L’ego victorieux, bien sûr, s’élève au-dessus des autres grâce à ses réalisations « spéciales ». L’entraîneur de football, José Mourinho, a mis en colère tous les égos en déclarant :
« S’il vous plaît, ne me traitez pas d’arrogant : mais je suis champion d’Europe et je pense être quelqu’un de spécial ». (Richard Morgan, « Special One : Remembering José Mourinho’s first-ever Chelsea press conference », Sky Sports, 18 octobre 2018).
Les journalistes sportifs n’ont jamais pardonné à Mourinho ce commentaire et adorent le lui rappeler, ainsi qu’à nous, à chaque fois qu’il est licencié par un club : « Mourinho est-il toujours “l’élu” ? » L’ego journalistique n’apprécie guère d’être un simple commentateur de la vie des « stars » qui monopolisent l’attention, tout comme les rédacteurs et les éditeurs n’apprécient guère d’être de « simples » facilitateurs du travail de leurs auteurs.
Alors que l’ego souffrant s’élève par ses propres problèmes « spéciaux », le caractère « spécial » de l’ego vertueux réside dans sa préoccupation inhabituelle pour les problèmes des autres. La série comique Seinfeld aimait à mettre en évidence cette forme d’orgueil. Après un acte de générosité inhabituellement désintéressé, Jerry se dit :
Je suis vraiment un type bien ! Qui d’autre aurait pris la peine d’aider ce pauvre immigré ? Je suis spécial. Ma mère avait raison » (Seinfeld, The Café, 6 novembre 1991).
Torben Betts a été décrit comme « un dramaturge exceptionnellement doué » (Time Out) et « un Beckett politique ». Dans sa pièce de 2012, Muswell Hill, le personnage de Betts, Julian, est un bel exemple d’ego vertueux. Karen, la veuve de Julian, révèle que son mari tourmenté s’est suicidé en se jetant de la falaise de Beachy Head :
Parfois, il pouvait être un vieux grognon de première, mais je le comprenais, voyez-vous… Parce qu’il était un végétarien très strict, il finit par mépriser tous les mangeurs de viande et parce qu’il était un cycliste convaincu, il détestait tous les automobilistes. Et l’indifférence et la stupidité des gens l’énervaient tellement qu’il était plein de… eh bien, de haine ». (Torben Betts, Muswell Hill, Oberon Books, 2012, p.59)
Il n’est pas anodin de s’insurger contre le manque de compassion des personnes qui nous entourent ; cela signifie qu’elles sont toutes moralement « inférieures ». Sur cette base, notre ego se sentira autorisé à se déchaîner, à prêcher et à être condescendant — à affirmer sa domination sur tout le monde — aussi brutalement que n’importe quel ego qui réussit ou qui souffre. Il devrait être étonnant que tant de personnes ostensiblement motivées par la compassion pour la souffrance humaine et animale soient « pleines de… eh bien, de haine ».
La complexité réside dans le fait que nous pouvons avoir tout à fait raison — les êtres humains sont souvent indifférents, le système social est structurellement injuste, la politique étrangère occidentale est ancrée dans la cupidité et la violence de type médiéval, et notre ego peut détourner le fait d’avoir raison pour justifier nos propres abus tyranniques.
D’autres peuvent être plus riches, plus célèbres et plus beaux, mais l’ego vertueux veut se défaire des liens de la « banalité » et s’élever à la « hauteur » morale. Si nous avons une discussion politique avec quelqu’un que nous percevons comme ayant réussi de manière plus conventionnelle (un parent, par exemple), notre ego vertueux peut se battre bec et ongles pour établir notre « supériorité » au moins dans cette dimension « éthique ».
En bref, si l’ego du milliardaire se sent « supérieur » parce qu’il a plus de crédit financier, l’ego vertueux se sent « supérieur » parce qu’il a plus de crédit moral.
De petits gestes suffisent. Après avoir passé des décennies à travailler pour une compagnie pétrolière qui détruit le climat ou pour une banque internationale, nous pouvons mettre en avant notre régime végétalien, notre recyclage méticuleux ou le fait que nous lisons le journal The Guardian, censé être de gauche, comme preuve que nous sommes néanmoins plus « éthiques » que d’autres. Plus le soutien à l’ego vertueux est fragile, plus il sera défendu avec acharnement. Même une interrogation polie et rationnelle sur les bienfaits du véganisme pour la santé ou sur les références de gauche du Guardian peut déclencher des foudres.
