Évêque de l’Église Catholique Orthodoxe de France
(Revue Panharmonie. No 196. Octobre 1983)
Commençons par suivre l’entourage du Christ.
Jean-Baptiste est considéré comme le précurseur, non seulement du Christ, mais de toute la fonction domestique. On en a fait un Essénien. A mon avis cela ne tient pas debout. Il y a à cela plusieurs raisons.
La première, c’est qu’on ne sait pas très bien qui sont les Esséniens. Il est vrai qu’on a trouvé de leurs écrits remarquables et justement, Jean-Baptiste est un homme « hors culture », hors civilisation, hors milieu. Il traverse les couches successives intellectuelles de l’humanité ; il a la puissance spirituelle d’un géant et une instrumentation civilisatrice quasi nulle ; c’est l’homme antique. Voilà la situation, autour du Christ.
On peut dire que Marie est l’obéissance et Jean-Baptiste le Pénitent dans ce sens que « pénitence » en grec, c’est métanoïa ou retour aux valeurs. Vous savez que l’humanité a laissé tomber les valeurs.
Normalement l’homme a l’esprit, et l’esprit de l’homme se nourrit à Dieu, c’est pour cela que nous prions. Ensuite, l’âme est nourrie par l’Esprit puis, l’âme vient nourrir le corps, et le corps vient nourrir le cosmos.
En cas de transformation de la situation, l’Esprit vient parasiter l’âme, qui vient parasiter le corps, qui vient parasiter le cosmos. Et tout ça s’interfère. Quoique l’exposant schématiquement, nous pouvons dire que toutes les pollutions finalement viennent de l’âme.
Lorsque l’esprit n’est pas nourri à Dieu, il vient se nourrir aux énergies psychiques de l’âme et à ce moment-là il « absolutise » les réactions de l’âme, parce qu’il est absolu et que l’âme est incapable de nourrir l’esprit. Mais elle le fait quand même et alors on entend des réactions de ce type : « mais, Monsieur, s’il y a un Dieu, vous n’allez pas me faire croire que des choses pareilles soient possibles. Ma fille est morte, ne me dites pas qu’il y a un Dieu ! ». L’âme a une émotion devant le scandale, la mort, et comme l’esprit n’est pas alimenté, il a absolutisé la douleur, donc la confusion est entre eux.
Que vient faire un homme comme Joseph au milieu de tout ça ? Le mieux, je crois, est de commencer à parler du proto-évangile de Saint Jacques.
Il y a d’abord les Écritures directes puis celles qui viennent en second lieu, ceci est vrai dans toutes les traditions, pas seulement dans la tradition chrétienne. C’est valable dans le monde entier.
Et dans ces livres de deuxième valeur, il existe chez les chrétiens des proto-évangiles ou évangiles apocryphes, très utilisés par les chrétiens de l’Antiquité. Maintenant le proto-évangile de Saint Jacques est presque ignoré des chrétiens. Par contre, on les connaissait très bien aux XIIe et XIIIe siècles. Des proto-évangiles sont représentés dans les mosaïques. Ainsi on peut encore voir toute l’enfance de Marie jusqu’à l’engendrement du Verbe représentée en mosaïque dans le narthex d’une église de Constantinople dédiée à Marie. Le proto-évangile de Jacques raconte la vie de Marie depuis sa conception à elle jusqu’à la conception du Fils.
C’est donc un livre qui a une sorte de parfum évangélique sans l’être à 100 %, et qui a été écrit par un certain Saint-Jacques. Ce n’est ni le frère de Jean, ni Jacques de Jérusalem qui présidait le Conseil des Apôtres, mais le fils de Joseph.
Joseph était un homme âgé. Il semblerait qu’il ait vécu jusqu’aux environs de 77 ans, et il avait des fils dont Jacques le mineur, Simon apôtre et le troisième : Juda.
Maintenant on en fait un jeune homme, c’est une idée nouvelle…
Ce qui est intéressant, c’est que Marie était à Jérusalem, au Temple. Les jeunes filles, vers 14-15 ans, devaient sortir du Temple et, selon la religion juive, se marier.
Il fallait donc que Marie sorte du Temple.
Et je cite le proto-évangile : « Joseph sortit avec sa hache pour se rendre parmi les sages d’Israël qui devaient présider la sortie de la Vierge.
