Frédéric Lionel
La nature est la servante du mage

La magie est aussi vieille que le monde. Appelée science des sciences, elle constituait, jadis, le dernier échelon de l’Initiation sacerdotale en Egypte et en Grèce. A ce niveau, elle représentait la manifestation active de la spiritualité vraie. L’une des expressions de la magie blanche, sous sa forme la plus pure, fait de l’alchimie l’ « Art royal » que même l’Église ne condamna jamais, tout au moins officiellement.

(Extrait de l’énigme que nous sommes, édition R. Laffont 1979)

— La sorcellerie n’est qu’un phénomène imaginaire, une élucubration de l’esprit, le relent d’un passé révolu ou, si l’on préfère, une survivance de superstitions qui ont la vie dure.

Raymond, un avocat parisien de passage dans cette belle région, soulignait chaque phrase de gestes péremptoires, pour bien faire comprendre que son opinion était solidement établie.

Nous étions assis sur un banc, face aux eaux claires du lac Léman, dont l’autre rive s’estompait dans le halo bleuté d’une fin de journée estivale.

Son opinion, il la voulait inébranlable, étayée par une volonté ferme de ne pas quitter les limites d’un monde dans lequel il se sentait à l’aise, donc en sécurité.

Je répliquai néanmoins :

— J’ai connu une sorcière et je l’ai vue exercer ici même.

Il s’esclaffa.

— Absurde supposition, tout ici est clair et limpide. La nature elle- même est imprégnée de sérénité, et je vois mal des sorcières échevelées, chevauchant des manches à balai, venir tourbillonner sur cette pelouse.

J’opinai de la tête.

— Ce n’est pas au sabbat des sorcières que je faisais allusion, mais à la sorcellerie, et la sorcière était, en l’occurrence, une belle femme, remarquablement instruite et, ajoutai-je sur un ton badin, vous auriez pu vous amouracher d’elle !

Entrant dans mon jeu, il répliqua gaiement :

— Grâce à un philtre d’amour, je suppose ?

— Précisément !

— Il y a philtre et philtre. Le sien était subtil, car il agissait sur l’intellect, réputé forteresse inexpugnable.

— Racontez, fit-il intéressé.

Je fermai les yeux pour me reporter quelques années en arrière.

— L’été était avancé. Les soirées commençaient à être fraîches. Aussi nous réunissions-nous, nos amis, mon beau-père, ma femme et moi, après le dîner autour de la cheminée du grand salon, en laquelle un feu de bois était allumé.

« Euryale et Fidèle formaient un beau couple. Le nom que je leur donne correspond bien à l’idée qu’ils évoquent aujourd’hui dans mon souvenir. Euryale dominait son mari et aimait jouer de son ascendant. Fidèle acceptait toutes ses volontés avec une soumission touchante, surtout pour un homme habitué à commander d’autres hommes dans l’existence journalière, celle d’un officier de carrière.

« Euryale était brillante et maniait la parole avec facilité. Evoquant des rencontres avec des auteurs connus, des voyages dans des pays lointains et bien d’autres sujets, toujours teintés d’un je ne sais quoi d’insolite, elle savait capter l’intérêt. Elle nous fit part de guérisons miraculeuses, racontant avoir été initiée par un maître extraordinaire, dont elle aurait été l’élève préférée.

« Je me dédiais au service de l’humanité, prétendait-elle, et je pense que chacun de nous doit en faire autant, en comprenant combien les intérêts véritables des hommes postulent l’entraide, non pas aveugle, mais réfléchie.

«  Fidèle nous lisait des poèmes qu’Euryale avait composés et leur rythme chantait dans nos cœurs.

« Son attrait principal résidait dans une fascination suscitée par un côté mystérieux de son personnage, qu’elle savait mettre en valeur.

« Je lui posais maintes questions ayant trait au monde occulte, aux vies successives, au karma, à la prédestination, à la liberté du choix, aux phénomènes médiumniques ou de suggestions, sans oublier les guérisons ésotériques et les possibilités hypnotiques, ainsi que leurs conséquences proches ou lointaines.

« Elle répondait sans jamais se dérober et j’eus, ainsi, la très grande chance d’élargir mes connaissances tout en ayant, par la suite, l’occasion de vérifier la justesse de ses affirmations.

