Éric Marié
Tradition ésotérique et voie initiatique

(Revue Le chant de la licorne. No 17. 1987) Les termes «tradition » et «initiation » sont fréquemment employés dans les différents aspects de la recherche spirituelle. On peut cependant observer que ces concepts comportent de multiples facettes et induisent différentes représentations. Ce texte, tiré d’une conférence propose, à partir de données traditionnelles, une clarification […]

(Revue Le chant de la licorne. No 17. 1987)

Les termes «tradition » et «initiation » sont fréquemment employés dans les différents aspects de la recherche spirituelle. On peut cependant observer que ces concepts comportent de multiples facettes et induisent différentes représentations. Ce texte, tiré d’une conférence propose, à partir de données traditionnelles, une clarification de l’approche de ces réalités.

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L’apprentissage de la Sagesse n’est pas une voie ordinaire. Il implique, de la part de celui qui aspire à la Connaissance, une grande discipline intérieure et la dissolution progressive des voiles qui altèrent la conscience. Cette évolution peut être facilitée par une démarche stratégique juste.

Nous ne pouvons pas, en effet, discerner ce qui est vrai de ce qui est faux, tant que nous n’avons pas réalisé quelle était la véritable nature de notre Esprit, notre perception du monde et de nous-mêmes étant teintée d’une très grande subjectivité. Comment alors distinguer l’illusion de la réalité, au-delà de l’empirisme de nos sens, de nos émotions, de notre raisonnement

NOTION DE TRADITION

Une méthode consiste à utiliser une référence suffisamment stable, un point d’appui universel, immuable dans ses fondements, tout en étant fluide et adaptable à chacun, comme à chaque circonstance : C’est ce que nous appelons « se référer à la Tradition ».

La Tradition, dans chaque discipline, dans chaque courant spirituel, est l’ensemble des expressions de la pensée et de la vie apparues depuis le début de cette représentation du monde. Ces valeurs sont généralement rassemblées dans un système cohérent à tous les niveaux (doctrine, éthique, cosmologie…). Deux paramètres doivent être immédiatement définis lorsqu’on parle de Tradition : le premier est le caractère plus ou moins ésotérique ou exotérique de la connaissance, le second, le mode de transmission de cette connaissance.

LES DIFFÉRENTS ASPECTS DE LA CONNAISSANCE

Une connaissance, quelle qu’elle soit, est susceptible d’être schématisée sous la forme d’un triangle. Ainsi, différents aspects du savoir seront représentés par une « pyramide » à multiples faces.

Qu’il s’agisse de médecine, d’astrologie, d’art, de philosophie, de religion, de sciences ou de techniques, ces différents degrés de connaissance se superposent, d’une manière plus ou moins apparente, sur quatre plans :

– Extérieur

– Intérieur

– Secret

– Profond ou ultime.

Par exemple, en Astrologie, nous allons observer le déroulement de ces quatre plans.

1) Le plan extérieur sera l’Astronomie, c’est-à-dire la science qui permet de déterminer la position des différents corps célestes, de comprendre et de prévoir leurs mouvements. La partie extérieure de l’Astrologie sera donc la science des proportions, des nombres et des symboles appliqués au Macrocosme. C’est à partir de cet élément extérieur qu’il est possible de reproduire d’une manière schématique une situation macrocosmique dans une représentation comme une carte du ciel.

2) La partie intérieure de l’Astrologie est la science des analogies et des signatures, grâce à laquelle est mise en relation une partie ou une autre du Macrocosme avec ses correspondances dans le corps de l’Homme ou de n’importe quel élément de la nature.

3) La partie secrète consiste à observer, à appréhender, à établir une investigation sur les raisons profondes de cette analogie. Il ne s’agit plus seulement d’un stade de constatation, mais d’une véritable pénétration dans l’essence des lois astrologiques. Il est ainsi possible, non seulement d’observer les formes extérieures du Macrocosme et du Microcosme, mais également de visualiser leurs archétypes, c’est-à-dire les énergies primordiales qui sont mises en mouvement.

4) La partie profonde que l’on appellera aussi partie absolue, consiste à réaliser d’une manière complète le fait que, fondamentalement, les objets n’ont pas d’apparence extérieure, ou pour le moins que cette apparence n’a pas de réalité profonde. On découvre ainsi que le monde des perceptions est un monde en perpétuel changement dans lequel l’Esprit ne peut pas s’investir, que, profondément, toutes choses sont identiques et confondues dans leur non-existence universelle. Cette dernière partie permet d’atteindre la réalisation ultime de la véritable nature de l’Esprit et par là même, la plus grande liberté de conscience possible.