Le Grand-Prêtre appelé par les Sages prit les baguettes de ceux-ci, entra dans le Temple et pria. Lorsqu’il eut terminé sa prière, il reprit les baguettes et les leur rendit. Il n’y avait pas de prodige ! Or, Joseph prit la dernière et voici qu’une colombe en sortit et se mit sur la tête de Joseph. Et le Saint-Prêtre dit à Joseph : « C’est à toi qu’il est échu de prendre sous ta grâce la Vierge du Seigneur. »
Joseph objecta : » J’ai des fils jeunes et je suis vieux. Elle, elle est jeune. Il ne faut pas que je devienne un objet de risée pour les fils d’Israël. »
Le Grand-Prêtre répondit à Joseph : « Crains le Seigneur, ton Dieu. Rappelle-toi ce que le Seigneur a fait à ceux qui ne Lui obéissent pas. Ces gens ont été engloutis à cause de leur désobéissance. Maintenant Joseph, crains que la même chose n’arrive dans ta maison. »
Et Joseph, rempli de crainte, prit Marie en sa garde et dit : « Voici que je t’ai reçue du Seigneur, et maintenant je te laisse en mal de mère. Je m’en vais construire des maisons et je reviendrai près de toi. Le Seigneur te gardera ».
Ceci est le récit du proto-évangile de Jacques.
Mais il y a un autre récit du pseudo-Matthieu. Il faut savoir qu’au début il y avait deux à trois cents évangiles qui très très vite se sont limités à quatre parce qu’ils n’allaient pas au cœur du sujet. Mais le pseudo-Matthieu complète ce récit. Voyons donc :
« Marie avait 14 ans et cela faisait dire aux pharisiens qu’elle devait se conformer à la tradition qui ne permet pas qu’une femme séjourne dans le Temple de Dieu. Alors, on décida d’envoyer un héraut dans toutes les tribus d’Israël pour que tous se réunissent le troisième jour dans le Temple du Seigneur. Or, lorsque tout le peuple se fut réuni, le Pontife s’habilla à part, se leva, monta sur le degré supérieur pour être vu et entendu de tout le peuple.
Un grand silence s’étant fait, il dit : « Écoutez-moi, Fils d’Israël, ouvrez vos oreilles à mes paroles. Il y a dans ce Temple, depuis qu’il a été construit par Salomon, des vierges sous garde des prophètes et des grands-prêtres. Il s’en est trouvé de grandes et d’admirables. Cependant, quand elles sont arrivées à l’âge légal, elles ont pris un époux, elles ont plu à Dieu en suivant la coutume de celles qui les avaient précédées. Mais Marie toute seule a trouvé une manière de plaire à Dieu en promettant de demeurer vierge. Je pense que par une demande de notre part, nous pourrons connaître à qui nous pourrons la donner en garde. »
Toute la synagogue approuva ces paroles et tira au sort parmi les douze tribus d’Israël, et le sort tomba sur la tribu de Juda. Le prêtre dit : « Que quiconque est sans épouse vienne demain et porte une baguette à la main. »
C’est ainsi que Joseph arriva avec les jeunes gens : il apporta une baguette. Tous remirent leur baguette au prêtre. Celui-ci offrit un sacrifice à Dieu et interrogea le Seigneur.
Le Seigneur lui dit : « Place toutes les baguettes dans le Saint des Saints, qu’elles y demeurent et ordonne à ces hommes de revenir demain pour les reprendre. A l’extrémité de l’une d’elles sortira une colombe qui s’envolera vers le ciel. Celui dans la main duquel la baguette aura manifesté ce prodige pourra assumer la garde de Marie. »
Or le lendemain, tous se trouvaient réunis. Après avoir brûlé de l’encens le Pontife entre dans le Saint des Saints et comme il avait tout distribué et qu’il ne sortait aucune colombe d’aucune d’elles, le Grand-Prêtre se revêtit de douze clochettes et de ses habits sacerdotaux, et étant entré dans le Saint des Saints il alluma le Feu du sacrifice.
Tandis qu’il était en prière, un ange lui apparut disant : « Il y a ici une baguette toute petite dont tu n’as tenu aucun compte. Je l’avais déposée avec les autres, va voir, tu y verras le signe que j’y ai mis. »
Cette baguette était celle de Joseph qui avait été écarté parce qu’il était considéré comme vieux et c’est par peur d’être forcé d’épouser la jeune fille qu’il n’avait pas réclamé sa baguette.
