Vimala Thakar
La vie est un mystère

Je me demande si nous avons remarqué que ce que nous appelons la vie est un phénomène qui s’auto-génère. J’espère que vous avez pu trouver le temps de regarder la vie, en vous éloignant du centre de l’ego, des émotions, des mémoires et des pensées égocentriques afin de considérer la vie et le mystère de […]

Je me demande si nous avons remarqué que ce que nous appelons la vie est un phénomène qui s’auto-génère. J’espère que vous avez pu trouver le temps de regarder la vie, en vous éloignant du centre de l’ego, des émotions, des mémoires et des pensées égocentriques afin de considérer la vie et le mystère de son existence. L’entièreté de la vie qui se crée elle-même contient d’innombrables univers reliés les uns aux autres : les univers, les systèmes solaires, les planètes, la terre, les océans, le ciel, les montagnes, les rivières, tout est inter relié, non pas interconnecté mais inter relié.

J’espère que nous comprenons la différence entre les deux.

Vous êtes sorti vous promener quelque part, une petite épine pique votre pied et votre cerveau le ressent. Vous avez une rage de dents et tout votre corps éprouve de la douleur, chaque élément de votre corps est relié aux autres. De la même façon, dans le cosmos, dans l’entièreté de la vie, tout est inter relié. Il ne s’agit pas seulement des parties et du tout formant une totalité mais d’une entièreté organique et homogène.

Elle ne peut être fragmentée. Le fait que la vie ne puisse être divisée, fragmentée et qu’elle ait la capacité de s’auto-générer, c’est ce que nous appelons un mystère. La vie est un mystère : son entièreté, sa complexité, son homogénéité, l’interrelation de toutes ses expressions. Ce mystère de la vie lui donne un caractère sacré ou de sainteté. La sainteté est le parfum de l’entièreté.

Non seulement cela mais les cinq principes qui semblent être les éléments de la vie – la terre, l’eau, le feu, le son, le vide de l’espace – se contiennent les uns les autres. Au-delà du fait que tout est relié, il y a le mystère de ces principes se contenant les uns les autres. Vous avez dû remarquer qu’il y a du feu à l’intérieur de la terre, qu’il y a de l’eau dans la terre. Dans la terre et le vide qu’elle contient, on trouve une variété de sons. Avez-vous remarqué que le vide de l’espace dans le ciel contient le feu et l’eau ?

Avez-vous remarqué comment l’eau contient la terre ? C’est un phénomène merveilleux. Ils se contiennent les uns les autres, sans déranger les caractéristiques uniques et l’identité de chacun.

Avez-vous regardé ce mystère, comment le système solaire fonctionne et quelles sont les relations entre les différentes planètes ? Cette organisation dans la relation, cette interrelation, n’a pas été conçue séparément par quelqu’un après avoir créé le monde.

C’est une caractéristique intrinsèque de la vie – la majesté, la grandeur et le mystère de la vie. J’aimerais savoir si vous avez déjà regardé la vie comme cela. Est-il nécessaire d’imaginer, comme on pouvait le faire avant le moyen âge, que, de la même manière que l’on construit une maison à l’intérieur de laquelle on vit, il y a un créateur qui a construit tout l’univers et qui vit quelque part dans les cieux ? Un Père, une Mère, ou quelque créateur imaginaire ? Est-ce nécessaire de l’imaginer ? Dans l’histoire des théologies, il y a eu une évolution, il fut un temps où les gens dans le monde imaginaient le créateur comme une personne, une entité séparée de la création, assise quelque part, distribuant des récompenses et des punitions, se mettant en colère, ayant des favoris, tout comme il y a le père et la mère dans une maison avec leur progéniture, donnant des récompenses, punissant les enfants. C’est ainsi que la maison, le foyer, la famille demeurent unis. Ils imaginaient que, de la même manière, cela permettait à la création de rester unie.

Nous vivons à la fin du vingtième siècle où les scientifiques débattent pour savoir si la conscience est un principe séparé, indépendant, ou si c’est le résultat de l’évolution de la matière. Ils se demandent si la conscience contient la matière ou bien si c’est la matière qui contient la conscience et qu’elle se manifeste d’elle-même dans le processus d’évolution.

