Olivier Clouzot
Paramètres et lois de la protoanalyse

En prenant conscience de cette présence des fixations dans l’individu et dans l’espèce, nous pouvons à la fois élargir le champ de nos possibilités et acquérir plus de tolérance vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis des autres. En apprenant comment fonctionnent des fixations qui nous sont moins spontanément familières, nous voyons en effet s’élargir le clavier de réponses aux différentes situations de la vie – et nous pouvons jouer sur ce clavier. En identifiant chez les autres des comportements auxquels nous avons aussi recours, nous dédramatisons des relations humaines qui sont généralement pour nous la plus grande source d’angoisse et de souffrance. Cette dimension théâtrale de la vie quotidienne peut opérer des miracles : elle réintroduit le jeu et l’humour, ouvre des portes de tendresse et de compassion qui restaient blo­quées à cause de notre attitude conflictuelle et crispée par rapport à l’existence.

Olivier Clouzot a été un formateur de formateurs et un consultant en éducation qui a travaillé pour différentes institutions françaises et étrangères, et pour l’UNESCO. Il est l’auteur de « APPRENDRE AUTREMENT – clés pour le développement personnel » (écrit avec Annie Bloch – Livre de Poche, 2001), ouvrage fondamental sur les lois de l’apprentissage qui permet de découvrir que l’évolution des êtres humains dépend essentiellement de ce qu’ils apprennent. Après avoir traduit un ouvrage d’Oscar Ichazo sur les différentes manières dont nous raisonnons, il a appliqué ce modèle des « logiques humaines » à l’enseignement et à la formation dans ses livres « Former Autrement » (1990), « Animer Autrement » (1992), et « Éducation pour le 3e Millénaire » (1999), montrant comment chaque logique détermine un type particulier d’éducation.

Dans « ÉVEIL ET VERTICALITÉ », il développe une comparaison entre ces logiques et trois niveaux de conscience fondamentaux : le niveau de l’ego socioculturel, le niveau de l’ego individualiste, et le niveau de l’individu individualisé, qui correspondent à trois stades fondamentaux de la croissance humaine, avant le niveau transpersonnel qui en est l’aboutissement.
Son travail dans l’École Arica, une école pour la clarification de la conscience et la réalisation de soi fondée aux États-Unis par Oscar Ichazo en 1970, lui a permis de faire l’expérience de nouveaux outils objectifs de développement personnel et spirituel, qui ne dépendent pas de dogmes religieux ni de la nécessité d’avoir la foi en un « sauveur » ou un gourou, parce qu’ils s’appuient sur des expériences corporelles, émotionnelles et intellectuelles que l’on peut partager avec les autres personnes qui les utilisent : c’est ce qui fonde ce qu’il appelle « le principe d’égalité des apprenants » qui démontre comment chaque individu est responsable de sa propre évolution (Éveil et Verticalité, chapitre 5.4).
C’est sur ce principe qu’il a créé une formation composée de trois journées de séminaire et de trois consultations sur cassette, qui peuvent être réparties sur plusieurs mois ou sur un an : la FORMATION AU TRAVAIL DU 3e NIVEAU. Cette formation est rigoureusement structurée par des concepts holistiques qui sont étroitement reliés entre eux : – les 7 facteurs de l’apprentissage (motivation, plaisir, liberté, expérience vécue, rôle de l’information, rôle de l’autre et rôle du groupe), – les 4 plans fondamentaux de l’être, ou « royaumes » de la psyché humaine (physique, émotionnel, intellectuel, unité – composé lui-même des pôles spirituel et sexuel), – les 4 niveaux de conscience (voir ci-dessus) – les 3 logiques (logique formelle, dialectique, trialectique), – l’être essentiel (ou moi supérieur) et l’être existentiel (moi inférieur), – les 9 fixations de l’ego (ennéagramme de l’École Arica). Ces concepts sont explicités dans ses livres, en particulier « Éveil et Verticalité » et « Animer Autrement » (distribués par le Souffle d’Or), « Apprendre Autrement » (distribué par les Éditions d’Organisation, dans les FNAC en particulier), et son ouvrage : « Les 78 lames du Tarot, clés de conscience et de libération » terminé en octobre 2002, qu’il distribue lui-même pour le moment – voir son site « Tarot et Ennéagramme » qui montre que le Tarot qu’il utilise, le Rider Tarot d’Arthur Edward Waite, est bien plus qu’un ensemble de symboles psychologiques, mais une véritable cartographie du voyage intérieur, le voyage de l’Essence et de l’ego. (extrait du site Souffle D’Or)

