(Revue 3e Millénaire. Ancienne série. No 14. 1984)
Broyée par le « progrès », la Nature souffre. Souffrent aussi les hommes qui ne savent plus qu’elle est leur mère. Dans notre univers pollué, des voix s’élèvent pour tenter de freiner cet holocauste aveugle de forêts, de rivières, de richesses minières. Mario Mercier, véritable chaman, vibre à l’unisson de la nature. Nous lui avons demandé de nous dire pourquoi, il est vital de nous re-nouer avec elle et comment…
« Les hommes sont les fils du Ciel par le corps de la Terre »
(Rig-Veda)
Bruno TOTVANIAN. — Racontez-nous quand, comment et à la suite de quels événements, vous avez senti un appel vers la nature et par quels procédés d’instruction et d’initiation vous avez pu développer ce qui était probablement un don naturel, à travers une capacité créatrice qui se manifeste tant par la poésie que par la peinture et le dessin.
Mario MERCIER. — D’abord j’ai toujours été fortement attiré par la nature et j’ai eu la chance, étant enfant, de vivre à la campagne près d’une rivière. Donc, ce contact avec la nature, je l’avais dans mon sang, dans mes gènes et, j’ai pressenti, à travers elles, des résonances infinies. Plus tard, j’ai été coupé de la nature par les vicissitudes de la vie et j’ai été obligé de m’installer à Paris, moi qui suit méditerranéen !
Un jour, un grand désir de sortir de la ville me poussa à trouver une forêt, un bois. C’était un désir très fort. Une amie me conduisit en voiture, et sans savoir où j’allais, je lui disais : « Passe par là, tourne ici », et nous avons finalement abouti dans un bois au bord d’un chemin. Un bois abîmé par les passages des motos, les saccages des promeneurs. Un bois un peu étrange. Quelques jours auparavant, cette jeune femme qui m’accompagnait, un être très sensitif, avait rêvé qu’elle se trouvait dans ce bois, debout les bras levés et que c’était là son lieu privilégié. Deux ou trois nuits plus tard, moi aussi j’ai rêvé de la clairière de ce bois mais il y avait un mystère, comme une énigme et j’ai été poussé à y retourner. Sur place, j’ai commencé à ressentir des choses assez étranges, surtout la nuit, car le jour, il y avait trop de monde. C’était comme une force qui émanait de ce lieu, un lieu magique : je voyais des boules lumineuses, des formes ; par la suite, j’ai appris que c’était des esprits de la nature. A cette époque, je n’y croyais pas du tout. Plus tard, de retour dans le bois, des amis venus avec moi ont vu et senti les mêmes choses. J’avais besoin de m’asseoir au pied d’un de ces arbres que j’appelais l’arbre maître dans cette clairière et une espèce de relation s’établissait entre cet arbre et moi, un peu comme si le pouvoir psychique de l’arbre s’infusait en moi. A cette époque, je n’avais reçu aucune préparation, seule une ouverture, venue de l’enfance, vers la nature s’était éveillée. Mais il y avait là, dans cette clairière, une dimension autre, dimension que je n’ai jamais retrouvée dans aucun autre bois. Petit à petit, s’est installée une relation d’amitié, d’amour entre lui et moi : je connaissais chaque arbre, chaque chemin. Et toujours, il y avait quelque chose qui sortait doucement des arbres et qui en moi réveillait des sentiments enfouis, oubliés : ces arbres, ces buttes de terre étaient la façade de quelque chose de plus profond. Là, j’ai aussi appris à aimer le vent : ce vent très particulier qui se lève lorsque vous êtes en accord avec le lieu et la nature. Un vent qui, s’il ne se lève pas, vous fait comprendre qu’il vaut mieux partir, que rien ne se passera ce jour-là, que la forêt vous est fermée, interdite.
Voilà ce que fut mon premier choc avec la nature, ma première révélation de sa vie secrète.
