Martin Ratte
La vie spirituelle n’est pas un retour à l’enfance

Beaucoup pensent que c’était beaucoup mieux autrefois. Dans la tête des gens, cet « autrefois » réfère habituellement à une époque passée dans l’histoire des sociétés humaines. Ce n’est pas la seule interprétation possible. Par ce terme, on peut aussi désigner une période révolue dans la vie des individus. Ainsi, des gens croient que la vie était […]

Beaucoup pensent que c’était beaucoup mieux autrefois. Dans la tête des gens, cet « autrefois » réfère habituellement à une époque passée dans l’histoire des sociétés humaines. Ce n’est pas la seule interprétation possible. Par ce terme, on peut aussi désigner une période révolue dans la vie des individus. Ainsi, des gens croient que la vie était plus pleinement vécue dans l’enfance qu’à l’âge adulte, comme si l’avènement du langage et le développement du mental nous avaient fait perdre un paradis originel. Certains avancent même une thèse surprenante : un parcours spirituel authentique nous permettrait de retrouver quelque chose de ce paradis perdu. En fait, à ma grande surprise, j’ai constaté que plusieurs traditions spirituelles défendent cette idée. Je ne les rejoins définitivement pas sur ce point. À mon avis, la vie spirituelle ne consiste pas du tout en un retour à nos premiers gestes et regards dans le monde. Pour défendre cette thèse, je présente d’abord un argument fréquemment évoqué pour appuyer l’idée que la vie spirituelle serait un retour à nos tout débuts. Ensuite, dans le reste de l’article, je réfute cet argument en mettant en évidence des différences évidentes, radicales, entre l’Éveillé et le bébé. Plus précisément, après avoir présenté les stades de développement qui nous font passer de bébé à personne, et de personne à Éveillé, il sera évident que l’Éveil ne nous ramène pas aux premiers temps de notre aventure sur terre.

Justifier l’idée d’un retour au paradis perdu

À mon avis, nos vies sont difficiles parce que nous nous imaginons avoir un moi. En se représentant ou en s’imaginant avec un moi, on veut devenir ceci ou cela – plus intelligent, plus heureux, plus sage, etc. –, et pris dans cette lutte épuisante contre sa condition actuelle, notre vie n’est jamais pleinement accueillie, d’où les difficultés qui s’ensuivent. Devant les torts causés par cette idée du moi, certaines personnes se demandent : « A-t-il déjà existé une période dans nos vies où nous n’avions aucune idée du moi ? ». Beaucoup sont prêts à répondre que, bébés, nous n’avions pas cette idée du moi. Cette idée, selon eux, est un héritage culturel transmis à travers le langage, et, comme le langage apparaît vers l’âge de deux ou trois ans, c’est vers cet âge-là que notre représentation d’un moi serait apparue dans nos esprits. Je suis assez d’accord avec tout cela. Toutefois, le reste de l’histoire me plaît beaucoup moins.

D’abord, voici un fait qui me paraît indiscutable : l’Éveillé ne pense pas qu’il a un moi; il ne se représente pas comme un moi. L’Éveil spirituel nous libérerait donc de cette idée ou image du moi. Ensuite, comme le bébé n’a pas non plus d’idée du moi, on pourrait être tenté de croire que cet Éveil nous ramène en partie à l’état de bébé. Eh bien, je n’en crois rien : en se libérant de notre image du moi, notre conscience gagne des caractéristiques inaccessibles aux bébés. Les prochaines pages ont pour but de le montrer.

De la vie prélinguistique à la vie spirituelle

Le parcours menant de l’état de bébé à celui d’Éveillé peut être divisé en trois grandes étapes : il y a d’abord l’étape du bébé qui n’a pas de représentation du moi, ensuite survient la personne avec une telle représentation, et enfin, pour quelques très rares individus, se produit un Éveil spirituel où cette représentation disparaît. Abordons d’abord la première période, celle du bébé.

