le professeur Robert Tocquet
Les phénomènes paranormaux et la prestidigitation

C’est parfois vers les prestidigitateurs que nous reportons notre désir inné de mystère, héritage ancestral d’un très lointain passé. Car si nous répugnons en général au miracle, nous en acceptons volontiers les apparences. L’illusionniste, qui crée l’impossible, fait toucher l’invraisemblable et jongle avec le rêve, fait naître en nous un étonnement résigné, un état d’acceptation servile et de crédulité qui nous entraînent dans un monde merveilleux, lequel rejoint souvent celui de nos propres songes ou se rattache à cet autre univers imaginaire qu’enfante quelquefois notre volonté de puissance ou notre besoin de créer.

(Revue Psi International. No3. Janvier-Février 1978)

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Selon certains de leurs détracteurs, les phénomènes paranormaux ne sont que d’habiles tours de passe-passe, et les médiums des prestidigitateurs habiles ou des charlatans sans scrupule. Il est malheureusement vrai que certains parapsychologues de bonne foi ont pu être trompés par des illusionnistes avides de succès personnels.

Le Professeur Tocquet, Directeur Scientifique de PSI INTERNATIONAL est un orfèvre dans le domaine de la prestidigitation. Il a appris cet art spécialement pour démasquer les supercheries. Il entreprend une série d’articles, dont on trouvera ici le premier, consacré aux bases psychologiques de la prestidigitation, sur les rapports du paranormal et de l’illusionnisme. Dans les numéros suivants, il démontera la technique de l’illusion.

C’est parfois vers les prestidigitateurs que nous reportons notre désir inné de mystère, héritage ancestral d’un très lointain passé. Car si nous répugnons en général au miracle, nous en acceptons volontiers les apparences. L’illusionniste, qui crée l’impossible, fait toucher l’invraisemblable et jongle avec le rêve, fait naître en nous un étonnement résigné, un état d’acceptation servile et de crédulité qui nous entraînent dans un monde merveilleux, lequel rejoint souvent celui de nos propres songes ou se rattache à cet autre univers imaginaire qu’enfante quelquefois notre volonté de puissance ou notre besoin de créer.

L’illusionniste nous apparaît ainsi comme une sorte de démiurge, de magicien ou de sorcier investi de mystérieux pouvoirs.

Mais ceux-ci ne sont magiques qu’en apparence. Ils reposent, en fait, sur un certain nombre de principes rationnels psychologiques et techniques que nous allons examiner, car, outre leur intérêt propre, étant largement utilisés par les fraudeurs du psychisme, le parapsychologue ne doit pas les ignorer. C’est une condition indispensable qu’il doit remplir s’il désire aborder, avec le minimum de risques, le domaine mystérieux et parfois aléatoire du paranormal. Ces principes lui permettront, en effet, à l’occasion, de déterminer les points faibles d’une expérience et de discerner ce qui est réel de ce qui est artificiel. Et, à ce propos, je ne puis m’empêcher d’exprimer ici l’amertume que je ressens lorsque je lis les œuvres de certains métapsychistes, même de grand renom. J’y trouve, en effet, à côté d’admirables phénomènes paranormaux, des phénomènes manifestement falsifiés qui sont mis sur le même plan que les premiers. Si ces auteurs avaient connu la prestidigitation, ils n’auraient pas laissé ces scories figurer dans leur œuvre et ne l’auraient pas, de la sorte, malencontreusement ternie. Mais ils l’ont vraisemblablement dédaignée, la considérant, ainsi que d’aucuns le pensent comme une simple distraction, comme un amusement tout juste bon pour les enfants. En réalité, ce point de vue est erroné et nous en trouvons la preuve dans ce fait que nombre d’esprits distingués, ingénieurs, professeurs, médecins, avocats, non seulement s’intéressent plus ou moins directement à l’illusionnisme, mais s’y adonnent pratiquement avec succès.

C’est ainsi que le grand biologiste Auguste Lumière, le professeur en Sorbonne Rémi Cellier, le professeur émérite A. Bessemans, docteur en médecine et ex-recteur de l’Université de Gand, le docteur en médecine Jules Dhotel, le docteur en droit Camille Gauthier, le Sociétaire de la Comédie Française Jean Weber se placent parmi les meilleurs prestidigitateurs contemporains tant par leur dextérité que par l’ingéniosité de leurs « créations ».

Et à cette liste nous pourrions ajouter bien d’autres personnalités pour qui la prestidigitation est le passe-temps favori. C’est le cas, par exemple, pour Monsieur Pierre Sudreau, député, ancien ministre et maire de Blois, pour Monsieur Serge Benard, président directeur général de la Société Poulain, de Monsieur Doublet de la Société Celi, de Monsieur Crouy-Chanel, ex-ambassadeur de France, de l’Amiral Storelli, de Monsieur de Guillenchmidt, conseiller général, de Monsieur Berthault, conseiller général et maire-adjoint de Tours, de Monsieur Larcade, maire de Saint-Gervais-la-Forêt, de Monsieur Chavigny, homme de lettres, de Monsieur Genet, de Monsieur Raoul de Warren, de Madame Marseilhan, de Madame Blin Solange, et, bien entendu, c’est la cas pour Monsieur Paul Robert-Houdin, architecte honoraire des monuments historiques, conservateur honoraire du Château de Chambord et petit-fils de l’illustre prestidigitateur Robert-Houdin [1].

L’adhésion de ces personnalités intellectuelles à la prestidigitation se comprendra mieux lorsque nous aurons souligné que l’illusionnisme est, à la fois, un art délicat et une discipline assez complexe.

Art délicat qui, sans doute nécessite des qualités innées d’adresse et d’habileté, perfectionnées par un long entraînement, mais qui demande surtout un sens psychologique aigu.

C’est aussi une discipline relativement compliquée car lorsqu’il s’agit de créer des appareils ingénieux, des expériences étonnantes qui confondent et qui subjuguent, il faut être pourvu d’un bagage non négligeable de connaissances variées : mécaniques, physiques, chimiques, physiologiques et même médicales, et, de plus, posséder des qualités intellectuelles indéniables telles que imagination vive, esprit pénétrant et observateur. En certaines expériences, le côté psychologique l’emporte sur la technique. En d’autres, dans les « grands trucs » en particulier, c’est l’inverse qui est vrai. En tout cas, il est rare que ces deux aspects de l’illusionnisme ne soient pas étroitement associés de sorte qu’il est assez difficile de les séparer. Néanmoins, nous les examinerons successivement pour la clarté de l’exposé, et, chemin faisant, nous indiquerons comment ils sont utilisés en pseudo-médiumnisme et en pseudo-fakirisme.