Plus tard, j’ai rencontré un indien peau-rouge qui était de passage à Paris et il m’a dit : « Mais c’est toujours comme ça chez nous, on parle et les choses nous parlent, les dieux, les manitous s’expriment à travers ces forces. »
Évidemment, ce bois était un lieu privilégié. Il s’était constitué sur un point fort de la terre, là où les forces telluriques sont les plus puissantes. C’est pourquoi d’autres lieux n’ont pas la même intensité. Hélas, les hommes l’ont aujourd’hui rasé et il n’en reste rien qu’une immense tristesse pour moi et un magnifique souvenir.
B. T. — Dans une forêt, pour rester sur cet exemple commode, tout le monde ressent-il la même chose et voit-il les mêmes manifestations ou bien on ne voit ni ne ressent que ce qui vous correspond ?
M.M. — Tous ceux qui sont venus avec moi en forêt ont vu et ressenti les mêmes choses plus ou moins intensément mais il ne faut pas oublier que nous sommes tous constitués de la même façon et que nous venons tous des mêmes sources de vie, c’est-à-dire des premières amibes puis des premiers végétaux. Alors leur langage aujourd’hui, ne peut vous être indifférent. La seule différence vient peut-être d’un niveau plus ou moins fin de perceptivité, de sensibilité, mais cette perceptivité, cette sensibilité, nous pouvons les travailler, les développer, apprendre à voir, à écouter, et percevoir. Sans effort, cela s’apprend tout seul. Ceux qui auront le plus de difficultés sont ceux qui sont trop enfermés en eux-mêmes, qui ne savent pas s’ouvrir à autrui et par voie de conséquence à la nature.
Cependant, ceux qui ont un peu le sens poétique sont d’emblée à l’aise dans la nature car la poésie est un acte de liberté, de lucidité qui ouvre un monde autre ; d’ailleurs, les premiers qui ont exprimé des idées cosmiques étaient des bardes, donc des poètes qui faisaient une poésie agissante à l’intérieur des choses puisque les mots étaient magiques, la parole agissait sur l’essence des choses et les transformaient. C’est le verbe créateur… J’ai d’ailleurs retrouvé les paroles qui venaient des arbres, de l’humus, des rochers et des manifestations de la forêt, ce sont des paroles que l’on n’entend pas avec les oreilles bien sûr mais en dedans de soi. Qui passe un peu de temps à voir et entendre non seulement avec les oreilles et les yeux mais avec tout le corps ?
Si l’homme s’ouvre à la beauté qui vient du monde, à la beauté qui émane des étoiles, du Soleil, de la Terre, cette beauté le transforme, le transfigure, le change intérieurement et lui, peut projeter sa force spirituelle sur l’univers qui en a besoin ; car l’univers a besoin de l’homme, de cet homme qui est une antenne — c’est pour cela qu’il se tient droit — les pieds en terre, la tête vers le ciel.
B. T. — Ne croyez-vous pas que l’évolution de notre civilisation et la mentalisation extrême qui en est le prix nous a progressivement coupé de la nature et que notre mode de vie nous a fait perdre le pouvoir de contact direct avec les forces naturelles ? Tout comme notre vue et notre odorat qui se sont considérablement affaiblis ?
M.M. — Oui et non. Ce n’est pas seulement l’évolution de la civilisation qui gêne, ni la mentalisation. Je crois que l’homme s’est transformé au fil des millénaires et son âme qui flottait, fluide autour de lui, s’est peu à peu condensée à l’intérieur du corps. De là le contact direct perdu, car des arbres, par exemple, émane toujours la même force. Il y a quelques milliers d’années l’homme voyait probablement se manifester à l’extérieur, les formes intérieures. On lit encore dans les récits chamaniques que tel chaman pouvait cacher son âme dans l’œuf d’un nid d’oiseau. Aujourd’hui l’homme est devenu tête et ne perçoit plus les choses qu’avec sa tête, avec son mental : sa perception est mentale et non plus sensorielle. Et ce qu’il voit doit passer par le système analytique du cerveau ; ce n’est plus une perception globale instantanée et sensitive ; il ne sent plus par l’intérieur de son corps.