Et tandis qu’il se tenait au dernier rang, le Grand-Prêtre l’appela disant : « Viens recevoir ta baguette. »
Joseph s’avança, effrayé, et pendant qu’il avançait la main pour recevoir sa baguette, il s’échappa tout à coup de celle-ci une colombe, blanche comme la neige et extrêmement belle. Elle s’élança vers le ciel.
Alors le Grand-Prêtre lui dit : « Joseph, tu es heureux dans ta vieillesse de recevoir Marie. Reçois-là puisque tu as été le seul choisi par Dieu de toute la tribu de Juda. »
Et Joseph commença de supplier et dit : « Je suis vieux, j’ai des fils, pourquoi me confiez-vous cette jeune fille ? »
Le Grand-Prêtre lui dit : « Souviens-toi, Joseph, de ce que Dieu fait quand on refuse Sa volonté ! »
Joseph répondit : « Je ne veux pas mépriser la volonté de Dieu, je serai le gardien de l’enfant jusqu’à ce que l’on sache de Dieu lequel de mes fils pourra la prendre pour femme. En attendant, elle demeurera avec des jeunes filles, ses compagnes, jusqu’à ce que vienne le jour fixé pour qu’il la reçoive. » »
Voilà le récit très beau qu’on retrouve dans la tradition de l’église antique. Cela donne déjà des indications. Joseph était un homme âgé et juste, c’est-à-dire un homme de justesse, de la tribu de Juda et il était descendant du Roi David, donc descendant de sang royal. Et il lui est montré par prodige, et parce que c’était dans l’intention d’Israël, de prendre Marie pour épouse et de la recevoir dans sa maison, ceci de manière immédiate.
Ici, il est nécessaire d’introduire un tout autre récit, — et je change de registre — qui va nous entraîner dans un chemin que peut-être nous n’aurions pas apprécié ou peu apprécié faute de le connaître.
On sait que Marie qui engendra Jésus était aussi descendante du Roi David. Et comme le dit Paul : « Marie engendra Jésus de l’Esprit Saint, sans homme, Marie est une vierge. »
Et on peut se demander ce que cette union avec Joseph peut apporter à la mission du Verbe.
Voilà comment on peut regarder le sujet. Je vais essayer d’être simple et précis.
Moïse était le législateur d’Israël parce que c’est lui qui avait transmis La Loi reçue au Mont Sinaï. Et on peut se poser la question : « Pourquoi Moïse a-t-il reçu la Loi et comment a-t-il donné la Loi à Israël ? ».
Moïse est prophète et il est envoyé par Dieu, alors qu’il n’a pas envie de l’être. Et il demande : « Qui dirai-je qui m’envoie ? » Et Dieu lui dit : « Je suis Celui qui suis », et tu répondras : « C’est Celui qui est l’auteur de l’être » « Je suis Celui qui est. »
Donc Celui qui l’envoie se définit ou se révèle comme Être, et va être un nom Divin, Puissance.
Tout notre occident est marqué par l’Être depuis le moyen-âge, et que nous le voulions ou pas, nous sommes marqués par la philosophie de l’Être. Et lorsque Dieu se révèle à Moïse, c’est « Je » « Être » voici mon nom, et ceci pour pouvoir promulguer la Loi. La Loi mosaïque, à quoi est-elle destinée ? à écarter du peuple d’Israël Dieu Lui-même pour lui permettre de faire un chemin autonome.
La Loi est donnée à Israël pour devenir un but : « Je te donne la Loi qui te servira de pierre de touche. »
D’ailleurs, l’apôtre Paul dit : « La Loi fait apparaître les questions mais ne les résout pas ! »
La Loi d’Israël est intéressante à regarder. Elle a différents aspects dont l’un des premiers est qu’elle apporte une certaine humanité au sein de la législation ancienne. Par exemple, lorsqu’un débiteur ne paie pas ses dettes pendant sept mois, au bout du huitième mois, on est obligé de la lui remettre. Il y avait aussi tous les sept ans une année « sabbatique » où on libérait les esclaves. Cela est unique ! Même Platon pensait que l’esclavage était définitif. C’est donc la première législation qui introduit une certaine humanité qui aboutit à l’époque contemporaine où l’État s’occupe de la Sécurité sociale. S’occuper des déshérités, des calomniés, des miséreux était une chose rarissime. Alors cette Loi est le Bâton sacré d’Israël qui lui permet d’avancer pour accomplir sa destinée.