Enfin, dans un article intitulé Occultisme et Spiritisme de Music-hall, nous décrirons quelques illusions de scène qui simulent des phénomènes paranormaux.

Voyons donc les bases psychologiques de la prestidigitation. Elles sont utilisées, par simple transposition, dans la pseudo-médiumnité.

Le principe psychologique essentiel de la prestidigitation

Le principe essentiel d’ordre psychologique, sur lequel sont basées beaucoup d’expériences d’illusionnisme, est que tout individu porte en son esprit le schéma des gestes humains habituels. Il en résulte qu’il achève mentalement des mouvements, qui, dans la réalité, ne se terminent pas.

La main droite, par exemple, prend une pièce de monnaie, la montre du bout des doigts, puis la porte vers la main gauche largement ouverte. Celle-ci se referme et s’éloigne cependant que les doigts de la main droite sont montrés vides. Si l’on exécute ces gestes comme on les accomplit d’ordinaire, le spectateur n’aura aucune raison de penser que l’un d’eux, faisant partie de la série normale, n’est pas exactement accompli comme les autres, même s’il se trouve comme par hasard masqué. En fait, lorsque la main droite s’est déplacée vers la gauche, elle a pu fort bien empalmer la pièce, c’est-à-dire l’appliquer dans la paume et la maintenir serrée entre les deux masses musculaires respectivement appelées thénar et hypothénar. Ce qui, en l’occurrence, aura produit l’illusion, c’est que les mouvements des deux mains sont rigoureusement ce qu’ils auraient été en cas de dépôt, sauf en ce qui concerne la fin de la manipulation qui se trouve cachée par la main gauche qui se referme.

De même, lorsque la main droite prend une boule, la montre du bout des doigts, se dirige vers un chapeau, s’y plonge, puis en ressort les doigts allongés et ne tenant rien, quelle raison y a-t-il de penser, surtout si le prestidigitateur a annoncé : « Je mets cette boule dans ce chapeau », qu’il ne l’a pas effectivement abandonnée ? On ne songe même pas qu’il pourrait en être autrement, si, outre la phrase prononcée, on entend un choc et que le chapeau, tenu de l’autre main, a légèrement fléchi vers le sol en recevant apparemment la surcharge. Or, la main droite a parfaitement bien pu, pendant qu’elle se trouvait momentanément cachée dans le chapeau, ne rien déposer, mais serrer la boule dans la paume puis ressortir les doigts vides. Quant au choc, c’était une chiquenaude des doigts de la main gauche contre les parois du chapeau qui l’avait produit, et le léger fléchissement sous un poids imaginaire, c’était une simple feinte. Il suffit que l’entrée et la sortie de la main droite soient rigoureusement ce qu’elles auraient été en cas de vrai dépôt pour que les spectateurs, entraînés par l’habitude, admettent implicitement que, dans la série des mouvements effectués aux fins de dépôt, cette dernière phase a réellement eu lieu comme les autres. Dans ces deux expériences, comme d’ailleurs dans des expériences similaires, on peut dire, en bref, en employant le langage des mathématiciens, qu’il y a, de la part des spectateurs, « intégration », en une seule action continue et familière, de toute une série de petits mouvements dont quelques-uns leur ont échappé, ainsi que le fait notre œil lorsqu’il complète instinctivement les traits discontinus qui cernent le croquis d’un profil à peine esquissé.

Or, et voici ce qui est précieux pour l’illusionniste comme d’ailleurs pour le pseudo-médium, l’absence d’un acte partiel non remarquée, si elle est relativement courte, permet de ne pas exécuter réellement l’action et nul ne pensera à se défier de cette lacune d’un instant, à condition toutefois que les opérations initiales et finales soient bien visibles et faites comme d’habitude.

Les autres principes psychologiques de la prestidigitation

Le second principe psychologique, qui d’ailleurs découle immédiatement du précédent, est que les expériences doivent être exécutées d’une façon naturelle, sans hâte et sans nervosité, celle-ci étant l’ennemie mortelle du prestidigitateur. Effectivement, l’illusion la plus parfaite est obtenue avec le maximum de bonhomie.

En outre, cette banalité dans l’exécution des mouvements, cette absence de précipitation permettent d’insérer facilement et subrepticement, dans une série de gestes réguliers, la manipulation qui est le pivot de l’expérience.

A ce propos, l’excellent prestidigitateur Alber (alias Jean-Jacques-Édouard Graves), qui opérait toujours avec bonhomie et naturel, rapporte comme suit un dialogue qu’il eut avec un spectateur lui décrivant une expérience à laquelle il avait participé :

Le spectateur : « L’objet n’a pas quitté ma main. »

Alber : « Vous en êtes sûr ? »

Le spectateur : « Oh ! absolument. »

Alber : « Très bien. Et comment teniez-vous cet objet ?

Le spectateur : « Mais dans un foulard. »

Généralement, ajoute Alber, j’en reste là de mon investigation, suffisamment renseigné, mais, si je pousse la question à fond, j’arrive au résultat suivant :

Alber : « Et qui avait mis l’objet dans le foulard ? »

Le spectateur : « Mais c’est l’opérateur. »

Alber : « Donc, ne serait-ce qu’une seconde, l’objet a quitté vos mains. »

Or, le crédule spectateur ne sait pas que cette seconde a suffi, et au-delà, pour effectuer la manipulation. C’est à ce moment de l’expérience que le geste inopiné s’est glissé dans toute une série de gestes naturels et a paru lui-même régulier parce que tous étaient accomplis sans précipitation.

C’est grâce aussi à un moment d’inattention des spectateurs que le prestidigitateur réalise des substitutions d’objets, désignés sous le nom de « changes » en illusionnisme.

D’autre part, dans presque toutes les expériences de prestidigitation, et ceci est également vrai en pseudo-médiumnisme, le public, n’ayant pas l’attention attirée par la manipulation décisive, continue de s’occuper des opérations qui la suivent, lesquelles ne sont pratiquement d’aucune utilité, puisque, en fait, le tour est déjà réalisé. A la faveur de cette orientation, et nous avons là le troisième principe psychologique de l’illusionnisme, le prestidigitateur peut, en toute sécurité, préparer, s’il y a lieu, les éléments d’une nouvelle expérience.