Le bébé, en ressentant son corps, ressent aussi son moi. Cela est tout à fait naturel. Comme tous les animaux, il doit faire en sorte que son corps survive. Il est donc requis qu’il ressente son corps comme lui-même. S’il n’avait pas l’impression d’être son corps, il ne s’en occuperait pas, ce qui le mènerait à sa perte. Comment ses ressentis corporels lui permettent-ils de le faire survivre? En lui faisant vivre des plaisirs et des douleurs. La douleur pousse le bébé à éliminer quelque chose de dangereux ou de nuisible. Et si son corps ressent du plaisir, par exemple dans les bras de sa maman, il veut répéter ce contact. Il cherche le confort et la tendresse maternelle, indispensable à son développement. Voici maintenant un point à souligner et à retenir : le bébé ne s’attarde pas à ressentir son corps. Il réagit plutôt à la sensation de son corps en intervenant dans le monde extérieur ou encore sur son propre corps. Ainsi, s’il est tiraillé par la faim, si c’est ce qu’il ressent dans sa chair, il va réagir immédiatement à cette sensation en cherchant le sein de sa mère.

Ainsi, le bébé ne connaît pas son moi à travers une image du moi ou un concept du moi; au contraire, c’est en ressentant directement son corps qu’il le connaît. Toutefois, avec le développement du mental et l’apprentissage du langage en société, une image ou une idée du moi ne tardent pas à apparaître dans nos esprits. Cette idée présente le moi comme une sorte de pôle ou de centre mental autour duquel gravite toute notre vie intérieure – sensation, pensée, désirs, émotions, images mentales, etc. Le fait de s’imaginer avoir un moi et de lui associer toute cette « faune » intérieure entraîne de grands changements chez l’individu.

D’abord, tout comme le bébé, l’individu qui s’imagine avoir un moi cherche le plaisir et évite la souffrance, mais, pour y arriver, il peut, en plus de décider de changer le monde ou son corps, chercher à changer son intériorité. En ayant cette image de soi, il réfléchit à soi et à son intérieur, d’où l’espace créé pour essayer de se changer intérieurement. Ainsi, si l’individu souffre et que le monde ne peut pas être changé pour éliminer sa souffrance, par exemple après la disparition d’un être cher, il essaiera, sur la base de son image de soi, de se changer, c’est-à-dire de changer ses émotions, ses pensées, son caractère, etc. Cela vaut aussi pour le plaisir. Par exemple, certaines personnes, peut-être vous, cherchent à connaître l’Éveil. Elles veulent donc se changer pour devenir quelqu’un qui ressent beaucoup de plaisir, car l’Éveillé, dit-on, vivrait une joie infinie. Nous pourrions donc caractériser ainsi la personne qui s’imagine avoir un moi : elle cherche à se changer intérieurement, à devenir ceci ou cela, afin d’éprouver plus de plaisir ou moins de souffrance.

Ainsi, la personne ordinaire et le bébé se distinguent sur ce point : le bébé cherche le plaisir et évite la souffrance en intervenant dans son monde, tandis que la personne ordinaire le fait en outre en se changeant intérieurement. Qu’en est-il de l’Éveillé? Étant donné qu’il n’a pas d’image de soi, il ne cherche pas à se changer intérieurement et à devenir ceci ou cela. En fait, il ne fait que sentir qu’il est, cela à travers son corps, à travers son moi corporel, le même que celui du bébé. D’ailleurs, ce dernier moi n’est pas exigeant : il est là pour que nous prenions soin des besoins du corps. Mais si l’Éveillé, tout comme le bébé, ne cherche pas à se changer intérieurement, quelle est alors la différence entre eux? Y en a-t-il vraiment une? Eh bien, oui, il en existe une : le bébé ne fait pas attention à son intériorité; l’Éveillé, oui. Le bébé ne fait que réagir à ce qu’il ressent en vue d’intervenir dans le monde. Or, en ne faisant que réagir à son intérieur, on ne lui fait pas vraiment attention – ou très peu longtemps. L’Éveillé, au contraire, fait attention à sa vie intérieure – à ses émotions, à ses pensées, etc. C’est qu’en étant au préalable passé par une période où il possédait une idée du moi, il a nécessairement pris conscience de cette intériorité. En effet, alors qu’il s’imaginait avoir un moi, il pensait et réfléchissait beaucoup à son intériorité. Désormais, il en prend même infiniment plus conscience que la personne qu’il était, alors qu’il s’imaginait avoir un moi. Cela n’est pas difficile à comprendre. En s’imaginant avoir un moi, on est entraîné dans une quête sans fin de plaisirs ou d’évitement de la souffrance. En effet, vous êtes-vous déjà dit « Je ne veux plus de plaisir, j’en ai assez! »? Évidemment, non, on veut toujours en avoir plus! Ainsi, la personne qui se représente avec un moi s’intéresse à soi seulement dans le but de se transformer et d’éprouver du plaisir (ou de ne pas souffrir). Qu’on ne s’étonne pas, après cela, si cette personne voit très mal sa vie intérieure! Pour voir quelque chose clairement, il faut s’intéresser à cette chose pour elle-même (pas pour éprouver du plaisir ou éviter de la souffrance). L’Éveillé n’est pas touché par cette limitation. En ne s’imaginant pas avoir un moi, il ne cherche pas à se changer en autre chose (de plus plaisant ou de moins souffrant). Or, s’il n’a pas l’esprit occupé à changer son intériorité, il pourra lui porter un regard attentif, l’observer et la sentir très profondément.

