Micheline Bazin
Le terrain: une notion familière aux médecines traditionnelles

[…] cet affinement de la notion de terrain se font dans un mouvement de réestimation de la matière, de découverte du « génie de la cellule ». Mais pas d’ivresse inconsidérée : le terrain représente peut-être un des constituants de ce qu’on nomme l’âme mais pas plus… L’Esprit et la matière sont les deux faces de la lune, les deux visages de la même médaille l’un en camée et l’autre dans le filigrane, mais on ne peut les regarder en même temps. Leur complémentarité, leur globalité n’apparaît qu’à l’Œil du Centre — l’œil du Soi. On peut peut-être avancer que la notion de terrain se situe dans la zone frontière entre la Psyché et la matière mais aller plus loin serait inconsidéré. La cause de cette dichotomie dans notre perception, c’est la suprématie que nous attachons à cette fonction : la conscience.

(Revue Question De. No 32. Septembre-Octobre 1979)

Le point commun des techniques appliquées par les médecines traditionnelles est la notion de « terrain ». Mais qu’est-ce au juste que le terrain ? C’est ce que Micheline Bazin a essayé de mieux circonscrire dans cet article.

Il y a beaucoup de prétention à croire qu’on peut expliquer tous les phénomènes vitaux par la seule chimie, même avec le concours de certaines lois de la physique telle que nous la connaissons à ce jour. La biochimie, la biophysique ne sont que des aspects partiels de manifestations de ce qui vit, animal ou végétal. »

Ainsi Louis Kervran introduit-il son génial petit livre sur les transmutations biologiques [1]. Révélé au grand public par Aimé Michel en décembre 1960 dans « Science et Vie » (« La vie est une alchimie »), L. Kervran s’est appliqué à faire reconnaître qu’il existe une propriété de la matière, demeurée inconnue, largement utilisée cependant, mais inconsciemment : la possibilité pour tout ce qui vit de transformer les atomes eux-mêmes et pas seulement les molécules (ce qui est la chimie).

Un chemin verdoyant dans le désert médical

Il est difficile aujourd’hui d’évaluer le tourbillon considérable que cette découverte apparemment modeste a engendré. Le génial petit livre de Kervran est le livre de chevet des macrobiotes [2] intelligents (espèce rare mais en voie de développement) et en même temps des physiciens de bon sens (espèce encore plus rare mais également en voie de développement, grâce à des individus vivants bien comme Olivier Costa de Beauregard). Nous verrons plus loin que ces deux espèces, apparemment disparates, attachées aux recherches de Kervran, sont liées de très près dans la réalité. A peu près au moment où Kervran commençait à trouver ces choses, les travaux du Dr Jean Valnet sur l’aromathérapie et la phytothérapie se frayaient un chemin verdoyant dans le désert médical ambiant, et suscitaient chez certains des disciples de ce dernier des développements inattendus sur le plan de la recherche fondamentale. On en découvre les prémices dans : « Une médecine nouvelle, phytothérapie et aromathérapie », le premier volume d’une collection parue au début de 1979, aux Presses de la Renaissance sur les médecines du terrain, cosigné par les docteurs Jean Valnet, Christian Durrafourd et Jean-Claude Lapraz.

Ces mystères de la matière ont au plus haut point fouetté les esprits nobles et aventureux de ce temps, tentés de se pencher sur le microcosme au moment même où le macrocosme, par le biais de la recherche spatiale, commençait à poser des problèmes aux astronomes comme aux philosophes, et où d’étranges manifestations synchronistiques (apparitions d’OVNI, vogue des moyens de divination, passion pour l’irrationnel), donnaient un écho en spirale aux dernières notes écrites par le sorcier de Küsnacht — j’ai

nommé C,G. Jung — sur les connexions acausales.

Une attention un tant soit peu éveillée prendra garde à de telles coïncidences et essaiera de s’y retrouver (ou plutôt d’y retrouver Soi ?). Apportons une modeste contribution à de tels essais, et surtout une contribution pratique, applicable au quotidien vécu de chacun : on sait qu’entre SAIN et SAINT, il n’y a qu’une lettre, en forme de croix.