Dans tous les cas, et ce quatrième principe est souvent négligé par les débutants, il doit donner l’impression que ce qu’il dit est vrai. Ainsi, lorsqu’il affirme qu’une pièce de monnaie est parfaitement restée en place, aucun spectateur ne doit douter de sa parole. Ce pouvoir de suggestion ne s’acquiert d’ailleurs, en général, qu’après une assez longue pratique.

Suggestionneur et suggestionné

Au surplus, afin que l’illusion soit parfaite, il est souhaitable que l’opérateur croie lui-même à ce qu’il dit et à ce qu’il fait, c’est-à-dire qu’il soit, à la fois, suggestionneur et suggestionné : « On doit se pénétrer assez de l’esprit de son rôle, écrit Robert-Houdin, pour croire soi-même à la réalité des fables qu’on débite. » De son côté, un autre prestidigitateur célèbre, Ponsin, qui a écrit des ouvrages didactiques de prestidigitation, enseignait : « Dites-vous à vous-même : ce ne sont pas des tours que je veux faire, ce sont des miracles. »

Parfois, l’illusionniste, et ce principe se rattache en partie au précédent, fait associer des impressions qui n’ont entre elles aucun rapport de causalité. Toute la ventriloquie, le buste de plâtre qui semble parler parce qu’il est au foyer d’un réflecteur sonore, les harpes qui paraissent jouer seules, le sifflet spirite utilisent cette synesthésie. Dans cette dernière expérience, un sifflet ordinaire est suspendu par une ficelle à l’extrémité d’un bâtonnet tenu à la main. A la grande surprise des spectateurs qui peuvent entourer le « médium », le sifflet siffle seul et répond aux questions, selon un protocole convenu : par exemple, un coup de sifflet pour « oui » et deux coups pour « non ».

En réalité, ce n’est pas le sifflet que l’on voit qui se fait entendre, mais c’est un autre sifflet analogue qui remplit ce rôle. Ce second sifflet est maintenu à l’aide d’une épingle de nourrice dans la partie inférieure d’une jambe du pantalon de l’illusionniste. Il est muni d’un tube de caoutchouc terminé par une poire de caoutchouc qui, pressée, fait fonctionner le sifflet. Ce sifflet surnuméraire peut être aussi fixé au poignet et la poire de caoutchouc placée sous l’aisselle. En appuyant inostensiblement sur la poire avec le bras, le sifflet siffle et, dans ces conditions, les deux bras sont libres.

Cette association entre deux sensations de nature différente a été également largement utilisée par Félicien Trevey dans son étonnante présentation de La Pluie d’Argent. Au cours de sa cueillette imaginaire de pièces de monnaie dans l’espace, chaque feinte de jet de pièce dans le chapeau était accompagnée du bruit produit par un autre chapeau contenant réellement des pièces, lesquelles étaient agitées dans la coulisse par un servant qui synchronisait exactement ce bruit avec le geste du prestidigitateur. Une autre association de deux impressions sensorielles, faites instinctivement par le spectateur, est celle de la vue et du toucher, par exemple lorsqu’il sent, à travers un foulard, un disque de verre qu’il croit être la pièce vue un instant auparavant. Elle est à la base d’un truc déjà ancien désigné sous le nom de La pièce soluble.

La pièce, qui fait l’objet du tour, est placée au milieu d’un foulard, et, ainsi enveloppée, on demande à un spectateur de la maintenir par la tranche au-dessus d’un verre rempli d’eau. Ensuite, sous prétexte de vérifier le millésime de la pièce, on s’en empare et on la remplace inostensiblement par un disque de verre de même diamètre. C’est chose facile étant donné que l’opération a lieu sous les plis du foulard. Cela fait, on prie le spectateur de tenir le tout comme précédemment et de lâcher la pièce (en réalité le disque de verre) lorsqu’on aura compté « un, deux, trois ! ». Le disque est lâché et le bruit de sa chute est entendu, mais, lorsqu’on retire le foulard, le disque est invisible au fond de l’eau, la pièce a disparu. Elle est ensuite retrouvée à l’endroit que l’on désire, par exemple dans la poche du spectateur qui s’est prêté à l’expérience. A cet effet, il suffit, en priant celui-ci de faire face au public, de mettre la main sur son côté, comme pour mieux le placer, et de faire glisser dans sa poche de veston la pièce que l’on avait gardée à la main. Il est bon de bien faire remarquer que c’est toujours la même pièce qui est montrée au public ; au besoin, on y fait faire une marque avec la pointe d’un canif. Il est recommandé également d’emprunter la pièce, car une pièce empruntée est beaucoup moins suspecte qu’une pièce appartenant à l’opérateur.

On peut aussi ajouter une preuve supplémentaire de la disparition de la pièce, en retournant le verre, sans rien dire, afin de vider l’eau qu’il renferme : le disque adhère au fond du verre, à condition que ce fond soit bien plat.

Si, en prestidigitation, l’association de la vue et de l’ouïe et l’association de la vue et du toucher sont souvent employées, en revanche, le sens de l’odorat est rarement mis à contribution. Il a cependant été utilisé par Robert-Houdin qui faisait évaporer de l’éther pendant qu’il présentait une expérience dans laquelle l’influence de l’éther était annoncée alors qu’elle n’y était pour rien, et employé également par le « professeur » Alber précédemment cité : « J’enveloppais une pomme dans un papier, écrit-il, et je donnais le paquet à tenir à un spectateur. Puis, l’interpellant, je lui disais : « Sentez-vous la pomme ? » S’il essayait de sentir avec ses doigts, je lui disais qu’il s’agissait de son odorat. S’il sentait véritablement, je lui demandais ce qu’il sentait et il me répondait invariablement : « Je sens la pomme ». Or, la pomme n’avait jamais été dans le paquet, mais le papier que j’employais était enfermé depuis plusieurs mois avec des pommes dans un fruitier. Cette illusion de l’odorat réussissait très bien mais il est vrai de dire que les spectateurs croyaient avoir vu empaqueter la pomme (illusion de la vue), et que celui qui tenait le paquet croyait toucher la pomme au travers du papier (illusion tactile), alors que la pomme était remplacée par un autre objet. »