(Revue Question De. No 49. Septembre-Octobre 1982)

La PROTOANALYSE est une technique d’in­terprétation du territoire psychique de l’être humain qui propose à la fois une structure générale de la psyché, la PSYCHÉ PROTO­TYPALE, et des instruments permettant à chacun de se situer dans cette structure. Avec la connaissance de la technique protoanaly­tique, il est possible d’identifier le type de relation que nous avons avec la vie, avec la société et avec nous-mêmes, de comprendre les mécanismes qui régissent ces relations, et de reconnaître comment des mécanismes identiques ou voisins fonctionnent chez les autres.

Comme beaucoup de théories le postulent, en parti­culier celles de Reich, Groddeck, Leboyer et Janov, les expériences de la naissance et des premiers mois de la vie ont profondément blessé notre conscience. Autour de cette blessure psychique mal cicatrisée, que certains considèrent comme une véritable « ma­ladie », notre organisme a construit un système de protection, un mécanisme de défense qui se carac­térise par des attitudes corporelles et des préoccu­pations mentales dont l’ensemble forme notre « structure égotique », ce que Reich appelle la « cui­rasse musculaire » et la « cuirasse caractérielle », qui conditionne de nombreux aspects de notre manière de penser, de sentir et d’agir. L’apport original et très opéra­toire de la théorie d’Arica concerne l’identification de 9 types de personnalités ou caractères qu’Oscar Ichazo a appelés les « FIXATIONS », parce qu’elles s’appliquent à des DOMAINES DE CONSCIENCE particuliers dans lesquels notre psyché est retenue prisonnière et qu’elles sont inscrites dans le visage et le corps humains.

Nous avons tous une fixation qui détermine une plus grande fragilité de l’un de nos systèmes corporels, condi­tionne certains de nos comportements, et qui peut être identifiée, moyennant un certain apprentissage, dans l’une des 9 parties suivantes de notre visage : les deux sourcils, les deux yeux, les deux narines, les deux côtés de la bouche et le menton.

On peut alors comprendre en quoi la théorie d’Arica est bien à la base d’une « science globale de l’être » qui réu­nit de façon cohérente des disciplines telles que l’anato­mie, la physiologie, la psychiatrie, la psychologie et la psycho-morphologie qui s’étaient jusqu’ici développées de manière indépendante et cloisonnée. On peut aussi imaginer comment l’approfondissement et la transmis­sion de cette science conduiront à des découvertes qui révolutionneront la médecine curative et préventive et permettront de résoudre plus rationnellement et plus économiquement les problèmes de santé qui nous assaillent et pour lesquels notre société moderne gas­pille, sans résultats très probants, de fabuleuses res­sources.

Le Raisonneur : mélancolie…

Mais voyons de plus près ce que la protoanalyse nous apporte. Si l’un des 9 caractères qu’elle décrit domine en chacun de nous, les huit autres n’en existent pas moins, et il est important de comprendre comment chacun d’eux se manifeste. Prenons l’exemple du « Raisonneur ».

Le Raisonneur, appelé aussi « le mélancolique », est fixé dans le domaine intellectuel. C’est un caractère structuré sur un dysfonctionnement de l’instinct de relation et des systèmes respiratoires et cardio-vasculaire auxquels cet instinct est lié. Il a été formé à partir d’une faiblesse du rôle éducatif du père, et c’est un ego très préoccupé par l’image qu’il donne, ce qui a sur l’ego historique et sur l’ego pratique de fâcheuses répercussions. Son mécanisme de défense est l’introjection, c’est-à-dire l’incorporation d’une personne aimée ou haïe dans le moi ou le surmoi. Cette introjection peut être celle de la mère ou celle du père, mais aussi parfois celle des deux parents, ce qui peut créer d’énormes dissensions internes lorsque le couple parental vivait dans la contradiction ou dans le conflit. Dans beaucoup de situations de la vie, il réagit avec le réflexe de l’envie qui, poussé à son point le plus extrême, débouche sur la passion de la convoitise. Dans l’ennéagramme du visage, c’est le pli qui part de la narine droite et qui est particulièrement marqué. Voici quel pourrait en être le « portrait-robot » :