« Malgré la présence de ma femme, elle jouait le jeu de la séduction, non pas physique, mais spirituelle.

« — Ceux que je considère aptes à comprendre les secrets auxquels j’ai accès, répétait-elle, seront les dirigeants du monde de demain. Fidèle sera un jour appelé aux plus hautes fonctions, mais dès maintenant je m’efforce de sélectionner les personnes dont il aura à s’entourer. Elles doivent en être dignes, car lourdes seront les tâches, dans un monde qui devra surmonter de sérieuses convulsions.

« S’en montrer digne signifiait pour Euryale, tant de la part de Fidèle que de tous ceux auxquels elle faisait allusion, une soumission allant jusqu’au sacrifice. Fidèle l’assimilait à une déesse et le disait bien haut. Il avait sacrifié à la déesse ce qu’il avait de plus cher. Ses croyances profondes, son attachement paternel envers des enfants issus d’un premier mariage, ses amitiés et ses opinions.

«— Savoir abandonner ses liens affectifs, simples habitudes qu’il s’agit de dépasser, est une ascèse et la seule façon d’accéder à la liberté, affirmait Euryale.

« — La famille est une cellule qui repose, évidemment, sur les liens karmiques, mais on se plaît à les fortifier par des fausses obligations au lieu de distendre ce que l’affectivité, et non l’amour, a tissé.

« La Haute Magie, celle qui commande aux énergies, tant élémentaires que psychiques, comporte pour celui qui veut l’exercer cette compréhension qui dissout les faux liens, entraves à l’épanouissement de facultés ignorées.

« Celles-ci commandent aux énergies occultes et il suffit, lorsqu’on est parvenu à ce stade, de suivre certaines prescriptions guère plus compliquées que des recettes de cuisine, pour acquérir la maîtrise du monde magique, à condition d’abandonner les prétendues obligations envers un clan n’ayant, malgré les apparences, aucun lien avec la famille spirituelle véritable.

Raymond indigné m’interrompit :

— Que pensiez-vous d’élucubrations aussi saugrenues ?

— Je pensais, et je pense toujours, que ce qui est compréhensible à un certain niveau de conscience est dangereux à un autre. Interprétée de façon spécieuse, ce genre d’affirmation se prête à être exploitée par des personnes mal intentionnées, surtout auprès des jeunes générations qui sont plus vulnérables qu’il n’y paraît. Posant beaucoup de questions et ne recevant souvent que des réponses évasives de leurs aînés, qu’elles rendent responsables du monde qu’elles prétendent absurde, elles risquent de tirer des conclusions regrettables de propos séparés d’un contexte et incomplètement assimilés.

« Il s’agit, du reste, d’un problème qui mériterait d’être approfondi ; mais revenons, pour l’instant, à mon récit.

« Je me trouvais à la croisée des chemins, confronté à un dilemme et attiré par un univers inconnu.

« Le monde occulte, précisait Euryale, englobe une dimension hyperphysique, qui ne peut être appréhendée que par une conscience élargie. Les énergies occultes sont les forces cachées de la nature. Il est possible, voire souhaitable, de se mettre en rapport avec des entités invisibles que nos contes de fées évoquent naïvement. Chaque arbre a son esprit, chaque grotte son gnome et tout, dans la nature, reflète un dynamisme qui se manifeste sous une forme adaptée aux êtres et aux choses.

« Nous l’avons oublié, car en un cycle écoulé, nos ancêtres surent communiquer avec ces entités. C’est cette réminiscence que reflètent nos légendes. Percevoir ce dynamisme, pouvoir par résonance entrer en contact avec des forces cachées, est le secret que je partage avec Fidèle et que je partagerai avec vous, Frédéric, si toutefois vous choisissez la voie que je vous propose.

« Séduit par les dons dont elle faisait état et qui étaient réels, car elle savait donner des preuves de son pouvoir, j’hésitais, troublé. Je me posais des questions quant à la meilleure façon d’accomplir mon destin. Je scrutais le tréfonds de moi-même. Quelque chose m’avertissait. Quoi ? j’aurais eu peine à le dire. Aujourd’hui, je pense pouvoir répondre, parce que je sais, l’ayant éprouvé, que la conscience profonde est un maître intérieur qui ne trompe jamais.