Ne pas annoncer à l’avance le résultat d’une expérience

Enfin, dernier principe fondamental, il ne faut jamais annoncer à l’avance le résultat d’une expérience, et cela pour deux raisons : d’abord parce qu’en le faisant connaître, on attire l’attention des spectateurs sur les opérations qui doivent s’effectuer, ce qui leur permettra de guetter les phases délicates du tour ; ensuite, ainsi que le souligne Robert-Houdin, « lorsque le spectateur est ignorant de ce qui va se passer, l’opérateur peut se tirer d’affaire si son opération, pour une raison ou pour une autre, vient à manquer. Au contraire, si le public est prévenu, il n’y a pas de salut possible et l’échec est irrémédiable ; or, un illusionniste, aux yeux du public, ne doit pas se tromper. Si, par hasard, il ne peut sortir d’un mauvais pas, il doit terminer son expérience d’une façon quelconque, sans rime ni raison s’il le faut ; le public ne comprend rien à ce qui vient de lui être présenté ; il peut même s’étonner du décousu de l’expérience, le principal est qu’il n’y a pas lieu de lui annoncer une erreur ; l’honneur est sauf, il suffit de se rattraper au tour suivant. »

En revanche, il n’y a aucun inconvénient, bien au contraire, à faire connaître le but du tour lorsque sa phase essentielle est accomplie et quand la réussite est dès lors certaine, puisque, en somme, le tour est fait.

C’est aussi pour que la vigilance ne s’exerce pas prématurément qu’on ne fera jamais remarquer explicitement au public qu’une main ou qu’une boîte est vide : ce serait lui faire supposer qu’elle ne le sera pas toujours. On lui laissera simplement constater incidemment que la main est libre ou qu’il n’y a rien dans la boîte.

De même, on ne dira pas : « Choisissez une carte », mais on dira : « Prenez une carte », car la première expression pourrait suffire à mettre le spectateur en défiance, et, par exemple, faire manquer un forçage de cartes. Notons ici que « forcer une carte », c’est obliger un spectateur à prendre une carte déterminée, connue de l’opérateur, parmi un jeu de 32 ou de 52 cartes, ce qui permet, par exemple, de réaliser ensuite une expérience de pseudo-télépathie ou de pseudo-connaissance paranormale. Si difficile que puisse paraître cette manipulation, elle réussit assez facilement entre les mains d’un opérateur débutant ou moyen, et, à coup sûr, si l’artiste est habile et expérimenté [2].

Une excellente pratique, très propre à dérouter le jugement du public et recommandée par Robert-Houdin, consiste à laisser attribuer à l’adresse pure ce qui est le résultat d’une action mécanique ou d’une combinaison mathématique, et réciproquement.

Un corollaire de ce principe est qu’il ne faut jamais recommencer un tour à moins de l’exécuter à l’aide d’un subterfuge différent. Si les spectateurs le redemandent, c’est, le plus souvent, dans l’intention d’en saisir le mécanisme.

Les phénomènes paranormaux et la prestidigitation par le Professeur Robert Tocquet

(Revue Psi International. No 4. Mars-Avril 1978)

(2e partie)

Après avoir examiné dans notre précédent article (voir PSI INTERNATIONAL n° 3) les bases psychologiques de la prestidigitation, voyons ici ses bases techniques. Mais soulignons immédiatement qu’à l’encontre des principes psychologiques, qui sont en petit nombre, les procédés de l’illusionnisme, permettant de favoriser ou de créer l’illusion, sont très nombreux. Au reste, certains sont mi-psychologiques, mi-matériels. D’autres sont purement techniques. En tout cas, les uns et les autres sont largement utilisés en pseudo-médiumnisme.

Procédés permettant de détourner l’attention

Le prestidigitateur (ou le pseudo-médium) peut détourner l’attention du public par une interpellation adressée à un spectateur vers lequel tout le monde dirige aussitôt les regards, par la chute voulue d’un objet, par une feinte maladresse du servant, par un coup de pistolet qui surprend et, surtout, par le boniment. Des questions absolument saugrenues telles que : « Savez-vous compter jusqu’à cent ? », ou encore : « Pouvez-vous, dans un jeu de cartes, distinguer les sept des dix ? », provoquent chez l’interlocuteur un certain ahurissement à la faveur duquel l’artiste peut, par exemple, exécuter un saut de coupe. L’emploi d’un charabia pseudo-étranger, ou, par-ci, par-là, quelques mots sont intelligibles, constitue un dérivatif du même ordre. Le demi-étourdissement causé par le verbiage du boniment, le moment de distraction que provoque un calembour sont encore des dérivatifs de ce genre.

A vrai dire, ces moyens un peu grossiers, et tout particulièrement le boniment avec digressions oiseuses et plaisanteries d’un goût douteux, qui étaient la tare de l’ancienne prestidigitation, sont inadmissibles pour un artiste consciencieux et sont de plus en plus abandonnés par les prestidigitateurs modernes. Et même, quelques-uns d’entre-eux, les illusionnistes étrangers surtout, opèrent « à la muette », mais, de ce fait, le spectacle manque d’étoffe et ressemble souvent à un numéro de jonglerie. Il ne peut être que très court, car, formé essentiellement de multiples et subtiles apparitions et disparitions, il nécessite de la part des spectateurs une attention soutenue qui provoque à la longue une certaine fatigue. Mais, en définitive, il vaut mieux que des expériences diluées en deux heures de bavardage continu.

Les gestes aussi, par exemple l’index qui désigne un objet, le dépôt ébauché, une simple présentation au bout des doigts, le coup de baguette magique, peuvent détourner l’attention. A ce propos, comme le note justement M. Alber, un public d’enfants, contrairement à ce qu’on croit souvent, est des plus difficiles à tromper, de sorte que si une feinte n’est pas exécutée impeccablement, le terrible cri : « Vous avez caché objet dans votre manche », ou « Vous avez l’objet dans l’autre main », jaillira infailliblement. Dans cet ordre d’idées, et c’est là un fait que les professionnels de l’illusionnisme connaissent bien, les personnes bornées, à l’esprit étroit et entêté, sont beaucoup plus malaisées à mystifier que les gens instruits et intelligents. Ce n’est pas qu’elles devinent mieux le principe des expériences, mais elles ne se laissent pas facilement égarer. Le même fait a été parfois observé en pseudo-médiumnisme.