Si vous lisiez les débats des physiciens du monde entier de ces quelques dernières années, vous verriez qu’ils discutent de psycho-science, la science de la conscience comme il existe une science de la matière : la physique. En cette fin de vingtième siècle, n’est-il pas indispensable d’avoir une approche scientifique de la vie ? Mais précédemment il y eu de nombreux efforts pour amener l’inconnaissable vers le domaine du connu avec l’aide d’idées, de théories, d’émotions. Afin de se relier à ce mystère de la vie, il a été jugé nécessaire d’élaborer différents types de relations.

Ainsi, le développement de ces idées, de ces systèmes, de ces concepts, ont été représentés par des symboles placés dans les temples, les mosquées, les synagogues, les cathédrales, les Gurudwaras, les Buddha Viharas, les Jaïn Devasaras etc … Ils ont dû être en lien avec le développement intellectuel et émotionnel de l’espèce humaine.

La source de la religion

Mais de nos jours, la physique et la métaphysique sont près de converger l’une vers l’autre. La science et la spiritualité sont en train d’être synthétisées et intégrées dans un tout homogène. Il me semble que le sens du sacré, le sens du mystère est la source de la religion. Nous devons percevoir la vie telle qu’« elle est ». Et puis reconnaître que l’entièreté, la complexité, l’interrelation ne peuvent pas être analysées, cataloguées, mesurées, ou définies. La reconnaissance de l’infinitude et de l’incommensurabilité de la vie, de son indivisibilité et de sa non-fragmentabilité crée une relation avec la vie différente de celle basée sur les idées, les théories, les émotions. Si on ne peut regarder la vie, percevoir et reconnaître son mystère, le sens du sacré n’aura pas lieu et, dans notre cœur, le respect pour la vie ne se réveillera pas.

Reconnaître l’infinitude et l’incommensurabilité de la vie, c’est aussi reconnaître les limitations de l’homme, lequel s’individualise à partir de cette totalité. La totalité ne peut pas être individualisée, spécifiée. Quand des émanations naissent au cœur du temps et de l’espace et revêtent une silhouette, une taille, une forme, une couleur, etc., elles sont limitées. Il y a de la beauté dans ce qui est limité comme il y a de la grandeur dans la totalité. De la même manière que la totalité non individualisée provoque une sensation de crainte et de respect, les formes limitées, ce que vous appelez objets matériels, nos corps, nos sens, etc., génèrent une sensation de beauté, de tendresse parce que nous pouvons les toucher, les sentir, les palper.

Ainsi, le fait d’être limité est aussi la richesse de la vie, l’individuation des différents objets, animaux, oiseaux et autres expressions de la vie, est aussi sacrée que ce qui est non-individualisé, que la totalité de la vie omniprésente. Mes amis, je suis en train d’essayer de vous dire que la Vie elle-même est Divine. La vie est sacrée et l’acte de vivre c’est honorer cette Divinité. Alors, reconnaissons-nous le mystère de la vie ou bien avons-nous accepté les théories et les idéologies qui nous ont été présentées au travers des livres et des traditions ? Avons-nous accepté l’autorité des symboles et des concepts qu’ils représentent et regardons-nous la vie au travers de ces idées, de ces concepts ? Si c’est le cas, cette relation avec la réalité de la vie sera de seconde, de troisième, de dixième main.

Si nous voulons que notre rapport personnel au mystère de la vie soit de première main, alors nous devrons au moins tenter d’écarter avec un total respect et une grande humilité et dans un but d’exploration et d’expérimentation, tous les symboles, toutes les idées, tous les concepts. Il ne s’agit pas de les rejeter. Dans l’acte de vivre et la compréhension de la vie, il ne s’agit pas d’accepter ni non plus de rejeter. Alors, est-ce que j’observe le mouvement des saisons, la relation entre la terre, le soleil, la lune ?

Est-ce que j’observe la graine germer et ensuite devenir une plante, puis un arbre?

