Jacques Becker
Les modes de la musique indienne

Contrairement à la musique occidentale que l’on pourrait qualifier de « Rajasique » (où la joie sensorielle prédomine) par le nombre de mutations harmoniques qui la caractérisent ou même « Tamasique » (dépourvue de tout sens artistique) dans le cas de certaines musiques actuelles atonales, cette musique est exclusivement « Sattvique », c’est-à-dire qu’elle oriente l’esprit vers une réalité au-delà des sens, par le biais d’une joie sensorielle, pour atteindre la sérénité.

(Revue Panharmonie. No 189. Janvier 1982)

Qu’est-ce que le Raga ? Inventé au Xe siècle en Inde, le mot signifie littéralement « qui teinte quelque chose » (un état d’âme). Mais on a coutume de le traduire en occident par le mot « mode », c’est-à-dire la forme ou couleur d’une gamme et la manière de la développer.

Contrairement à la musique occidentale que l’on pourrait qualifier de « Rajasique » (où la joie sensorielle prédomine) par le nombre de mutations harmoniques qui la caractérisent ou même « Tamasique » (dépourvue de tout sens artistique) dans le cas de certaines musiques actuelles atonales, cette musique est exclusivement « Sattvique », c’est-à-dire qu’elle oriente l’esprit vers une réalité au-delà des sens, par le biais d’une joie sensorielle, pour atteindre la sérénité.

Le Raga n’est en fait que la musique traditionnelle et scholastique de l’Inde : sa première et très ancienne forme, le DHRUPAD, était plus spécialement orientée vers le chant dévotionnel ; sa seconde forme, le KHEAL, principalement développé par les Musulmans, perdit quelque peu sa poésie au profit d’une joie sensorielle accrue. Enfin, sa troisième forme, le THUMRI, fut en quelque sorte un retour à la poésie originelle avec toutefois l’apport de la seconde forme. D’abord profane, le THUMRI fut ensuite largement usité pour la dévotion. C’est essentiellement de cette forme, la plus récente, dont nous parlerons ici.

La correspondance entre solfège occidental et solfège oriental est assez subtil à saisir : les notes indiennes (sa re ga ma pa dha ni) ne désignent que les degrés de la gamme, alors que les notes occidentales (do ré mi fa sol la si) ont leur hauteur fixée une fois pour toutes. Deux signes complémentaires, komal et tibra, permettent de désigner chacun des douze degrés de la gamme chromatique occidentale.

Un Raga est toujours improvisé suivant des règles de style précises et s’interprète toujours accompagné de deux notes tenues, à savoir le sa et le pa, c’est-à-dire le premier et le cinquième degré de la gamme.

Sur l’harmonium indien, le Raga ne se joue que de la main droite (sans cependant l’usage du petit doigt), pendant que la main gauche actionne le soufflet de pompage qui donne du même coup l’expression. Pour une question de doigté, chaque mode (ou Raga) verra son premier degré sur l’une des douze notes différentes qui composent le clavier occidental, note qui lui sera propre : on pourra donc avoir un Raga dont la gamme commence par do et un autre dont la gamme commence par fa ou mi bémol, etc. (à suivre)

(Revue Panharmonie. No 190. Avril 1982)

Pour appréhender pleinement la musique indienne, il est nécessaire de savoir que le rythme y compte largement pour moitié — on notera à ce sujet que les instruments de percussion apparurent les premiers dans la quasi totalité des civilisations, suivis de prés par les instruments à vent du type flûte —. L’Inde se trouve donc l’héritière d’une grande tradition dans le domaine du rythme, tant au niveau théorique qu’au niveau des instruments.

A l’époque du DHRUPAD, on accompagnait les chants dévotionnels avec le pakhoaj, sorte de gros « tambour » avec une peau tendue à chaque extrémité, un côté grave et un côté aigu. L’actuel tabla n’est autre que le dédoublement du précédent instrument : deux petits « tambours », un grave et un aigu, posés par terre et constituant une perfection en soi pour l’interprétation précise des tal (rythmes).

Chaque rythme (tal) comprend un certain nombre de temps (matra) avec toujours un temps fort (som) et un temps faible ou « vide » (fhank). D’une façon générale la période des rythmes indiens est beaucoup plus longue que celle de nos rythmes usuels à deux, trois ou quatre temps : en effet, elle est facilement de six, huit, dix ou douze, voire seize temps, ce qui n’est pas pour en faciliter la perception !