« Les armes de la nouvelle médecine »

Définir tous les types de terrain équivaudrait à remplir le tonneau des Danaïdes : ils peuvent varier à l’infini. Par contre, le terrain de chacun peut être saisi d’une façon extrêmement fine, avec une précision inimaginable, grâce à un dosage des constantes biologiques et à l’établissement d’un aromatogramme. Celui-ci donne une idée du terrain à travers les huiles essentielles susceptibles d’agir sur lui et permet de visualiser la relation thérapeutique-terrain.

C’est seulement le traitement spécifique du terrain qui permettra une restauration véritable de l’organisme.

Quelques définitions

— Phytothérapie: du grec phuton (plante) et therapeia (traitement) signifie traitement par les plantes.

— Aromathérapie signifie traitement par les essences de plantes.

La phytoaromathérapie utilise donc les plantes sous toutes leurs formes : infusions, décoctions, et leurs variantes, applications externes, mais aussi en poudres, huiles essentielles, teintures mères (en compositions magistrales le plus souvent). Ces éléments contiennent tantôt la racine, tantôt la feuille, la fleur, toute autre partie, ou la plante entière.

Le domaine des shamans

Il y a bien longtemps que les liens entre l’état du corps et les états intérieurs sont le domaine privilégié des shamans, puis des ordonnateurs des grandes religions.

Plus subtil à saisir est le point d’ancrage, la connexion entre certaines zones du corps ou certains organes, et les grands principes spirituels qui gouvernent le moi pendant sa longue période d’unification, que l’on peut voir comme une évolution ou une involution (ou les deux successivement). Ces grands principes sont parfois perçus sous la forme de symboles astrologiques, ou de toutes sortes de systèmes différents de caractérologie (par exemple : graphologie), dont aucun n’est absolu, mais dont chacun apporte des éléments précieux d’information, de recoupements, de vérification. Et un homme averti en vaut deux.

Un grand courant de l’ésotérisme traditionnel — à vrai dire, sous une forme extrêmement moralisante et pompeuse, qui fait aujourd’hui la joie des cœurs simples — s’est attaché et s’attache encore à saisir ces connexions, bénéficiant souvent d’illuminations fulgurantes : Steiner et son école, dont le pharmacologue W. Pelikan [3], avec leur prolongement jusque dans l’agriculture biodynamique, en sont l’exemple sans doute le plus complet. L’étude d’Isha Schwaller de Lubicz « l’Ouverture du Chemin » (Ed. Aryana) constitue une introduction très détaillée et de haute inspiration à ce genre de recherche, malgré un certain amphigouri dans le style, probablement destiné à frapper les âmes sensibles et à les convaincre de la solennité, donc de l’importance, des choses du corps, notamment lorsqu’on parle de « la maîtrise des pulsions ».

Le chtonien et le céleste

Hélas, dans beaucoup de Mouvements, animés des meilleures intentions     les plus pures surtout —, cette « maîtrise des pulsions » équivaut bien souvent à un refus catégorique de la part d’ombre, ressentie comme sauvage et choquante, que l’homme porte en lui (bien souvent par l’intermédiaire de ses endocrines !). Or, la verticalité ne s’établit que lorsque la liaison se fait entre le chtonien/plutonien (« qui nous monte, par les pieds » ou le sexe) et le céleste/apollinien (« qui nous descend par la fontanelle »). N’accepter ou ne rechercher que l’apollinien paraît plus flatteur et plus chevaleresque, mais conduit à des déséquilibres fâcheux qui repoussent d’autant la verticalité vivante, circulante. (Et la géométrie montre que la verticalité circulante, celle où involution/descente et évolution/montée s’enchaînent, devient la mandorle, nimbe triomphant dont l’imagerie chrétienne entoure le Ressuscité).

