(Extrait de Panharmonie par Jacques De Marquette. Édition Panharmonie. 1959)
Depuis le Polythéisme extrême qui porte les conceptions populaires des Hindous à décrire des centaines de milliers de Dieux, avec THALÈS s’écriant : « Tout (l’univers) est plein de Dieux ! », jusqu’au Bouddhisme enseignant que les humains ont trop à faire pour réaliser leur salut pour se permettre de perdre leur temps en divagations sur l’existence et la nature de Dieu, il y a une grande variété de nuances. Cependant, on peut en gros diviser en deux catégories l’ensemble des conceptions théologiques : 1° Celles des primitifs dont les formes variées relevant de l’animisme, du fétichisme et du Totémisme, n’ont pas grand-chose qui soit pratiquement utilisable. 2° Les grandes formes religieuses contemporaines qu’on peut diviser en trois groupes : Polythéisme, Panthéisme, Monothéisme. Nous allons les examiner superficiellement.
Polythéisme : On serait tenté de croire qu’il a complètement disparu. Il n’en est rien. Non seulement on peut en relever de nombreuses traces dans les divers aspects du totémisme régnant encore dans les coins reculés de l’Afrique et d’Océanie, mais il reste un des aspects saillants de l’Hindouisme. Celui-ci est une des religions les plus pratiquées de nos jours, venant avec environ 450 millions de fidèles au troisième rang après le Christianisme et l’Islam et avant le Bouddhisme. En effet, ce serait une simple vue de l’esprit que de considérer les 600 millions de Chinois et les 90 millions de Japonais comme des Bouddhistes. Les disciples de la loi de la Compassion ne comptent que quelques dizaines de millions de fidèles actifs dans l’un et l’autre pays. Il est vrai que s’il fallait éliminer des statistiques officielles du nombre des Chrétiens, tous ceux qui ne pratiquent pas réellement cette religion, le nombre de ses fidèles authentiques diminuerait sensiblement.
Il est bien évident que les divers aspects du Polythéisme actuel ne sont que des survivances d’un lointain passé, mais beaucoup de paysans Indiens vivent encore dans la compagnie constante de nombreux dieux agricoles et domestiques, présents dans leurs sources, leurs bois et leurs champs, sur le seuil de leurs maisons, le foyer de leurs cuisines et surtout dans les fleuves et les hautes montagnes.
Une des raisons de la survie de ces formes religieuses élémentaires tient à ce qu’elles satisfont au besoin qu’ont les simples d’avoir des rapports personnels avec un Dieu tout proche, accessible aux accents passionnés de leurs prières. Ce besoin de rapports personnels avec un grand allié infiniment puissant, mais accessible, est certainement un des éléments les plus importants de la persistance des représentations religieuses anthropomorphiques beaucoup plus croyons-nous que l’incapacité de se satisfaire de notions purement abstraites de la nature et de la puissance d’un Dieu transcendant à toute forme.
Il nous semble également qu’une des sources du polythéisme tient à l’intuition que beaucoup de gens simples ont d’être en relation directe avec une puissance spirituelle, dans laquelle ils se sentent comme baignés, en même temps qu’elle œuvre au sein des êtres vivants, engendrant la chaleur, le froid, la croissance, la fécondité, la fructification, et même les forces immatérielles comme la bienveillance et l’animosité. Ce fut la naissance des Panthéons qui, après avoir fourni aux hommes enfants une imagerie à la fois charmante et chargée des enseignements d’une sagesse pratique, s’achèvent en des systèmes mythologiques.
Peu à peu, ces représentations de différents dieux, dont les relations avec les humains, ainsi que leurs rapports mutuels formaient comme la trame de la vie terrestre, prirent des formes plus élevées et douées de champs d’actions de plus en plus vastes, jusqu’à s’étendre à tout l’univers. Les myriades de dieux locaux s’estompèrent devant des dieux dont les influences particulières se faisaient sentir sur toute la planète. Ces dieux incarnent divers attributs d’un Dieu universel et transcendant. Apollon est l’essence de la beauté, Minerve celle de la Sagesse, Mars du courage, Mercure de la compréhension, de la médecine et du commerce, c’est-à-dire la circulation des valeurs et des idées, etc…
Si les cultes d’Athénée, d’Apollon, et de Jupiter ont depuis longtemps disparu, celui des déités du Panthéon Indien persiste. Les festivals des dieux localisés comme les fleuves sacrés et les montagnes déifiées ne jouent plus guère qu’un rôle épisodique dans la vie des masses incultes, mais le culte des divers dieux du Panthéon Hindou est encore très vivant. Outre les cultes des trois personnages de la Trimourti, Brahma, Vishnou et Shiva et leurs différents serviteurs comme le Dieu à tête d’Éléphant Ganesha, symbole de la sagesse bienveillante et du succès dans les entreprises, et le Dieu Singe Hanoumane, fidèle serviteur de Rama et symbole de la fidélité héroïque et désintéressée au devoir, ainsi que les trois véhicules ou montures des Dieux, le cygne pour Brahma, Garouda l’homme-aigle pour Vishnou et le taureau Nandin pour Shiva ; on célèbre aussi les cultes des diverses incarnations de Vishnou et Shiva.