« La façon dont Euryale envisageait le « lâcher-prise » nécessaire à l’accès à la maîtrise me semblait entachée d’un vice rédhibitoire, celui d’une recherche de pouvoir, d’une recherche de domination.

« Des êtres très proches par leur compréhension et par leur amour, sans jamais essayer de m’influencer, m’aidèrent et facilitèrent ma décision. Non, je ne suivrais pas Euryale, et la voie qu’elle s’efforçait de décrire comme limpide et claire.

« — La grande hiérarchie, avançait-elle comme ultime argument, soutient ceux qui, sur le sentier de l’initiation, ont atteint un certain seuil et veulent poursuivre leur ascension vers les sommets de la Connaissance. On peut bien mieux comprendre et aider les siens en ayant sevré les liens qui enchaînent, ne serait-ce que pour en créer de plus authentiques sur un autre plan.

J’acquiesçai, car l’affirmation en elle-même ne me paraissait pas fausse, mais je refusais de m’engager plus avant, conscient que des allégations, même justes, cachent des pièges redoutables.

« — Vous ne savez pas ce que vous faites, malheureux ! s’écria Fidèle en apprenant ma décision. Euryale est une déesse. Elle est investie par une fraternité qui encercle le globe. Elle est là pour guider et votre aveuglement est une chausse-trape que le Malin dresse sous vos pas. Je ne veux pas vous dévoiler tout ce que je sais, mais dire « non » est vous préparer de sombres lendemains. Vous avez atteint un niveau de compréhension qui vous donne une responsabilité particulière. Revenez sur votre décision !

« Je le remerciai de tout cœur, car je sentais toute la ferveur de son amitié. Mon refus ravivait, j’en eus l’intuition, un doute déchirant qu’il ne voulait pas s’avouer.

« Nous nous séparâmes. Euryale, entraînée par une ambition dévorante, exigea de Fidèle abdication sur abdication. Elle lui demanda de violer sa propre nature, ce qu’il fit par amour aveugle pour elle. De viril elle le voulait efféminé. Il céda même sur ce point, mais d’abandon en abandon, il se laissa mourir.

« Malgré l’art magique dont elle prétendait avoir le secret, elle était incapable de le sauver. Fidèle, ne se soumettant plus à son emprise, lui échappa.

« Ayant décelé que la voie envisagée par Euryale conduisait ailleurs que prévu, il choisit le grand départ. Ayant voulu aller trop loin et surtout dans une direction opposée à celle initialement choisie, Euryale le perdit et avec lui certains pouvoirs. Ne cherchons pas à savoir pourquoi, acceptons le fait et ajoutons, pour la petite histoire, qu’elle ne s’en remit jamais. Elle vit seule et ne peut pas ignorer les raisons qui firent qu’elle perdit ses moyens.

— Quelles sont-elles, ces raisons ? demanda Raymond. J’avais ébranlé ses convictions, j’en étais conscient.

— Nous sommes mal placés pour vouloir trouver logiquement des arguments rationnels pour expliquer ce qui échappe à notre perspicacité. Je pense que l’homme a des pouvoirs, dont certains ignorés, lesquels, lorsqu’ils sont justement dirigés, s’exercent dans le sens de la Loi Universelle qu’il s’agit de respecter.

L’expérience humaine doit, précisément, permettre de la découvrir, afin d’œuvrer en symbiose avec elle. A défaut, la souffrance, sous quelque forme que ce soit, servira d’avertissement sévère.

En développant ses facultés, Euryale aurait dû se débarrasser de toute velléité d’imposer son autorité. Très certainement initiée par un maître, elle dévia du droit chemin et, dès lors, elle paya ses erreurs. De magicienne elle devint sorcière, en donnant à ce terme un sens péjoratif. Ne vous en déplaise !

La Magie existe, faut-il encore préciser de quelle magie il s’agit. L’initié aux lois secrètes de la nature sait diriger des énergies occultes et sait prévoir les phénomènes qu’elles induisent ou provoquent.