L’un des principaux problèmes est que le comportement extrême et dominateur d’un ego vertueux peut facilement être confondu avec une compassion extrême — il est en colère, impatient et violent parce qu’il se soucie tellement de la situation. En réalité, des individus et des organisations prédatrices ont toujours compris qu’ils pouvaient dissimuler leurs crimes derrière un écran de fausse compassion. Les lecteurs britanniques se souviendront que, pendant 20 ans, Jimmy Savile, le violeur et abuseur d’enfants en série de la BBC, animait une émission télévisée ostensiblement consacrée à la réalisation des rêves des enfants : « Jim’ll Fix It » (Jim va tout arranger). Tony Blair, qui supervisa l’accaparement du pétrole irakien qui a coûté la vie à au moins un million d’Irakiens, a fait grand cas de la « politique étrangère éthique » de son parti. Le philosophe italien Machiavel écrivait :
Il n’est pas essentiel […] qu’un prince ait toutes les bonnes qualités que j’ai énumérées ci-dessus, mais il est essentiel qu’il semble les avoir […] Ainsi, il est bon de sembler miséricordieux, fidèle, humain, religieux et droit, et aussi de l’être ; mais l’esprit doit rester si équilibré que s’il était nécessaire de l’être, vous devriez être capable et savoir comment changer pour le contraire. (Niccolò Machiavelli, Le Prince, 1513, Dover publications, 1992, p.46, je souligne)
Le mot crucial ici, répété deux fois : sembler. Ce qui ressemble à de l’inquiétude peut n’être qu’une couverture pour un ego dominateur. Cela devient souvent évident lorsque l’ego vertueux se voit proposer un choix entre rester « miséricordieux, fidèle, humain » et remporter un « succès grand public ».
Vous pensez que c’est drôle de transformer la rébellion en argent ?
Les Égos vertueux qui poursuivent un changement politique, par exemple, sont très vulnérables à la tentation de se transformer en Égos performants plus classiques. À maintes reprises, j’ai vu de jeunes écrivains idéalistes débuter sur des sites web radicaux, puis succomber à l’attrait, non seulement de rejoindre la presse d’entreprise « grand public », mais de le faire en s’autocensurant et en compromettant leur message. J’ai vu des voix merveilleusement uniques et claires être mutilées par leur lutte pour coudre avec une aiguille à double pointe — dire la vérité tout en étant accepté, embrassé et récompensé par un système médiatique lourdement filtré.
Cette tendance se retrouve dans toute la culture moderne. Prenons l’exemple de The Clash, l’un des groupes le plus farouchement anti-establishment et anticapitaliste de l’ère punk. Leur chanson London Calling (1979) était un appel apocalyptique aux armes. Le titre se moque de la tradition de la BBC World Service, qui commençait ses reportages par « This is London calling… », tout comme la chanson des Sex Pistols, God Save The Queen, se moque de l’hymne national de facto du Royaume-Uni (à l’époque). Le site web Songfacts dit à propos de London Calling :
C’est la chanson qui a le mieux défini les Clash, connus pour leur dénonciation de l’injustice et leur rébellion contre l’ordre établi, ce qui correspond à peu près à ce qu’était le punk rock.
Dans les séances de photos, les Clash étaient souvent représentés comme un gang de rue menaçant, au visage sinistre, vêtu de vestes en cuir noir, de bottes Doc Martens et de pantalons « bondage » (les magazines musicaux vendaient ce « look Clash » aux fans). L’appel de Londres était un appel à l’insurrection populaire :
Londres appelle les villes lointaines, maintenant que la guerre est déclarée et que la bataille est engagée. (London calling to the faraway towns, now that war is declared and battle come down).
Au début des années 1990, The Clash a résisté à la demande de British Telecom d’utiliser London Calling dans une publicité. Mais en 2002, l’auteur-compositeur-interprète Joe Strummer vendit les droits de la chanson au fabricant de voitures de luxe Jaguar pour une publicité. Strummer expliqua :
Oui, j’ai accepté. Nous recevons des centaines de demandes et nous les refusons toutes. Mais là, j’ai pensé à Jaguar… ouais. Si vous êtes dans un groupe et que vous réussissez ensemble, alors tout le monde mérite quelque chose. Surtout une vingtaine d’années après. Il semble tout simplement mesquin pour un auteur de refuser que sa musique soit utilisée dans une publicité… (Mark Vallen, “London Calling—Selling out the legacy of Punk”, Art For A Change)
«Mesquin » ou pas, dans le tube des Clash de 1978, (White Man) In Hammersmith Palais, Strummer avait chanté :
Les nouveaux groupes ne sont pas concernés
De ce qu’il y a à apprendre.