« Le mélancolique est à la fois déprimé et dépressif. Il est intérieurement dans un état de souffrance perpétuelle, mais il ne sait pas de quoi il souffre. Il va superficielle­ment d’une chose à une autre, d’une personne à une autre, et cela le rend triste. Il n’accepte pas ce qui n’est pas authentique, et la première chose qu’il voit en lui est le manque d’authenticité. Il est toujours dans un état de manque. Il est en fait, mais sans le savoir, dans une sorte de position mystique, attendant inconsciemment l’Amant Divin, comme dans « Le Cantique des Cantiques ». Le soleil le réjouit et le mauvais temps le déprime.

… nostalgie, nostalgie

Il a une nostalgie du sein maternel. Son sevrage a du être pénible et douloureux, et c’est comme s’il avait besoin de reprendre les choses à zéro, de tout recom­mencer à partir de son point d’origine. Il est fasciné par le passé, aime à revivre le passé, même le passé doulou­reux dont il entretient comme à plaisir le souvenir. Dans l’énnéagramme du corps, ce sont les poumons, avec une prédisposition à l’asthme, à la tuberculose, au cancer.

Il peut avoir « une pierre à la place du cœur », ce qui l’empêche d’être vraiment spontané. Retenant souvent ses véritables sentiments qu’il finit par anesthésier et ignorer lui-même, il s’enferme dans des comportements souriants et polis qui sont à la source de son inauthenti­cité. Son souci principal étant de présenter une bonne image, il s’efforce de garder le contrôle de lui-même et des situations dans lesquelles il se trouve impliqué, et c’est dans son fonctionnement intellectuel qu’il va trou­ver la clé d’un tel contrôle. L’intellect lui permet en effet de tenir le monde à distance, y compris son monde inté­rieur, de le jauger, de l’évaluer, de ne pas se laisser em­porter par des sensations, des émotions dans lesquelles il pourrait se perdre.

Comme pour le Monsieur Teste de Valéry, « la bêtise n’est pas son fort » et il peut porter sur la vie, sur les autres et sur lui-même des jugements d’une remarquable lucidité et perspicacité. Mais les raisons et explications qu’il donne, les analyses qu’il fait, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, sont pour lui sans appel, rien ne lui est plus difficile que de les remettre en cause, et ses capa­cités intellectuelles se doublent d’un don redoutable pour l’argumentation et la polémique. Ainsi aurez-vous beau­coup de mal, si vous discutez avec un raisonneur, de lui prouver que vous avez raison, car c’est lui au contraire qui vous démontrera que vous avez tort. Les livres sont souvent pour lui des alliés naturels, surtout ceux qui démontent des mécanismes : romans policiers, écrits scientifiques, droit, psychologie, psychanalyse… Mais con­trairement à l’idéaliste, il n’a pas besoin de s’appuyer sur eux, car il a généralement confiance dans la force créa­trice de sa propre pensée.

Cette force intellectuelle, bien sûr, a son revers ; car les idées et les constructions de l’esprit ne sont pas la vie, même si elles la serrent de près. Ainsi arrive-t-il réguliè­rement que toutes ses belles raisons s’effondrant comme un château de cartes, le raisonneur se retrouve en face de son manque et de son vide fondamental qui le laissent alors complètement désemparé, désespéré, au bord du suicide. S’il ne passe pas à l’acte, c’est dans le sommeil qu’il trouvera l’occasion de lâcher prise et de laisser se reposer son mental épuisé. Au réveil, il trouvera de nouvelles raisons de vivre sans lesquelles il se sentirait complètement démuni… »

Si nous poursuivions la description des principaux traits de ce caractère, nous serions amenés à passer en revue ses comportements typiques dans les 9 domaines de conscience dont la théorie d’Arica propose, sous différents angles, l’étude systématique : la vie amoureuse – les rapports avec son propre corps, sa santé et les moyens matériels d’assurer sa sécurité et sa survie – les arts et la créativité – l’étude et la pensée – l’interaction avec les autres et l’amitié – le travail professionnel et les loisirs – la manière de vivre les rapports hiérarchiques et d’affirmer son propre pouvoir – les valeurs morales et l’éthique personnelle – la vision athée ou spirituelle du monde qui détermine nos rapports avec la religion ou la foi.