Un tal est répertorié par un vocabulaire qui lui est propre et dont chaque « mot » tente d’imiter le bruit qu’il est destiné à produire sur le tabla ; ainsi par exemple le tal « DHA (temps fort) DHIN DHA DHA (temps vide) THUN NA » (il s’agit ici d’un rythme simple à six temps, mais de nombreux rythmes voient certains de leurs temps divisés par deux ou par quatre…).

Si le cadre d’un tal est parfaitement rigoureux quant au nombre de temps, à la place des temps forts et temps vides et à la vitesse d’exécution (la vitesse est fixée au départ, mais elle peut subir une accélération en fin d’interprétation), en revanche tous ornements et improvisations demeurent possibles à la seule condition de pouvoir à tous moments « retomber sur ses pieds ».

On verra, par la suite, que le tal sert essentiellement à accompagner un chant composé dans un râga à l’intérieur de celui-ci et qu’il est traité comme un véritable « interlocuteur » du soliste pendant le développement improvisé dudit chant.  (à suivre).

(Revue Panharmonie. No 191. Juillet 1982)

Une courte étude du solfège, puis du rythme en Inde, nous mène tout naturellement à voir l’interprétation proprement dite du Raga.

La façon la plus complète de donner un récital de cet art est celle qui utilise deux, voire trois instruments : l’instrument soliste ou mélodique — qui peut être soit la voix humaine, soit un instrument à vent tel que le sanaï ou l’orgue indien, soit un instrument à cordes pincées tel que le sitar ou la vina, soit encore un instrument à cordes frottées tel que le sarangi — est toujours (ou presque…) accompagné d’une percussion (en général le tabla) qui fournit la base rythmique nécessaire à l’exécution et au développement d’un chant, ou plus simplement d’un thème mesuré appelé GAT ; ces deux instruments principaux pouvant se trouver renforcés par l’adjonction d’un tanpura, sorte d’instrument à cordes pincées accordé en début d’interprétation aux notes tenues du raga considéré (peu indispensable lorsque l’instrument mélodique possède déjà ses propres notes tenues comme c’est le cas pour le sitar ou l’orgue par exemple).

L’exécution bien ordonnée d’un raga comporte trois parties dont deux seulement sont réellement distinctes. La première partie ou ALAP consiste pour le soliste à exposer le mode de façon très libre et sans rythme ; il s’agit bien sûr d’improvisations, mais dans un style intrinsèque au mode proposé, style qui peut toutefois varier d’un type d’instrument à l’autre, voire même d’une école à l’autre.

La seconde et la troisième partie sont étroitement liées, puisqu’il s’agit respectivement de l’introduction du chant (ou du GAT) qui démarre du même coup le rythme au tabla, puis du développement improvisé du chant (ou GAT).

A noter qu’un chant est toujours rigoureusement composé dans un rythme précis et qu’il comporte deux parties distinctes (ASTHAYI et ANTARA) qui seront développées séparément en prenant soin de revenir à ASTHAYI en fin d’interprétation.

Si l’exécution des parties du chant (ou du GAT) est strictement mesurée, au contraire le TAN (développement) doit totalement quitter le rythme : il s’agit en fait de formules d’ALAP largement ornementées en virtuosité qui progressent parallèlement au rythme imperturbable.

De fréquents retour à ASTHAYI ou ANTARA sont à prévoir et il conviendra pour cela de réintégrer très adroitement le flot rythmique au bon endroit : l’effet en est extatique, surtout si l’on a pris soin d’accorder la pièce droite du tabla dans le ton du raga. (Certaines formes d’interprétation, en particulier dans le KHEAL, traitent le TAN comme un dialogue soliste-percussion ; dans ce cas l’improvisation se fait sans jamais quitter le rythme, lequel se développe à son tour pendant la reprise du thème composé, chant et GAT). (à suivre)

(Revue Panharmonie. No 192. Octobre 1982)