Cette science des rapports occultes peut être appelée « magie », car la magie opérative se fonde sur la connaissance des lois qui commandent aux œuvres secrètes de la nature. Il s’ensuit que la magie, en tant qu’art, est l’application pratique de cette connaissance.

« La Nature, disaient les anciens, est la servante du Mage. »

Il va sans dire que la magie d’une époque peut devenir la science d’une autre et que bien des secrets « gnostiques » sont aujourd’hui tombés dans le domaine scientifique.

Le Mage, dans la signification propre du terme, se sert aujourd’hui, comme jadis, de ses connaissances pour insérer son action dans le Grand Plan de l’Univers. Il cherche donc à œuvrer dans le cadre de ce Plan Cosmique qu’il tente de mieux cerner, en élargissant constamment sa vision du monde.

Ayant, alors, dans la pure tradition initiatique, choisi la Voie dite de la main droite, il reste fidèle à lui-même, soit à l’aspiration qui le conduisit à postuler l’initiation aux Mystères de la Nature.

Des pouvoirs employés pour atteindre un résultat personnel, ou un but favorisant un groupe ou une collectivité, font de lui un magicien de la main gauche, donc dans le sens péjoratif du terme, un sorcier.

La distinction ainsi faite semble claire, mais il faut se garder d’une conclusion simpliste. Il est plus difficile qu’il n’y paraît de séparer les deux voies, car subtils sont les pièges sur le chemin long et ardu qui, des ténèbres de l’inconscient, conduit à la lumière des sommets, soit à la conscience éveillée, laquelle est le fruit savoureux de la Vie.

Il mûrit, ce fruit, de l’aube à l’aboutissement, puisque chargé des saveurs des profondeurs et gonflé de la sève que dispense le soleil de l’Esprit. Tout au long de l’évolution, seule la lucidité empêche le néophyte d’éviter l’attrait de l’illusion, de la satisfaction, de la justification et de mille autres pièges qui conduisent de la Voie de la main droite à celle de la main gauche.

Il ne s’agit pas d’une affirmation gratuite, il faut se rendre à l’évidence que chaque individu est initié à un certain niveau. Celui de son travail, celui de son violon d’Ingres et souvent, sans le savoir, celui des forces plus subtiles qui échappent à son discernement.

Il y a loin, certes, de l’Initiation partielle à l’Initiation globale qui fait de l’initié un habitant de l’Univers, le Cosmos tout entier étant sa demeure.

Dans l’intervalle s’exercent la bonne et la mauvaise magie, mais voyons de quoi il s’agit.

Pour étudier le problème de la magie sans parti pris, il faut se demander quelles sont les énergies subtiles les plus accessibles à l’homme. Tout d’abord les énergies « PSY » groupées aujourd’hui dans le cadre d’une science nommée psychotronique. Ensuite, le domaine très vaste de la médiumnité. Moins connues et bien moins accessibles sont les sciences à proprement parler « magiques ».

Ainsi, le pouvoir d’agir sur la forme astrale de son corps, permettant, au dire des adeptes, d’apparaître sous n’importe quelle forme et de se transporter en n’importe quel lieu, se situe dans le domaine de la maîtrise.

A cette possibilité, si tant est qu’elle existe, se rattachent une série de phénomènes de clairvoyance, de visions prémonitoires et de métagnomie, faculté permettant, sous certaines conditions, de faire surgir des images d’événements lointains ou d’événements s’étant produits dans des existences passées.

Le mécanisme de ce genre de résurgences reste un mystère, mais la pierre angulaire de la magie est certainement la connaissance approfondie d’un phénomène qui, à défaut d’un autre mot, peut être nommé magnétique. Il s’agit d’un rayonnement d’une grande subtilité et tout ce qui existe semble, à des degrés divers, émettre ce rayonnement. Les Orientaux l’appellent « Aura ».

On pourrait considérer comme phénomènes liés au magnétisme l’hypnose, la transmission de pensée, la vision à distance sans secours des yeux, la guérison ésotérique, la lévitation, l’extase et l’envoûtement, sans que cette énumération se veuille exhaustive.