Ainsi, à la base, les connaissances des différentes disciplines n’ont aucune relation entre elles. Celui qui aborde un domaine médical d’un point de vue extérieur devra, s’il en aborde un autre au même niveau, refaire tout son cursus de formation. De même, celui qui apprendra astrologie et musique d’un point de vue extérieur devra développer ces connaissances complètement dans leur aspect formel, sans percevoir de relation apparente entre les deux disciplines. Comme dans le cas d’une pyramide, le niveau extérieur étant à la base, le chemin à parcourir pour aller d’une face à l’autre est le plus long. Au niveau intérieur, on admet qu’il existe une analogie entre les différentes disciplines, mais on ne comprend pas cette analogie. Au niveau secret, on comprend la véritable nature de cette analogie, c’est-à-dire qu’elles permettent de l’appliquer.

Au niveau profond, on comprend que ces disciplines sont non seulement très proches, mais globalement confondues. Ce niveau se situe évidemment à la pointe de la pyramide. Au niveau extérieur, la compétence ne couvre que le domaine étudié ; au niveau profond, toutes les connaissances se rejoignent en une conscience claire de tous les aspects du savoir. Ainsi, selon le type de public, les objectifs et les contingences, l’enseignement se polarise sur un niveau extérieur, intérieur, secret ou profond.

MODES DE TRANSMISSION DE LA CONNAISSANCE :

Habituellement, le terme de Tradition est lié à la notion de transmission ininterrompue de la connaissance. En fait, le problème revient à savoir comment la lumière naturelle, d’essence divine, a pu pénétrer la conscience de l’homme.

Paracelse affirme à ce sujet que L’homme est complet en ce qui concerne l’Esprit, puisqu’il est une émanation divine, mais pas du point de vue des arts, des techniques, de l’apprentissage. L’homme a donc une conscience divine, profondément enfouie en lui, et il véhicule une certaine lumière naturelle, essentielle, mais qui, pour être mise en évidence, nécessitera le développement d’une stratégie, passant par un enseignement, une technique, une Tradition… L’homme est ainsi, à la fois parfait et perfectible. La perfection n’est-elle pas, finalement, une perfectibilité permanente ? L’Esprit humain est parfait de par sa propre perfectibilité. Perfection et perfectibilité sont la nature même de l’évolution humaine.

La Tradition se base sur ces points, afin de mettre en place les stratégies initiatiques qui vont aider l’individu et réaliser la véritable nature de son Esprit.

On distingue généralement deux modes essentiels de transmission de la connaissance : la transmission orale et la transmission écrite.

La transmission orale se propage de bouche de Maître à oreille de disciple et doit être ininterrompue. Il est nécessaire que le Maître ait atteint une certaine maturité, un certain éveil dans sa pratique, pour la transmettre à son disciple qui lui-même la travaillera, avant de la transmettre à son tour… Toutes les grandes traditions orales, en Orient comme en Occident, sont ininterrompues (grandes lignées du Bouddhisme tibétain, transmission de la grâce Christique par les apôtres puis d’évêques à évêque dans l’église chrétienne, de druide en druide dans la tradition celte…).

La transmission écrite fait intervenir l’existence d’un texte et la maîtrise de ses différents niveaux de lecture. Ce texte peut être facile à se procurer mais difficile à interpréter, comme par exemple certains traités d’alchimie ou même la Bible dans ses sens subtils. Il existe des écrits cachés, non manifestés, comme les Termas de la tradition tibétaine, trésors d’enseignements découverts physiquement ou directement tirés du monde de l’Esprit par des Êtres particuliers, possédant de grandes facultés de perception et un certain degré de réalisation.

La distinction entre tradition orale et transmission écrite est en fait assez formelle, car, dans la pratique, il est difficile d’interpréter un texte si l’on n’a pas reçu un enseignement oral, et inversement, l’enseignement oral se base souvent sur la compréhension de certains textes.

Dans son traité De caducis Liber I (3ème paragraphe), Paracelse distingue même sept modes de transmission de la Connaissance, son propos concernant plus particulièrement la Médecine Hermétique.