B. T. — Après ce que vous venez de dire, il me semble que l’homme ait besoin de renouer avec son environnement et de réapprendre à vivre avec la nature. Qu’a-t-il perdu en se coupant d’elle et quelle raison a-t-il de se renouer à elle ?
M.M. — Au départ, l’homme est un médium, il se tient au milieu, il est droit. Le Tao dit : « Celui qui est trop dans la terre a quitté le ciel, celui qui est trop dans le ciel a quitté la terre. » (Il est donc en déséquilibre.) L’homme doit capter les puissances du cosmos et les projeter dans la terre, comme il doit recevoir les puissances de la terre et les projeter vers le ciel. C’est l’une de ses missions.
B. T. — Est-ce un échange d’amour ? Un peu comme ces relations sentimentales et intimes qui s’établissent entre un jardinier et les plantes ? Ceux dont on dit qu’ils ont la main verte ?
M.M. — La plante a besoin de relations émotionnelles avec l’homme (de même que l’animal). Relations énergétiques. Si l’on réveille l’énergie émotionnelle d’une plante, elle se met à l’unisson de notre propre énergie émotionnelle qui s’éveille alors à d’autres niveaux de sensibilité. Cela a été illustré par l’histoire de plusieurs japonais perdus dans des îles du Pacifique, à la fin de la guerre et ignorant qu’elle était finie, coupés du monde, perdus dans une jungle, ils avaient renoué le contact avec la nature, et celle-ci, en harmonie avec eux, les prévenait des dangers, des nouveaux arrivants, par des signes imperceptibles à tout autre qu’eux. Ils ont survécu ainsi durant des années. Ils avaient développé une sensibilité très fine.
B. T. — Pourquoi dans la civilisation qui est la nôtre ne nous sommes-nous pas plus penchés sur ces phénomènes qui unissent l’homme et la nature et dont l’exemple le plus spectaculaire reste le jardin de Findhorn où deux couples d’Anglais (dont les femmes étaient médium) ont réussi des « miracles » là où rien ne pouvait normalement pousser ?
M.M. — Oui, Findhorn est vraiment l’exemple éclatant de ce que nous disons. Tout y est extravagant et irrationnel : légumes énormes, fleurs admirables, arbres splendides poussant dans le sable et la sciure d’un ancien cimetière de voitures. Ce qui prouve que l’homme possède le verbe, ce verbe qui a le pouvoir d’agir sur l’essence et l’éthérique des choses. Réveiller par cette force, l’essence des choses va entrer en vibration avec l’essence de l’homme, et de cette harmonie peut naître ce que nous appellerons vite « miracle » tant nous nous en sommes éloignés.
Nous retrouvons ici la même puissance que celle dégagée par les contes pour enfants qui sont des textes initiatiques bâtis à travers une historiette. Ils s’adressent au double profond de l’enfant et l’initient aux grands mystères de la vie, lui donnent des clefs pour pénétrer la nature et la comprendre. A titre d’exemple, prenons les contes de Noël qui sont un chant d’amour à la gloire du bois. Ce bois qui libère sa force pour l’homme ; cet homme qui vient sans doute du bois.
B. T. — Revenons aux dommages causés par la séparation de l’homme et de la nature, dommages qui en ont fait une sorte de mutilé. Quelles sont les conséquences de cette fracture et où peut-on en voir les traces ?
M.M. — D’abord il faut rappeler qu’il y a sans cesse des massacres de forêts et peu de voix retentissent pour protester contre ces saccages. L’homme prend droit de vie et de mort sur la vie de l’arbre, devenant son pire ennemi, alors que l’arbre a des qualités magnifiques dont l’homme peut et doit bénéficier. Quant aux dommages qui en résultent pour l’humanité, ils sont d’ordre géologique, climatique, énergétique, spirituel, c’est-à-dire dans le psychisme de l’homme qui se « métallise » de plus en plus ; or le métal et sa symbolique sont bien de notre temps, de guerres, de violences, de haine et cela dure (en empirant) depuis l’âge du bronze et du fer.
