascula. L’impulsion venue du monde me parut intime et délibérée, confirmant que mon choix n’avait pas à être guidé uniquement par l’ambition ou le pragmatisme. Je décidai, sur-le-champ, de ne pas partir. La personne qui m’avait offert ces prunes et moi sommes toujours ensemble, des années plus tard, et, chaque fois que je repense à cette soirée, je ressens le toucher tendre et étrange de la synchronicité — un rappel que, parfois, le monde conspire pour nous rejoindre exactement là où nous sommes.
Des moments comme celui-ci font écho aux expériences explorées par Jung dans son travail sur la synchronicité, où des coïncidences porteuses de sens révèlent un dialogue intime entre les mondes intérieur et extérieur. L’un des exemples les plus frappants provient de son ouvrage de 1960 La Synchronicité, principe de relations acausales (dans le livre Synchronicité et Paracelsica). Une patiente décrivit un rêve qu’elle avait fait la nuit précédente, dans lequel apparaissait un scarabée doré. Tandis qu’elle parlait, Jung entendit un léger tapotement à la fenêtre derrière lui. Lorsqu’il l’ouvrit, un véritable scarabée — remarquablement semblable à celui du rêve — entra en volant dans la pièce.
Cette « coïncidence significative » fit s’effondrer la frontière entre l’expérience intérieure et extérieure, reliant la psyché de la patiente au monde d’une manière qui défiait la causalité ordinaire. Elle brisa sa résistance intellectuelle et confirma l’importance de leur échange. De tels moments imposent une question au cœur de l’expérience humaine : lorsque les mondes intérieur et extérieur se rencontrent, comment leur donnons-nous sens ?
Mon récit autour de William Carlos Williams et l’histoire du scarabée de Jung incarnent tous deux l’essence de ce que Jung appelait la « synchronicité » : une « coïncidence significative » sans lien causal discernable. Elle occupe une zone liminale entre le hasard et le destin — un « espace de choix radical » où notre volonté et nos passions déterminent notre chemin, puisque l’avenir n’est pas prédéterminé (faisant écho à la philosophie des « options authentiques » de William James). C’est le « fossé explicatif », terme issu de la philosophie de l’esprit introduit par Joseph Levine pour décrire la difficulté d’expliquer comment les processus physiques donnent naissance à l’expérience subjective. Ici, il marque le seuil où le monde extérieur rencontre la conscience, et où le sens n’est ni imposé ni dicté, mais découvert et façonné par notre engagement. Dans cet espace, nous ne sommes pas de simples observateurs ; nous sommes des participants, libres d’attribuer une signification de manière à résonner avec la conscience et à façonner notre manière d’habiter la réalité. La synchronicité n’est pas seulement observée — elle est cocréée, phénomène participatif dans lequel les frontières entre intérieur et extérieur, entre soi et monde, sont fluides et réactives.
Rencontrer une synchronicité est un moment de choix : voyons-nous du hasard ou une orientation ? Cette décision n’est pas seulement intellectuelle ; elle est existentielle. Comme le suggère Kierkegaard, c’est par l’exercice du choix et la réflexion sur les événements de la vie que nous façonnons notre existence et définissons notre être (Ou bien… ou bien, 1843). C’est dans ce choix profondément personnel — décider comment interpréter l’événement — que nous participons le plus pleinement à notre propre développement, en négociant la « bifurcation » que présente chaque moment synchronique. En choisissant notre manière d’entrer en relation avec la coïncidence, nous rencontrons un miroir qui reflète à la fois le monde extérieur et les contours de notre vie intérieure. La synchronicité révèle ainsi non seulement les mystères de l’univers, mais aussi l’architecture de notre conscience.