Depuis toujours l’homme étudie gauchement (ou plutôt adroitement puisque grâce à l’hémisphère cérébral gauche) son corps à partir des corps morts, c’est-à-dire ceux où la transmutation selon Kervran ne s’effectue plus. Les progrès de l’observation médicale, l’enrichissement des paramètres du diagnostic, permettent aujourd’hui de pousser beaucoup plus loin la distinction immémoriale des « quatre tempéraments », c’est-à-dire en fait les quatre organisations différentes d’un complexe biochimique humain en fonction de l’organe dominant ou plutôt de la modalité dominante. Et même en tenant compte des quatre tempéraments, la médecine officielle a toujours soigné la maladie (dans les meilleurs cas, les symptômes), et non l’être humain. Voici qu’aujourd’hui s’épanouissent les médecines du terrain, qui présentent la forme la plus subtile de rétablissement du potentiel humain.

Entre la Psyché et la matière ?

Cette mise à jour, cet affinement de la notion de terrain se font dans un mouvement de réestimation de la matière, de découverte du « génie de la cellule ». Mais pas d’ivresse inconsidérée : le terrain représente peut-être un des constituants de ce qu’on nomme l’âme mais pas plus… L’Esprit et la matière sont les deux faces de la lune, les deux visages de la même médaille l’un en camée et l’autre dans le filigrane, mais on ne peut les regarder en même temps. Leur complémentarité, leur globalité n’apparaît qu’à l’Œil du Centre — l’œil du Soi. On peut peut-être avancer que la notion de terrain se situe dans la zone frontière entre la Psyché et la matière mais aller plus loin serait inconsidéré. La cause de cette dichotomie dans notre perception, c’est la suprématie que nous attachons à cette fonction : la conscience.

Le terrain et les autres médecines

— Pour la médecine officielle, il existe une infinité de terrains qui correspondent en fait aux modifications pathologiques survenant sur, un terrain particulier qu’elle n’entrevoit pas. Cette notion, assez floue, n’intervient que dans certains cas généralement extrêmes. C’est une médecine symptomatique et substitutive.

— Pour la médecine homéopathique, la notion de terrain est prépondérante mais elle représente l’image instantanée d’un organisme qui, ayant subi de multiples agressions, se retrouve dans un état de réactivité qui justement entraîne une symptomatologie particulière au malade. Donc l’homéopathie amènera l’organisme à réagir contre ses propres symptômes en se basant sur la loi de similitude, utilisation de médicaments hautement dilués pour réveiller la réaction de l’organisme. En réalité, ce n’est pas le terrain qui est atteint par le procédé, car on s’adresse à la manifestation secondaire du trouble, fausse image du terrain puisqu’elle s’extériorise au travers du prisme déformant des réactions particulières d’un organisme déséquilibré. C’est une médecine symptomatique non substitutive.

(Extrait de «Une médecine nouvelle, Phytothérapie et Aromathérapie », Drs Valnet, Durraffourd, Lapraz, éd. Presses de la Renaissance.)

« Notre personnalité ne se compose pas seulement du champ de conscience centré sur le moi, mais comprend aussi un domaine infiniment vaste d’activités psychiques inconscientes, sur lequel nous pouvons obtenir une certaine information indirecte au moyen de songes, visions, fantasmes spontanés, involontaires, actes manqués, gestes, symptômes corporels et autres facteurs » rappellent les disciples de Jung [4].

Aujourd’hui il est bien aventureux d’affirmer que la matière est douée de conscience et de psychisme, ou que l’esprit, dans sa couche la plus épaisse, la plus extérieure, devient la matière. Par contre, on peut dire que les phénomènes appréhendés par nos sens extérieurs comme « matériels » et les phénomènes appréhendés par nos sens intérieurs comme « psycho-spirituels » ont un seul et même principe vital, ils se présentent comme les deux pôles du même Monde Unique, de la même réalité nouménale — et l’on retrouve ici l’« Unus  Mundus » de Jung.

