Michèle Reboul
Les "pouvoirs" de la méditation transcendantale

La technique de la méditation transcendantale consiste dans la récitation d’un mantra (que les instructeurs définissent comme une vibration purement sonore, sans signification), deux fois par jour (matin et soir) pendant vingt minutes, mantra qui est donné par l’instructeur au moment de l’initiation, à des gens de tous âges (de quatre à quatre-vingt-dix-huit ans) et de toutes origines. Ce mantra est seul connu de l’instructeur et de l’initié et le critère de son choix ne sera dévoilé par le méditant que s’il devient lui-même instructeur…

(Revue Question De. No 23. Mars-Avril 1978)

Michèle Reboul a passé une semaine à Courchevel auprès des « méditants avancés » du mouvement La Méditation Transcendantale qui se préparaient aux « Siddhis » c’est-à-dire aux pouvoirs tels que lévitation, invisibilité, etc. Elle a continué quelque temps sa pratique de la M.T. (c’est ainsi qu’en abrégé on désigne fréquemment ce mouvement) à Paris. Il est cependant nécessaire de préciser d’emblée que Michèle Reboul n’a pas voulu continuer à pratiquer la M.T. et elle explique ici pourquoi : les bienfaits de cette méthode (qui sont en réalité ceux d’une relaxation profonde) ne suffisent pas à justifier les références faussées employées par les « instructeurs » : les Vedas et la Tradition hindoue ne font pas bon ménage avec le prosélytisme insatiable et le désir de réussite.

La technique de la méditation transcendantale consiste dans la récitation d’un mantra (que les instructeurs définissent comme une vibration purement sonore, sans signification), deux fois par jour (matin et soir) pendant vingt minutes, mantra qui est donné par l’instructeur au moment de l’initiation, à des gens de tous âges (de quatre à quatre-vingt-dix-huit ans) et de toutes origines. Ce mantra est seul connu de l’instructeur et de l’initié et le critère de son choix ne sera dévoilé par le méditant que s’il devient lui-même instructeur. En fait, il semble, d’une part, qu’il y ait sept mantras différents pour discerner les diverses catégories d’individus et, d’autre part, qu’on ne reçoive que très progressivement l’ensemble du mantra. Les six premiers mois, on n’en saura en effet que les deux premières syllabes et, suivant son degré dans la hiérarchie du mouvement, on possèdera ou non la totalité du mantra. Les instructeurs pensent que l’effet du mantra n’est pas amoindri si celui-ci est tronqué et disent — dans un paradoxe qui frôle la contradiction — que, d’une part, il y a autant dans la partie que dans le tout (« Dieu » se trouvant autant dans une syllabe que dans une phrase !) et que, d’autre part, nous ne sommes pas assez mûrs ni assez forts pour supporter, sans graves inconvénients, la puissance du mantra. Maharishi Mahesh Yogi, le fondateur de cette méthode, adapte (et, pour cela, ne déforme-t-il pas ?) l’enseignement traditionnel de l’Inde afin de le rendre vivable en Occident et de l’implanter le plus vite possible sur toute la Terre. En effet, le mantra-yoga est une technique connue depuis longtemps en Inde et venant comme complément des autres techniques du yoga. Ce n’est qu’après des années de contrôle du corps et de l’esprit que le yogi est à même de n’être pas terrassé par la force vibratoire du mantra. De plus, le yogi doit être imprégné du sens du mantra, le répéter sans arrêt de façon à ce qu’il le vive, qu’il soit son mantra. Seul un guru qui connaît depuis des années son disciple, qui a vécu longtemps avec lui, peut savoir quel est son mantra, le son intime et unique, le « nom éternel [1] » que toute personne est. Jusqu’à l’indépendance de l’Inde qui, en occidentalisant l’enseignement, en a fait une répétition mnémonique et l’a privé de toute sacralité ou spiritualité, et a ainsi porté un rude coup à la tradition hindoue, existait l’institution du Gurukula [2] ou transmission de la connaissance (le Véda) entre un guru et son disciple. C’est le maître qui prenait en charge, matériellement et moralement, son disciple qui venait habiter chez lui, le programme et la durée de l’enseignement étant adaptés aux différentes castes.

Un mantra-express !

Dans la M.T., le mantra et ses différentes acquisitions sont payés cher (le quart du salaire et réduction pour les étudiants jusqu’à un certain âge), et n’importe qui, à condition d’avoir l’argent, peut recevoir son début de mantra, et cela sans que l’instructeur connaisse le moins du monde celui qu’il « initiera ». Dès la première heure, l’instructeur apprend au « méditant » à prononcer à voix haute son mantra, puis à le murmurer et, enfin, à l’intérioriser, reprenant apparemment l’apprentissage traditionnel d’un mantra, mais le faussant en en précipitant la vitesse : ce long apprentissage que décrit Julius Evola se fait, dans la M.T., en quelques minutes seulement durant la cérémonie de pseudo-initiation !