Quelle est la destinée d’Israël ? de permettre l’incarnation divine c’est-à-dire d’engendrer Dieu en l’humanité, c’est-à-dire faire ce qui n’était pas.
Et de stade en stade, on voit la Loi de Moïse et avant, à Abraham, c’est Dieu qui S’approche et qui dit à l’homme : « Est-ce que tu veux bien que Je devienne ce que tu es ? ». La Loi, c’est une nouvelle pierre de touche pour rappeler au peuple d’Israël ce qu’il devait accomplir, de permettre, pas seulement dans l’histoire mais idéalement, à la Grâce divine de pénétrer dans le monde : Sa venue personnelle, Dieu dans le monde !
Tel est le sens de la Loi d’Israël, au-delà d’une multitude de prescriptions qui ne sont pas faciles à respecter !… Il y en a 136 environ qui sont délicates ; il y en a quelques-unes qui paraissent impossibles, plus ou moins anecdotiques. Mais si elles sont accomplies, Israël peut espérer un magnifique résultat. Si toutes les prescriptions du Sabbat sont accomplies, le Messie apparaîtra.
C’est anecdotique et à la fois cela permet de rappeler à la conscience de ce peuple son destin qui est d’engendrer le Verbe de Dieu à l’humanité.
Et alors, il convenait que, lorsque s’accomplit ce type de stade, la Loi qui, elle, était un genre de prière légale, participât à l’engendrement du Verbe, sans chair humaine. Et c’est Joseph qui est à l’extrémité du chemin, qui est fils de David par le sang, homme droit, rempli de simplicité et qui synthétise chez lui la Loi, devient l’époux de Marie qui, elle, enfantera Jésus. Cela, c’est son rôle à elle.
Joseph est l’homme qui permet à la Loi de rendre son maximum, étant ce type d’hommes qui, de génération en génération, s’est transmis ce destin, et elle, elle est le cœur légal. Cela ne veut pas dire qu’il épousa Marie comme un homme habituel épouse une femme. C’est un autre problème. La virginité de Marie serait un autre sujet à traiter : « Marie qui n’a pas connu d’homme ! » Cela me rappelle un souvenir personnel. Dans une loge maçonnique de rite écossais, un frère à un moment se lève et dit : « Qu’est-ce que vous pensez des Juifs ? ». Si on prend le peuple dans son ensemble : Israël, on peut l’appeler le peuple — Mère de Dieu — car il a engendré Dieu à l’humanité. Ils portent tous la tradition royale car ce sont des gens qui ont engendré le Verbe au sein d’Israël, à travers cette constance de la Loi que Moïse a donnée et qui, elle-même, est appuyée sur l’Être qui est un Nom divin. C’est un aboutissement, et cet aboutissement est l’association, au fond, d’un des éléments essentiels du monde qui n’est pas seulement la Loi de Moïse mais toutes les Lois quelles qu’elles soient.
Et là, on peut constater l’association des lois de la psychologie humaine, des lois scientifiques qui sont rarement des lois absolues.
« Pour moi » me dit à ce sujet le Professeur Monod-Herzen « qui ai eu la chance de passer des années en Asie, j’ai trouvé là des récits de la symbolique qui confirment entièrement ce dont vous parlez. De même le fait de l’homme âgé auquel on confie une femme jeune dans le but de voir paraître un être essentiel ; et vous citez le mot « Loi », eh bien, en sanscrit, Loi c’est le Dharma, et c’est très exactement « ce qui est dû ». En effet, il arrive une époque dans la vie, celle paraît-il où on a déjà élevé ses propres enfants et où l’on a le droit de se consacrer au Dharma entièrement, et par conséquent à la Loi sous sa forme la plus élevée. Donc nous sommes très proches d’une intuition générale, rencontrée dans des endroits très différents ! ».