Certains grands trucs, tels que la « Moto éclipsée » de De Rocroy, qui s’évanouissait, ainsi que son conducteur, d’une grande caisse suspendue, ou l’extraordinaire disparition d’un éléphant au milieu d’un cirque, qui était parfaitement réalisée par Harry Houdini [3], et cela sans trappe d’aucune sorte, sont basés sur le détournement général de l’attention. En ce qui concerne cette dernière illusion, Houdini parvenait à faire converger dans la même direction, avec un parfait ensemble, les regards de tout le public d’un vaste cirque en faisant descendre du haut du chapiteau un baldaquin étincelant vivement éclairé et supporté par des chitines qui grinçaient fortement. La vue et l’ouïe étaient ainsi mises à contribution.

Il n’est pas possible, bien entendu, de détourner constamment le regard et l’attention des spectateurs, ce qui équivaudrait à leur dire : « Fermez les yeux et ne pensez plus ». D’où l’emploi d’autres méthodes de dissimulation dont les principales sont l’invisibilité optique, l’invisibilité par action et le masquage.

L’invisibilité obtenue par des particularités optiques

L’invisibilité optique peut être obtenue par la petitesse des accessoires, ou par certains détails, ou encore par la couleur. Le fil de soie grise (moins visible en général que le noir) ou, mieux, de nylon, le fil de fer très fin, invisible même de prés, sont fréquemment employés. Ils permettent la lévitation d’une table légère (en carton par exemple) mais d’apparence massive, l’ascension de cartes qui, placées dans un verre s’élèvent au commandement, les mouvements d’une main de plâtre disposée sur une plaque de verre, l’apparition et la disparition de foulards, d’œufs ou de boules mis dans un chapeau, la pièce sonnant dans un verre, la réalisation de certains équilibres truqués, et, en particulier, de la canne se tenant verticalement, l’expérience du foulard pondeur, etc.

La technique suivante, que nous avons présentée à la Télévision française au cours d’une émission consacrée à la métapsychique et au fakirisme, ne présente aucune difficulté d’exécution et elle a de plus l’avantage d’être pratiquement invisible. On a préalablement préparé un fil de nylon, de couleur noire ou grise, d’une cinquantaine de centimètres de longueur et muni d’une large boucle à chacune de ses extrémités. Avant l’expérience, on a engagé l’une des boucles dans un bouton du gilet de sorte que le fil pend devant soi. Si les vêtements sont de la même couleur que le fil on ne le voit pas. Au reste, on peut boutonner le veston pour cacher complètement le fil, mais, dans la pratique, cette précaution est absolument inutile. Les mains ayant été contrôlées par les expérimentateurs, on fait des passes sur le guéridon, car, ici, il est nécessaire que la table soit un guéridon avec colonne centrale, et, au cours de ces mouvements, on enfile le médius d’une main dans la boucle pendante du fil puis le même doigt de l’autre main dans la seconde boucle. Cela étant, et tout en continuant les passes, on engage le fil sous le plateau du guéridon, ce qui se fait très facilement, et on tire à soi jusqu’à ce qu’il bute sur la colonne médiane. En écartant alors légèrement les mains et en les rapprochant, on produit des coups frappés. Ensuite, on élève les mains et le guéridon les suit à distance dans l’espace, sans aucun contact apparent. L’expérience est d’autant plus saisissante que le fil est invisible, surtout en lumière atténuée. D’ailleurs, si, par aventure, un assistant l’apercevait, il y a quelque chance, si le milieu est tant soit peu crédule, pour qu’il soit considéré comme un fil « ectoplasmique «. Après l’expérience, c’est un jeu de s’en débarrasser.

 Les différentes phases du saut de coupe, décomposées par l’auteur de l’article pour les lecteurs de PSI INTERNATIONAL. Le saut de coupe est, en ce qui concerne les tours de cartes, une manipulation fondamentale. Le jeu de cartes étant divisé en deux paquets, « A » dessus et « B » dessous, il consiste à faire passer invisiblement B au-dessus de A.1. Position de départ : l’auriculaire est entre les deux paquets.2. Le paquet supérieur se trouve soulevé au début de l’action par les doigts de la main gauche.3. La main gauche rabat son paquet dans la paume et la main droite soulève le paquet inférieur puis commence à le rabattre.

4. La main droite a rabattu son paquet et l’annulaire se retire discrètement d’entre les deux paquets. Ce saut de coupe classique s’effectue avec les deux mains, mais il existe d’autres sauts de coupe réalisés avec une seule main.

 

 

Un procédé analogue permet de mouvoir ou de renverser à distance des objets assez légers ou instables tels que verres, bouteilles, boites de carton, etc. Il suffit d’employer dans les mêmes conditions que précédemment, un anneau fait avec quelques cheveux et que l’on passe entre les pouces. Ce dispositif permet également de réaliser la lévitation de petits objets : ciseaux, balles de celluloïd, gobelet de forme tronc conique, etc. Avant le contrôle des mains, l’anneau de cheveu est appendu d’un bouton du gilet ou du veston et jeté à terre après usage.

Stanislawa Tomczyk, qui, ainsi que nous le montrons dans notre ouvrage Les Pouvoirs Mystérieux de l’Homme (Editions PSI INTERNATIONAL), a réalisé d’indiscutables télékinésies, a vraisemblablement employé l’un ou l’autre des procédés que nous venons de décrire lorsqu’elle n’opérait qu’en présence du docteur Ocborowicz. Quelques photographies, prises par le savant polonais, incitent à penser qu’un cheveu était utilisé pour effectuer certains « mouvements sans contact ». De même, Eusapia s’est quelquefois servi d’un cheveu, arraché subrepticement, pour provoquer l’abaissement du plateau d’un pèse-lettre. Mais il convient de remarquer à sa décharge que les expérimentateurs qui lui proposaient de telles expériences lorsqu’elle se trouvait dans son état normal étaient plus fautifs qu’elle-même, car ils semblaient ignorer qu’en dehors de l’état de transe un sujet métapsychique ne peut rien.

L’étonnant et gracieux numéro des « anneaux chinois », qui s’enchaînent et se déchaînent avec la plus grande facilité, est réalisé grâce à une fente, étroite d’ailleurs, cachée au moment opportun par l’opérateur. Malgré la simplicité du moyen ou peut-être à cause de cela, il permet les effets les plus surprenants.