Est-ce que j’ai du temps pour cela ? Ou bien n’ai-je pas le temps parce que je suis trop absorbé par le fait de gagner de l’argent, d’avoir et d’élever une famille, absorbé par les heurts et les petits conflits, par le fait d’avoir mon propre ego blessé, honoré, accepté, rejeté ? Suis-je trop occupé avec tout cela et les activités sociales au point que je n’ai pas le temps de regarder l’univers dans lequel je suis né ?

Vous êtes né dans une famille, dans une communauté, dans un monde sur cette planète appelée terre, mais vous êtes né dans le Cosmos aussi ! Vous êtes tout autant relié au soleil et à la lune qu’à vos propres parents. Vous êtes en relation avec la terre et le ciel de même que vous êtes reliés à votre caste ou votre communauté. Il existe une relation organique. Ainsi, la source de la religiosité, c’est l’envie irrépressible de regarder, percevoir, découvrir, comprendre.

L’éveil de la religiosité

Si cette envie irrépressible n’est pas là et que l’on se contente d’accepter les idées, les traditions, les systèmes, en les suivant et en les répétant, alors, je crois que le sens du sacré, qui n’est pas le fait de l’homme, ni le résultat de la pensée et de la réflexion humaines, ou de la théologie ou encore de la philosophie, mais qui se génère, s’entraîne, et se régule de lui-même, ce sens du sacré ne peut pas être découvert. Si cette envie n’existe pas dans notre relation personnelle avec la réalité, alors il ne peut pas y avoir de religiosité. Ainsi, de la même manière que nous accordons du temps à nos responsabilités familiales, à nos engagements sociaux et personnels, il est aussi nécessaire d’allouer du temps pour vivre la relation organique avec la nature afin d’éveiller la religiosité dans nos consciences.

Cette relation doit être vécue, non pour acquérir quelque chose, non pour obtenir quelque chose, ni pour expérimenter quelque chose, mais pour avoir un contact, une rencontre, pour avoir un échange spontané. Lorsque nous allons nager, nous le faisons par plaisir. Nous n’allons pas nager pour acquérir quelque chose mais pour la joie de le faire. Nous le faisons en dehors de toute nécessité. Si l’hiver est mordant de froid, alors nous sortons nous mettre au soleil. C’est une réaction en fonction du besoin. Y a-t-il quelque besoin au niveau psychique de percevoir que l’on est relié et de vivre ce lien de façon organique ? La religion, la religiosité se rapportent au vivant, et non aux idées, aux théories, aux pensées, aux mémoires, aux systèmes de discipline. Il y a là une sorte de spontanéité.

Harmoniser les énergies physiques

Supposons, présumons que nous, assis dans cette pièce, nous ayons ce besoin irrésistible, « Athato Satya Jignyasa », « Athato Brahma Jignyasa », « Athato Atma Jignyasa ». Présumons que tous ici nous ayons cette envie irrépressible, non pas de savoir, mais de voir, de comprendre et de vivre. Par où commençons-nous ? Nous avons le microcosme, le corps, appartenant au macrocosme, celui-ci contient un véritable condensé de cosmos. Alors, pourquoi ne pas commencer par lui et découvrir si les énergies du corps sont en harmonie comme elles le sont dans le cosmos ?

L’interrelation entre les principes de la terre, de l’eau, du feu, du son et de l’espace, est harmonieuse. Et la splendeur et la magnificence proviennent de cette harmonie. Alors, y a-t-il une quelconque harmonie entre les énergies contenues dans notre corps ? Nous avons un corps biologique. Nous avons en commun cet aspect biologique avec tous les animaux, les oiseaux, les arbres, et tout le reste. Les instincts siègent dans le corps et ils ont des énergies.

Avez-vous remarqué l’énergie de l’appétit et ce qu’il produit dans tout votre corps, lorsque vous avez vraiment faim, lorsque vous avez vraiment soif, avez-vous fait attention à l’énergie de la soif, à l’énergie du sexe, à l’énergie du sommeil ? C’est quelque chose de fantastique. Ce sont des instincts qui ne sont ni mentaux, ni rationnels. Vous ne dites pas, je veux avoir faim. Ils n’appartiennent pas au domaine de la volonté. Ils sont la richesse du monde biologique. Les plantes ont faim et soif.