1) Transmission par des créatures spirituelles : « La première voie est la voie ordinaire dans les arcanes sont le témoin : ce sont des créatures spirituelles, vraisemblablement les anges qui en ont été les précepteurs. Or, leur enseignement s’est fait comme l’enseignement du Maître qui enseigne à son élève ce qu’il sait déjà ; ainsi s’est accomplie la révélation à de multiples occasions et en cas de nécessité. »

Le premier mode de transmission passe par des créatures spirituelles. Ainsi, les anges ont pu apparaître à un moment donné, à un être prédestiné ou ayant atteint un certain degré de développement, et lui transmettre un enseignement comme un Maître l’aurait fait à un disciple. Ces anges, par essence confondus avec le sein de la divinité, ne sont pas soumis au risque de l’erreur comme c’est le cas pour un être humain. Dans d’autres civilisations également, des enseignements ont été transmis par des émanations de divinités apparues à des Êtres prêts à recevoir la Connaissance.

2) Transmission d’homme à homme : « Un homme a souvent — c’est la deuxième voie — donné à son prochain un conseil utile. Le premier homme n’a pas suivi ce conseil, la lumière naturelle a été favorable au second, et ce qui en a jailli s’est tourné vers le bien ou vers le mal, car Léviathan, autant qu’il l’a pu, s’est empressé d’y mêler l’erreur. »

Le deuxième mode de transmission se fait d’homme à homme, par la parole. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire qu’elle s’effectue d’un homme qui sait à un homme qui ne sait pas. Celui qui sait peut, en effet, rechercher une information découverte par quelqu’un qui ne sait pas… qu’il sait, et qui la lui transmettra.

3) Découverte par une expérience ou une circonstance ponctuelle : « Le troisième moyen dans l’acquisition des arts a été une expérience due au hasard : l’on a utilisé une découverte faite sur un ouï-dire, le résultat en a été favorable. L’auteur en est donc la lumière naturelle que méprise souvent le malade, et qu’il, juge inutile. C’est un enseignement donné par la lumière naturelle. »

Certaines expériences, certains événements jouent un rôle de catalyseur essentiel dans une prise de conscience ou la compréhension d’un phénomène de la nature. Ce peut être uniquement l’effet de la lumière naturelle, mais certains Maîtres sont parfois à l’origine d’une circonstance induisant une prise de conscience, sans que le disciple en soit averti.

4) Transmission par un procédé magique : « La quatrième méthode de bien des magiciens qui pratiquent la nigromancie, la nécromancie, la pyromancie, la géomancie et l’hydromancie. Je ne parle pas de la pyromancie ni de la géomancie astrales, mais seulement de ceux qui se servent de sortilèges. Tous ceux-ci ont, grâce à leurs baguettes de coudrier et grâce à d’autres instruments semblables, découvert bien des arts. L’auteur n’est pas, comme ils l’ont pensé, la force de leur art, mais la lumière naturelle qui s’est révélée de façon ambiguë par la force de leur désir : car la lumière naturelle joue ainsi avec l’homme. Bien des hommes vicieux ont semblé découvrir encore ces arts par leur propre pouvoir, il n’en est pourtant rien : il faut, pour atteindre cet art, une grande foi en la lumière et un désir de feu. Beaucoup de ces connaissances sont devenues des arts magiques. « 

La magie doit être entendue ici comme l’ensemble des procédés permettant la maîtrise des lois non expliquées par la science du moment. Paracelse précise que cette transmission est susceptible d’être altérée, ambiguë, car fortement imprégnée du désir de pouvoir des différents êtres qui l’ont révélée, et il demeure prudent quant à ce mode de transmission.

5) Transmission par un mode d’accès symbolique : « La chiromancie, la science des mains, celle des herbes et celle du bois forment le cinquième moyen de découvrir bien des arts et d’instruire les hommes. Ce n’est pas sans raison que les Anciens ont pratiqué cette science avec application. Nous ne l’utilisons plus que pour les prédictions ; elle a servi aux Anciens à découvrir les arts. Je ne veux pas renier la chiromancie et je veux qu’elle continue à être une source pour les arts. »

Oracles, Yi-king, tarots, font partie de ce mode de transmission. Ces systèmes donnent accès à une connaissance assez générale sur un sujet. Comme Paracelse le soulignait déjà à son époque, ces procédés sont essentiellement utilisés à titres d’augures, pour connaître l’avenir. Mais il est probable qu’initialement, les êtres qui ont mis en place ces méthodes ne s’en servaient pas uniquement dans cette intention, mais aussi pour avoir une connaissance précise, une compréhension claire des phénomènes qui les entouraient comme de leur propre nature. Actuellement il advient. que l’on utilise le Yi-King en médecine, afin de mieux pénétrer certains phénomènes énergétiques.