La couleur noire ou sombre d’un objet et d’un fond rend invisibles certains détails. C’est sur ce principe que sont basés les trucs des ardoises spirites où s’inscrivent des « messages paranormaux », et, surtout, les admirables et stupéfiantes expériences de « magie noire » dans lesquelles on voit apparaître sur scène, venus, on ne sait d’où, meubles, objets divers, squelettes, etc. En fait, au lever du rideau, tout ce matériel est déjà en place mais se trouve dissimulé à la vue grâce à des draperies ou à des écrans noirs. Ce sont des aides, vêtus de noir de la tête aux pieds et chaussés de pantoufles noires silencieuses, qui provoquent l’apparition des objets en enlevant rapidement étoffes et écrans. Ce sont eux également qui soulèvent les tables ainsi que les autres accessoires et les font voltiger dans l’espace. Généralement, des lampes électriques sont placées sur la scène et sont tournées vers les spectateurs qu’elles éblouissent sans rien éclairer. Bien que ce procédé ait été maintes fois décrit dans des revues ou des journaux, ces révélations n’ont jamais amoindri le merveilleux effet qu’il produit.

L’invisibilité obtenue par l’action

L’invisibilité de certaines manipulations est quelquefois obtenue, en pleine lumière, par une sorte de synchronisme des mouvements. C’est ce qui a lieu dans le jeu du bonneteau [4], qui fait perdre de vue la carte choisie, et dans le double empalmage (Back and front hand palm) qui consiste à faire apparaître une ou plusieurs cartes après avoir montré que l’intérieur et le dos de la main sont absolument nus. En réalité, quand la paume de la main est montrée vide, c’est le dos de la main qui maintient les cartes, et, lorsque le dos de la main est présenté, celles-ci passent dans la paume. Signalons au passage que le célèbre Houdini, déjà cité, parvenait à endosser correctement un jeu de 32 et même de 40 cartes (des Steambout américaines) et à faire revenir celles-ci, une à une, au bout des doigts. Seuls, les prestidigitateurs peuvent mesurer l’extraordinaire difficulté d’une telle passe.

Contrairement à l’opinion courante, l’exécution très rapide, permettant l’invisibilité d’une manipulation, est rarement employée en prestidigitation ; ce mot même (issu de presto qui signifie agile, vite), créé par un amateur Jules de Hovère, consacre par l’étymologie ce préjugé.

Nous étonnerons probablement bien des profanes en soulignant que les plus subtiles et les meilleures manipulations sont faites lentement et posément. Toutefois, on peut citer, comme exemples de manœuvres à grande vitesse, les jets de pièces dans la manche ou dans les revers du pantalon et la disparition instantanée dans la manche d’une cage à oiseaux pliante tenue à la main.

L’invisibilité obtenue par le masquage

Le masquage des manipulations ou des objets peut être réalisé par différents procédés, lesquels, soulignons-le, ont été largement employés en pseudo-médiumnisme. Souvent, c’est le corps de l’opérateur qui sert d’écran. En se retournant pour aller, par exemple, d’un spectateur à un autre, ou encore pour se rendre du public à sa table, l’illusionniste exécute généralement d’importantes manœuvres que nul mouvement des coudes ne doit trahir : prises d’objets, dépôts, échanges, etc. Le servant, auquel le public prête beaucoup moins d’attention, peut, plus facilement encore, réaliser ces manipulations, opérer, entre autres, l’échange d’un objet que l’opérateur lui a donné comme pour s’en débarrasser provisoirement et le redemander un instant après.

Dans cet ordre d’idées, les accessoires sont, en pseudo-médiumnisme, très souvent apportés par un compère (épouse, mari, impresario, etc.) qui les passe au médium au moment opportun, et, bien entendu, après le contrôle de celui-ci. C’est ainsi que Mme Craddock dissimulait sur elle tous les accessoires servant aux transformations de son mari. De même, Laslo employait souvent un compère qui introduisait sous la housse du fauteuil médiumnique différents objets : gaze, ouate, dessins, gants de caoutchouc, etc., qui servaient à produire des apparitions. D’ailleurs, Laslo utilisait, pour tromper, différentes méthodes qu’il variait suivant les détails de son programme. Il est, en effet, de bonne psychologie en illusionnisme ou en pseudo-médiumnité de produire des résultats analogues avec des moyens différents. Le spectateur ou l’expérimentateur se trouve alors dérouté. Ainsi, indépendamment du compère, le médium précité employait tantôt un doigt de caoutchouc rempli de gaze ou d’ouate et enfoncé si profondément dans le rectum qu’il échappait à l’examen anal ; tantôt, dans d’autres circonstances, il utilisait ses souliers, sa bouche, des chaises, les rideaux comme lieux de dissimulation, et, enfin, comble d’ironie, la poche des expérimentateurs. En ce cas, voici comment il opérait : il arrivait dans la salle de déshabillage avec son matériel ectoplasmique souvent constitué de moignons d’ouate enduits de graisse d’oie, et, pendant qu’il se dévêtait, il le déposait inostensiblement dans les poches des médecins qui l’examinaient nu. L’examen fini, il reprenait tranquillement ses accessoires et les cachait d’abord dans sa bouche puis dans les vêtements qu’on lui avait fait endosser et qui étaient fournis par les expérimentateurs. C’était là de l’excellente et audacieuse prestidigitation.

Précisément, les vêtements de l’illusionniste servent souvent de cachettes. Ainsi, les bocaux de verre avec poissons vivants qu’il fait apparaître à l’aide d’un châle sont appendus verticalement aux basques de son habit. Une membrane de caoutchouc, enlevée au moment opportun, empêche l’eau de tomber. Certains bocaux sont d’ailleurs hermétiquement clos et renferment souvent des poissons factices lesquels sont confondus avec les poissons vivants.

A l’encontre de ce qu’on croit habituellement, les manches sont peu utilisées. « Les prestidigitateurs sortent de leurs manches les montres et les cobayes qu’ils y tenaient cachés », affirme de bonne foi le Dr Toulouse. En désespoir de cause, les illusionnistes ont souvent pris le parti de retrousser les manchettes de la chemise sur la manche de leur habit relevée parfois jusqu’au coude, ce qui, par parenthèse, retire quelque élégance à la présentation. Néanmoins cette loyauté n’a en rien diminué la conviction des spectateurs et leur erreur reste toujours aussi vivace et répandue.