1. Le PERFECTIONNISTE, ou le « rancunier », présente la dicho­tomie rigide/hypersensible.
2. L’INDEPENDANT, ou le « courtisan », présente la dichotomie organisé/« bordélique ».
3. Le REALISATEUR, ou « l’artiste », présente la dichotomie hyperactif/hâbleur.
4. Le RAISONNEUR, ou le « mélancolique », présente la dicho­tomie analyste/« paumé ».
5. L’OBSERVATEUR, ou le « radin », présente la dichotomie sociable/asocial.
6. L’AVENTURIER, ou le « froussard », présente la dichotomie batailleur/« dégonflé ».
7. L’IDÉALISTE, ou le « planificateur », présente la dichotomie supérieur/inférieur.
8. Le JUSTICIER, ou le « prédateur », présente la dichotomie puritain/hédoniste.
9. Le NON-CONFORMISTE, ou « l’indolent », présente la dicho­tomie croyant/sceptique.

Chacune des 9 fixations est ainsi présentée dans les 9 di­mensions de la vie individuelle et de la vie sociale, ce qui fait en tout 81 paramètres qui ne sont pas des « idées pures » ou des concepts plaqués gratuitement sur l’être humain, mais qui décrivent au contraire avec pré­cision l’ensemble des comportements stéréotypés et des mécanismes selon lesquels fonctionne l’Ego. Si ces mécanismes sont structurés en 9 sous-ensembles, régis chacun par les manifestations des trois instincts dans les caté­gories de l’être, du paraître et du faire, c’est parce qu’ils sont ainsi plus facilement décelables et analysables. D’autres structurations, d’autres formes d’analyse psychologique ont déjà été proposées – comme les caractérologies de Jung, de Huysmans-Le Senne, de Louis Corman ou de Fred Weber – et il est vrai que chacune d’elles
fonctionne si l’on en maîtrise les variables ; mais chacun de ces systèmes est clos et il est difficile, voire impossible, d’en faire correspondre terme à terme les différents élé­ments. Tandis que le modèle de l’énnéagramme utilisé par Oscar est un modèle millénaire, découvert par de nombreuses traditions de l’Orient et de l’Occident (mais si puissant qu’il est longtemps resté secret [1]), qui permet d’établir des correspondances précises entre le corps, le psychisme et l’esprit. Il a en outre l’avantage de corres­pondre à 9 groupes de muscles faciaux qui peuvent fonc­tionner indépendamment, même si certains d’entre eux sont symétriques par rapport à l’axe du visage et tra­vaillent généralement deux à deux.

La nature bi-polaire des fixations

Les premiers traits du raisonneur que nous venons de décrire suscitent une autre remarque qui concerne la nature bi-polaire des fixations. On a vu en effet que le raisonneur est successivement imbu des explications qu’il donne et qu’il se donne, et désespéré de la sécheresse et de la rigidité de ces explications par rapport à la mou­vance et à la fluidité de la vie : il y a en lui un aspect de clarté, de lucidité et de précision et un aspect de complète désorientation, un « Monsieur JE-SAIS-TOUT » très sûr de lui et un « Monsieur Paumé » qui n’est plus sûr de rien. D’où sa mélancolie fondamentale et son flirt périodique avec la mort qui se traduit par une envie de tuer ou de se tuer.

Ainsi y a-t-il dans toute fixation un « Docteur Jekyll » et un « Mister Hyde » qui s’ignorent ou qui se narguent, mais qui tour à tour s’emparent de la psychée. C’est ce qu’Oscar appelle les dichotomies, et qui déterminent en réalité non pas un, mais deux caractères.

« Un caractère, dit Oscar, entretient une sorte de bavar­dage mental incessant. Quand nous nous trouvons d’un côté d’une dichotomie, le caractère qui correspond à l’autre côté est toujours en train de nous contredire avec son bavardage et de se manifester dans nos rêves ou à travers nos actes manqués. » (« The Human Process for Enlightenment and Freedom. »)