6) Transmission par la loi de similitude entre la forme et l’essence : « Sixièmement, la physiognomonie a révélé de nombreux arts et elle découvre les essences intérieures cachées. Il n’existe pas seulement une physiognomonie des hommes, mais aussi des différentes choses qui croissent ; elle révèle l’intérieur à partir de l’extérieur. Ainsi ont été découverts presque tous les secrets d’Archelaus. »

Il existe normalement une certaine relation, parfois évidente, parfois subtile, entre l’apparence extérieure des objets qui nous entourent et leur essence intime. Ainsi, selon la forme du corps, on pourra déterminer l’état énergétique ou psychologique d’une personne (morphopsychologie, physiognomonie). L’utilisation de la relation entre contenant et contenu est également un mode de transmission de la connaissance. Un Maître pourra transmettre à son disciple des éléments dont ce dernier ne voit que la forme extérieure, mais qui vont pourtant, aider à comprendre l’essence intérieure des choses. Ainsi est-il possible de voir un sabre comme un objet servant à couper et à tuer. Mais on peut aussi considérer ce sabre comme un objet servant à séparer les ténèbres de l’ignorance et la lumière de l’Esprit. On établit alors une relation entre le tranchant du sabre et un esprit affûté. Un des sens du symbolisme de l’épée sera le discernement.

7) Analogie et signature : « La septième méthode est le méthode de la forme : Comparons les formes entre elles, symbole à symbole, cancer à cancer, forme à forme, serpentine et venin, etc. »

Le septième mode de transmission est basé sur la loi d’analogie qui a donné naissance aux doctrines des signatures. Selon cette loi, on établit, par exemple, qu’un objet quelconque, une plante, uni minéral, un animal, qui possède dans son anatomie ou sa physiologie un point commun avec un organe du corps humain, est utilisable pour soigner cet organe.

Beaucoup ont travaillé sur la science des signatures au niveau des apparences (la pulmonaire est ainsi nommée en raison de son aspect qui évoque les poumons). Mais il existe un autre niveau de cette science, basé sur les relations intérieures, secrètes, profondes. La science des signatures n’est pas seulement « forme pour forme ». Elle est également « énergie pour énergie » et « essence pour essence ».

LA VOIE INITIATIQUE

Pour que la Tradition soit véhiculée, il ne suffit pas qu’elle soit transmise. Il faut également qu’elle soit révélée en permanence. On ne maîtrise pas une Tradition si l’on en a seulement reçu tous les enseignements théoriques.

Il faut que ces enseignements soient développés, épanouis dans l’Esprit avec une telle précision que, même si l’on perd la mémoire ou les documents les concernant, on soit capable de les redécouvrir et de les enseigner selon les besoins de l’Époque et des personnes que l’on rencontre.

La Tradition ne relève donc pas seulement du passé. Elle est l’expression de la Vie et non celle du dogme. Elle parle à travers l’individu. L’Esprit traditionnel caractérise celui qui a acquis les modes de transmission en même temps que la connaissance et qui en maîtrise complètement les lois. Ainsi Myamoto Musashi [1] qui, ayant maîtrisé l’art de la guerre, ne rencontre pas de réelles difficultés lorsqu’il se trouve confronté à des situations diverses (aider économiquement un village, organiser les cultures, faire de la musique ou de la poésie…) aussi éloignées soient-elles du cadre de sa technique. Il est capable de faire jaillir la lumière naturelle dans son esprit et de transmettre cette lumière, d’une manière ou bien d’une autre, selon les nécessités.

Chacun de nous, dans la lumière de l’Esprit, est omniscient. La connaissance est assombrie par différents voiles, émotions, dogmes… Il faudra faire jaillir la lumière naturelle par un processus passant par une purification, une transformation profonde de l’Être. C’est le but de l’initiation.

LES DIFFÉRENTES VOIES INITIATIQUES

On peut distinguer, dans les différentes civilisations, plusieurs voies initiatiques ou stratégies d’éveil qu’il est possible de regrouper en trois catégories en relation avec les trois principaux modes de l’activité humaine :

– Ceux qui s’investissent dans le travail.

– Ceux qui s’investissent dans le combat.

– Ceux qui s’investissent dans les activités mentales et spirituelles.

A chacune de ces voies est adapté un système initiatique.