Les oiseaux, les animaux, la terre ont soif. Et remarquez bien, ce n’est pas de la poésie, c’est la vie. La vie elle-même est poésie.

Alors, ai-je déjà regardé en moi ces énergies et ce qu’elles font au corps, à l’esprit, au cerveau ? Est-ce qu’elles créent quelque tension, quelque pression ? Est-ce qu’elles créent quelque conflit ? Et lorsque ces énergies commencent à faire effet, qu’est-ce que j’en fais ? Comment est-ce que je réponds à mon appétit ? De quelle quantité mon corps a-t-il besoin ? Quelle sorte de nourriture mon corps aime-t-il pour garder la santé? Non pas ce que mes goûts désirent, non pas l’habitude des goûts et des saveurs traditionnels, mais ce que mon corps réclame ? Que vous observiez cela avec l’approche naturopathique, ou bien celle de l’Ayurveda ou de l’homéopathie, là n’est pas mon propos. Mais comment nourrissons-nous notre corps, connaissons-nous l’énergie de l’appétit, étudions-nous le régime, quelles sont les dispositions que nous prenons pour satisfaire tout cela ? Sommes-nous injustes avec lui ? Le nourrissons nous trop ? Ou bien pas assez ? L’affamons-nous ? Si je suis en colère, alors je ne mange pas. Si je suis beaucoup trop inquiet, alors je ne dors pas. Quelle est ma relation au corps ? Commençons donc par là et mettons de l’ordre en nous.

Mon apprentissage aura pour résultat une nouvelle relation au sommeil, au sexe, à la nourriture, et à l’exercice. Comment nous asseyons-nous, nous tenons-nous debout, marchons-nous ? Quelle sorte d’exercice proposons-nous au corps ? Il y a tant de systèmes autonomes dans le corps. Sont-ils entraînés ? Ont-ils l’occasion d’être revitalisés, que ce soit le système musculaire, glandulaire, nerveux, chimique, ou respiratoire ? Tous ces systèmes autonomes fonctionnent dans notre corps. Comment les sécrétions glandulaires transforment la nourriture en différents produits chimiques et minéraux ? Vous êtes-vous penchés sur le mystère qu’est la vie physique ?

L’harmonie entre les énergies commence avec la connaissance de notre corps physique, c’est perceptible. Vous pouvez le sentir, le voir, le toucher, vous pouvez corriger les déséquilibres. Si cela n’est pas la religion, alors qu’est-ce que la religion ?

La façon pas tout à fait scientifique d’aborder la question disparaîtra. Votre relation à la nourriture, à l’exercice, au sommeil, etc., sera intelligente, bien informée, et responsable. Alors, il n’y aura pas d’excès, ni dans le sommeil ni dans la nourriture. Il n’y aura pas de comportement compulsif face à la nourriture, au sexe, au sommeil. Il n’y aura pas d’excès et de déséquilibres les concernant. Il n’y aura ni indulgence, ni refoulement mais une modération, une retenue scientifique, l’élégance de la limitation volontaire. Non parce que les écritures me disent de le faire, mais parce que je vois qu’elles sont nécessaires pour apporter l’harmonie qui engendre la santé dans ma vie.

L’énergie du son et de la parole

Il ne peut y avoir de bonheur sans harmonie. Il ne peut y avoir de paix sans harmonie.

L’harmonie est le souffle de la paix et le parfum de la bonne santé. Mon approche et mon comportement avec le corps connaissent ainsi un changement qualitatif. Alors, je me rends compte qu’il existe une énergie appelée le son et la parole qui me permet de parler. Ai-je remarqué de quelle façon je parle ? Que se passe-t-il dans mon corps lorsque cela se produit ? Où naît le son, quel est son voyage ? Provient-il du centre, au creux de l’estomac ou provient-il du sommet de la tête ? Vous êtes-vous jamais demandé où le son vivait dans votre corps ? Et comment il est converti en mots, comment il voyage et sort par votre bouche ? C’est cela apprendre, c’est bien cela.