De la fixation à l’ouverture

Cette manière d’analyser notre dualité fondamentale n’est pas plus gratuite que la structure énnéagonale vue pré­cédemment : elle met aussi en lumière des mécanismes terriblement puissants qui agissent constamment à notre insu. Mais ces mécanismes sont beaucoup plus naturels qu’on ne le croit : ils correspondent en fait à cette réalité fondamentale et universelle de la complémentarité des contraires admirablement traduite dans les symboles, eux aussi millénaires, du Yin et du Yang. Et ce n’est qu’à cause de notre « rationalisme » étroit, qui confond sim­plisme et simplicité et qui « cherche toujours midi à qua­torze heures » comme le disait Gurdjieff, que nous ne savons pas voir, dans tous les phénomènes de la vie, cet admirable jeu des « éternels contraires » : le jour et la nuit, le conscient et l’inconscient, la vie et la mort, l’homme et la femme… Or ce jeu, nous le jouons aussi dans notre fixation, mais comme nous le jouons sans le reconnaître et sans l’accepter, c’est un jeu qui fait sou­vent des ravages. Lorsque nos goûts absolus et notre vision dualiste qui interprète tout en termes de bien et de mal sont érigés en dogmes, il devient en effet quasiment impossible de vivre les deux pôles de notre personnalité : l’un est défendu âprement et l’autre refoulé – ce qui peut alors transformer en armes meurtrières des « méca­nismes de défense » tels que l’introjection, la projection, la maladie psycho-somatique, la sublimation ou la pho­bie, qui n’étaient au départ construits que pour notre protection. Ainsi certaines personnes peuvent rester fixées toute leur vie dans le caractère du « patron » ou dans celui du « puritain » (qui correspondent à la première dichotomie des fixations de «l’Idéaliste » et du « Justi­cier ») et n’entrevoir en eux le caractère contraire du « subordonné » ou de « l’hédoniste » que sur le tard et le choc est alors si rude qu’elles peuvent en mourir.

C’est pourquoi Oscar insiste sur l’importance de recon­naître et de respecter les dichotomies qui existent en chaque fixation, de ne voir en elles que les deux faces naturelles d’une même entité : son côté diurne et son côté nocturne, ou mieux encore son inspir et son expir, car il s’agit bien en l’occurrence de mouvements, ana­logues aux mouvements respiratoires, qui permettent à la personne de changer, de se transformer. Par exemple… En acceptant les deux pôles opposés de son caractère (son besoin d’analyse et de polémique alternant avec sa tendance à la désorientation ou la superficialité), le Rai­sonneur entrera peu à peu en contact avec ses vraies motivations, il écoutera les mouvements de son cœur et développera dans sa vie et dans ses relations une attitude plus souple qui ne nuira en rien à son intelligence, mais qui lui permettra au contraire de voir le monde dans une meilleure perspective. »

On voit ici fonctionner une loi fondamentale de l’appren­tissage.

Mais à ce mouvement binaire se surajoute un mouvement ternaire qui rend chaque fixation plus riche et plus complexe. C’est que chacune d’elles est influencée par ses deux voisines sur l’énnéagramme. Ainsi le Raisonneur est influencé par le Réalisateur, qu’on appelle aussi « le Fortiche » ou « l’Artiste » car il est fixé dans le domaine de la créativité ; il est influencé également par l’Observa­teur, appelé aussi « le radin » car, toujours préoccupé à observer les jeux sociaux, il a beaucoup de mal à s’impli­quer lui-même dans ces jeux. Ces trois entités réunies en une personne fonctionnent trialectiquement.

« Le Raisonneur, écrit Ichazo, commence dans une position où il est efficace – le principe actif. Lorsque les choses commencent à mal tourner, il se met dans une position d’observation – le principe attractif. Tombant dans l’indécision la fonction – il se met à raisonner indéfiniment… » (« The Human Process for Enlightenment and Freedom. »)

Ne pas se renier, se trouver

Ce mécanisme assez subtil mériterait d’être explicité et illustré, mais il faudrait entrer dans des détails qui dé­passent le cadre de cet article. Il fallait au moins le signa­ler car il ferme la boucle et montre finalement combien les fixations sont étroitement limités dans un ensemble de conditionnements et de contraintes auxquelles il paraît bien difficile d’échapper. Pourtant elles ne sont pas nécessairement des prisons à vie, et il est possible de s’en dégager, non par une fuite ignorante et aveugle, mais-par une reconnaissance tranquille et raisonnée de leurs différents rouages.