« Telle est l’essence de la synchronicité, base d’une nouvelle connaissance scientifique » écrit Marie-Louise von Franz dans « Nombre et Temps ». Les médecins du terrain permettent à notre intellect de réduire la distance entre ces deux pôles.

Une structure prédéterminée et son expression fonctionnelle

Pour la médecine phytoaromathérapique, le terrain peut se définir comme l’ensemble vivant structurel initial par lequel l’être se trouve dans un équilibre physiologique, par définition précaire. Il se maintient dans cet équilibre par une régulation qu’il exerce au sein de son milieu intérieur et dans ses rapports avec l’extérieur.

A la naissance, l’être vient au monde avec tout un potentiel génétique qui l’a modelé en un certain état neuroendocrinien constitutionnel. Cet état est maintenu par l’ensemble des fonctions de l’organisme, ce qui lui permet de s’adapter à toutes les conditions de vie, et à toutes modifications internes et externes.

Le terrain apparaît donc comme une structure en quelque sorte prédéterminée, mais aussi comme l’expression fonctionnelle de cette structure potentielle [5].

Par exemple, si chacun naît avec deux yeux, un foie, deux surrénales, etc., la capacité potentielle de l’organe sera différente pour chacun mais sa fonction dépendra de l’interrelation dynamique de l’ensemble des organes. (Même sur le plan physiologique, l’être humain, déjà, fonctionne au sein d’une synergie.)

L’état idéal sera de disposer pleinement d’un potentiel absolu des organes en interaction. Mais en réalité l’organisme doit rétablir en permanence l’équilibre menacé par la défaillance même légère et momentanée de l’un de ses constituants. Cette lutte peut être beaucoup plus difficile en l’absence du système d’alerte (les symptômes, effacés par exemple par les procédés classiques), c’est-à-dire dans un état tout à fait apparent de « bonne santé », et l’être peut se consumer dans le maintien de ses équilibres successifs, ce qui amène la dégénérescence et la mort.

Cette lutte demande l’apport constant d’éléments énergétiques spécifiques. Elle est possible le plus souvent grâce à une hygiène et un mode de vie quotidiens (en grec : dietaï, diète diététique), qui seront adaptés [6] et qui compensent les déperditions propres à chacun. L’aromathérapie est un mode de vie.

Colette Lefort et la diététique

Le sourire de Colette Lefort est lié à l’introduction dans la presse française (en l’occurrence la revue « Elle », qui avait à cette époque un impact considérable sur toute la population) de la diététique, jusque-là confinée au traitement de certains malades.

Colette Lefort a révélé en Europe Gayelord Hauser et son « Vivez mieux, vivez longtemps » et a continué sur cette lancée brillante avec deux livres qui se sont vendus comme des petits pains.

Vingt ans après, toujours mince, belle, vive et convaincante, elle fait le bilan de son expérience dans un livre-dialogue avec son mari, médecin et chirurgien, le Dr Charles Cachin, « La vérité diététique et ses contrevérités ». Elle ne s’intéresse plus aux produits, mais à la théorie. Il fallait, dit-elle, faire le tri de tout ce qui s’est dit sur le sujet. La plupart des gens vont à la diététique comme ils vont vers la médecine : quand ils sont malades. Attitude fausse évidemment. La diététique est avant tout l’art de savoir comment « faire le mieux pour soi-même » ». Jusqu’ici on a parlé de la diététique avec émotion et même passion, les végétariens par exemple. Or il faut la dégager de ses affects spiritualistes aussi bien que de son aspect marginal. Non seulement avec le bon sens, mais d’une façon scientifique, en s’appuyant sur les preuves apportées par des expériences répétées dans des conditions scientifiques.

Bien sûr, nous naissons et restons dominés par la génétique. A celle-ci, nous devons nos différences de force, de taille, de couleurs, de beauté. Mais on se répare, on se refait par la nutrition. L’alimentation est, avec la respiration, la seule donnée active qui nous permette de combattre les données imposées par la génétique, de rectifier notre terrain et de le conserver avec tout son potentiel.