Le sommeil léthargique des fakirs, la faculté de charmer les serpents, de les rendre raides comme des bâtons, ce que fit Moïse devant le pharaon, ainsi que le pouvoir hypnotique d’animaux sur d’autres animaux, voire sur des hommes, entrent dans la même catégorie.

Or, en fonction de leur avancement les adeptes, tant de la main droite que de la main gauche, sont capables d’exercer une influence sur les champs magnétiques d’autrui. Ils connaissent les secrets des herbes aux propriétés mystérieuses, pouvant provoquer songes et enchantements, et les moyens de doser les effets par des rites appropriés, ce qui évite la nocivité des drogues auxquelles les non-initiés s’adonnent à seule fin de stimuler leur jouissance.

La clairvoyance des anciennes pythonisses fut fondée sur ces connaissances, rendant possibles, d’une part, le contact avec certaines formes d’énergies élémentales et, d’autre part, l’accession à une supra-conscience.

Il s’agit dans ce dernier cas d’une voyance spirituelle que ne vient entraver aucun effet de mémoire ou d’imagination dû à la persistance d’images enregistrées par le cerveau.

Suivant l’expression de Platon, l’âme s’élève alors, au-dessus de tout lien inférieur, donc de tout lien sensoriel ou imaginatif. Pour éclairer une terminologie ancienne, précisons qu’enthousiasme et fantaisie furent deux termes opposés, les « enthousiastes » étant, à Eleusis ou à Delphes, les postulants admis aux Mystères, tandis que les « fantaisistes », victimes de leur imagination débordante, en furent exclus.

Il faut souligner que si le médium, pour accéder à certaines perceptions, est obligé de se mettre en transe, donc en un état second qui le prive de son libre arbitre, l’adepte n’a besoin que de quelques minutes d’intériorisation pour atteindre un état en lequel la perception hyper-physique devient possible. L’intériorisation est favorisée par le son de clochettes ou la vibration sonore d’un gong, et les rituels de toutes les traditions se servent de ces supports.

La magie est aussi vieille que le monde. Appelée science des sciences, elle constituait, jadis, le dernier échelon de l’Initiation sacerdotale en Egypte et en Grèce. A ce niveau, elle représentait la manifestation active de la spiritualité vraie. L’une des expressions de la magie blanche, sous sa forme la plus pure, fait de l’alchimie l’ « Art royal » que même l’Église ne condamna jamais, tout au moins officiellement.

Comment l’aurait-elle fait puisque cet « Art » fut pratiqué par le bienheureux Raymond Lulle et le grand saint Thomas d’Aquin.

L’alchimie ésotérique est la science des transmutations qu’induit la lumière, celle de l’Esprit, et cela nous conduit à la constatation qu’un monde de connaissance sépare la cartomancienne du Mage-Prophète. Toute technique, même parfaitement rodée, ne doit, en aucun cas, être assimilée à la sapience mystique.

Elle seule offre les moyens de dissoudre les obstacles s’opposant à la compréhension des hautes vérités métaphysiques. Elle seule rend possible le contact avec la source intarissable de l’inspiration qui vient d’en haut.

Elle seule débouche sur la communion avec l’essence suprême des choses, sur l’extase.

Fou dangereux est celui qui veut pratiquer la magie sans être résolument engagé sur la voie du Bien, soit sur la voie qui fait de lui le collaborateur au Grand Œuvre de la Nature.

Fou dangereux est celui qui s’imagine pouvoir, sans ascèse préalable, dominer les énergies aveugles qu’il déchaîne dans l’espoir de les plier à sa volonté. Amplifiées, tel un torrent que gonflent les eaux qu’il rencontre, elles l’engloutiront tôt ou tard.

Il n’empêche que les magiciens de la main gauche ne désarment pas. Ils savent que la magie est un art mystique et qu’il n’y a pas de mystique sans spiritualité, et c’est bien pourquoi ils se réfèrent continuellement à elle et à ses lois, tout en s’appuyant sur le fait qu’aucun secteur de la pensée et de l’activité humaine n’est étranger à la magie.

Dès lors, pour atteindre le résultat qu’ils convoitent, ils s’efforcent de soumettre certains de ces secteurs à leur influence. Ils le font sciemment, mais leur autorité est constamment renforcée par le nombre croissant d’individus qu’attire le phénomène occulte qui, à défaut de discernement, se fourvoient dans une impasse.