On ne répare pas un moteur en lui donnant des coups de pieds. Or c’est souvent ainsi que nous nous comportons lorsque nous nous renions nous-mêmes parce que nous n’avons pas atteint les résultats escomptés. Les méca­nismes de notre ego sont assez grossiers, mais ils peuvent devenir plus subtils lorsque nous les reconnaissons et les acceptons pour ce qu’ils sont. Chaque fixation comporte son ouverture, qu’on appelle dans Arica sa « trappe » – mais ce n’est pas une trappe dans laquelle on tombe, c’est une trappe qui permet de s’échapper par le haut.

Par exemple…

« Le Raisonneur a un tel goût pour l’analyse, que cela pourra le conduire à comprendre les vraies lois du monde et à s’y conformer : les mécanismes de sa fixation seront alors transcendés. »

Ainsi, « transcender notre fixation », c’est aller au bout de ce que nous sommes, soit en utilisant ses mécanismes jusqu’à ce qu’ils s’usent ou que nous en soyons dégoû­tés, soit en les affinant de telle manière qu’ils ne soient plus des mécanismes mais des réponses vivantes aux questions posées par la vie.

Élargir le champ des possibles

Il y a d’autres moyens de transcendance dont le travail d’Arica fait faire l’expérience : ce sont les symboles des éléments et les images poétiques qu’ils évoquent, les cou­leurs, les « vertus », les « idées saintes », les « principes sacrés », les « énergies » qui servent de support à cer­taines méditations ou répétitions mantramiques, et qui peuvent être accompagnés de positions rituelles des bras et des mains appelés « mudras ». Ainsi…

« L’élément du Raisonneur est l’eau qui évoque « la flui­dité », « l’émotion » et « l’impulsion », sa couleur est le jaune, sa vertu « l’équanimité », son mantra « Origine Divine, son principe sacré « Égalité », son énergie la « motivation »… »

AUTRES ASPECTS DU « RAISONNEUR » :
Il est envieux de ce que les autres ont, lui n’ayant jamais assez par rapport à ses voisins. Le mariage est pour lui l’occasion de s’installer dans un confort bourgeois. Il a une personnalité très britannique, aimant les arts, la musique, appréciant ce qui est à la mode. C’est un snob, un élitiste, épris de bonnes manières, aimant s’entourer d’amis qui partagent sa compré­hension du monde, mais avec lesquels il aura tendance à entretenir des liens assez superficiels. Quand ça va bien, il peut être original et créatif — d’ailleurs, il est doué pour les arts, la musique, l’architecture. Mais il a besoin d’être stimulé. Quand ça va mal, la souffrance peut se lire sur son visage, et il sombre dans le défaitisme. Il sait apprécier la bonne cui­sine, ce qui compense sa difficulté à tirer parti du plaisir des sens — car il est rien moins que dyonisaque, refusant ce qui est bon pour lui, étouffant sa libido, se créant des limites pour ne pas avoir à demander ce dont il a envie. Keats et Chopin étaient des mélancoliques.

Fréquemment, c’est un athée qui a du mal à croire en Dieu parce que ce n’est pas assez rationnel pour lui, mais surtout parce que reconnaître l’existence de Dieu serait pour lui reconnaître son propre vide. Possibilité de conversion sur le tard.

Il a une forte cuirasse musculaire, mais lorsqu’il commencera à travailler sur son corps, il deviendra un travailleur acharné. Mathias Alexander avait ce caractère : il a créé la méthode qui porte son nom après s’être guéri lui-même. Goethe aussi était un raisonneur qui est allé très loin dans la compréhension des lois de la vie. Idem pour Alan Watts, très analytique, mali­cieux, religieux et cérémonial, très porté sur la bonne cuisine.

La culture japonaise, la cérémonie du thé, le Zen sont implantés dans ce caractère. Le Zen est le retour à l’esprit originel : le vide, le non-mental.

Notes prises au cours d’exposés faits par Oscar Ichazo sur le caractère du raisonneur-mélancolique.

Tous ces concepts sont des catalyseurs de la psyché qui permettent de l’ouvrir à des dimensions nouvelles, mais ils apaisent également le corps. Imaginer qu’on absorbe la couleur jaune calme effectivement la respiration, s’asseoir et méditer dans la position de l’équanimité per­met de se concentrer sur les battements du cœur et suscite peu à peu une relation plus harmonieuse avec l’environnement. Tout cela est bien connu par ceux qui font du yoga.