C’est rechercher, explorer.

Alors, vous éprouverez du respect pour l’énergie du son et de la parole et vous en ferez bon usage, sans en abuser. Parler sert à communiquer. La parole est faite pour partager. Elle permet de raconter les faits. Elle peut être l’expression d’une motivation intime. C’est un pont entre l’intérieur et l’extérieur. Alors, est-ce que je l’utilise de façon responsable ou de façon incohérente ? Toute la journée bavardant, discutant de manière arbitraire et pour rien ? Est-ce que j’en fais un mauvais emploi ?

Le respect pour la vie doit être vécu.

Nous devons nous asseoir et dire « Nadatmakam Jagat Sarvam. Nadarupa Svayam Vishnuhu. Nadarupa Maheshvarah. Nadatmika Para Shaktihi. Nadatmakam Jagat Trayam ». (L’énergie du son est tout l’univers, la forme du son est Vishnou lui-même, elle est Shiva, elle est Shakti, l’énergie du son est les trois à la fois)

Qu’en est-il de nous ? Que faisons-nous ? Avons-nous perçu la rudesse avec laquelle l’énergie du son, l’aptitude à verbaliser est malmenée et mal utilisée dans notre vie ?

S’il y a du désordre au niveau physique, comment peut-il y avoir une mise en ordre sur le plan mental qui est subtil, imperceptible, invisible, intangible ?

Ainsi, j’harmonise l’énergie de la parole. Quand je parle des faits, je ne mêle pas mes préférences et mes préjugés dans mon exposé. Vous voyez, on appelle cela la sincérité, moi, je le nomme ajustement correct aux faits. S’il y a un mauvais ajustement aux faits, si vous mêlez toutes vos émotions, vos préférences, vos préjugés, vos théories pendant que vous êtes en train de raconter quelque chose, de faire un compte-rendu, alors il se produit là ce que vous appelez un mensonge ou quelque chose de faux. C’est un mauvais ajustement aux faits ou à notre motivation profonde. En dehors de son contenu éthique et moral, même scientifiquement parlant, si vous utilisez les mots pour masquer vos motivations, les dissimuler, ou si vous contaminez les faits avec vos préférences et vos préjugés, alors vous êtes dans le mauvais usage des mots et la trahison. Je devrais utiliser cette manière juste de parler dans ma relation, en lui accordant une énorme dimension dans ma vie, sur un plan rationnel et scientifique.

Seule la spiritualité scientifique sera pertinente au cours du prochain siècle. Ce ne sont pas la subtilité des émotions et l’éclat de l’élocution ou des idées qui perdureront. Ce qui reste valide après avoir été testé rationnellement et de façon scientifique, sera présent au cours du prochain siècle. Les autres structures, systèmes, concepts multiples, etc., feront partie de l’histoire et seront peut-être préservés comme les monuments verbaux de nos ancêtres. Une nouvelle dynamique est nécessaire et nous commençons avec la nôtre.

L’énergie de la pensée

Nous entrons maintenant dans un domaine difficile, nous passons du domaine biologique au domaine psychologique. Comme nous l’avons vu, nous sommes les produits de millions d’années d’évolution. Les cerveaux ont été entraînés, conditionnés, éduqués, par l’espèce humaine tout entière. L’énergie de la pensée est contenue dans tout le système nerveux, dans le plasma même, et plus loin encore, dans la moelle osseuse. Les cerveaux sont conditionnés pour le raffinement et la sophistication. La culture n’est rien d’autre qu’un processus de raffinement et de sophistication. L’énergie de la pensée est à l’intérieur de nous de la même manière que l’énergie des instincts est présente dans la structure biologique. Que faisons-nous avec ces pensées, ces mémoires, cette connaissance, cette expérience, contenues dans le conscient, le subconscient, l’inconscient ? Et la difficulté provient du fait que c’est invisible.