1) Le compagnonnage, voie du métier

Pour ceux qui travaillent fut créé le compagnonnage, qui permet la sanctification de l’ouvrier par le travail, et la sanctification du monde par le travail. Le métier devient ainsi un mode de consécration. Pour permettre cette stratégie d’éveil, le compagnonnage utilise des concepts particuliers, parmi lesquels la notion de devoir, qui doit surpasser celle du droit. Il n’y a pas de liberté hors du sens du devoir. L’Homme moderne, a tendance à être trop préoccupé par ses droits aliéné par la peur de les perdre ou de voir ses semblables plus favorisés que lui. Une attitude de vigilance par rapport à la préservation de ses droits est nécessaire pour le maintien de son intégrité, mais si cette préoccupation est développée au détriment du sens du devoir, le travailleur perd sa dignité. En effet, la voie initiatique impose de se prendre en charge, d’être capable de maîtriser suffisamment les paramètres extérieurs pour les contrôler et de s’orienter d’une manière ferme à travers eux. Le devoir agit pour cela sur un plan particulier de l’esprit : la Conscience.

2) La chevalerie, voie du guerrier

Pour les guerriers, fut crée la chevalerie. A travers ses codes d’honneur, dans toutes les civilisations, la chevalerie permet d’accéder à une perception transcendante de la notion de combat. Alors que le compagnonnage conduit à la sanctification par le travail, la chevalerie entraîne à l’élaboration d’une stratégie pure, vouée à un idéal noble. On ne parle plus ici de devoir mais d’impeccabilité. La transformation essentielle ne s’effectue plus au travers de la Conscience mais au travers du Pouvoir. Ce concept est subtil, et sans rapport avec l’instinct de domination qui s’exprime communément dans la politique, l’économie et la société en général.

A un niveau profond, ce Pouvoir s’exprime sur nous-même (émotions, pensées, actes,…). Bouddha est ainsi appelé Vainqueur (des émotions perturbatrices). Notre énergie de conquête s’orientera vers les différentes terres qui nous habitent (ou plutôt que nous habitons) aux différents niveaux de notre personnalité.

3) La voie de la connaissance

La stratégie de l’Homme de Connaissance est complexe, terriblement difficile à maîtriser, qu’elle passe par la sacerdoce, la magie ou la méditation… Il est difficile d’en cerner les différents aspects. L’objectif est la maîtrise de l’ensemble des forces célestes et terrestres. Ce qui passe par le devoir pour le compagnon et l’impeccabilité pour le chevalier s’exprimera alors en sagesse et vacuité. La manifestation de ces qualités est l’Amour, qui relie Conscience et Pouvoir.

L’HOMME ENTRE LE CIEL ET LA TERRE

Un travail initiatique ne peut se dérouler ni dans un espace profane, ni dans une période inadaptée. Cela signifie qu’il est nécessaire de réunir au moins trois éléments afin que s’effectue un processus de transformation ésotérique :

1) Un moment parfaitement adapté. L’étude de l’Astrologie et de la science des rythmes rendent possible la détermination de cet instant privilégié. Ainsi, la période de la nouvelle lune est considérée comme une période adaptée à l’initiation dans beaucoup d’Écoles de Mystères. Ce paramètre temporel est en rapport avec l’élément CIEL.

2) Un lieu parfaitement adapté. L’Étude de la Géographie sacrée, de l’Architecture ésotérique et des lois de l’orientation sont utiles pour le choix de cet endroit privilégié. Ainsi, certaines pratiques se déroulent sur des emplacements mégalithiques, comme c’est le cas dans la tradition celte, d’autres nécessitent la présence d’une cascade comme dans les exercices Shugendo, d’autres encore sont favorisés par la présence d’un cimetière, comme le rituel du Tcheu dans le bouddhisme tantrique tibétain. Ce paramètre spatial est en relation avec l’élément TERRE.

3) Un individu parfaitement prêt. La sagesse du Maître chargé de l’initiation, les précautions du groupe lorsqu’il existe, la prise en main du postulant par son parrain, la discipline imposée et la réalisation des étapes préliminaires permettent de vérifier si le néophyte est mûr. Certains ont besoin de telle préparation ou de telles épreuves, d’autres d’exercices spécifiques, chacun selon sa nature. Ce paramètre individuel est en relation avec l’élément HOMME.