« Le mantra doit être « éveillé » : le feu mental que l’on concentre sur lui doit en consumer la matérialité et l’actualiser en une forme subtile, « faite de lumière », provoquant sur un plan supérieur le phénomène de sphota, c’est-à-dire d’évocation — comme dans une ouverture ou un épanouissement (c’est là justement le sens littéral du mot « sphota »). Auparavant, le mantra « dort », et le mantra qui dort n’est que bruit, et n’a aucun pouvoir. Le tantrisme enseigne donc explicitement que, si on ne connaît ni les sens d’un mantra ni la façon de le réveiller, il est inopérant alors même qu’on le répéterait des millions de fois… La technique la plus utilisée pour éveiller le mantra est sa répétition, japa. La répétition est d’abord verbale et a alors pour objet le mantra sous sa forme « endormie », grossière ; au deuxième stade, on ne prononce plus le mantra mais l’ébauche de sa prononciation subsiste ; enfin, au troisième stade, la répétition est purement mentale.» (Julius Evola : le Yoga tantrique (Paris, Fayard, 1971) p. 171-172)

Une méthode contre le stress

Enfin, une autre différence entre la M.T. et les autres traditions qui se réfèrent à un mantra provient que du côté de la M.T. on met l’accent sur la facilité de cette méthode et sur le fait qu’elle n’entraîne aucun changement de vie, bien que, peu à peu, par le calme qui s’instaure dans l’esprit, le bienfait des vingt minutes de méditation rejaillit sur le reste de la journée. La M.T. se veut d’ailleurs ni une religion ni une morale, mais une méthode pour « se libérer des stress » (suivant l’expression qui revient constamment dans la bouche des méditants) et acquérir, par la paix intérieure procurée, une plus grande extension de conscience, une meilleure acceptation de soi et des autres. En revanche, que ce soit dans la tradition hindoue, chrétienne (surtout orthodoxe) ou musulmane, l’efficacité du mantra ne peut être que le fruit d’un cœur pur, détaché du monde et des sens, aidé par une technique respiratoire bien précise (particulièrement rétention du souffle et accord rythmique du souffle avec les mots). Maharishi dit se référer aux Véda et à la Bhagavad-Gîta dont il a d’ailleurs traduit et commenté des passages (On the Bhagavad Gîta, a New Translation and Commentary – éd. Penguin Books). Mais nous savons que toute la pratique du yoga consiste à transformer la nature humaine, à la sortir de ce monde illusoire (maya), à la libérer des désirs, des instincts (il y a toute une ascèse par rapport à l’alimentation, la sexualité, etc.). Quant au christianisme, nul ne peut se dire chrétien s’il n’obéit à cette injonction du Christ : « Quiconque veut me suivre, qu’il se renonce soi-même et prenne ma croix » ; les Pères du désert qui pratiquaient l’hésychasme, l’invocation constamment répétée [3], insistent sur la nécessité de la solitude, de « la mort au monde et à ses aises », comme dit Barsanuphe [4]. Chez les musulmans également, le dhikr s’accompagne d’une totale abnégation ; telle est l’injonction du Sheikh Muhammad Amin al-Kurdial-Shafi’i al-Naqshabandi, mort en 1332 de l’hégire (1914) :

« Dis : « Allah » et laisse l’univers et ce qu’il contient,

Si tu désires atteindre l’universalité !

Car tout ce qui est en dehors d’Allah, si tu réalises [bien la chose,

Est pur néant [5]. »

