Annik de Souzenelle
L’arbre de vie 4: Le triangle inférieur

Le bonheur que réclament les hommes lorsqu’ils réclament la liberté est en réalité celle des licences, le bonheur extérieur. On ne peut trouver ce bonheur que dans son être profond. Notre drame c’est de toujours tout projeter à l’extérieur au lieu de chercher à l’intérieur. Les bonheurs que nous trouvons à l’extérieur nous aliènent, car nous en devenons esclaves.

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(Revue Panharmonie. No 169. Novembre 1977)

Le titre est de 3e Millénaire

Compte rendu de la réunion du 9.6.1977

Le problème de la sexualité duquel il fut question lors de notre dernière réunion n’est certes pas celui abordé par la psychologie moderne et qui déferle dans toute la littérature, dans le cinéma, dans les crimes, mais celui des différentes traditions et, en particulier, de la tradition judéo-chrétienne. Dans cette perspective il évoque toute une montée des énergies telle la montée de la sève d’un arbre et constitue une base importante pour l’évolution de l’être.

Prenant comme exemple le film « Emmanuelle » dont on a tant parlé et qui montre à quel point l’humanité est plongée dans la confusion, Annik de Souzenelle arrive à la conclusion que deux blocages s’opposent à cette montée, l’un est le moralisme pieux, le drame de toutes les religions qui ont fait une œuvre néfaste en voulant démontrer que l’évolution consistait uniquement à être moralement bien. Ce blocage de la sexualité a été cause de beaucoup d’empêchements de fuser plus haut. Au lieu de ce refoulement, reconnaissons humblement que nous avons une nature animale qu’il nous faut accepter. Nous ne sommes pas des dieux. Quelques êtres privilégiés peuvent ne pas la vivre, mais nous, être communs, avons à l’assumer au niveau génital.

L’autre blocage, absolu celui-là, est celui où se situe le film en question, celui du soi-disant défoulement sur le plan de la sexualité en investissant toutes les énergies à ce niveau-là, sans avoir conscience d’un dépassement possible.

N’oublions pas qu’en investissant toutes nos énergies pour atteindre l’étage supérieur, nous avons à laisser ce dixième symboliquement, cette dîme des biens qu’Abraham donnait à Melchitsédeck pour faire le sacré (voir compte-rendu précédent).

Notre propos aujourd’hui c’est de commencer à vivre le triangle inférieur de l’Arbre des Séphiroth qui se situe entre Yesod, Hod et Netzah qui sont Gloire et Victoire. Ce triangle correspond au complexe uro-génital, c’est un centre d’eau. C’est à ce niveau que se passe la gestation de l’enfant que sa mère porte dans son ventre et qu’elle va mettre au monde par en-bas. C’est la venue au monde de Malkuth.

Ce qui nous concerne à ce niveau, c’est de nous mettre au monde nous-mêmes. Ce triangle dans lequel va entrer l’adolescent sera la matrice qui assurera sa maturation à un niveau supérieur. Quand il a été dit à Eve : « Tu enfanteras dans la douleur et j’augmenterai le nombre de tes grossesses », c’est de cette gestation qu’il s’agit, c’est-à-dire de la mise en action de toute notre fécondité qui n’a rien à voir avec la fécondité selon le nombre, mais avec toute cette croissance vers le haut. Eve est toute cette humanité dans son rôle féminin, car homme ou femme, nous sommes tous « mère » de nous-mêmes.

Le nom Emmanuel ne signifie pas seulement « Dieu est avec nous », mais aussi « Dieu enlève la stérilité », car c’est la naissance de l’Enfant divin. La vraie stérilité est celle qui nous empêche de nous mettre au monde à ces différents niveaux.

Lorsque l’enfant atteint l’âge de la puberté il va commencer à entrer en relation par ces deux sentiers avec ses structures prochaines. Il va laisser de côté ses deux béquilles qui étaient ses parents, qu’il va contester, il va contester les valeurs sur lesquelles il a été élevé et il commencera à sentir en lui de nouvelles valeurs qui lui sont propres, qui vont être désormais ses points de repère, ses points de références, pour assurer sa croissance. Il est très important à ce moment-là que les parents soient à l’écoute de ces valeurs inscrites chez leur enfant, même si elles paraissent contraires à tout ce qu’ils avaient cru. C’est un rôle difficile que de savoir s’écarter tout en étant toujours là. Car l’enfant a encore besoin de leur présence pendant un long moment.

En entrant dans cette matrice l’enfant entre dans l’épreuve, car toute matrice implique la nuit, le noir, l’expérience de la ténèbre d’où sortira la lumière. Et l’enfant que ses parents, par ignorance, n’ont pas prévenu, se sentira perdu pensant que la vie c’est cela, cette ténèbre et cela peut devenir dramatique. On voit actuellement bien des enfants se suicider, se droguer, etc., parce qu’ils ne peuvent pas supporter cette ténèbre dont personne ne leur a dit qu’elle était absolument nécessaire et qu’elle serait suivie de lumière.