Vous ne pouvez pas voir l’esprit comme vous pouvez voir votre foie ou vos reins, votre pancréas, vos glandes, vos poumons ou votre cœur. L’esprit n’est pas un organe de ce genre. C’est le cumul des conditionnements de millions d’années, s’infiltrant dans tout le corps. Depuis le sommet de la tête jusqu’au gros orteil, l’esprit (énergie de la pensée, de la mémoire, de l’expérience) est présent. Il est là. Alors, comment créer un ordre et une harmonie dans ce vaste espace, et, veut-on bien le faire ?

La plupart du temps, je refuse de le faire, car c’est une tâche très difficile. Je préfère suivre tout ce qui m’est proposé, comme le fast-food, le café instantané, le prêt-à-porter, la religion établie, la spiritualité rapide. Non, je ne suis pas en train de dire cela avec légèreté. C’est la triste réalité d’aujourd’hui. Dans le monde et la société de consommation, les gens veulent une spiritualité facile et rapide. Si elle peut s’obtenir sans effort, que je peux l’avoir toute prête, et si quelqu’un peut me transmettre des expériences en plaçant sa main sur ma tête, alors, je serai heureux. Vivre est considéré en soi comme un effort et l’on va rechercher les moyens de court-circuiter cet effort au nom du progrès. Je vous en prie, ce n’est pas une critique. C’est l’aveu d’une peine et son partage entre amis. Vous ne pouvez pas mélanger la religion, la religiosité, avec la commercialisation, la standardisation, la réglementation, la vulgarisation. C’est quelque chose de vraiment individuel. De même que les fleurs ne se reproduisent pas à l’identique, les découvertes de la vérité et de la réalité ne sont pas des répétitions.

Observer le mouvement de la pensée

Je suis maintenant face à cette énergie pénétrant tout mon corps. Je désire la connaître.

Je désire la chercher. Il devient important d’apprendre, d’observer, de regarder. Alors, il est nécessaire de s’accorder du temps pour apprendre, du temps pour l’éducation et du temps pour s’asseoir afin de regarder. Comme vous avez déjà établi une relation scientifique entre votre corps et une nourriture convenable, un exercice approprié, un sommeil équilibré, grâce à la modération et à la retenue ; désormais, il ne doit pas y avoir de difficulté pour s’asseoir confortablement dans n’importe quelle posture que votre corps apprécie, la colonne vertébrale rectiligne, alignée et érigée, de sorte que le rythme de la respiration ne soit en aucun cas gêné. Lorsque vous vous asseyez ou que vous vous tenez droit, alors l’inspiration et l’expiration se produisent en rythme, non de façon saccadée ou mal assurée. On apprend ainsi à s’asseoir convenablement. Le corps établit sa relation avec la terre. Vous ne le laissez pas devenir raide et rigide. Vous vous asseyez de façon relaxée.

Vivre est un mouvement de relaxation, non de tension, de pression, de conflit ou de contradiction. Comme vous avez établi une relation harmonieuse avec les instincts biologiques, peut-être que le corps commence à coopérer. Vous vous asseyez quelque part dans un coin tranquille. S’il n’y a pas d’endroit, pas de jardin, s’il y a une petite terrasse ou un balcon, à un moment du jour ou de la nuit lorsque vous avez une demi heure, quarante cinq minutes pour vous, vous vous assiérez et vous observerez juste le mouvement de la pensée et ce que cela produit. Vous devez l’observer.

Alors, vous verrez le mouvement chaotique de la pensée. Elle ramène au passé, à hier, au mois dernier ou à l’année précédente, ou bien elle passe à la notion du futur. Le futur n’existe pas en tant que dimension. Mais la pensée saute du passé au futur. Elle saute d’un sujet à l’autre, d’une mémoire à l’autre. On doit voir cela. À moins que le désordre, le chaos, l’anarchie ne soient perçus directement, il n’y aura pas d’impulsion pour la liberté.

Ce qu’il y a à l’intérieur de moi émerge à la surface et s’expose à ma perception et à mon attention. Mon ego est blessé parce que je vois la colère, je vois la jalousie, je vois la luxure, je vois l’ambition, je vois les bonnes choses et les mauvaises, je vois tout. Et je commence à me demander pourquoi c’est là. Est-ce en relation avec mes parents, est-ce dû à la mère, est-ce dû au père, est-ce dû aux professeurs ?