Le problème prend, en notre temps, une importance d’autant plus grande que reculent les limites de ce qui reste inconnu et qu’augmentent les pouvoirs des hommes.

Bien plus nombreux qu’on ne le pense sont ceux qui pratiquent la magie inconsciemment, et qui plus est, de bonne foi. Or, l’ignorance ne préserve pas des conséquences de l’action et lorsqu’on se trompe sans le savoir, on paye comme si l’on savait. S’imaginer être sur la bonne voie et justifier un comportement en se racontant des histoires, sans percevoir les motivations véritables, imaginer un faux prétexte et y croire, est un pas sur la voie de gauche.

Manquer de vigilance et de lucidité, c’est devenir la victime d’un mécanisme de pensées déterminant des actions aux conséquences parfois lointaines.

Il est bon de réaliser que le désir de progresser sur la voie de la Connaissance peut voiler des sollicitations non reconnues, donc conduire à une mauvaise utilisation des facultés d’Intelligence. Dès lors, invoquer son bon droit sans se préoccuper de la responsabilité découlant d’un manque de compréhension ne préserve pas des effets éventuels, conséquences de l’imprévision.

Choisir un faux gourou dont les théories satisfont l’intellect et flattent l’orgueil, sans en prendre conscience, en est un exemple.

Il est important de se rendre à l’évidence que la pénétration des arcanes du monde invisible ne doit pas simplement satisfaire une curiosité.

Puisqu’il est possible de mobiliser des énergies aux effets considérables, on doit prendre conscience de l’Unité fondamentale de l’Univers et œuvrer en conséquence.

Si l’on comprend que chaque acte se répercute dans le monde ambiant, et que pour échapper à une fatalité due apparemment à un destin cruel il est essentiel de se soumettre aux lois cosmiques auxquelles personne ne peut se soustraire, on se trouve sur le droit chemin.

Alors, par cette soumission même, se modifie la trajectoire, se modifie ce qui semblait « écrit ». Qu’on le veuille ou non, tout égocentrisme, même au sens large du terme, soit celui qui englobe une famille ou un clan, est opposé au Plan de l’Univers dont la Loi d’Amour s’exerce à différents niveaux, mais toujours en fonction de l’interdépendance de toute chose avec toutes les autres. Méconnaître cette Loi, c’est agir à l’encontre de ce plan en cédant à l’attrait du pouvoir ou à celui de la satisfaction des désirs, ou encore à celui d’un intérêt jugé légitime par rapport, non au Grand Tout, mais à soi.

Inévitablement, on suscite une opposition génératrice d’affrontement et l’on emprunte, ainsi, la voie de la main gauche.

Il s’agit, cependant, de ne pas confondre l’indispensable technique existentielle, qui s’inscrit dans les us et coutumes des tâches quotidiennes, avec le désir de puissance ou de domination qui entraîne les hommes sur une pente savonneuse.

Si, en se connaissant, en connaissant le pouvoir de la pensée et le pouvoir de l’esprit, on emprunte la voie de l’Harmonie, si l’on recherche ce que Socrate appelait « le plus grand Bien », on exerce la Magie Blanche. Elle débouche sur la Liberté Principe qui est inscrite dans l’évolution humaine.

Par voie de conséquence, le magicien blanc ne violera jamais l’univers psychique ou physique d’un homme. Mentionnons, en passant, que son univers spirituel est, par définition, inviolable.

Déceler et capter les forces universelles auxquelles mille fibres nous rattachent, c’est devenir le canal de ces forces, c’est entrer en résonance avec l’Intelligence supérieure dont elles dépendent, à condition de ne pas se laisser abuser par les phénomènes mal interprétés ou mal reconnus, aptes à illusionner toute personne insuffisamment préparée.

L’initié comprend que tout dans le monde est mouvement, vibration, rythme. Il sait que le rythme est une périodicité dynamique, une alternance de phases complémentaires. Il est averti que le rythme assimilé par nos ancêtres à « l’âme du monde » manifeste l’éternelle musicalité du Silence cosmique, soit l’Ordre souverain dans l’Espace et dans le Temps.