Ces ténèbres vont se manifester de plusieurs façons aussi bien pour l’enfant que pour les personnes se trouvant encore à ce niveau là et qui, hélas, sont nombreuses. Nous parlerons des ténèbres qui nous paraissent essentielles et avant tout de celle du non-sens. On a l’impression que rien n’a de sens, que tout est anarchique au vrai sens du mot, c’est-à-dire d’être coupé de ses archées. C’est effectivement le drame de la « chute » qui a coupé l’humanité de ses archès.

Un mythe va nous révéler cette expérience de façon admirable, c’est celui du Déluge. Nous parlerons également plus tard du mythe du Labyrinthe de Cnossos et nous ferons également l’expérience de l’esclavage dans ce triangle inférieur. Nous sommes tous esclaves de nos passions, de nos désirs et de nos peurs. Nous verrons comment nous en sortir. Ce mythe est illustré par le mythe du passage des Hébreux en Egypte où ils sont esclaves.

C’est à ce niveau-là que nous allons structurer nos dix vertèbres sacrées et nos dix vertèbres lombaires. C’est un temps d’épreuves qui va nous être décrit bien souvent dans une période de dix ans. Il faudra dix plaies d’Egypte pour en sortir et renaître par la Mer Rouge.

Quant au mythe de Cnossos, nous verrons que pendant dix années les Athéniens eurent à apporter au Minotaure le sacrifice de sept jeunes gens et de sept jeunes filles. Le sens en est le même.

Déluge signifie avant tout désordre. En hébreux son nom est Maboul, mot qui nous est resté et qui veut dire dérangé, anarchique, manque de connexion du cerveau.

Avant le Déluge il fut dit : « A ce moment-là sur la terre des hommes se multipliaient et ils ne mettaient au monde que des filles ». Autrement dit, à l’image du monde actuel, ils ne se multipliaient que selon le nombre et ne mettaient au monde que des êtres qui ne faisaient pas œuvre mâle. Le mot mâle chez les Hébreux veut dire se souvenir, descendre dans ses profondeurs. Or celui qui fait œuvre mâle, descend dans ses profondeurs et épouse au fur et à mesure toutes les stratifications, toutes ces terres et il naîtra à chacun de ces niveaux. Celui qui meurt et renaît toujours fait œuvre mâle.

Nous vivons en ce moment une humanité femelle qui se contente de manger, de dormir, de boire, d’aller à son travail, qui s’ennuie et qui cherche à tuer le temps. Et ce faisant, elle se tue elle-même.

Et Dieu dit : « J’en ai assez de cette humanité, je me repens de l’avoir conçue et voici, la fin de toutes choses est proche. » En nous penchant sur ces textes qui au premier abord semblent surprenants de la part du Dieu Créateur, nous voyons qu’il ne s’agit pas des Elohim, mais de Yod-Hé-Vov-Hé que l’homme est en potentialité. C’est le dieu en lui qui commence à s’éveiller et qui lui fait prendre conscience qu’il est entrain de perdre sa vie. Et ce dixième de l’humanité, cette dîme, va apparaître sous la forme et dans le personnage de Noé qui est le dixième descendant d’Adam par Seth. Et Dieu envoie le Déluge qui n’est autre que la représentation de ce que l’humanité est, de son anarchie. Les eaux sont les passions, les énergies à tous les niveaux qui, dans le Déluge, s’investissent n’importe où et qui submergent l’homme.

Le Déluge existe dans toutes les traditions. Celui de Babylone est bien antérieur. Nous le retrouvons aussi à l’occasion de mythe grec de Prométhée, Dieu envoyant un Déluge pour punir l’humanité d’avoir dérobé le feu du ciel. Seuls Deucalion et Pyrrha sont sauvés des eaux, ils repeupleront la terre en jetant des pierres par-dessus leur épaule.

Au moment de la naissance de Noé, son père Lemeck dit : « Celui-ci nous consolera de toutes nos fatigues et de tous les maux que nous cause la terre que Dieu a maudite ». C’est-à-dire que Noé va être le précurseur de celui qui va retourner toutes les énergies et qui va consoler. Noha signifie consoler, conduire.

Dieu dit donc à Noé qui est un homme « juste », de construire une Arche selon des mesures symboliques et d’y faire entrer un couple de chaque espèce d’animaux de la terre. I1 faut comprendre par animaux les énergies dont ils rendent compte et que nous portons aussi en nous. La construction de l’Arche, c’est la construction de notre quadrilatère.