En fait, chez l’Éveillé, l’observation de sa vie intérieure va plus loin encore : elle s’étend même jusqu’à l’inconscient. Une explication est requise.

Nos esprits sont traversés de processus mentaux automatiques. Ces derniers sont inconscients. En effet, ce qui est automatique se fait tout seul, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de le surveiller et donc d’en être conscient. Contrairement au bébé et à la personne ordinaire, l’Éveillé est conscient de ces processus inconscients. Il a conscience de l’inconscient! Comment est-ce possible? Cela est très simple : il s’observe au présent. En effet, au présent, nous sommes la plupart du temps inconscients. Par exemple, êtes-vous conscients des arbres et du chant des oiseaux lorsque vous marchez près d’un parc? Ou encore, êtes-vous conscient de vos pensées quand vous discutez avec quelqu’un? Vous connaissez tous la réponse. Ainsi, force est de constater que, au présent, il y a beaucoup d’inconscience dans nos esprits. Donc, en s’observant au présent, on ne peut qu’observer cet inconscient. La plupart des gens – sinon la quasi-totalité – ne s’observent pas au présent. Ils ont une idée de ce qu’ils doivent observer en eux, et cette idée correspond toujours à un « ailleurs » – elle est puisée dans des connaissances et donc dans le passé –, de sorte qu’elle rend impossible toute observation située ici et maintenant – au présent! Par exemple, votre idée derrière votre acte d’attention peut être « Sois attentif! ». Cette attention n’est pas au présent, car au présent vous êtes en grande partie inattentif (ou inconscient). Toute la question, évidemment, est de savoir comment s’observer au présent. Je n’aborde pas cette question dans cet article. Si ce sujet vous intéresse, je vous invite toutefois à lire deux de mes articles publiés dans le blog du 3e millénaire, sous les titres de L’observation spirituelle et Au-delà des méthodes.

Ainsi, l’Éveillé perçoit les dimensions conscientes et inconscientes de son intériorité. Et il ne fait pas qu’observer et ressentir sa vie intérieure : il embrasse aussi du regard ce qui se passe à l’extérieur, dans le monde autour de lui. Pour le comprendre, considérez d’abord que l’Éveillé n’est plus aux prises avec des désirs psychologiques. Ces désirs mettent en scène une image du moi, et l’Éveillé n’a plus de telles images1. Mais si, en dehors des besoins réels de son corps, qui sont facilement satisfaisables, l’Éveillé ne cherche rien, il ne cherchera pas à changer l’extérieur pour qu’il s’aligne sur des désirs – il n’en aura plus! Mais en ne cherchant plus à changer le monde, il va plutôt l’observer tout simplement.

Ainsi, étant à la fois attentif à son intérieur et à l’extérieur, l’Éveillé est présent à cette grande danse qui se joue entre eux. Il voit que l’état du monde change son état intérieur, que cet état intérieur s’exprime en retour en produisant une action dans le monde, lequel changement dans le monde agit de nouveau sur son intériorité, et ainsi de suite, dans une danse ininterrompue. L’Éveillé observe cette danse entre son intérieur et le monde.

La grande danse

Décrivons plus précisément ce que l’Éveillé observe lorsqu’il prête attention à la grande danse entre l’esprit et le monde.