N’oublions pas que pour les Chinois, l’âge du métal c’est l’automne de la civilisation. Dans cet âge, le bois vivant n’est plus qu’un vestige et les parcs nationaux sont des cimetières de vestiges. Coupé de la nature vivante, l’homme vit mal, malgré un confort indéniable. En perdant ces racines profondes, il a perdu son identité, il devient un robot mécanisé n’ayant plus aucune relation ni avec son environnement ni avec l’univers. Mais je reste optimiste, car aujourd’hui il y a de plus en plus d’hommes qui redécouvrent la nature et qui essaient de lui rendre le respect qu’on lui doit. C’est une réaction qui ira, j’espère, s’amplifiant.
B. T. — Qu’est-ce qu’un homme, ayant pris conscience de son appartenance à la nature, peut faire pour se relier à elle ? Concrètement.
M.M. — Il n’y a pas de recettes mais l’homme doit dépasser le niveau de la prise de conscience et tenter de sentir en lui-même que la terre est une entité vivante qu’il doit aimer et respecter. Peut-on imaginer un homme mutilant sa mère ? Et c’est hélas bien souvent ce qui se passe entre les hommes et la nature : il lui prend son minerai, son pétrole, coupe ses arbres, pollue sa campagne, découpe ses montagnes pour y faire passer des routes, creuse des tunnels, déverse chaque jour des milliers de tonnes d’ordures dans les océans et les rivières sans parler des fûts de déchets radioactifs jetés dans les fosses marines. On dirait qu’inconsciemment nous activons notre technologie spatiale en vue d’un départ futur de la Terre à jamais dévastée.
Ce dont on peut rêver, c’est qu’un jour on apprenne à l’homme l’amour et le respect de la terre et de la nature et que cet enseignement lui soit donné dès son enfance et durant toutes les années de scolarité. Il y aurait alors moins d’enfants déséquilibrés et attachés à des choses superficielles. Mon fils, par exemple, quand je le mets dans la nature, n’a plus autant envie de se bloquer devant la télévision. C’est donc un phénomène d’éducation ; dans nos programmes scolaires, la terre est étudiée scientifiquement, disséquée, analysée comme une chose inerte. On n’y étudie pas les relations d’amour de l’homme avec la nature, relations qui sont en réalité essentielles. Car c’est à la nature et au cosmos qu’il doit la vie et une conscience de la spiritualité. Sans faire entrer ici les notions d’esprits, propres à la nature, je peux proposer comme moyen premier pour se relier avec la nature, de s’en approcher comme d’une amie, d’une mère, d’une femme digne d’amour. De la sentir, de la respirer, la toucher, la regarder avec le sens du cœur. Apprendre à s’émouvoir du charme d’un bois, du chant de l’eau vive, de la musique du vent dans les feuilles et de cette vie qui jaillit au printemps, qui va s’épanouir en été pour mourir dans un enchantement de couleurs en automne. Ce feu d’artifice final nous laisse la promesse, après l’immobilité hivernale, d’une renaissance certaine. C’est toute cette approche qui sera le premier travail d’un retour à l’appartenance de l’homme à son environnement.
B. T. — Et que peut-on dire des paysans qui vivent dans et par la terre ? Eux qui sont aujourd’hui dans la situation paradoxale de vivre près de la nature et pourtant d’en être tout autant coupés qu’un citadin du fait des moyens modernes de culture qui incitent à oublier que la nature implique du temps et des cycles ? Évidemment, il existe encore quelques cultivateurs qui aiment profondément la terre et la nature mais il semble qu’ils soient de plus en plus rares ?