Il est temps de parler du dernier né des instruments propres à l’interprétation du Raga et qui peut être déjà considéré comme entrant dans la tradition : l’Orgue Indien. Produit de l’adaptation tardive (fin du XIXe siècle) du clavier chromatique et tempéré venu d’Occident, cet instrument soliste connaît en Inde un regain d’intérêt depuis la création de l’école de Raga sur harmonium par un prince de GWALIOR — Ganapat Rao — qui proposa un ensemble de doigtés pratiques pour chaque Raga, ainsi qu’une manière de développement propre. Ce fut sur son initiative qu’un artisan de Calcutta, Kanaieal Das — grand-père de Swami Shraddhananda Giri qui transmet actuellement cet art — transforma l’harmonium de facture européenne à l’usage exclusif du Raga : adjonction de notes tenues, clavier « flottant » permettant l’accord avec la voix ou la pièce droite du tabla, soufflet de pompage actionnable de la main gauche pour le contrôle de l’expression, petite taille pour jouer en position du « tailleur », typique du récital de musique orientale.

Certains occidentaux pensent que les instruments tempérés sont incompatibles avec les modes indiens qu’ils croient définis en quarts de ton ; tout comme les modes occidentaux majeur et mineur, les quelques quarante-deux modes de l’Inde sont définis sur le même principe harmonique avec des intervalles minimum d’un demi-ton. Pour ce qui est du tempérament proprement dit, je défie quiconque d’apprécier la subtilité grandement théorique qui existe entre un demi-ton chromatique et un demi-ton diatonique ! Par contre, une esthétique à base de glissendi a largement été développée dans cette partie d’Orient pour pallier à la « sécheresse » d’une musique monodique à harmonie non évolutive. Mais il serait vain de confondre cette « esthétique exotique » qui contribua largement à l’engouement occidental pour la musique indienne, avec une quelconque impossibilité théorique d’associer à cet art tout instrument venu de l’étranger. (A noter à ce sujet que déjà le Sitar fut importé du Moyen-Orient et que la Flûte autochtone est limitée dans les glissendi… pour ne citer que deux exemples.)

Bien sûr, il eût fallu trouver pour l’harmonium une esthétique compensatoire : la grande virtuosité seule possible sur le clavier, un jeu très ornementé d’appoggiatures brèves, ainsi qu’une possibilité de fondu expressif d’une note à l’autre y contribuent largement.

(à suivre)

(Revue Panharmonie. No 193. Janvier 1983)

Le père du Swami Shraddhananda Giri, Dhirendra Nath Das, élève direct de l’école du prince Ganapat Rao, contribua largement à l’expression et au développement du Raga sur l’orgue. De par sa situation d’accordeur à la maison « DAS BROTHERS » fondée par Kanailal Das — son propre père — il put travailler à fond les motifs et les doigtés mis au point par le prince, voire en inventer d’autres maintenant largement utilisés par ses descendants. Bien connu dans le milieu musical de Calcutta, ce précurseur fit école et l’on peut encore entendre certains de ses élèves à la radio… malheureusement, ces derniers prennent souvent quelque recul face à la tradition séculaire du THUMRI (forme de raga exclusivement chanté ou joué sur l’orgue) qui veut que le développement du chant (TAN) quitte totalement le rythme au profit d’une poésie accrue.

Il semble à ce sujet qu’en matière de raga sur l’orgue, la tendance populaire se soit tournée — à l’instar du chorus dans le Jazz — vers un développement rythmé des thèmes mesurés au détriment d’une intériorisation propre au THUMRI : en effet, le principal intérêt de cet art très lié à la philosophie Hindoue réside justement dans le fait qu’il permet une « méditation momentanée » provoquée par « l’évasion musicale » juxtaposée au flot imperturbable d’un rythme à période longue et peu ornementé ; chaque retour à la coïncidence du chant avec la mesure, procurant alors un effet extatique voulu par l’art en question (certains compositeurs occidentaux actuels réutilisent ce procédé déjà très ancien).

Actuellement, Swami Shraddhananda Giri, élève de son père pour la musique et de son grand-père pour la facture d’harmoniums, enseigne cet art en France. Pour mener à bien cette entreprise, nous proposons d’une part la possibilité d’adapter un solfège occidental, d’autre part la possibilité d’importer un instrument manufacturé en Inde. (à suivre).