Tandis que Brahma n’a eu qu’une incarnation, Vishnou en a eu neuf et en aura une dixième lorsqu’il devra se réincarner pour ramener le règne de la justice chez les humains menacés de destruction par les conséquences de leurs vices. Les trois dernières incarnations de Vishnou, sous les formes de Rama pour la 7e, de Krishna pour la 8e et de Bouddha pour la 9e, sont l’objet des dévotions des fidèles particulièrement sensibles aux qualités incarnées par ce dieu, c’est-à-dire aux diverses modalités de l’amour, puisque Vishnou est le Dieu générique de l’Amour. De plus, on trouve parmi les Dieux indiens leurs épouses représentant en réalité leurs principes actifs et efficaces, ce sont Sita pour Rama, Lakshmi pour Krishna, et Parvati, Dourga et Kali pour Shiva. Mais de même que Rama et Krishna ne sont que des formes particulières de Vishnou, Sita n’est qu’un symbole de Lakshmi, comme Dourga et Kali sont des formes de Parvati.
Ces diverses déités ont des valeurs bien différentes. Les humbles Devas de la nature sont localisés ; Les serviteurs des grands Dieux, tout en étant partout accessibles aux prières des fidèles, n’en sont pas moins des aspects particularisés des grandes vertus que les humains doivent acquérir pour s’élever à la communion divine.
Au contraire, les trois Dieux de la Trimourti, Brahma, Vishnou et Shiva, tout en ayant été capables de s’incarner dans des formes humaines aux aventures décrites par le Ramayana, sont des essences cosmiques omniprésentes dans tout notre système solaire, et dont les actions sont intimement associées au sein de toutes les créatures, depuis le soleil et ses satellites planétaires jusqu’au dernier brin d’herbe.
On sait que les trois Dieux de la Trimourti ne sont que des Demiurges doués chacun d’une individualité particulière et associés intimement, pour la création de notre système solaire pour Brahma, pour sa conservation, pour Vishnou, et pour Shiva pour la promotion de son évolution.
Chose importante, Brahma, Vishnou et Shiva ne sont que des créatures, appelées provisoirement à l’activité pour la durée d’un Univers par la Cause sans Cause, l’Absolu, transcendant à l’espace et au temps, transcendant aux qualités les plus parfaites, transcendant même à l’Être comme au non-Être, et qui par conséquent, tel le Dieu de Moïse, est absolument indescriptible. Les métaphysiques Hindoues considèrent même qu’il serait inepte de lui attribuer aussi les qualités humaines, même les plus hautes comme l’amour ou la justice.
Pour l’Hindouisme, toutes les étoiles sont des soleils créés chacun par une trimourti particulière et entourés d’un cortège de satellites sur lesquels les petits Brahmas, Vishnous et Shivas s’affairent à réaliser la volonté du Suprême Créateur, volonté qui est imprimée dans l’essence particulière des Brahmas démiurgiques.
À première vue, on serait tenté de penser que les pauvres petits Brahmas, Vishnous et Shivas, avec leurs pauvres petites efficiences symbolisées par leurs épouses, sont bien indignes de retenir la dévotion des gens pieux. Ceux-ci devraient se tourner exclusivement vers l’Unique, l’Absolu, qui est si éminemment transcendant à toute atteinte de l’« imagination », cette faculté de donner « forme » à des concepts, que son nom réel ne peut être ni écrit, ni prononcé. Cette conception est présente dans beaucoup de religions. L’Hindouisme énumère mille noms de l’Être Suprême, correspondant à un des aspects de sa puissance, déclarant que le vrai nom de Dieu est le demi-mètre imprononçable servant de copule entre les trois lettres de la syllabe créatrice sacrée : A U M. Le Judaïsme relègue au rang de Sars ou Sarim, c’est-à-dire d’anges ou de ministres du Créateur, toutes les puissances particulières à l’œuvre dans l’Univers, et correspondant aux personnalités des Panthéons païens. Il déclare aussi que le nom de Dieu, beaucoup trop saint pour les lèvres des hommes ordinaires, ne peut être prononcé que par les Grands Prêtres et en présence des Séraphins gardant le Saint des Saints. L’Islam déclare de même que Dieu a 100 noms, dont 99, désignant ses attributs, Grandeur, Générosité, Mansuétude, etc., ne sont que des masques, tandis que le centième, le seul vrai et convenable, ne peut être prononcé par les lèvres de l’homme, pas plus que ses yeux ne peuvent percevoir le Créateur, comme celui-ci répondit à Moïse demandant la faveur de contempler Sa face.