Cela est vrai, le monde entier a la même intuition. Les Vierges Mères sont dans toutes les traditions. Et si je me souviens bien, Lao-Tseu est né d’une vierge et il était dans son sein âgé déjà de soixante-dix ans ! Le sein de sa mère était transparent ; on le voyait avec une barbe de vieillard à l’intérieur du sein maternel. Également dans la tradition bouddhique, cela se retrouve… L’Être qui va naître et qui va apporter quelque chose de neuf, donner ces points de contact avec Dieu…
Alors, ici, c’est l’association de la Loi à la biologie et… à la géologie, et Joseph est le porteur de cette tension (c’est une des tensions dans l’humanité) qu’à travers les Lois, lois denses, l’homme accomplit son destin.
La tradition royale amène le Messie et l’accomplissement essentiel du destin de l’humanité. Il n’y a pas seulement les événements, mais à travers les événements, les lois, les constitutions, les structures que l’humanité s’est données : les rois et les prêtres (les prophètes ne sont pas là). C’est une hiérarchie intellectualisante qui joue. C’est une organisation de la Cité.
Voici un exemple contemporain : les cités d’Europe orientale ont un système marxiste, en général, et nos cités occidentales ont un système libéral. Dans la cité marxiste russe, qu’a-t-on fait ? une caste sacerdotale et des partis ; une caste royale avec suppression de prophétisme parce que cela peut être dangereux pour les choses nouvelles. Et tout est surveillé, y compris l’art !
En Occident européen, il y a une caste de profit énorme formée par des artisans, des industriels, et d’une minuscule caste sacerdotale noyée dans la Cité… et quand je passe dans la rue, on dit : « enfin, un curé en soutane ! », ou on pense : « c’est un faux ». Et puis il y a une caste royale : les organisateurs de la Cité, un peu suspectés.
Nous sommes un peu trop prophétiques pour être organisateurs de Cités ! Il faut inventer les crayons à Bic dont la pointe change tous les quinze jours (sans ça on ne les vend pas !…) et ça, c’est du prophétisme !…
Nous avons en Occident : le clergé, les bourgeois, le peuple. Il y avait l’armée aussi… Les bourgeois, c’est un ersatz de l’Esprit-Saint (l’Esprit s’en va – le bourgeois reste !).
Joseph, je reviens à lui, est porteur de la Loi et reçoit la garde de la Vierge, elle-même porteuse de l’Esprit-Saint. Cette association, c’est un mariage légal, traditionnel, biologique et divin. Il est l’homme qui permet que le Destin s’accomplisse. Voilà la place centrale de Joseph.
On peut ajouter un petit paragraphe de ce proto-évangile parce que Joseph fait aussi partie des hommes… et voyons son attitude à lui : Il n’était pas évident que le jour où il a constaté que la Vierge était enceinte, il se dise : « tout va bien » alors que tout n’allait pas bien.
Voilà ce qui dit la tradition : « … le sixième mois, voici que Joseph qui construisait des maisons arriva dans sa propre maison, il trouva Marie enceinte. Il se frappa le visage, se jeta à terre sur son manteau et pleura amèrement en disant « quel visage tournerai-je vers le Seigneur mon Dieu ? Et quelle prière Lui adresserai-je au sujet de cette jeune fille ? J’ai reçu une vierge de la part du Seigneur et je n’ai pas su la garder. Quel est celui qui m’a surpris ? Qui a commis cette mauvaise action dans ma maison et corrompu cette vierge ? N’est-ce pas l’histoire d’Adam qui se renouvelle pour moi ? De même qu’à l’heure où il glorifiait Dieu, le serpent vint et trouva Ève seule et la trompa, ainsi en a-t-il été pour moi ! » ». Joseph se leva de dessus son manteau, il appela Marie et lui dit : « Toi, l’objet des prédilections de Dieu, qu’as-tu fait là ? As-tu oublié le Seigneur ton Dieu ? Pourquoi as-tu avili ton âme, toi qui as été élevée dans le Saint des Saints et qui as reçu ta nourriture de la main d’un ange ? ». Marie pleura amèrement en disant : « je suis pure ». Joseph lui dit « D’où donc provient ce que tu portes dans tes entrailles ? » et celle-ci dit : « Par la Vie du Seigneur mon Dieu, je ne sais pas ». Et Joseph tout rempli de crainte s’éloigna de Marie et se demandait comment il agirait à son égard, car s’il cachait sa faute, il contreviendrait à la Loi du Seigneur. « Et si je dénonce Marie aux fils d’Israël, je crains que l’enfant qui est en elle ne soit voué à la mort, être innocent. Donc, comment agirai-je à son égard ? Je la répudierai secrètement ». Et la nuit descendit ».