Les méditants, hommes ou femmes, n’ont pas la même allure

Un peu de méditation vaut mieux que pas de méditation du tout. Je reconnais, pour l’avoir pratiquée moi-même, que la récitation du mantra, dans le cadre de la M.T. a des effets bénéfiques (surtout au début, si j’en crois les méditants de longue date) car le mantra aide à se libérer des pensées qui nous agitent, et ce silence intérieur, ce détachement, peuvent nous mener à la reconnaissance de la plénitude. Mais je crois, pour l’avoir également expérimenté, que l’effet serait le même, voire supérieur, avec un autre mantra [6], ou par une pratique continue du yoga (les différentes formes du yoga, tantra-yoga, jnana-yoga, hatha-yoga, bhakti-yoga… étant toutes libératrices de l’ego) ou d’une prière, qu’elle soit associée à une invocation précise, comme nous l’avons vu pour le dhikr ou l’hésychasme, ou qu’elle soit toute naturelle, de demande ou de recueillement « Je suis libre, libre ! celui qui prie, après qu’il a prié, repart d’un bon pas dans la vie. Il marche comme s’il n’avait jamais cessé de marcher droit [7]. » Pour nous, le vrai pouvoir, la vraie efficacité de toute méthode spirituelle sont dans la joie accrue qu’elle doit donner à celui qui la pratique, les critères de la justesse de la voie étant ceux du rayonnement et de l’amour, quel que soit le sexe de la personne concernée. Or, ce qui m’a étonnée dans les six jours passés près des méditants, qui soit suivaient les cours d’enseignement du Véda, soit se préparaient à recevoir les siddhis afin de devenir instructeurs, ou dans les centres où j’ai pu me rendre à Paris, c’est l’extrême différence à ce sujet entre les hommes et les femmes. Excepté quelques-uns, je fus frappée par l’air de zombies [8] de la plupart des hommes. Extrêmement pâles (de ce teint anémié qu’on voit chez des adeptes de différentes sectes), alors que la nourriture était bonne et copieuse (végétarienne mais très fournie en gâteaux) et la quantité de sommeil relativement suffisante. Etait-ce dû au fait que cours et exercices de méditation se faisaient en chambre et qu’ils n’avaient que très peu la possibilité de « prendre l’air » ? Etait-ce dû à une concentration trop intense, à une vie communautaire où chacun se sentait très surveillé, ou était-ce dû, ce qui serait plus grave, à une sorte d’hypnose, de soumission à une personnalité d’emprunt, en l’occurrence à la personnalité du groupe ?

D’autre part, plus les hommes étaient élevés dans la hiérarchie, plus je les ai trouvés en général vaniteux, égoïstes et nerveux (ils disaient curieusement qu’ils étaient nerveux parce qu’ils se libéraient de leurs tensions !). En revanche, ce qui m’a incitée à vouloir en savoir davantage, c’est que les femmes étaient au contraire des hommes douceur, ouverture, lumière. Leurs joues étaient roses (rien à voir avec du maquillage), et elles respiraient la maternité, le don de soi, la compréhension de la vie. Alors qu’elles rayonnaient de féminité, les hommes semblaient mal dans leur peau, dans leur virilité (souvent des homosexuels n’acceptant pas leur nature). J’ai eu l’impression aussi que les femmes comprenaient mieux que les hommes ce que devraient être les siddhis, que leur acquisition n’était pas affaire de supériorité, mais de développement de possibilités que nous avons tous.

Les siddhis : inversion de sens des siddhis selon Patanjali

Sur ce sujet des siddhis, ou pouvoirs extraordinaires, la M.T. prend constamment un risque de trahison de sens. En effet, reprenant l’enseignement traditionnel védique, les adeptes de la M.T. disent qu’il ne faut pas chercher les pouvoirs (lévitation, invisibilité…), mais qu’ils sont les signes qu’on a atteint un certain état intérieur, à tel point que le critère pour devenir « gouverneur » (haut grade de la hiérarchie M.T.) consiste dans la possibilité de faire des « sauts de grenouille », première approche de la lévitation. Mais, et c’est là qu’il y a inversion de sens, on apprend, pendant deux à six mois, ces techniques coûteuses et secrètes (et dont, par conséquent, je n’ai pu avoir l’accès) pour pouvoir peu à peu se rendre maître des siddhis. Or, on sait combien les mystiques, de quelque religion qu’ils soient, se méfiaient de ces pouvoirs et suppliaient Dieu de n’en être pas le jouet ; rappelons-nous Joseph Cupertino ou Thérèse d’Avila s’accrochant à la table d’autel pour ne pas s’élever du sol. Le Yoga-Sutra de Patanjali, qui étudie dans son livre III les siddhis ou « pouvoirs miraculeux », insiste sur la différence entre le magicien et le yogi : le magicien se sert de ses pouvoirs acquis par la concentration de la volonté ou la méditation, tandis que le yogi veut parvenir à l’état de samâdhi et, par suite, se libérer de toute « maîtrise », de toute possession. Chez le libéré, le pouvoir de la lévitation, par exemple, est spontané, alors que dans la M.T. cela s’apprend, moyennant une somme de 4 à 6000 dollars en Amérique, et à partir de 5 000 francs en France (prix 1977). Après une totale relaxation, le futur lévitant se sent comme un pot de gélatine qu’on secoue, cette sensation s’amplifie jusqu’à devenir celle d’être un hélicoptère qui va décoller, puis c’est le « saut de grenouille » : on n’est plus soumis à la pesanteur, on se stabilise ensuite dans l’air pendant quelque temps, enfin on peut circuler comme on veut. Il y a encore très peu de méditants qui savent léviter, et ce, depuis peu de temps (1971), mais Maharishi annonce que, dès que cette pratique sera plus courante, il fera venir journalistes, photographes et scientifiques pour faire connaître et contrôler la lévitation, tout comme il a fait examiner les résultats psychophysiologiques de la M.T. « Si on dit à la main de monter, la main monte ; si on dit au corps de monter, le corps monte », mais pour cela, comme pour l’invisibilité ou les autres pouvoirs, il faut une coordination totale du corps et de l’esprit.