(Revue Panharmonie. No 194. Avril 1983)

Revenons à la conception Indienne du solfège : basées sur le même système harmonique que les gammes occidentales qui leur ont succédé, c’est-à-dire sur les consonances naturelles (tonique – quinte puis tierce majeur, tonique-septième mineur puis onzième majeur d’où le rapport de la dominante avec une tierce mineur et une quinte) qui donnent naissance aux deux accords parfaits majeur et mineur, les échelles Indiennes comportent au maximum sept degrés distincts, nommés par les premières syllabes des mots sanscrits qui les désignent : SA pour SADAJA, RE pour RISHABHA, GA pour GANDHARA, MA pour MADHIAMA, PA pour PANCAMA, DHA pour DHAIVATA et NI pour NISHADA, ce qui exclut d’emblée la présence de quarts de tous significatifs.

La tonique (SA) et la dominante ou quinte (PA) forment l’épine dorsale de tous les modes de la musique classique de l’Inde ; elles devront résonner pendant toute la durée d’une interprétation pour révéler une esthétique basée sur des rapports harmoniques préalablement choisis, mais exempts des modulations qui visent à créer une mutation dans la perception par le fait qu’elles modifient constamment ces rapports comme c’est le cas dans la musique occidentale. Outre SA et PA immuables, chacun des cinq autres degrés du mode pourra être soit KOMAL (inférieur), soit TIBRA (supérieur), ce qui définit bien les douze sons de la gamme chromatique ; on aura donc ainsi pour un mode donné et par ordre d’importance harmonique : une médiante pouvant être soit la tierce majeur (GA TIBRA), soit la tierce mineur (GA KOMAL), une sous-tonique avec la septième mineur (NI KOMAL) ou une sensible avec la septième majeur (NI TIBRA) appelée ainsi parce qu’elle crée une dissonance attirant la tonique, une sous-tonique pouvant être soit la seconde majeur (RE TIBRA), soit la seconde mineur (RE KOMAL), une sous-dominante pouvant être soit la quarte juste (MA KOMAL), soit la quarte augmentée (MA TIBRA), qui joue le rôle de sensible sur la dominante, et enfin une sus-dominante qui peut être soit la sixte majeur (DHA TIBRA), soit la sixte mineur (DHA KOMAL).

Le RAGA dépasse largement la notion de mode au sens occidental du terme qui le définit comme étant simplement la manière d’être de sept notes entre elles (ce que les Indiens appellent THAT ou « cadre »), puisqu’il comprend son style de développement propre dans tout ou partie d’un cadre donné (plusieurs RAGA différents tirent leur sources d’un même TATH). On distingue dix THAT principaux dans lesquels sont « composés » les quelques 42 RAGAS traditionnels de l’Inde du Nord :

— BILAWAL (S, Rt, Gt, Mk, P, Dt, Nt — Lydien Grec — Majeur occidental)

— KAFI (S, Rt, Gk, Mk, P, Dt, Nk — Phrygien Grec — Mode en RE)

— BHAIRAVI (S, Rk, Gk, Mk, P, Dk, Nk — Dorien Grec — Mode en MI)

— BHAIRAVA (S, Rk, Gt, Mk, P, Dk, Nt — sans équivalent)

— KALLANA (S, Rt, Gt, Mt, P, Dt, Nt — Hypolydien Grec — Mode en FA)

— KHAMBAJ (S, Rt, Gt, Mt, P, Dt, Nk — Hypophrygien Grec — Mode en SOL)

— ASARAVI (S, Rt, Gk, Mk, P, Dk, Nk — Hypodorien Grec — Mineur occidental)

— TODI (S, Rk, Gk, Mt, P, Dk, Nt — sans équivalent)

— PURVI (S, Rk, Gt, Mt, P, Dk, Nt — sans équivalent)

— MARVA (S, Rk, Gt, Mt, P, Dt, Nt sans équivalent).

(A suivre).

(Revue Panharmonie. No 195. Juillet 1983)

Après avoir vu ce qui caractérise un THAT (« cadre » ou mode au sens occidental du terme), étudions maintenant les éléments qui distinguent les différents Ragas à l’intérieur d’un même THAT. Pour ce faire, nous prendrons l’exemple des Ragas TODY et MULTANI, tous deux composés dans TODI THAT (SA, RE komal, GA komal, MA tibra, PA, DHA komal, NI tibra).