… Je veux attirer l’attention sur les éléments infiniment petits qui servent de catalyseurs dans l’organisme et, par exemple, sur les travaux du prix Nobel Linus Pauling concernant la vitamine C… Je veux rappeler qu’il ne faut pas se priver de protéines — sous un prétexte plus ou moins philosophique ou moral — car ce sont les éléments de construction et de restauration des cellules. Les régimes végétariens à la mode, par exemple, n’en apportent pas suffisamment dans la plupart des cas, d’où chairs et peau flasques et « vidés ».

… Il faut être attentif, éviter les tabous, garder la volonté permanente de se nourrir bien, c’est le vrai désir existentiel, le désir de vie. On parvient assez facilement à savoir ce qui convient à soi-même : par la connaissance, tout simplement… quelquefois d’ailleurs le désir de la connaissance naît dans la nécessité de soigner tel petit ennui, mais il ira beaucoup plus loin. Se surveiller est impératif ; plus la vie avance, plus l’attention est nécessaire. Il est vrai, je suis très perfectionniste !

La diététique me semble la clé de l’équilibre. Il faut arriver à savoir ce Que l’on mange, comme un musicien entend les notes. »

Les éléments constitutifs du terrain

D’après le Dr Jean-Claude Lapraz, ce sont les suivants :

— le système nerveux autonome qui, par le jeu antagoniste du sympathique et du parasympathique, participe à tous les niveaux de vie de l’organisme. Système d’information et de contrôle, il réagit de façon immédiate puis transmet les réactions en retour ;

— le système endocrinien, qui lui aussi est à réponse instantanée. Les informations lui parviennent de l’ensemble de l’organisme par les hormones circulantes. Il reste en relation étroite et constante avec le précédent.

Ces deux systèmes forment un circuit fermé dont la conception fait que la moindre information reçue par l’un de leurs appareils est instantanément répercutée sur l’autre. Régulateurs, ils sont aussi régulés par le système nerveux central qui les coiffe et les régit. C’est lui qui ouvre une porte sur les relations entre la conscience et les structures sous-jacentes.

Notre vieux camarade hypothalamus

Comme on le voit, on se rapproche de plus en plus souvent, et même lorsque le point de départ est la médecine générale (celle qui concerne la santé du corps et non les affaires de l’esprit), de l’étude des systèmes nerveux et endocrinien. C’est-à-dire de notre vieux camarade l’hypothalamus, celui-là même sur lequel les yogis cherchent à agir pour obtenir la régulation de leur fonctionnement physiologique aussi bien que pour modifier leur état de conscience, donc leur perception intérieure du monde dans toute sa complétude, ou, plus modestement, dans le plus, grand  nombre possible de ses extensions, ou dimensions*.

De là à conclure que, puisque le système nerveux est le siège de toute expérience/sensation/mémoire/réaction, etc., le terrain établit une typologie de l’esprit, il n’y a qu’un pas à franchir, ce que certains, avec quelque enivrement, ont entrepris.

Il faut le reconnaître, ils ont quelque excuse, entraînés sur des chemins extraordinaires par des gens extraordinaires comme Raymond Ruyer ou Jean Charron. Or, on distingue déjà des signes, qui annoncent que le néospiritualisme (une intelligence réside dans la matière) de ces deux auteurs ne tardera pas à rejoindre au magasin des accessoires le scientisme du siècle dernier. En effet, il s’agit-là d’intuitions moulées en théories, et si elles en rendent compte plus largement de certains phénomènes (satisfaisant ainsi les aspirations contemporaines), elles n’échapperont pas longtemps à l’impitoyable philtre de la durée et passeront bientôt pour ce qu’elles sont : les agréables rêveries de promeneurs pas solitaires du tout, qui ont eu le grand mérite de repeupler les espaces intermédiaires, fâcheusement desséchés depuis… cent cinquante ans.