Tout d’abord, l’Éveillé perçoit le monde. Sa perception du monde crée en lui une émotion ou un ressenti corporel, et il réagit à ce ressenti en agissant dans le monde, ce qui sera suivi d’une nouvelle perception du monde, laquelle créera un nouvel état intérieur ou un renouvellement du précédent, ce qui causera une nouvelle action, et ainsi de suite. Pour illustrer cette dynamique, l’idéal est de mettre en scène un dialogue entre deux personnes. Supposons que votre voisin vous adresse la parole. Vous percevez ses paroles et elles provoquent en vous un état. La prise de conscience de ce vécu interne vous pousse à répondre à votre interlocuteur. En effet, si vous ne sentiez absolument rien, vous ne seriez pas porté à continuer la conversation. Vos paroles vont ensuite susciter une autre parole chez la personne, qui causera en vous un autre vécu interne, auquel vous réagirez en parlant de nouveau, ce cycle pouvant se répéter un certain temps. Ce genre de processus ne se passe pas seulement lors d’une conversation. Ils se produisent aussi lors d’actions en solitaire dans le monde, par exemple lors d’une promenade en ville ou en forêt. En fait, cette interaction entre intérieur et extérieur est omniprésente. C’est cette dynamique entre soi et le monde que je nomme un peu métaphoriquement « une grande danse ».

Ainsi, de toute évidence, l’Éveillé est actif. Quand il répond à son voisin ou lorsqu’il marche en forêt, il agit dans le monde. Certes, mais en même temps, il est observateur. Car, tout en étant impliqué dans cette danse active, il l’observe, il s’observe en train d’agir dans le monde et il observe les « réponses » du monde à ses actions. L’observation de cette dynamique va au-delà des capacités du bébé. Comme le bébé ne prête presque pas attention à son intérieur, comment voulez-vous qu’il puisse embrasser du regard la dynamique à l’œuvre ici? En fait, le bébé perçoit son émotion, mais il y réagit immédiatement, sans s’y attarder. C’est en ce sens que je dis qu’il perçoit très peu son intériorité. L’Éveillé, au contraire, est pleinement conscient de son vécu intérieur. Ainsi, même si sa réaction à son vécu intérieur se produit très rapidement, l’Éveillé mesure toute l’ampleur de ce vécu et il continue à l’observer alors même qu’il y a réagi. En fait, les choses sont encore plus extraordinaires. L’attention de l’Éveillé ne passe pas de soi (de l’intérieur) au monde, et du monde à soi, et encore en sens inverse, encore et encore. Non, l’Éveillé observe simultanément son intérieur et l’extérieur. Pendant qu’il regarde l’extérieur, il fait toujours attention à son intérieur, et vice-versa. Cette conscience simultanée de l’intérieur et de l’extérieur ne se trouve aucunement chez le bébé et chez nous non plus. Le bébé ou l’adulte ordinaire regarde ou bien l’intérieur, ou bien l’extérieur, et au mieux, il passe de l’un à l’autre, son regard n’englobant jamais les deux à la fois.

Aussi, de grâce, n’allez pas confondre la prise de conscience de cette danse avec ce que les psychologues appellent le flot. Dans le flot, certes, le moi ne semble plus être là, mais il n’y a pas de conscience de l’intériorité. Il semble plutôt n’y avoir qu’une conscience du monde. Or, dans l’observation de la danse dont je parle, cet intérieur n’est pas inaperçu, mais au contraire, apparaît en plein jour en même temps que l’extérieur.

Mais vous pourriez me demander : « Si l’Éveillé contemple cette danse, qui la met en branle ou l’anime? » En effet, on pourrait se dire : ou bien on agit, ou bien on contemple. Or, l’Éveillé, à mon avis, ne fait essentiellement que contempler ou observer ce qui se joue entre soi et le monde. Donc, la question « D’où vient cette danse? » est pertinente. Ma réponse à cette question est bien simple : cette danse se fait toute seule. L’Éveillé n’a pas besoin d’intervenir pour que les choses arrivent. On le comprend en réalisant que nous avons des automatismes. Pensez à vos actions lorsque vous vous brossez les dents ou que vous revenez du bureau en auto le soir après le travail. Vos actions sont alors automatiques. Vous n’avez pratiquement pas besoin de penser à vos gestes. Ils se font tout seuls. En revanche, il peut arriver que, devant les formes inattendues que prennent quelques fois nos vies, ces automatismes soient dépassés. C’est alors qu’une action créatrice, non automatique, a lieu. Cette action créatrice est impulsée par le mouvement de la vie. C’est qu’en acceptant complètement notre condition dans ce monde, au point de se contenter de l’observer, comme le fait l’Éveillé, on est traversé par la vie. L’action créatrice est l’œuvre de cette vie qui se joue à travers nous.