Le premier caractère propre concerne des notes utilisées : on observera ainsi dans le Raga TODI le non-usage du 5e degré PA dans la gamme montante, alors que le Raga MULTANI exclut les 2e et 6e degrés (RE et DHA) toujours dans la gamme montante (dans ces deux exemples les deux gammes descendantes sont complètes et identiques, mais d’autres Ragas, comme MARVA, totalement dépourvus de PA, perdent définitivement un ou plusieurs degrés).

Le deuxième caractère concerne la forme de la gamme qui non seulement peut différer selon qu’elle monte ou qu’elle descende, mais dont l’ordre des notes peut être altéré : ainsi le Raga MULTANI voit sa gamme montante commencer par NI au lieu du premier degré SA habituel, ce qui donne les six degrés montants NI, SA, GA, MA, PA, NI.

Ces deux premiers caractères sont résumés par des termes qui définissent le nombre des degrés employés, soit en montant, soit en descendant la gamme : une gamme comportant 7 degrés est dite SAMPURNA (« complet »), alors qu’une gamme n’en comportant que 6 est dite KHARAV (nos exemples se trouvent tous deux qualifiés de KHARAV-SAMPURNA par le fait qu’ils « montent » avec 6 notes et « descendent » avec 7).

Le troisième caractère propre introduit la notion de « note principale » (VADI, « qui parle ») et de « note auxiliaire » (SAMVADI, « qui parle avec ») ; chaque Raga comporte ces deux notes qui lui confèrent en quelque sorte un relief en dominant continuellement l’interprétation : le Raga TODI se verra attribuer GA VADI et DHA SAMVADI et le Raga MULTANI, PA VADI et SA SAMVADI.

Enfin, le dernier caractère définit d’une part le style de l’improvisation par une suite de notes appelées CALAN (« Allure »), d’autre part la façon d’aborder celle-ci avec PAKAD (« prise ») qui plonge directement l’auditeur dans le contexte du Raga. (A suivre).

(Revue Panharmonie. No 196. Octobre 1983)

Il est bon de revenir sur le style de l’improvisation : en effet, c’est lui qui confère au Raga son originalité à l’intérieur du THAT. Le style, esquissé par une suite de notes (CALAN) dont l’ordre et les durées sont propres au Raga considéré, précise la façon de développer ce dernier. Comparons toujours les Ragas TODI et MULTANI, tous deux composés dans TODI THAT : les CALAN sont ici tous deux faits d’une suite de notes à durées égales et dont le jeu de plus en plus rapide sur plusieurs octaves constitue du même coup un exercice de déliement des doigts (Raga /GA, RE / TODI : SA, RE, GA, MA, DHA, MA, GA, MA, DHA, NI, SA, RE/ SA, NI, DHA, PA, MA, GA, RE, SA, NI, SA – Raga MULTANI : NI, SA, GA, MA, PA, NI, SA, GA, GA, RE, SA, NI, DHA, PA, MA, GA, MA, PA, NI, NI, PA, MA, GA, MA, MA, GA, RE, SA, NI, SA.)

Les CALAN (prononcer « Tchalann ») sont complétés par une courte suite de notes appelée PAKAD et par laquelle il convient obligatoirement de commencer toute interprétation du Raga (Raga TODI : SA, RE, GA long, RE long, SA long – Raga MULTANI : NI, SA, GA, MA, PA long). On remarquera que le CALAN ne commence pas systématiquement par PAKAD, il doit être considéré comme une cristallisation des règles de style et non pas, à la différence de PAKAD, comme une formule à jouer impérativement.

Hormis CALAN et PAKAD, on observe une autre règle de style qui régit l’usage des notes hors-THAT, c’est-à-dire des notes n’appartenant pas au mode dans lequel est composé le Raga, mais dont l’emploi agrémente celui-ci dans certains cas très précis. Un des meilleurs exemples se rencontre dans le Raga KAFI, composé dans KAFI THAT (SA, RE tibra, GA komal, MA komal, PA, DHA tibra, NI komal), dans lequel on trouve généralement NI tibra au lieu de NI komal dans la gamme montante, (c’est-à-dire une sensible à la place de la sous-tonique) et où l’emploi du GA tibbra reste possible et même privilégié dans certains chants et TAN (expansion du chant).

