Hildegarde de Bingen une gnostique du XIIe siècle

Peut-être n’est-ce pas sans raison profonde que des œuvres, des figures, oubliées depuis des siècles, réapparaissent en nos jours. Comme si le besoin, la faim, de l’être faisait ressurgir providentiellement la nourriture dont il a besoin. Des étonnantes figures du Moyen-âge occidental Hildegarde de Bingen n’est pas la moindre. Hildegarde, abbesse de Rupertsberg, vécut de 1098 à 1179, elle revêtit l’habit religieux vers 1116. Dès sa plus tendre enfance elle eut d’étranges visions et, vers 1141, elle écrivit à St Bernard de Clairvaux pour le consulter au sujet de ses visions persistantes

(Revue Aurores. No 42. Avril 1984)

Vous adorez, vous, ce que vous ne connaissez pas; nous adorons, nous, ce que nous connaissons…

Jean. IV, 22

Peut-être n’est-ce pas sans raison profonde que des œuvres, des figures, oubliées depuis des siècles, réapparaissent en nos jours. Comme si le besoin, la faim, de l’être faisait ressurgir providentiellement la nourriture dont il a besoin. Des étonnantes figures du Moyen-âge occidental Hildegarde de Bingen n’est pas la moindre. Hildegarde, abbesse de Rupertsberg, vécut de 1098 à 1179, elle revêtit l’habit religieux vers 1116. Dès sa plus tendre enfance elle eut d’étranges visions et, vers 1141, elle écrivit à St Bernard de Clairvaux pour le consulter au sujet de ses visions persistantes; Bernard l’exhortant à la pratique des vertus spirituelles, garantes d’une vie intérieure juste favorisée ou non de visions, la prie de répondre «de toute la force de son amour … à la grâce» divine qui lui est accordée.

A l’instar de Bernard, sa renommée se répandit dans toute la chrétienté occidentale, entretenant une correspondance avec de nombreux princes de l’état et de l’église, jusqu’à Henri II d’Angleterre et l’empereur Frédéric Barberousse qu’elle exhorta à changer de vie. Ses révélations furent approuvées successivement par trois papes et le synode de Trèves (1148). A l’un de ces papes, cependant, elle n’hésitait pas à écrire: «O homme, l’œil de ta connaissance faiblit…»

L’un des traits les plus significatifs des écrits d’Hildegarde est l’absence d’effusion émotionnelle, si courant chez la plupart des mystiques et son appel à la faculté de connaissance. Ils se situent dans le grand courant de gnose en-dehors duquel l’homme de notre temps ne pourrait pas retrouver le chemin du Cœur.

Ainsi prévient-elle dans son «Scivias» (Sci vias Domini: Connais les voies du Seigneur) :

«Mais vous dites, ô hommes: Je ne peux faire le bien.

mais je dis: Vous le pouvez.

Vous demandez: Comment ?

Je réponds: Par l’Intellect et la Raison.»

Que sa parole soit nourriture pour les chercheurs de vérité de notre temps comme elle l’était déjà pour son secrétaire, Guibert de Gembloux, qui écrivit:

« … cette femme divine … puise à sa plénitude intérieure et elle la déverse, afin d’étancher la soif des assoiffés !»

LA PREMIERE VISION

(extrait)

La figure parle en ces termes:

C’est moi l’énergie suprême, l’énergie ignée.

C’est moi qui ai enflammé chaque étincelle de vie.

Rien de mortel en moi ne fuse.

De toute réalité je décide.

Mes ailes supérieures enrobent le cercle terrestre,

dans la Sagesse je suis l’ordonnatrice universelle.

Vie ignée de l’essentialité

puisque Dieu est intelligence, comment pouvait-il ne pas œuvrer?

Par l’homme,

il assure l’épanouissement de toutes ses œuvres.

L’homme, en effet, il le créa à son image et à sa ressemblance,

en lui, il inscrivit, avec fermeté et mesure, la totalité des créatures.

Une fois la dite œuvre achevée, il remit entre les mains de l’homme

l’intégralité de la création:

afin que l’homme pût agir avec elle, de la même manière

que Dieu avait façonné son œuvre, l’homme.

Ainsi donc, je  suis serviteur et soutien.

Par moi en effet, toute vie s’enflamme.

Sans origine,

sans terme,

je suis cette vie qui, identique, persiste, éternelle.

Cette vie, c’est Dieu.

Elle est perpétuel mouvement, perpétuelle opération,

et son unité se montre en une triple énergie.

L’éternité, c’est le Père.

Le Verbe, c’est le Fils,

le souffle qui relie les deux, c’est l’Esprit saint.

Dieu l’a représenté dans l’homme:

l’homme a en effet un corps, une âme, et une intelligence.

Le livre des œuvres divines traduction Bernard Gorceix.

BIBLIOGRAPHIE

Le lecteur français peut être reconnaissant à B. Gorceix, M.M. Davy et R. Pernoud d’avoir mis à sa disposition les ouvrages suivants:

Œuvres d’Hildegarde de Bingen en français:

— le livre des œuvres divines (vision), traduction et étude de Bernard Gorceix, Albin Michel, 1982.

Il a existé une édition française (malheureusement introuvable aujourd’hui) de:

— Scivias ou les trois livres des visions et révélations, Librairie Chamonal, 1912.

Sur Hildegarde de Bingen, voir:

— Hilda Graef, Histoire de la mystique, Seuil/Livre de vie, 1972

— M.M. Davy, Essai sur la symbolique romane, Flammarion, 1955 — M.M. Davy, Initiation médiévale, Albin Michel, 1975

— J. Deluzan, Encyclopédie des mystiques, t. II, Seghers, 1972

— R. Pernoud, La femme au temps des cathédrales, Stock, 1980