Nos relations peuvent encore s’améliorer lorsque nous constatons que si une fixation domine en nous avec la complicité de ses deux fixations voisines, chacune étant elle aussi reliée à celle qui la précède et à celle qui la suit, tous les mécanismes des 9 fixations existent finalement en chacun de nous. Ainsi y a-t-il dans le raisonneur, un observateur et un réalisateur, un aventurier et un indé­pendant, un idéaliste et un perfectionniste, un justicier et un non-conformiste qui sommeillent.

En prenant conscience de cette présence des fixations dans l’individu et dans l’espèce, nous pouvons à la fois élargir le champ de nos possibilités et acquérir plus de tolérance vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis des autres. En apprenant comment fonctionnent des fixations qui nous sont moins spontanément familières, nous voyons en effet s’élargir le clavier de réponses aux différentes situations de la vie – et nous pouvons jouer sur ce clavier. En identifiant chez les autres des comportements auxquels nous avons aussi recours, nous dédramatisons des relations humaines qui sont généralement pour nous la plus grande source d’angoisse et de souffrance. Cette dimension théâtrale de la vie quotidienne peut opérer des miracles : elle réintroduit le jeu et l’humour, ouvre des portes de tendresse et de compassion qui restaient blo­quées à cause de notre attitude conflictuelle et crispée par rapport à l’existence.

Vers un métalangage

Le monde alors se dévoile progressivement et le rideau se lève sur ce Grand Théâtre qu’il a toujours été. La littérature, le cinéma, la télévision, la presse, la politique nous présentent chaque jour des personnages dont les traits physiques et psychologiques évoquent, en pleins ou en creux, des traits que nous reconnaissons aussi en nous-mêmes. Et les entreprises, les groupes sociaux, les États eux-mêmes, avec leurs clivages et leurs dichotomies, se mettent soudain à représenter sous nos yeux étonnés telle ou telle fixation dont les mécanismes sont devenus pour nous particulièrement lisibles lorsque nous les avons identifiés dans notre propre fonctionnement psychique. Il n’y aurait pas nécessairement beaucoup à changer dans nos jeux relationnels et dans nos jeux sociaux si nous étions conscients des lois auxquelles ils obéissent. Il est normal qu’il y ait en nous et entre nous des tirages, car la vie n’est pas une montée douce et paresseuse vers un bonheur facile et confortable – elle procède par sauts, comme la théorie des quantas et la trialectique nous l’en­seignent. Mais il n’est pas obligatoire que nous vivions nos tensions et nos frictions jusqu’à ce que la corde casse. La protoanalyse présente un ensemble de para­mètres parmi lesquels on peut identifier des liens qui relient entre elles différentes parties de nous-mêmes, des liens qui nous relient aux autres, des liens qui nous relient à la société et à la nature. Au lieu de rester empê­trés dans ces liens et de nous ligoter plus étroitement encore en nous débattant désespérément comme un ani­mal captif, nous aurions avantage à reconnaître leur fonction exacte ; car ces liens sont aussi des lignes de force dont nous pouvons nous servir pour notre crois­sance.

En voyant comment fonctionnent en nous les différentes entités qui se partagent notre territoire psychique, nous comprenons que celui-ci n’est ni monstrueux ni déme­suré, mais qu’il a des limites à l’intérieur desquelles il est toujours possible d’exercer une observation et un contrôle. Lorsque cette observation se développe, c’est le signe d’une présence intérieure que les traditions orientales appellent « le témoin permanent et parfait », et qui n’est autre que notre Conscience.

Une science n’existe qu’à partir du moment où on a pu isoler des paramètres, énoncer des lois faisant intervenir ces paramètres, et faire des mesures permettant de véri­fier ces lois. Avec la Protoanalyse, c’est donc bien une science de l’être humain, une « science de la conscience », qu’Arica nous propose. Cette science nous permet de rassembler des théories physiologiques, des théories psy­chologiques et des visions mystiques qui s’ignoraient ou se combattaient parce qu’il n’existait pas de méta-langage capable de les réunir et d’en rendre compte d’une manière cohérente. En formulant un tel méta-langage, Oscar Ichazo nous a offert des outils conceptuels particulière­ment efficaces pour accélérer notre évolution vers notre véritable maturité humaine.


[1] Voir ce qu’en dit Oscar dans « Je suis la Racine d’une Nouvelle Tradition », page 21. Voir aussi Ouspensky : « Fragments d’un Enseignement Inconnu », pages 413-414.