Peu importe de savoir si, comme l’insinuent avec persistance un certain nombre de chercheurs attachés aux laboratoires américains (et qui ont découvert tout ébaubis la philosophie dent on leur attribuait la paternité), « La Gnose de Princeton » est en réalité une farce sortie tout armée comme Athéna du cerveau fertile et jupitérien de Raymond Ruyer : car ce serait alors une farce tellement sophistiquée qu’elle en recouvrerait la vigueur de l’innocence, une farce tellement signifiante qu’elle aurait la puissance de la fable. N’oublions pas que, pour qui parle la langue des oiseaux, un canular est encore un canal et une rigolade une petite rigole (où circule l’énergie).

Pas avant l’Apocalypse

La confusion, lorsqu’on attribue à la notion de terrain les caractéristiques d’une typologie de l’Esprit, se révèle clairement entre les mots de « conscience » et d’« esprit ».

La conscience, privilège de l’Ego (ou du moi) n’est pas l’Esprit — ce que notre Ego voudrait bien nous faire accroire Un niveau de conscience ne signifie pas l’Esprit ; il manifeste son projet, non pas sa présence en plénitude. Or en ce qui concerne l’Esprit, la moindre parcelle en est la totalité.

Que la cellule semble posséder un niveau de conscience (si on peut l’appeler ainsi par une interprétation spécieuse des thèses d’Aurobindo, qui n’a sans doute jamais prétendu affirmer cela, mais plus probablement que dans l’être développé l’Esprit peut permettre la perception de chaque cellule et agir sur elle [7]) ne veut pas dire que Matière et Esprit soient réductibles l’un à l’autre. « Niveau de conscience », à mon avis, c’est-à-dire l’avis du sens commun, serait une expression dans ce cas avantageusement remplacée par celle de « coefficient d’autonomie ». Cette dernière rendrait compte de ce choix, semblable à celui d’une tête de lecture s’arrêtant sur une plage enregistrée plutôt que sur une autre, que la moindre cellule humaine semble manifester dans certaines circonstances, comme si elle s’ajustait à un élément précis de son stock de mémoire. C’est une des expériences que la bioélectronique (encore une thérapie du terrain) a mises en évidence, principalement au cours de cicatrisations ou réparations des tissus exceptionnellement rapides. L’esprit et la matière saisis ensemble dans quelque Identité mystérieuse, on ne le verra qu’après l’Apocalypse, le Grand Dévoilement, et pas avant.

Micheline Bazin


[1] C.L. Kervran : « A la découverte des transmutations biologiques », Courrier du Livre, 1966. Voir aussi son article dans « Sciences-Frontières» n° 1.

[2] Macrohiotes : tenants, notamment sur le plan de la diététique, du Principe Unique de l’Ordre de l’Univers, énoncé par George Ohsawa représenté aujourd’hui par Michio Kushi, mais probablement découvert par l’Allemand Ch. W. Hufeland (1762-1836) dans son livre «Makrobiotik».

[3] W. Pelikan : « la Médecine anthroposophique et les plantes », Ed. Triades.

[4] M.L. von Franz : « Nombre et temps », Ed. Fontaine de Pierre dans cette étude parfois qualifiée d’« ouvrage posthume de Jung », celle qui fut pendant 30 ans sa collaboratrice développe ses vues sur les nombres et la synchronicité, principe d’explication des coïncidences signifiantes dont la psychologie des profondeurs a entrepris l’exploration scientifique. Les nombres y sont montrés comme des archétypes gouvernant à la fois l’esprit et la matière.

[5] In « Une médecine nouvelle : Phytothérapie et Aromathérapie », Valnet Durrafourd Lapraz, Ed Presses de la Renaissance, 1979.

[6] Voir encadré « Colette Lefort et la diététique ».

[7] Ce que les praticiens du « Mind Control », de la sophrologie, etc… pensent réaliser, ainsi que les adeptes des centres Unité Universelle fondés par Joseph Murphy. Lire son livre « L’énergie cosmique », Ed. Dangles, 1979.