C’est cette impossibilité radicale de représenter l’Absolu qui explique la survie du polythéisme, cet émiettement des sentiments religieux incapables de se développer dans la contemplation d’un « Deus absconditus », un Dieu tellement élevé qu’il est comme absent du petit champ de vision de l’homme ordinaire, tandis que la conscience moyenne est capable d’éprouver des sentiments d’élévation, de sublimation pour des Dieux tout proches de l’homme dont ils partagent les qualités en les portant au summum. Un ministre Indien, d’une vaste culture, Docteur es-sciences d’Oxford et ancien membre de l’I.C.S., (la haute élite des fonctionnaires Anglo-Indiens) avec qui je m’entretenais dans son cabinet de New-Delhi, me disait que bien que personnellement il partageât absolument le monisme spirituel des hauts penseurs du Védantisme, d’une élévation presqu’inaccessible, il gardait une vive sympathie pour les formes anthropomorphiques ou zoomorphiques du vieux Panthéon Indien. En effet, disait-il, pour que la prière puisse jouer son rôle d’aliment de l’âme, il faut qu’elle soit fervente. Or, puisque les hommes moyens sont incapables d’élever clairement leur pensée jusqu’aux hautes abstractions métaphysiques, il est heureux que notre Panthéon Indien leur présente un choix de figures aimables et émouvantes, capables d’induire chez les simples une foule d’émotions nobles et élevées et une foi en leur protection qui permet de supporter les épreuves de la vie. Et ce n’est pas aux Indes seulement qu’en dépit de l’interdiction de Moïse et des rigueurs puritaines, de belles images de Saints et de Saintes et des divers aspects des Personnes Divines sont employées pour servir de supports objectifs aux prières des fidèles.
L’Hindouisme nous fournit un exemple typique de la transition du Polythéisme au Panthéisme. Les déités inférieures de son Panthéon ne sont que les personnifications des qualités humaines, Pureté sublimatrice pour Hamsa, Intelligence compréhensive et efficace pour Ganesha, héroïsme, dévouement et habileté pour Hanoumane. Ils sont limités par leurs histoires personnelles et par leurs qualités particulières. Au contraire, Brahma, Vishnou et Shiva, avec leurs Shaktis, leurs puissances efficaces ou épouses, sont des essences omniprésentes dans l’Univers Solaire pendant toute sa durée. En leur qualité respective de créateurs de toutes choses visibles et invisibles pour Brahma, de conservateur de leurs moyens d’expression pour Vishnou, et de promoteur de leur évolution pour Shiva, ils sont intimement et conjointement présents au sein de toutes les créatures animées et inanimées.
Nous avons déjà relevé la différence fondamentale entre les démiurges de la Trimourti Hindoue qui naissent et meurent avec notre système solaire, et la Trinité Chrétienne, d’un seul Dieu en trois personnes consubstantielles et créant en dehors du temps les Univers qui pour nous sont passés, présents ou à venir.
Les Philosophes religieux sont divisés en deux grandes écoles. Les Monothéistes idéalistes absolus considèrent que Dieu étant « l’Unique réalité », transcendante au temps et à l’espace, l’existence de toute autre réalité est exclue sous peine de retomber dans le polythéisme, et toutes les apparences d’objets dans l’Univers (y compris des personnes divines secondaires), ne sont que des idées dans la pensée divine. Il s’ensuit que les idées n’ayant pas d’existence en elles-mêmes, tout l’Univers est irréel, d’où les noms d’idéalisme et d’acosmisme donnés à ces systèmes. L’autre école, celle du Panthéisme, est dite « Réaliste » parce qu’elle considère l’essence divine comme présente au sein de toutes les créatures auxquelles elle communique ainsi une existence réelle constamment entretenue par la présence créatrice de l’Unique, jusqu’au jour où il lui plaira de cesser de maintenir par sa pensée l’Univers dans l’être, auquel cas l’Univers disparaîtrait instantanément. Entre ces deux attitudes extrêmes, la plupart des Théologies prennent des positions nuancées.