En revanche, le gilet peut cacher divers accessoires : boules de billards, pièces, foulards, etc., mais le mouvement de prise, à moins d’être masqué par le corps de l’opérateur ou par une table, doit être lent, progressif, discret et naturel. Moyennant quoi c’est une excellente cachette restée classique pour les boules de billard, malgré le long sac-réservoir, à orifice inférieur resserré par un caoutchouc et pendu sous le pan de l’habit, qui est très commode.

Le dos du servant peut, comme le gilet, cacher différents accessoires que le prestidigitateur saisira au moment opportun. Le même rôle est plus fréquemment rempli par des objets mobiliers garnis de poches et de tablettes sur la face la plus éloignée du public. C’est ainsi que le dossier des chaises, l’arrière de la table de manipulation supportent des « servantes », qui sont des pochettes remplies d’objets ou dans lesquelles, lorsqu’elles sont vides, l’opérateur abandonne inostensiblement boules, foulards et autres accessoires. On a construit de nombreux modèles amovibles de ces « servantes » : il y en a qui s’adaptent, non seulement aux meubles, mais aussi aux manchettes, au gilet, au tapis des guéridons, au chapeau, etc.

A un autre point de vue, le chapeau est d’un emploi particulièrement commode : il permet le tour classique de la pluie d’argent, où la même pièce sert continuellement grâce à l’empalmage rendu facile à l’intérieur du couvre-chef, le tour des boules changeant de couleur, celui des cartes passant de deux chapeaux dans un seul, etc.

Enfin, des foulards et des drapeaux déployés, des guirlandes de serpentins constituent un excellent écran permettant la mise en place d’objets divers et même de personnes ou d’animaux.

Autres procédés techniques.

L’illusionniste ne se contente pas de masquer certains détails de ses expériences par les procédés que nous venons d’examiner. Il fait aussi souvent appel, pour réaliser celles-ci, à des principes de physique, de mécanique, de chimie, de mathématiques et de physiologie.

Les glaces sont employées dans le « truc des spectres » où l’on voit sur scène des spectres évanescents recevoir, sans dommage, des coups d’épée et de poignard ; dans le « Cabinet du Néant », où un spectateur qui n’est pas un compère placé dans un cercueil disparaît progressivement à la vue du public et est graduellement remplacé par un squelette ; dans la « Métempsychose », où un buste de plâtre semble se métamorphoser en une ravissante créature ; dans le « Décapité parlant », où une tête humaine parle et vit en dépit de sa séparation apparente du reste du corps ; dans l’étonnante expérience de la « Boîte aux épées », dont voici l’effet : une femme introduit sa tête dans cette boîte, on ferme la porte de devant et on enfonce sur les côtés un certain nombre de poignards. On ouvre de nouveau la porte et la tête de la femme a disparu. On referme la porte, on retire les poignards et la dame a retrouvé sa tête.

L’électricité fait mouvoir certains robots ; elle est mise également à contribution dans l’expérience du poids qui augmente et devient insoulevable sous l’effet, semble-t-il, de la suggestion ; dans l’expérience de la « Main d’Ibycus », où une main de plâtre frappe mystérieusement sur une plaque de verre et annonce, à l’avance, les points que fourniront des dés projetés sur un plateau.

Des principes de mécanique sont aussi utilisés dans maintes expériences : dans le « Coffret insoulevable », qui, non seulement devient insoulevable selon la volonté de l’opérateur, mais qui entraîne le spectateur lorsque celui-ci tente de le soulever ; dans le « Cadenas mystérieux », qui s’ouvre au commandement ; dans la « Lévitation », où une jeune femme s’élève dans l’espace sous l’effet de « passes magnétiques » ; dans le truc de la « Corde hindoue », où l’on voit une corde s’élever apparemment d’elle-même, un enfant monter jusqu’à son sommet puis disparaître ; dans l’expérience de l’« Homme insoulevable », inaugurée pour la première fois par le petit boxeur Coulon, etc.

Parfois, le dispositif mécanique utilisé est d’une très grande simplicité et c’est peut-être pour cette raison qu’il passe inaperçu.

Tel est, par exemple, celui qui fut utilisé par le « magicien » S… à l’occasion du référendum du 8 janvier 1961, l’expérience, sur laquelle nous allons nous étendre, car elle vaut la peine d’être relatée, ayant eu lieu dans les salons de Radio et de Télé-Luxembourg.

Ce soi-disant métagnome, qui prétendait détenir d’extraordinaires secrets de géomancie, confia, la veille du référendum, à un huissier, et en présence de témoins, un coffret dans lequel il plaça, au vu de tous, un tube de verre qui renfermait un carré de papier. Il avait, dit-il, écrit à l’avance, sur le papier, les résultats du référendum. Cette petite scène, au cours de laquelle le coffret fut fermé à clef et dûment scellé, fut radiodiffusée et télévisée, mais, personnellement, je n’en avais pas eu connaissance. Le coffret fut placé dans un coffre-fort par l’huissier et la clef fut conservée par S…, ce qui était tout naturel.

Le lendemain du référendum, le coffret qui, à aucun moment ne fut touché par S…, fut ouvert par l’huissier. Il y trouva le tube d’où il retira le papier. Et les témoins ébahis constatèrent alors que les résultats exacts du référendum étaient inscrits sur le billet. Cette scène fut également radiodiffusée et télévisée.

Mais, heureusement, la Direction et certains collaborateurs de Radio-Télé-Luxembourg trouvèrent cette démonstration de métagnomie un peu trop étonnante pour être vraie. En outre, et ceci était pour le moins regrettable, des lettres d’auditeurs et de téléspectateurs commençaient à affluer à la station. La plupart des correspondants demandaient à S… de leur fournir le numéro gagnant du prochain tirage de la Loterie Nationale ou encore celui des prochains tiercés, car ils avaient cru comprendre, en écoutant le boniment du prétendu métagnome, que celui-ci était capable de faire ces prédictions. Comme les lettres renfermaient souvent un substantiel mandat ou un billet de banque, la Direction eut le sentiment que l’affaire s’engageait dans une voie fâcheuse qu’elle n’avait pas prévue.

C’est alors qu’elle me demanda de venir au micro de l’émission Dix millions d’Auditeurs ainsi que devant des caméras de télévision pour que j’explique, si ceci m’était possible, le mécanisme de la supercherie.