L’introspection, l’analyse, l’interprétation commencent. Il existe tellement de livres qui donnent des théories pour l’interprétation. La théorie Freudienne, la théorie Adlérienne, la psychologie profonde de Martin et ainsi de suite. Tout le jeu de l’interprétation intellectuelle se met en route. Nous ne sommes pas ici en train de parler de cela. L’observation sans réaction, sans évaluation et sans jugement demande de la rigueur, une rigueur cérébrale.

Regarder et laisser les choses émerger. Si cela a eu lieu durant cette demi-heure ou ces quarante cinq minutes que je consacre à mon apprentissage, alors pendant que je suis en train de travailler au bureau, ou en train de parler avec ma femme ou mon mari, cette faculté d’observation reste avec moi comme une nouvelle dimension, une nouvelle faculté. Alors je sais ce que je suis en train de dire, j’ai conscience du pourquoi je suis en train de parler d’une certaine façon. Une nouvelle dimension s’ajoute à la routine quotidienne habituelle. Lorsque vous êtes en colère, avant que se produise l’explosion, vous êtes conscients que vous êtes sous l’emprise de la colère.

Au cours des relations, l’observation s’est désormais convertie en reconnaissance et en expérience directe de ce qui est. Je suis désormais conscient que je suis sous l’emprise de la jalousie, de la comparaison. Je suis une victime de l’ambition, de l’impatience.

Dans le mouvement de la relation, il y a désormais une nouvelle force. Nous ne sommes pas pressés de transformer cela. Nous ne sommes pas pressés de les éliminer.

Avant toute chose, la perception dans la solitude, ensuite la réalisation et la reconnaissance au sein des relations. Alors, on observe dix fois par jour ce qui est arrivé, soit en proie à la victimisation due à telle émotion ou à cause de telle idée, ou de telle pensée. Une véritable tristesse commence à poindre dans mon cœur, non à cause d’une quelconque théorie, mais parce que j’ai vu le chaos et la souffrance que cela crée. Mes mots de colère, mon impatience, mon hésitation, les mobiles que je leur attribue, mes suspicions, tout cela, je le vois maintenant, ainsi que les conséquences sur mes relations. Le manque de franchise, le déséquilibre font naître une tristesse dans mon cœur, et ensuite vient l’envie irrépressible de se libérer du chaos et de l’anarchie.

En lisant cela dans un livre, ou en l’entendant dans des conversations ou des discours, cette flamme brûlante, cet élan pour la liberté ne surgirait pas.

L’élan pour la liberté

L’observation, convertie en reconnaissance, conduit à l’émergence d’un désir ardent de liberté. Ce désir n’est pas né d’une idée. Ce n’est pas le fruit d’une théorie. Il ne provient pas d’une réaction. Cet élan pour la liberté a sa propre force vive. Lorsque l’on se tourne vers la religion, lorsque l’on s’intéresse à la spiritualité par réaction, alors on est submergé par la force de ce qui nous fait réagir. Dès que cette réaction se dissipe, sa profondeur, son intensité aussi disparaissent.

Si j’agis par ambition, alors soit l’ambition est satisfaite et la recherche s’interrompt, soit il y a la frustration et j’arrête ma recherche. Je vous en prie, voyez cela. La force, l’intensité de l’impulsion pour la liberté devrait être authentique, née de votre propre perception et de votre propre compréhension.

Ainsi, il y a désormais de la tristesse et un désir ardent de liberté. Je n’aime pas cela.

J’ai remarqué tous les déséquilibres chroniques, les déséquilibres momentanément fous, mon comportement névrosé, et l’impulsion de libération est là. Ce que fait une personne alors vaut la peine d’être remarqué. Si la personne est née en Inde et a accès aux écritures, aux livres d’éthique, de religion, de spiritualité, de discipline spirituelle, elle choisit et sélectionne. C’est comme cela que nous vivons, nous les gens ordinaires.