C’est cette simplicité de Joseph, la pureté de son état intérieur qui l’avait fait élire.
Saint Augustin, je crois, a dit : Marie était suspendue entre deux abîmes puisque l’Ange Gabriel lui avait dit : « Tu seras enceinte et ce que tu recevras dans ton sein sera l’œuvre de l’Esprit », on pouvait ou bien extatiquement se précipiter et dire « Ah ! Merveille ! », ou bien protester et dire « moi, je ne veux pas de cela ». C’est ou de la suffisance ou le défaut d’accomplissement.
Or, la simplicité de Joseph a tout résolu. Car Dieu n’impose jamais rien, Il propose, et si l’homme dit « Amen » tout se règle.
La position divine dans l’incarnation commence avec Abraham à qui Dieu a dit : « Je te donnerai une postérité plus nombreuse que les étoiles du ciel…. »
Et ici l’acceptation de Marie a donné à Dieu la possibilité de donner son Fils à l’humanité, et cela est prodigieux.
Donc, nous sommes ici devant la délicatesse de Joseph qui ne veut ni condamner Marie, ni accepter ce qui est anormal. C’est encore un exemple de la délicatesse des rapports Divino-humains.
Dans les relations de Dieu avec l’homme, et c’est souvent le cas, il y règne la simplicité et d’autres certitudes encore qui président aux rapports exacts entre Dieu et l’homme. J’ai souvent remarqué que dans les choses divines, souvent, souvent ça commence mal et ça finit bien, tandis que dans les choses démoniaques, ça commence bien mais ça finit mal !
Avec Marie et Joseph, ça commence mal. Joseph doute. Mais un Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Ne crains point, prends cet enfant car le fruit qui est en elle provient de l’Esprit-Saint. Elle aura un Fils et l’appellera Jésus, et I1 sauvera Son peuple de ses péchés. » Joseph se réveilla, se leva, glorifia le Dieu d’Israël de lui avoir accordé cette grâce et il garda Marie.
Encore une fois, l’Ange est venu et il ne discute même pas. Et puis il s’éveille de son songe et il se lève.
Son iconographie nous le transmet sage. Et nous avons toute une catégorie d’hommes qui, dans les histoires de l’humanité (cela se transmet de génération en génération) sont des songeurs à l’égal de Joseph et qui représentent cette humanité porteuse de ce que j’appellerais « le poids de la Loi » ou « des Lois du monde ».
Cela existe aussi dans le monde scientifique. Pensons à Oppenheimer disant : « je vais passer ma vieillesse à réfléchir à ce que la science peut bien apporter à l’humanité ! » I1 a écrit ça, mais il est mort avant. Et Einstein a écrit : « Celui qui possède l’esprit scientifique est celui qui sait toujours s’émerveiller ! ».
Joseph, à travers la Loi dont il est certainement le garde vigilant car c’est un cœur simple qui cherche à vivre des choses de l’Esprit, Joseph est songeur sur la réalisation de ce que nous savons. Il est à… apathique (au sens grec), silencieux, sans conclure. On ne sait ni s’il se précipite au-devant du sujet, ni s’il ne l’éloigne. Il attend de voir ce que « ça va donner ».
Joseph est songeur à l’égal d’un autre Joseph, fils de Jacob, le troisième grand patriarche, qui fut ministre de Pharaon et lui expliquait ses songes comme Daniel expliquait ses songes au Roi Nabuchodonosor.
Ce type de songes, c’est le doute fécond sur l’accomplissement du Destin à travers ce qu’on pourrait appeler l’union des contraires. Marie est Vierge-Mère. Je ne connais pas de vierges-mères ici-bas. Ou on est vierge, ou on est mère, mais pas les deux ! c’est physique. Et puis tout de même cela se réalise. Joseph est dépassé mais il accepte. C’est la question de la simplicité du cœur qui est le terme de la triade et qui définit le mieux Joseph le Juste:
Il est élu,
Il doute,
et Il accepte.
Il est à la racine, l’égal de la vie circulaire.