Je me fis alors raconter ce qui s’était passé, et, aussitôt après en avoir entendu le récit, je dis : « J’ai compris ».

On peut dire, en un mot, que la clef du mystère résidait dans la clef du coffret.

Cette clef, d’une grosseur anormale pour un petit coffret, renfermait en effet, selon son axe, un tube identique à celui qui était censé contenir les résultats du référendum. Grâce à un dispositif spécial, une sorte de déclic, la clef engagée dans la serrure abandonnait son tube dans le coffret. Bien entendu, les résultats du référendum, qui étaient alors connus, étaient consignés dans ce tube. Quant au premier tube, qui ne renfermait qu’un carré de papier blanc, il avait été escamoté par S… au moment de la fermeture du coffret, et, comme celui-ci était intérieurement capitonné, on ne pouvait se rendre compte de son absence en secouant le coffret. Ainsi, comble d’ironie, c’était l’huissier, chargé de contrôler l’expérience, qui, à son corps défendant, avait réalisé la supercherie.

Fait significatif : beaucoup de prestidigitateurs m’envoyèrent leurs félicitations pour avoir dévoilé le trucage.

Ainsi, André Mayette, directeur de la revue « Le Magicien », qui, à l’époque (1961), était la plus importante revue des prestidigitateurs amateurs et professionnels, m’écrivit (12 janvier 1961) :

« Cher Monsieur, Nous avons appris que vous avez, lors de l’émission Dix Millions d’Auditeurs, à Radio-Luxembourg, remis les choses au point concernant la « farce » de Monsieur S…

« Nous tenons à vous féliciter vivement sur cette initiative car il est nécessaire de combattre ces gens qui exploitent le public.

« J’aimerais, lors de votre prochain passage à notre Rédaction, vous entretenir à ce sujet, car nous serions très heureux si vous pouviez nous faire, pour le prochain numéro du Magicien, un article traitant cette question.

« Dans l’attente du plaisir de vous voir… etc. »

Après ce petit récit anecdotique, revenons à notre sujet principal.

La chimie est employée dans les expériences de changement de coloration des liquides ; dans celle du « Barman de Satan », où le prestidigitateur distribue aux spectateurs, tirés du même récipient, les liqueurs et les boissons de leur choix ; dans l’expérience de la boule chauffante, où l’élévation de température est produite par l’action de l’eau sur la chaux vive, etc.

Il n’est pas jusqu’aux mathématiques qui ne soient utilisées en illusionnisme, en particulier dans un grand nombre de tours de cartes, dans les extraordinaires exercices de calcul mental des pseudo « calculateurs-prodiges », dans l’expérience du Bottin ou du journal du jour « connus par cœur » et dans le truc des « Animaux calculateurs et pensants ».

Enfin, la physiologie fait les frais des pseudo-expériences d’hypnotisme et de catalepsie, ainsi que des expériences de « fakirisme » : la planche à clous, l’échelle de sabres, la pseudo-invisibilité, l’enterrement, la résistance aux flammes et aux brasiers ardents, l’incombustibilité, l’invulnérabilité aux liquides corrosifs, l’arrêt du pouls, etc. Nous reviendrons sur ces expériences dans un prochain article.

Remarquons au passage que certaines illusions de scène ne produisent pas toujours l’effet escompté parce que les spectateurs, sachant vaguement qu’elles résultent de dispositifs techniques, les suivent avec quelque indifférence en disant : « Peuh ! C’est un effet de glace. » Souvent, d’ailleurs, il n’y a pas de glace du tout, mais leur esprit est tranquille ; ils ne se sont pas laissés berner, car ils pensent avoir expliqué le tour. En revanche, pour certains spectateurs, quelques illusions de scène sont des phénomènes authentiquement paranormaux. Nous développerons ce point dans un article intitulé : « Occultisme et Spiritisme de Music-Hall ».

A propos de tous ces procédés techniques, notons que certains prestidigitateurs, qualifiés de « purs » en illusionnisme, estiment que le vrai prestidigitateur ne doit employer comme instruments que ses deux mains, « produit de quarante ans de travail », disait Hermann.

Sans le contredire, il faut toutefois reconnaître qu’un bon opérateur aurait tort de se passer systématiquement d’appareils lui permettant d’obtenir à coup sûr des résultats étonnants.

En tout cas, c’est-à-dire quels que soient les procédés employés, les véritables prestidigitateurs, qui présentent leurs expériences comme des tours d’illusionnisme et non comme des phénomènes paranormaux, ne nous trompent pas puisqu’ils nous annoncent précisément que leur métier est de nous tromper. Ce qui n’est pas le fait des pseudo-médiums et des faux fakirs qui, sous le couvert du paranormal, emploient les procédés et les « secrets » de ces agréables et fins artistes. Souvent, d’ailleurs, beaucoup moins bien.


[1] Jean Eugène Robert-Houdin (1805-1871), créateur de la prestidigitation moderne. Ce fils d’horloger marqua un intérêt très vif pour la mécanique, l’électricité et les techniques d’escamotage. Illusionniste célèbre, créateur d’automates ingénieux, Robert-Houdin fut, de son vivant, un personnage de légende.

[2] Dans notre ouvrage : Les Tours de Cartes à la portée de tous, nous décrivons sept procédés permettant de « forcer » facilement une carte faisant partie d’un jeu de cartes ordinaires. C’est également dans cet ouvrage, et sous le titre Un Tour merveilleux, que, pour la première fois, nous dévoilons un tour de cartes qui offre de profondes ressemblances avec les réelles expériences de télépathie ou de connaissance paranormale et qui peut être réalisé en salle ou par téléphone, le jeu de cartes n’appartenant pas à l’expérimentateur et n’étant, dans l’un ou l’autre cas, et en aucun moment, entre les mains de celui-ci.

[3] Harry Houdini (1874-1926) est peut-être le prestidigitateur le plus célèbre au monde. Grand admirateur du magicien français Robert-Houdin à qui il emprunta son nom, ce hongrois devait se tailler une solide réputation internationale. Doué de capacités physiques exceptionnelles, il est demeuré sans égal pour ses talents d’escapade, mais il était aussi un magicien complet. Le jour de sa mort (31 octobre) est célébré en Amérique comme la Journée Nationale de la Magie.

[4] Nous avons longuement décrit le jeu du bonneteau dans notre livre : Les Tours de cartes à la portée de tous.