Je dis : maintenant, je ferai cela. Je le ferai pour discipliner mon esprit. L’effort mental est donc expérimenté et les gens font des vœux et des promesses : garder le silence un certain temps, jeûner, rester abstinent et ainsi de suite. Plusieurs sortes de disciplines sont ainsi essayées.

Le désir de contrôler la façon dont se comporte l’esprit est là. Mais nous sommes l’esprit ! Plus nous faisons un effort pour le contrôler, moins la relation entre le contrôleur et le contrôlé est perçue par le cerveau, l’ego, l’esprit tout entier. Après la nouveauté, la sensation du nouveau s’amenuise, il y a une résistance intérieure.

Extérieurement, le contrôle semble présent, mais intérieurement, cela résiste. Une faille apparaît. Il peut y avoir l’hypocrisie de montrer quelque chose à l’extérieur qui n’existe pas à l’intérieur. Je peux bouillir de rage en dedans et j’essaye de me contrôler. Ainsi, il y a une faille entre moi-même et ce qui m’arrive.

Les déterminations, les décisions, les vœux, les promesses, tout a été essayé en Inde, au Moyen-Orient et dans le monde chrétien. De même dans les pays de l’Est et dans les pays Bouddhistes. C’est là que commence le jeu du déni, de la dissimulation, de la répression. Les personnes matérialistes jouent aussi le jeu de l’indulgence, avec l’obsession du plaisir. Avec le jeu du déni, de la dissimulation, de la répression, l’être intérieur se rétrécit et devient sec. Ou bien, c’est le conflit constant, la détresse et la souffrance.

Lorsqu’une personne réalise cela, si effectivement elle s’en rend compte, elle comprend qu’une telle ligne de conduite ne mène pas à la spontanéité, à l’harmonie, mais qu’elle rajoute de la souffrance. Or, la religion est la fin de la souffrance.

« Klesha Mukti kayvalyam », la délivrance des sources d’affliction selon Patanjali.

« Dukhah Nivrutti Kayvalyam », la cessation de la souffrance selon Bouddha. Mais la souffrance psychologique n’en finit pas, sauf si on réalise cela, alors se manifeste la dimension du « sans effort » ou l’abandon de l’effort.

Mais, je pense que cela suffit pour ce matin. Nous avons commencé en disant que la vie est un mystère : le fait qu’elle s’auto-génère, qu’elle possède un ordre intrinsèque, une harmonie, et le fait que tout soit relié. L’ayant observé à l’extérieur de nous-mêmes, nous commençons à voir si cela existe à l’intérieur de nous. Pourquoi n’y a-t-il pas d’harmonie en nous, l’harmonie qui existe entre les systèmes solaires, les systèmes interplanétaires ? Pourquoi n’y a-t-il pas un mouvement rythmique dans le corps de la même façon qu’il existe le mouvement des saisons dans le cosmos ?

Notre champ d’études est notre propre corps où se meuvent les instincts biologiques, l’énergie de la pensée, et celle des émotions. Ils sont nos outils. Ils sont nos instruments, ils sont nos compagnons. L’exploration commence donc au niveau du corps. Nous nous rendons compte que le mouvement du mental, qui est le résultat du conditionnement de millions d’années, ne cède pas devant le contrôle dû aux disciplines ou aux codes de conduite.

Ayant observé ce qui se passe à l’intérieur de nous, maintenant nous en concluons que la force vive de millions d’années contenue dans notre corps et la force de la volonté ne sont pas au même niveau. La volonté, la décision, l’engagement, le vœu, tous ceux-ci sont vaincus par la puissance du subconscient, de l’inconscient, du passé. Soit vous devenez pessimistes, frustrés et vous dites, rien ne peut être fait, soit vous voulez bien explorer la route sans chemin de l’abandon de l’effort. Nous parlerons de cela lors de notre prochaine rencontre. Merci de m’avoir écoutée patiemment.

(Extrait Vivre une vie vraiment religieuse Traduit par Annie Grippari & Patrick Delhumeau). Emprunté au site Français consacré à Vimala et son œuvre