Ils ont des costumes Burton.
Ha, vous pensez que c’est drôle
De transformer la rébellion en argent ?
(The new groups are not concerned
With what there is to be learned.
They got Burton suits.
Ha, you think it’s funny
Turning rebellion into money?)
London Calling a été utilisée dans une publicité pour la Jaguar X-Type, « une élégante quatre portes destinée au segment “luxe d’entrée de gamme” et vendue au détail pour un prix relativement modeste de 30 000 dollars » (Rob Walker, “Brand new Jag— The Clash sell luxury goods”, The Boston Globe, 15 septembre 2002).
La chanson a ensuite été utilisée dans une publicité de British Airways en 2012 et dans le film de James Bond « Meurs un autre jour ». À un moment donné, Strummer a même travaillé comme DJ pour la BBC World Service dans un programme intitulé « Joe Strummer’s London Calling ». Après la séparation du groupe, une autre chanson des Clash, Should I Stay Or Should I Go, est devenue numéro 1 au Royaume-Uni, grâce à sa présence dans une publicité pour les jeans Levi. Le Boston Globe a commenté :
Aujourd’hui, on pourrait faire une assez bonne compilation de la musique subversive utilisée dans les publicités, avec des sélections de Lou Reed (Perfect Day dans un spot pour la NFL), Iggy Pop (Lust for Life dans une publicité pour Carnival Cruises, et la chanson des Stooges Search & Destroy dans une publicité Nike pour les Jeux olympiques de 1996), des Ramones (Bud Light a déjà utilisé Blitzkrieg Bop), des Buzzcocks (Toyota), et même de Fortunate Son, le réquisitoire cinglant du groupe Creedence Clearwater Revival contre la classe privilégiée américaine (repris par Wrangler)… Le célèbre groupe britannique de gauche Chumbawumba a vendu les droits de la chanson Pass It Along… à Pontiac, puis a reversé ses gains à un réseau d’activistes progressistes.
Les Sex Pistols ont été une source d’inspiration majeure pour The Clash. Tragiquement, le chanteur des Pistols, Johnny Rotten, s’est plus tard déguisé en écuyer dans une publicité pour le beurre Country Life.
David Edwards est coéditeur de medialens.org et auteur de « A Short Book About Ego… and the Remedy of Meditation », Mantra Books, disponible ici. Il est également l’auteur d’un roman de science-fiction à paraître, « The Man With No Face », qui sera publié par Roundfire Books en 2026. Courriel : davidmedialens@gmail.com
C’est un deuxième extrait de « A Short Book About Ego », le premier ayant été publié sur ce blog. Une interview de J.J. Stenhouse sur UK Health Radio est disponible ici.
Quelques commentaires sur « A Short Book About Ego » (Un petit livre sur l’ego)
Dans ce petit guide captivant destiné aux personnes prisonnières de leur esprit, David Edwards nous montre comment la méditation a le pouvoir d’apporter à chacun d’entre nous une guérison et une félicité personnelle en dissolvant notre insatiable ego. Mais il nous offre aussi un message puissant et plus vaste : une politique ancrée dans l’amour et la compassion libérés par la méditation est la seule voie efficace pour guérir nos sociétés brisées. (Jonathan Cook, lauréat du prix spécial Martha Gellhorn pour le journalisme, auteur de « Israel and the Clash of Civilizations »)
J’ai beaucoup appris en lisant Un petit livre sur l’ego, un livre doux et réfléchi sur le changement de conscience que nous devons tous vivre. Je l’ai lu juste après avoir lu la Bhagavad Gita lors d’un voyage dans le nord du Pakistan, ce qui m’a donné un contexte supplémentaire. (Peter Oborne, journaliste et animateur primé, auteur de « The Fate of Abraham : Why the West Is Wrong About Islam »)
Le meilleur moyen de transcender l’ego est de le comprendre. Ce livre met en lumière les mécanismes de l’ego et nous donne un aperçu de la liberté au-delà. Mieux encore, il met en lumière le chemin le plus clair vers la liberté, à travers la pratique de la méditation. (Steve Taylor, auteur de « The Leap » et « Extraordinary Awakenings »)
Texte original publié le 17 juillet 2025 : https://www.medialens.org/2025/the-righteous-ego-a-different-kind-of-special-one/