Sous l’apparente séparation de la matière se trouve un « ordre implicite », une totalité sous-jacente dans laquelle tout est enveloppé et subtilement interconnecté, reflétant le monde extérieur dans l’intérieur, comme l’a suggéré David Bohm (La plénitude de l’Univers, 1980). Le temps, plutôt que de se déployer de manière linéaire, est perçu de manière plus complète par l’intuition, révélant des schémas invisibles à la pensée analytique, selon Henri Bergson (Matière et mémoire, 1896). La perception, nous rappelle Maurice Merleau-Ponty, n’est pas passive ; le monde et le soi se cocréent mutuellement à travers chaque acte d’attention (Phénoménologie de la perception, 1945). Même Einstein observa que les distinctions entre passé, présent et avenir ne sont pas fixes, et son équation E = mc2 montre que la matière et l’énergie sont interchangeables, impliquant que la réalité elle-même est rayonnante — un « faisceau de lumière » dans lequel tous les événements résonnent dans une synchronie subtile.
Il convient de noter qu’au cœur même de ce « faisceau de lumière », les synchronicités elles-mêmes disparaîtraient. Dans ce centre de toute réalité, où la masse et l’énergie se fondent en lumière pure, tout est déjà parfaitement synchronisé ; il n’y a plus de fossé épistémique, plus de tension entre l’expérience intérieure et extérieure. Les synchronicités émergent précisément parce que la conscience rencontre le monde comme partiellement révélé, dans un espace où le sens n’est pas immédiatement apparent. Au centre, où tout est impliqué et aligné, les surprises et les coïncidences significatives qui définissent la synchronicité ne sont plus nécessaires — l’harmonie est complète, et le dialogue entre l’esprit et le cosmos devient fluide. Peut-être le fait de remarquer plus fréquemment les synchronicités n’est-il ni superstition ni simple recherche de schémas, mais le signe que la conscience appréhende plus étroitement la réalité centrale. À mesure que la perception s’approfondit, les fragments de l’expérience se rassemblent, révélant l’ordre subtil qui sous-tend l’apparente contingence.
La cohérence entrevue dans la synchronicité peut également refléter l’ordre plus profond et sous-jacent de Bohm. Son « ordre implicite » — le tout « enveloppé/enroulé » en mouvement constant, ou « holomouvement » — propose que chaque événement du monde observable se déploie à partir d’une réalité indivise et fluide. Cela fait écho au « point de quiétude du monde qui tournoie » de T. S. Eliot (Quatre Quatuors, 1943), un pivot calme au cœur du flux temporel, ainsi qu’à l’axe mythique d’Yggdrasil, reliant tous les royaumes. Les synchronicités sont alors des aperçus de cette totalité sous-jacente, des moments où l’intérieur et l’extérieur, l’esprit et le cosmos s’enveloppent et résonnent, révélant l’unité cachée de l’existence.
En définitive, l’importance de la synchronicité tient moins à la découverte d’une explication définitive qu’à la reconnaissance de l’interaction entre l’esprit et le monde. Que nous l’éprouvions comme un hasard, une guidance divine ou quelque chose entre les deux, ces moments invitent à la réflexion, à la prise de conscience et à l’engagement avec l’inconnu.
À l’image du scarabée doré qui entra par la fenêtre de Jung, ils attirent notre attention, remettent en question nos hypothèses et nous rappellent que le sens est à la fois découvert et créé. En leur prêtant attention avec curiosité et ouverture, nous faisons plus qu’observer une coïncidence — nous participons au récit en cours de notre conscience, trouvant une résonance dans le dialogue entre les mondes intérieur et extérieur.
La synchronicité est omniprésente pour ceux qui sont ouverts à sa résonance.
Martina Moneke écrit sur l’art, la mode, la culture et la politique, en s’appuyant sur l’histoire, la philosophie et la science pour éclairer l’éthique, la responsabilité civique et l’imagination. Ses travaux ont été publiés notamment dans Countercurrents, Truthdig, Raw Story, Pressenza, Common Dreams, Eurasia Review et Sri Lanka Guardian. En 2022, elle a reçu le premier prix du Los Angeles Press Club pour les éditoriaux électoraux lors de la 65e édition des Southern California Journalism Awards. Elle partage son temps entre Los Angeles et New York.
Texte original: https://www.kosmosjournal.org/kj_article/the-coincidence-of-meaning/