Si après avoir examiné les étapes du Judaïsme pour suivre les progrès de l’évolution religieuse en Occident, dont il est depuis des millénaires comme la religion pilote, nous consacrons tant d’intérêt à l’Hindouisme, c’est que celui-ci plus encore que le Judaïsme, nous offre un tableau complet de l’évolution des formes religieuses. En effet, après avoir commencé au sortir du nomadisme forestier des Aryens, par la personnification des forces de la nature et l’organisation de leurs relations en une mythologie polythéiste, il s’élève à travers les opérations de sa trimourti à la forme supérieure du Polythéisme où les trois personnes Démiurgiques ne sont plus que des aspects d’une puissance Divine à l’œuvre dans tout l’Univers, et intimement associée à toutes les opérations de la vie et de l’évolution créatrice, ce qui constitue le Panthéisme. L’Hindouisme n’en reste pas là et couronne sa théologie par un monothéisme absolu dont la transcendance répond à toutes les exigences des monothéistes occidentaux, si elle ne les dépasse pas.
En effet, au-dessus de la multitude des Trinités démiurgiques, sortes de groupes d’Archanges animant des systèmes solaires, il place un Dieu transcendant, unique créateur simultané de tous les Univers passés, présents et à venir. Pour expliquer le passage de la Transcendance qui interdirait toute possibilité d’action, à l’acte créateur, lequel demande l’inclusion du devenir cosmique dans l’espace-temps ou tout au moins la projection d’une force capable d’exercer une action à distance au sein de celui-ci ; l’Hindouisme décrit le Créateur de tous les Univers sous la forme d’une super-trinité. Elle est constituée par les trois temps d’une cascade ontogénétique d’hypostases consécutives. À l’origine de l’acte créateur se trouve l’Absolu, transcendant à la fois au Non-Être et à l’Être et gros de toute l’infinité de possibles dont il est la source originelle, sans cependant en contenir aucune, même sous forme d’Essence particularisée, d’où son nom de Nirguna Brahman ou Brahman dénué d’attributs. On reconnaîtra là l’origine de la profonde notion de la Sunyata Bouddhiste mettant au-dessus et au centre du Nirvana, la plénitude du Vide.
Cependant, bien que ce Dieu transcendant soit généralement désigné sous le nom de « Cela », on lui donne, lorsqu’on le considère non pas en soi-même, mais en tant que source des facteurs suprêmes de la Création, deux noms, complémentaires l’un de l’autre, Parabraham et Paramatman. Ils désignent le double aspect de la présence divine dans la geste de l’Univers qui est à la fois «Action» et «Conscience». Au niveau de Nirguna Brahman, Parabrahman est possibilité d’action créatrice de principes de formes distinctes ; (en donnant à « forme » le sens Aristotélicien de principes normatif d’une manifestation particulière), tandis que Paramatman est possibilité d’apparition d’un principe producteur de conscience en prenant la définition qu’en a donné le philosophe matérialiste Le Dantec, « sentiment de liaisons ». Dans chaque univers, c’est-à-dire au niveau de la deuxième personne de la suprême Trinité, Saguna Brahman, Brahman ayant revêtu l’attribut de Créateur prêt à créer, ces deux aspects du transcendant prêts à passer par le relais de la Trimourti, sont nommés « Brahman » pour le principe de formation de l’Univers des créatures, et « Atman » pour le principe des centralisations ou foyers de conscience. Mais à ce niveau de Saguna Brahman, ils sont prêts à passer à l’acte, c’est-à-dire comme prêts à être dégradés par la chute dans les déroulements du temps de l’évolution. Notons en passant, pour fournir un thème aux méditations, que ces prises de conscience sont d’autant plus fortement enchaînées sur les remous du déroulement historique des illusions du devenir temporo-spatial, qu’elles sont plus claires, plus précises et plus définies et qu’au contraire elles sont d’autant plus spiritualisantes qu’elles réussissent à estomper, à dissoudre les apparences formées par les sens, pour atteindre, à travers les formes concrètes des êtres, ce que celles-ci contiennent de présences universelles et éternelles, c’est-à-dire les opérations des lois universelles dont l’origine première est dans l’Intemporel, l’Inactuel et le Transconscient.