Assis sur une chaise, l’initié se rend compte qu’il n’est immobile que par rapport à la chaise, puisque la Terre tourne à une vitesse prodigieuse, mouvement qu’il ne pourrait déceler qu’à partir d’un point de repère extérieur à elle.

Il est conscient que le cerveau n’est qu’un centre conscienciel parmi d’autres et que par l’intermédiaire de ces autres centres, il est possible de capter des vibrations subtiles que le cerveau transforme en perceptions. Ces vibrations subtiles, il le sait, peuvent être focalisées et dirigées pour être restituées sous diverses formes, sous certaines conditions.

Il sait que le corps humain est un support d’énergies, que la Vie se manifeste dans le corps comme une pulsation rythmique et que l’émergence de la conscience est l’émanation de l’Esprit, rendue possible grâce à la complexité de l’organisme humain, conséquence d’une longue, très longue évolution.

Il sait qu’il peut régner sur toute chose par l’esprit et, dès lors, agir sur la matière, tant subtile qu’épaisse.

Cela dit, il est téméraire d’entreprendre ce que nous sommes convenus de nommer « opération magique » sans connaissances réelles. L’ignorance de ce postulat explique le nombre élevé d’apprentis sorciers aptes à déchaîner la tempête, sans connaître le maître mot qui pourrait la calmer.

Toute prise d’influence, qu’il s’agisse d’hypnose ou de suggestion, qu’il s’agisse d’affirmations vraies, fausses ou simplement non vérifiées, ayant trait à des pouvoirs occultes, à seule fin d’exercer une autorité ou un pouvoir, est un acte de magie noire.

La volonté dirigée agissant à distance, l’envoûtement, l’influence magnétique, la fascination que produit, par exemple, une puissance oratoire se muent en magie blanche ou noire suivant l’intention consciente ou inconsciente de celui qui l’exerce.

Il est vrai que la magie a fort mauvaise réputation. Trop de faux mages abusèrent les crédules.

Au siècle de la raison raisonnante, on cherche à la ridiculiser. L’homme moderne sourit lorsqu’on lui parle de l’archidruide qui exécutait des cures magiques sans fournir d’explications « plausibles ». Il nie que dans la Pierre Philosophale se trouve la clé des problèmes de la Vie et de la Mort.

Condescendant, il admet pourtant, avec Shakespeare, qu’il y a plus de choses entre Terre et Ciel que notre raison ne saurait le concevoir, en ajoutant aussitôt que fables et superstitions ne sauraient justifier des références à une doctrine secrète et universelle, puisque aucun document n’atteste l’authenticité de ce « soi-disant » Trésor Sacré de l’Humanité.

Ce trésor, néanmoins, existe. Il s’agit d’une transmission mythique suivant laquelle la matière est soumise à l’Esprit. Il s’agit d’un ensemble de connaissances, de pratiques ou de rites qui se conforment à « l’Ordre du Ciel », donc à « l’Ordre de la Nature ».

Il s’ensuit qu’en fonction de cet ordre, toute action rituelle, liturgique, tout appel au sacré, par évocation ou invocation, prière ou méditation, sont des actes magiques faisant appel à des forces spirituelles qui se manifestent sur divers plans.

En conséquence de quoi, tout acte est, en fait, un acte « magique », étant bien entendu que tout acte banal n’entraîne que des conséquences banales, mais que prier, méditer, prendre un repas, accomplir un travail ou lire un poème comporte une transformation qui justifie l’appellation donnée à l’Univers par les alchimistes, qui le désignaient comme étant l’Athanor, le four des transmutations qu’induit la Lumière au propre et au figuré.

Le mouvement relie tout ce qui existe. L’homme, partie intégrante de ce Tout Magique, peut par le Beau, le Bien et le Vrai, exprimer l’Harmonie qui est la Loi.

En prendre conscience et s’ouvrir un monde féerique, c’est accomplir son destin. Euryale l’affirmait tout haut et elle avait raison. Ce qu’elle voilait, volontairement, était son ambition et, dès lors, sa responsabilité ne peut être mise en doute.

Fidèle s’en aperçut, hélas, très tard. Il accepta les conséquences de son manque de lucidité. Il le paya de sa vie.