LES POUVOIRS MIRACULEUX SELON PATANJALI

Il (le siddhi) jouit du Pouvoir merveilleux sous ses différents modes : étant un, il devient plusieurs, étant plusieurs, il redevient un ; il devient visible ou invisible ; il traverse, sans éprouver de résistance, un mur, un rempart, une colline, comme si c’était de l’air ; il pénètre de haut en bas à travers la terre solide, comme à travers l’eau ; il marche sur l’eau sans s’y enfoncer, gomme sur de la terre ferme ; il voyage, les jambes croisées et repliées sous lui, dans le ciel, comme les oiseaux avec leurs ailes. La Lune même, et le Soleil, si forts, si puissants qu’ils soient, il les touche, et les sent avec la main ; il atteint, en restant dans son corps, même le Ciel de Brahma (…). Avec cette claire, céleste oreille surpassant l’oreille des hommes, il entend à la fois les sons humains et les sons célestes, fussent-ils loin ou près (…). Pénétrant avec son propre cœur les cœurs des autres êtres, des autres hommes, il les connaît (…). Avec son cœur ainsi serein, il dirige et incline son intelligence vers la connaissance de la mémoire de ses existences précédentes »

Sâmanna Phalla Sutta, paragraphe 87; Dîgha Nikâya, 1, 78, dans Mircea Eliade, le Yoga (Paris, Payot, 1960, p. 184).

Après comparaison de la M.T., en ce qui concerne sa technique du mantra, avec les autres techniques provenant de la Tradition et, en ce qui concerne ses pouvoirs (les siddhis), avec ceux dont parle Patanjali (mentionnons pour mémoire que le vol peut s’obtenir indifféremment par le yoga, l’alchimie, le chamanisme ou la sorcellerie [9]), nous remarquons qu’il y a imitation, parfois jusqu’à la caricature, mais non réalité ou réalisation. Même si les méditants peuvent dire leur mantra en privé, ils font partie d’un mouvement hiérarchisé et soumis à l’argent pour l’extension de ses différents centres. Nous avons vu, au contraire, que l’authentique mantra est une transmission gratuite, donc totalement désintéressée, d’un guru à son disciple après une longue et personnelle connaissance de celui-ci qui ne reçoit le mantra qu’après s’être préparé longtemps et lentement. Maharishi se réfère aux Véda et à Patanjali, mais il prend le contre-pied de leur ascèse. Du côté des yogis, « c’est le difficile qui est le chemin », comme disait Kierkegaard, c’est la quête de la libération intérieure, du détachement total vis-à-vis de toute démonstration, de tout savoir, de tout pouvoir, alors que du côté de la M.T. l’accent est mis plus sur la relaxation que sur la libération, sur les pouvoirs que sur la VIDE PLÉNITUDE de l’âme.

M. Reboul

Lire aussi A PROPOS DE LA MEDITATION TRANSCENDANTALE par Robert Linssen


[1] On connaît dans toutes les traditions, égyptiennes, hébraïque, etc., l’importance sacrée du Nom.

[2] Sur l’institution du Gurukula, on peut lire les Cahiers du Yoga, n° 18, été-automne 1977 : Fédération nationale des enseignants du yoga, 3, rue Aubriot, 75004 Paris.

[3] Par exemple: « Christ, ayez pitié de moi ! », ou « Sauvez-moi du malin ! que votre volonté s’accomplisse            en moi ! »

[4] Petite philocalie de la prière du cœur, (Paris, Le Seuil), p. 75.

[5] Cité p. 239 dans Petite philocalie de la prière du cœur.

[6] Il serait intéressant d’avoir une étude scientifique comparée des effets des différentes méditations (M.T., yoga, zen, prière, dhikr, etc.).

[7] Louis Pauwels : Apprentissage de la sérénité (Paris, Retz, 1978), p. 113.

[8] Zombies : morts à qui la magie donne l’apparence de vivants.

[9] Voir à ce sujet les livres de Mircea Eliade, en particulier le Yoga et le Chamanisme, tous deux chez Payot.