Noé monte dans l’Arche en ayant ramassé toutes ses énergies et, avec lui, ses fils, ses filles, sa femme, les maris et femmes de ses enfants. Le mythe babylonien du Déluge avec Gilgamesh est parallèle à celui-ci. Nous en avons déjà parlé la dernière fois (voir précédent compte-rendu). Lorsque l’Arche se pose enfin, aussi bien Noé que Out Naphishtim, en sortent avec leur femme. Le mariage s’est accompli dans l’Arche.

Qu’est-ce que le mariage ? C’est devenir adulte et capable d’entrer dans notre véritable être, c’est épouser les deux pôles de la dualité qui jusqu’ici étaient vécus dans la discorde et dans la contradiction.

Nous renvoyons une fois encore le lecteur au précédent texte sur le site L’arbre de Vie : La première porte, dans laquelle il est question du symbolisme du vol des oiseaux, de leur rapport avec l’alchimie et de la signification du Mont Ararat sur lequel l’Arche a fini par se poser. Ils y trouveront également ce que veut dire l’ivresse de Noé.

C’est toute la fécondité de la terre que symbolise la vigne et la nudité de Noé n’a rien à voir avec la nudité corporelle. Elle est le parfait miroir de la lumière divine et c’est pour cela que ses deux fils viennent à reculons pour la recouvrir. Car, n’ayant pas encore atteint cette qualité d’évolution, ils sont incapables de regarder le Divin. Quant à Cham qui le regarde, il est brûlé. Il y a là psychologiquement un profond mystère de l’homme impur qui essaye de scruter les mystères par curiosité et non par amour. La recherche du pouvoir est sous-jacente. Lorsque l’homme investit son ardeur à un niveau pour lequel il n’est pas prêt, les énergies se retournent contre lui et le brûlent.

L’Arche s’étant posée sur le Mont Ararat, l’homme retrouve ses normes ontologiques qu’il avait perdues dans la grande aventure qui relate le mythe de la chute. Dieu envoie alors un arc-en-ciel en signe de la Nouvelle Alliance qui est évidemment le même symbole que celui de l’échelle de Jacob qui relie le monde des archétypes à celui de la Création.

Continuons les mythes hébraïques par le passage des Hébreux en Egypte où ils furent esclaves sous le joug des Egyptiens. Et pourtant, en hébreux le mot Egypte est Mistraïm, dans lequel on trouve Maim, les eaux primordiales, c’est-à-dire la matrice. Et à l’intérieur de Mistraim, il y a ce petit TSR qui sert la gorge. Et en effet, gorge qui se dit Tsoar indique un resserrement, presque un écrasement. Nous pouvons y trouver deux choses : oppresseur, mais aussi germe. Car le germe est toutes les énergies comprimées au plus petit et qui se trouve dans le TSR de Mistraïm. Il symbolise alors ce peuple qui vit en esclavage, qui est le peuple élu, la dîme symbolique qui va entraîner toute l’humanité dans son ascension.

Et ce peuple esclave qui n’en peut plus est l’image de notre humanité lorsqu’elle prend conscience de tous ses esclavages. Obéissant à Dieu qui est en potentialité en eux, les Hébreux décident de quitter l’Egypte, afin de vivre les autres étages qui les mèneront à la Terre Promise, symbole du triangle supérieur.

Cette nouvelle naissance ne pourra s’effectuer que si deux pôles sont en présence. Ils seront représentés par Moïse et Pharaon.

Moïse est un personnage extraordinaire, son nom signifie : sauvé des eaux. Il n’est autre symboliquement que Noé, c’est celui qui a construit son Arche d’ailleurs, car à un moment il quitte l’Égypte pour ensuite y revenir sauver son peuple. Et à ce moment du récit nous trouvons cette phrase très curieuse : « Alors Yod-Hé-Vov-Hé se mit sur son chemin pour le faire mourir. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Il s’agit du mariage profond avec lui-même. Moïse a dû faire sur lui-même le travail qu’il devra faire faire à son peuple, afin d’être capable de le guider. Alors Yod-Hé-Vov-Hé, sa dimension divine en lui, se met sur son chemin pour l’obliger à une mort et à une résurrection. Et Dieu lui dit : « Je te fais Yod-Hé-Vov-Hé pour Pharaon », c’est-à-dire je te donne la puissance divine par rapport à Pharaon qui lui, va être l’adversaire. S’il n’y avait pas d’adversaire il n’y aurait pas de résistance, il n’y aurait pas de sortie possible. Pharaon se dresse alors. Il porte dans son nom RA, l’adversaire qui est le même nom que le mal dans l’Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Ce n’est pas le mal en soi, mais la ténèbre qui rendra possible que jaillisse la lumière.