M.M. — Moi qui ai vécu beaucoup à la campagne et près des paysans, j’ai remarqué que la plupart d’entre eux, effectivement, n’aimaient pas la terre. Peut-être parce qu’elle les fait travailler et souffrir. Ils n’aiment pas non plus les arbres (ils font de l’ombre et ne sont pas rentables), ni les animaux (ils sont une corvée quotidienne). En revanche, ils adorent la chasse. Dans mon enfance, en Lozère, j’ai vu beaucoup d’animaux tués et parmi eux des chiens parce qu’ils ne servaient plus à rien — trop vieux pour lever ou suivre le gibier. Il est inouï de penser que l’homme qui a le privilège d’être paysan, car c’est un privilège, se soit ainsi coupé de sa raison de vivre n’ayant plus aucune relation d’amour et de sensualité avec la terre. Les paysans n’ont plus souvent que des relations de profit. Pourtant ce ne sont pas des attitudes inconciliables. Le travail d’amour amène nécessairement un profit.
B.T. — Face à cette attitude, on peut peut-être dire un mot des cultivateurs qui, ayant pris conscience des dangers de la mécanisation, des pesticides, des fongicides et engrais chimiques se tournent vers une culture biologique qui respecte la nature ?
M.M. — Aujourd’hui les cultivateurs sont confrontés à des problèmes de rentabilité et les besoins en nourriture de la population augmentent sans cesse. Alors on presse le temps, on déclenche l’arsenal chimique pour faire plusieurs récoltes annuelles et soulager le travail. Mais la nature a besoin de repos et les agressions qu’elle subit, elle les fera payer cher. C’est pourquoi il est bon que certains cultivateurs retrouvent la notion de saisonnalité et réapprennent à travailler au rythme de la respiration de la nature. Il est excellent aussi qu’ils reconstituent la chaîne biologique dans leurs exploitations afin d’échapper à la tentation mortelle des moyens chimiques. J’espère que les pluies acides ne les gêneront pas trop, bien qu’hélas ils soient un peu touchés par la pollution environnante. Il n’est pas trop fort de dire que la Terre devient de plus en plus vite une poubelle.
B. T. — Avons-nous des correspondances privilégiées avec la nature selon ce que l’on est soi-même ? Certains hommes sont-ils plus près des chênes, des ormes ou des bouleaux ou plus en relation avec l’eau, les roches, les buissons ? Y a-t-il des portes qui nous soient plus favorables si nous leur correspondons ?
M.M. — L’homme doit aller vers ce qui l’attire le plus. Pour l’un, ce sera la mer ; l’autre, la montagne un troisième, la forêt. Mais toujours l’homme doit parler et s’approcher de la nature comme s’il se parlait et s’approchait de lui-même. Il doit parler à une amie qui est là comme le reflet de son âme et traiter la nature d’égal à égal. Évidemment, il faut couper des arbres mais il y a façon et façon de couper un arbre, or, de nos jours, c’est à un génocide des forêts que nous assistons, génocide que ne compensent pas les efforts réels de reboisement. Nous ne devons jamais oublier tout ce qu’un arbre peut apporter à l’homme et tout ce qu’un homme peut lui donner et que de cette interdépendance capitale peut renaître un bonheur pour l’un comme pour l’autre. Rappelons-nous que, s’il n’y a plus d’arbres, il n’y a plus de vie ni physique ni spirituelle possible.
B. T. — La femme est-elle plus favorisée que l’homme dans ses contacts avec la nature ?
M.M. — Oui, car la nature et la femme sont très liées bien que l’un et l’autre sexe puissent bénéficier de ces contacts. Mais la femme a un ventre fécond, elle crée la vie tout comme la nature. C’est en cela qu’elles ont ensemble, un point commun très fort.
B.T. — La femme et la nature étant toutes deux créatrices…
M.M. — Créatrice et destructrice, en ce qui concerne la nature, car elle se transforme en se détruisant. La nature se copie pour s’améliorer — tout comme un peintre reprend plusieurs fois sa toile pour atteindre un seuil de perfection, puis il passera à une autre œuvre pour chercher un autre seuil de perfection. Depuis des millions d’années, la nature tend toujours vers plus de perfection.
B. T. — Quelle est la part poétique dans votre démarche vers la nature ? Est-ce ainsi que s’exprime votre capacité sensitive et créative ?