Le Ciel s’exprime à travers le Temps ; son symbole est le cercle, qui se dessine avec le compas. La Terre correspond à l’Espace, symbolisé par le carré, tracé avec l’équerre. On retrouve le compas et l’équerre dans toutes les traditions (taoïsme, compagnonnage, maçonnerie…) De cela on peut déduire que l’initiation doit se faire en un temps juste et en un espace juste.

La sacralisation du temps et de l’espace

Le maître est capable de communiquer avec le Temps et avec l’Espace. Il les contrôle au point de pouvoir les sacraliser. Sa force de consécration est l’expression de son pouvoir, sa connaissance du moment l’expression de sa conscience. La fusion de ces deux forces, produisant le processus initiatique, est l’expression de son amour.

Pour qu’il y ait initiation, il faut donc un moment adapté, un endroit adapté et un individu adapté. Lieu et moment sont les paramètres extérieurs. Les paramètres intérieurs sont liés à l’individu, qui passera de profane à initié et sera alors capable, peut-être, de réaliser, à travers le temps et l’espace, certaines prises de conscience. Pour effectuer cette transition, le rôle du maître est fondamental.

Maître et disciple

Examinons les situations respectives du Maître et du disciple, telles que les définit Idries Shah dans son enseignement du soufisme [2] : « Le maître, pour l’élève, c’est quelqu’un qui a une certaine quantité de quelque chose et lui en donnera une part ou quelqu’un qui sait comment atteindre quelque chose. L’élève, pour le maître, c’est quelqu’un qui a les conditions requises pour acquérir une part de quelque chose. Autrement dit, il le tient pour capable d’atteindre quelque chose.

Les deux attitudes sont en corrélation.

Le problème qui se pose au maître est toutefois plus difficile que celui qui se pose à l’élève. Une des raisons en est que l’élève est impatient d’apprendre mais voit rarement qu’il peut apprendre seulement quand sont réunies les conditions qui rendent l’apprentissage possible. »

Un Maître peut être un être ayant atteint un certain degré de sagesse et dont l’image extérieure correspond à cet état. Mais il peut également être poète ou artiste, par exemple, voire prendre une apparence dénuée de tout signe extérieur de maîtrise. Car ce n’est pas selon le regard extérieur que le Maître et le disciple se rencontrent.

Le cheminement de l’aspirant

Souvent, l’étudiant est poussé vers une certaine recherche par sa « faim de l’âme ». Intellectuellement, émotivement, en effectuant cette recherche, il développe progressivement des qualités et est amené à affiner ses capacités d’action et de perception.

A un moment donné, il prend conscience de l’absolue nécessité de découvrir la lumière. Il se rend compte qu’il n’y a pas d’autre moyen possible — quels que soient le temps à consacrer, les efforts à fournir — que de sortir de la souffrance et de réaliser la véritable nature de l’Esprit.

A ce stade, parfois même sans le savoir, l’étudiant devient aspirant à la sagesse. A ce moment, s’établit un contact avec un Maître qui est en mesure de lui transmettre un enseignement.

La notion de Maître ne se limite pas à un individu. Même si le Maître venait à mourir, l’essence du concept de maître pourrait passer par d’autres personnes ou d’autres circonstances.

La relation Maître-Disciple

Il est fondamental de bien comprendre la nature de cette bipolarité Maître-disciple, ce sur quoi elle repose, la force qui anime l’un et l’autre, le vecteur permettant à cette force d’être véhiculée.

Le disciple, par définition, est en manque, ou en situation de pléthore, c’est-à-dire déséquilibré dans son métabolisme spirituel et, de ce fait, il souffre. Il recherche donc, avant tout, un soulagement. La motivation initiale du disciple est rarement pure et consciente. Même une motivation apparemment pure, comme le fait de vouloir aider son prochain, masque souvent une souffrance intérieure ; par exemple l’inconfort créé par le constat de son manque de compassion pour tous les êtres.

La force qui pousse le disciple vers le maître est sa dévotion. Celle qui s’exprime dans le Maître, à l’égard de son disciple, est la compassion.

Le vecteur qui permet au disciple de mettre en évidence sa dévotion, de la cultiver et d’en faire réellement une force assez puissante pour aller jusqu’au Maître est la discipline, capacité à gérer son état de disciple, passant par la détermination et la rectitude.

Le vecteur par l’intermédiaire duquel la compassion du Maître pourra toucher le disciple est la Grâce, quintessence de sa perfection spirituelle et de tout ce que son propre Maître lui a transmis.

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1 Japonais du XVIe siècle.

2 « Apprendre à apprendre« . Courrier du livre.