On trouve ainsi une autre différence entre l’Éveillé, d’une part, et le bébé et l’adulte, d’autre part : tandis que l’Éveillé agit de manière créative, laissant à la vie le soin de trouver les réponses les plus belles, rien de tel ne se produit chez le bébé et la personne, leurs manières de vivre se réduisant à des automatismes ou à des conditionnements2.

Conclusion

Ainsi, même si l’Éveillé et le bébé sont tous deux dépourvus d’un concept du moi, leurs manières de vivre ont très peu en commun. L’Éveillé est attentif à sa vie intérieure et extérieure, tandis que le bébé prend certes conscience de son monde extérieur, mais très peu de son monde intérieur. Le bébé n’assiste donc pas à la danse merveilleuse qui se joue entre ces deux faces d’une même médaille. Et, en fait, en y réfléchissant bien, le bébé est aussi en grande partie aveugle aux choses du monde. C’est seulement en observant ce dialogue entre soi-même et le monde que les secrets de l’un et l’autre se révèlent. En définitive, seul l’Éveillé est au parfum des essences cachées en lui-même et dans le monde qui l’entoure.

Mais dans cette danse entre intériorité et extériorité, qu’y trouvera-t-on au juste? D’abord, il n’y aura pas d’image de soi pour diriger cette danse. Il n’y aura donc pas non plus de désirs psychologiques, ceux-ci mettant nécessairement en scène une image de soi. Donc, qui sera le meneur de cette danse?? Eh bien, n’en soyez pas surpris, mais notre moi corporel sera au centre de ce dialogue. Ce moi est encore présent. Il se donne en ressentant notre corps, et un tel ressenti fait encore partie de notre intériorité. L’Éveil n’implique donc que la « mort » du moi imaginaire, celui qui vient avec des images et des concepts; le moi corporel subsiste après cette révolution intérieure. C’est ainsi que les désirs corporels, inscrit dans des automatismes corporels et servant le moi corporel, dicteront une bonne partie du tempo de notre dialogue avec le monde. Ces désirs corporels ne seront pas les seuls à battre la mesure. Les automatismes inclus dans notre personnalité seront aussi présents, et d’autres forces, beaucoup plus profondes, celles de la vie, agiront également.

Comme dernier mot, j’aimerais parler d’amour. L’Éveillé est habité d’un immense amour, d’une compassion. Comment est-ce possible? En contactant son intériorité, l’Éveillé voit que celle-ci est celle du monde. Ses émotions et tout le reste de son intériorité se retrouvent chez tous les humains. Réalisant cela, il ne peut que se sentir infiniment proche de l’humanité, d’où la compassion qui apparaît en son cœur. Cela n’a pas lieu chez le bébé. Il ne contacte pas assez directement son intériorité. L’individu ordinaire ne connaît pas non plus une telle compassion. Son intériorité, bien qu’il la voie davantage que le bébé, est chez lui aussi très mal perçue.

Ainsi, ne serait-ce que sur ce dernier point, à savoir que l’Éveil nous ouvre sur l’amour et que ce dernier est inaccessible au bébé et à la personne, la valeur unique de cette transformation ne fait pas le moindre doute.

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1 Le désir psychologique est en effet un désir qui met en scène une image du moi. Par exemple, si j’ai le désir d’aller en vacances avec ma compagne, ce désir suppose que je me représente – que je représente mon moi – avec ma compagne en train d’avoir du plaisir en vacances.

2 Soulignons qu’au début, les conditionnements du bébé ne sont pas ontogénétiques mais phylogénétiques, en ce sens qu’ils ont été pour la plupart mis en place par la sélection naturelle plutôt que d’être le fruit de renforcements avec l’environnement.