Les dix plaies qui sont déclenchées sont comme les dix contradictions de ce gigantesque accouchement. A chaque plaie Pharaon décide de laisser partir les Hébreux et puis, au dernier moment, nous entendons cette phrase curieuse : « Et Dieu durcit le cœur de Pharaon. » Pourquoi? Parce que les Hébreux ne sont pas prêts, ils n’ont pas encore atteint la dixième vertèbre et il en sera ainsi jusqu’à ce qu’ils l’aient atteinte. Ils doivent trouver les forces nécessaires pour vivre l’expérience du désert.

Là nous touchons du doigt combien l’épreuve est bénéfique, elle est le barreau de l’échelle que nous avons à monter et qui nous fait souffrir lorsque nous nous y heurtons. Ce n’est que sous l’épreuve que nous pouvons promouvoir nos forces, s’il n’y avait pas de résistance il n’y aurait pas de lumière.

Il serait extrêmement intéressant de rechercher le symbolisme de toutes ces épreuves, symboles que nous retrouvons chez tous les prophètes. La dernière plaie est la plus importante, elle est comme une espèce de circoncision, elle est la mort de tous les enfants égyptiens premiers-nés, à l’exception de ceux qui auront tracé sur le linteau de leur porte le signe qui est mis sur Caïn sur le sauver. C’est le signe de l’énergie qui préserve celui qui ne doit pas être dévoré, parce qu’il est devenu lui-même cette énergie. Lorsque les Hébreux vont se trouver devant l’Ange Exterminateur, ils vont avoir atteint la qualité de l’Ange qui est le Gardien du Seuil. Et l’Ange ne les touche pas, le feu ne détruit pas le feu.

Dans ce signe de l’Agneau nous avons tout le profil de Celui qui va racheter Israël, de l’Agneau qui fait encore toute la symbolique de Pâques.

Et tout ce peuple part conduit par Moïse qui a dépassé les lois de la nature. I1 commande aux eaux qui s’écartent et nous voyons ce peuple qui passe, qui va entrer dans le désert avec cette colonne de feu qui le guide pendant la nuit et la colonne de nuées qui le guide pendant le jour. Yod-Hé-Vov-Hé, son Roi est à sa tête.

L’homme qui entre dans son quadrilatère est guidé par son Yod-Hé-Vov-Hé intérieur dont il reçoit s’il en est conscient, s’il écoute, s’il est attentif, toutes les informations nécessaires pour avancer.

La Mer Rouge se referme sur les Egyptiens qu’elle engloutit.

Pourquoi la Mer Rouge, puisque, en réalité, elle s’appelle la Mer des Joncs, « Yam Soph ». Rappelons-nous que c’est grâce au drame de Joseph vendu par ses frères qui, après maintes aventures dramatiques, est admis à la cour des Pharaons, que Joseph, Yousoph en hébreux, a pu sauver ses frères de la disette. Soph, c’est la limite, Yousoph et Yam-Soph sont les deux lignes, l’une au départ, l’autre à l’arrivée. C’est-à-dire naissance et mort pour une autre naissance. Yam-Soph signifie augmenter, passer à un plan supérieur.

Toute la tradition parle de la Mer Rouge par analogie avec l’Homme Rouge qui, pour devenir Homme Vert, doit mourir et ressusciter.

Et pourquoi le désert ? Le monde que nous vivons est à l’image de notre monde intérieur. Il est un désert tant qu’il n’est pas fécondé par le Divin qui a pris naissance en nous.

Dans ce désert les Hébreux qui sont pourtant sensés avoir acquis la force de vivre, vont se retourner contre Moïse en disant : « Tu nous a fait sortir d’Egypte, mais nous préférons servir les Egyptiens que d’aller mourir dans le désert. » L’homme a horreur de la liberté, il en a peur. Et c’est pourquoi nous avons du mal à passer cette porte, nous sommes retenus par toutes nos sécurisations. L’humanité ne peut évoluer qu’en se désécurisant de tout, sur le plan maternel, sur le plan affectif, sur tous les plans où elle a des épreuves à vivre.

Le bonheur que réclament les hommes lorsqu’ils réclament la liberté est en réalité celle des licences, le bonheur extérieur. On ne peut trouver ce bonheur que dans son être profond. Notre drame c’est de toujours tout projeter à l’extérieur au lieu de chercher à l’intérieur. Les bonheurs que nous trouvons à l’extérieur nous aliènent, car nous en devenons esclaves.

Le passage dans le triangle supérieur est une nouvelle ténèbre, mais pas du tout de la même qualité que la ténèbre que nous avons en-dessous. Passée la ténèbre de l’ignorance, nous vivons une ténèbre qui correspond à la connaissance, mais à une connaissance qui doit tout de même faire une nouvelle expérience de cette ténèbre, tout en sachant qu’il en naîtra la lumière.

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