Ainsi donc le deuxième aspect du Dieu Unique et transcendant de l’Univers naît avec le passage de Nirguna Brahman à l’être plein de potentialité de Saguna Brahman (Brahman avec « attributs »), donnant ainsi naissance à la totalité des attributs divins: Sat, Chit, Ananda, Être, Conscience et Félicité. Mais ces attributs ne sont présents en Lui que dans toute la perfection de leurs « essences » et par conséquent, à ce niveau de perfection, restent à l’état d’Être pur et n’atteindront à leur réalisation caractérisante que dans leur passage de la puissance à l’acte. En Saguna Brahman, elles sont encore dans la stabilité intemporelle de l’Être, dans tout ce que ce terme implique d’immuable, donc échappant à tout « discours ». Le troisième terme de la suprême Trinité du Créateur naît d’une nouvelle hypostase réalisée en Saguna Brahman par le passage à l’acte spécifique créateur d’une Trimourti démiurgique, donnant ainsi un engagement concret à Celui qui n’était encore que revêtu de la qualité de Créateur en puissance. Ceci lui vaut le nom de « Saguna Brahman », Dieu doué de « la » qualité, celle de Créateur.
Cet engagement dans l’acte d’une création, met fin à l’infinitude absolue de ses possibilités. L’acte créateur en passant par la filière d’une Trimourti particulière va, par ses effets, inclure l’essence du deuxième terme de la Trinité Suprême de l’Hindouisme, correspondant donc au Christ, dans toutes les créatures produites par la Trimourti. Cette inclusion du deuxième aspect ou deuxième personne de la Suprême Trinité dans les apparences phénoménales, correspond donc à une divine incarnation en même temps qu’à une crucifixion de l’Esprit sur la croix matérialisante de l’Espace-Temps. D’autre part, cette projection divine au centre de chaque création fait bien de la deuxième personne divine, le Sacré Cœur de tout l’Univers manifesté. L’Hindouisme s’achève donc en un monothéisme authentique puisque sa Trinité suprême est en somme constituée par les trois phases du passages de la puissance à l’acte de l’Unique créateur de l’Univers.
À partir de cette sorte d’actualisation du Créateur, l’Hindouisme donne une description de la Création qui est très proche de celle de nombreuses religions qui rejetant l’idée d’une création « ex nihilo », décrivant l’existence d’une essence éternelle de la matière semblable à la Hulé des Grecs et qui, entre les créations des univers successifs, reste à l’état virtuel et intemporel de pure possibilité de production des caractéristiques inhérentes à la matière. Notons en passant que le matérialisme utilise la notion de l’éternité d’une virtualité d’existence matérielle pour servir de point de départ à la formation des atomes dont il constitue les êtres sortant de la rencontre fortuite de ces atomes et sans avoir recours à l’idée d’un Créateur.
En effet, si les atomes matériels étaient éternels, si les êtres figurés constituant notre univers étaient sortis des rencontres fortuites des atomes, si enfin l’univers matériel est en voie d’arrivée à « l’entropie », c’est-à-dire l’annihilation, l’immobilité universelle par suite de l’équation de tous les potentiels énergétiques, il y a déjà une infinité de temps que l’Univers aurait dû entrer dans sa mort définitive.
Au contraire, la théorie du retour éternel des Stoïciens et de Platon, semblable à celle des Hindous, décrit une succession d’univers dont chacun est engendré par l’activation d’une matière éternellement virtuelle et qui ne revêt périodiquement la forme d’un univers que lorsqu’un créateur, l’artiste Divin de Platon, vient la féconder de ses idées créatrices de formes et de qualités.
Pour les Hindous, l’acte créateur en passe de réalisation est personnifié par Ishvara. L’éternelle matière virtuelle est Mulaprakriti aussi supérieure à Prakriti ou matière actualisée en substance d’un univers, que le transcendant Parabrahman est supérieur au Brahma d’un petit univers solaire.
Dans son intemporalité, entre les apparitions du temps qui accompagne chaque création d’un univers, Mulaprakriti possède trois qualités virtuelles, Tamas, la torpeur ou la masse ; Rajas, principe de force frénétique, et Sattva, l’équilibre, qui est créateur dans l’harmonisation des effets des deux précédents. Ishvara, en provoquant l’éveil de ces trois principes d’activité, engendre l’apparition des trois personnes de la Trimourti, Brahma engendré à travers Rajas, Vishnou sortant de Sattva, Shiva issu de Tamas, à travers lesquels il va créer tout l’Univers solaire considéré.