D’autres Ragas dont le style requiert plusieurs notes hors-THAT, voire la quasi totalité des notes de la gamme chromatique comme c’est le cas pour le Raga PILU originaire de KAFI THAT, sont dits Raga Mixtes par le fait qu’il est souvent difficile d’en extraire le THAT génésiaque : tout se passe alors comme si le Raga était composé dans un « cocktail » de deux ou trois THAT soigneusement mis en valeur par les règles du style. (A suivre).

(Revue Panharmonie. No 197. Janvier 1984)

Nous avons dans ces quelques articles tenté d’expliciter les principes de la musique classique de l’Inde par le biais de la dernière née de ses écoles, celle du RAGA sur l’orgue; puisse cet art susciter de nouveaux intérêts, d’autant qu’il se présent pour la première fois aux occidentaux sous les traits du traditionnel clavier, pilier de leur musique scolastique.

Outre son esthétique envoûtante, le Raga permet à chacun, contrairement à la musique écrite — fixation figée d’un sentiment ou d’une impression — de recouvrer son équilibre et sa joie primordiale par une improvisation dont les règles préviennent tous dérapages dans le découragement du non-créatif.

Les organistes, pianistes et autres clavecinistes, n’auront aucun mal à appréhender cette technique nouvelle, pour peu qu’ils consentent à laisser aller leur seule main droite sur le clavier au gré de l’inspiration du moment, en oubliant le nom de la note jouée pour n’en considérer que la place dans le mode (SA, RE, GA, MA, PA, DHA, NI). Quant aux autres musiciens, ils gagneront en spontanéité le temps passé à travailler la vélocité des doigts.

(A remarquer qu’il est souvent beaucoup plus facile qu’on ne pense d’apprendre la musique Indienne par le fait qu’elle n’utilise que des instruments monodiques : c’est là le propre de la musique modale, la seule « difficulté » réside peut-être dans la quasi-nécessité d’avoir une certaine émotivité latente pour pratiquer cet art avec succès!)

Swami SHRADDHANANDA GIRI demeure à ce jour le seul professeur de Raga sur l’orgue en Europe. A l’instar des enseignements de nos conservatoires, il propose aux élèves une méthode claire traduite en solfège occidental et offre la possibilité d’importer un harmonium de concert manufacturé en Inde (A noter qu’il est de toute façon préférable d’étudier sur un orgue électronique ou un synthétiseur de commerce).

JACQUES BECKER

Site de Jacques Becker : http://beckerjacques.free.fr/.

Sur Swami SHRADDHANANDA GIRI  voir le site http://www.vedanta.asso.fr/

Swami Shraddhananda Giri, de l’Ordre de Sankaracarya, est né en 1928 à Calcutta (Inde). La vie de son corps terrestre s’est arrêtée le 5 octobre 2006 à Paris.

Il a étudié la langue sanskrite (Panini) ainsi que des textes de la métaphysique indienne (Vedanta, Samkhya, Yoga, etc.) dans différentes écoles traditionnelles de pandits de l’Inde, mais plus particulièrement au Sanskrit College à Calcutta (Toll Department).

Il a ainsi obtenu différents diplômes de pandit (professeur). Swami Shraddhananda Giri a été professeur de sanskrit à l’école de Paramahansa Yogananda à Ranchi (Bihar), en Inde. Il a été initié au Kriya Yoga par Swami Atmananda Giri, directeur spirituel de l’ashram de Paramahansa Yogananda à Dakshineswar (Inde).

Il était également membre et délégué du Monastère Védantique Bholananda Sannyasi Sangha, sis à Hardwar (Inde), où il a été ordonné swami par le Mandaleswar (chef de la communauté), Swami Gobindananda Giri.

Swami Shraddhananda Giri résidait en France depuis 1961. Il a enseigné à l’École des Hautes-Études (Sorbonne). En outre, il a fondé en France une association culturelle, Bholananda Vedanta Sangha, ainsi qu’une revue trimestrielle, Message du Vedanta, pour répandre la tradition métaphysique de l’Inde, les enseignements des grands maîtres spirituels de ce pays, la technique du Kriya Yoga, enseignée auparavant en Occident par Paramahansa Yogananda.