M.M. — J’ai la chance d’être poète. La poésie est un acte de liberté, de lucidité. Elle permet d’entendre le dialogue des Dieux à travers soi. Les forces divines passent en nous par la poésie, c’est pourquoi les bardes se servaient des mots parce qu’ils ont une force magique et la nature est pleine de ces paroles que le poète doit capter. Mais on n’est pas obligé d’être poète ou peintre, le fait d’aimer est déjà une création. Ce qui compte c’est l’attitude poétique et non d’être un bon poète. La qualité joue moins que la démarche qui est d’abord une ouverture au monde, une ouverture d’amour.
QUELQUES LIVRES DE MARIO MERCIER
Chamanisme et Chamans (Éditions Pierre Belfond).
Le Monde Magique des Rêves (Éditions Dangles).
Chants Chamaniques (Éditions Monique Tissot).
La Nature et le Sacré (Éditions Dangles).
Les Rites du Ciel et de la Terre (Éditions Dangles).
Le convive
(Poème extrait des « Chants Chamaniques » parus aux éditions Monique Tissot)
Il pleure, chante, rit, soupire et… disparaît.
Au Banquet de la Vie j’ai beaucoup mangé, beaucoup bu,
beaucoup aimé, beaucoup ri et beaucoup pleuré aussi.
Mais qui se souviendra du Convive que j’étais
au Banquet de la Vie.
Revêtu d’une ombre de lumière que l’on dit s’appeler chair
et si fragile
Que même l’air du Temps la gâte et la fait tomber
en poussière.
Jadis mon âme s’était égarée sur la planète Terre
où errent ces formes pensives de misère auxquelles
on donne le nom d’hommes.
Formes de sang bourdonnantes assignées à livrer
aux moulins des cimetières de vives moissons d’années.
En ce temps-là j’étais un grain mortel perdu
parmi des myriades de grains mortels
Attendant la moisissure du Temps qui sur tout
coulait sinistrement
Et pourtant, bien qu’étant fait de rien, je connaissais
la portée de mes faims.
Faims de sources et de vérités, faims d’étés enchantés
et de forêts hantées par de profonds secrets
Faim d’éternité enfin car je concevais le Ciel
comme un palais sans fin aux colonnes de silence.
Un palais d’amitié où règne le grand Être d’Éther
qui chante dans ses lumières et pleure dans les pierres.
Mais je n’étais qu’un faiseur d’images et avec mes pinceaux
trempés dans la sève des nuages
Je peignais de mes songes les plumages et les ramages
signés de la signature des orages
Je n’avais comme frontière entre moi et mon cri
qu’un peu d’os et de sang, d’artères et de chair.
Et je n’avais plus gardé de l’Amour que cette douleur de velours
couleur de tous les jours.
J’étais en somme une morsure à la courbure de brûlure
une clôture semée de piquets d’azur.
Et je fuyais épouvanté les jardins des regrets où se fanaient
les aubes de ceux que j’avais aimé.
Mes plus beaux domaines se désenchantaient lorsqu’ils étaient
aux libertés du vent livrés.
Et pourtant j’avais gardé en moi cette Terre d’or
cet éclat de Terre que jamais personne n’avait visité.
Et là, sous un dais d’astres purs avec tous ceux que j’avais été
avec tous ceux que j’étais et que je serai
Nous donnions des fêtes où toutes les Joies d’une Vie
avaient été invitées.
La Joie de créer au regard d’arc-en-ciel
La Joie de chanter à la gorge de lumière modelée.
La Joie de voir et de comprendre
le regard et le sang tout d’oiseaux blasonnés.
La Joie de savoir et d’apprendre
le corps couvert de clés en fils d’or sonores.
La Joie de prier
le front fait de toutes les poussières des chemins amassées.
La Joie de combattre et de battre, la Joie d’être sage et sagace.
La Joie de rêver et de s’abandonner, la Joie de livrer et de délivrer.
La Joie d’être en bonne santé et de durer.
La Joie de ressusciter à tout moment de la journée.
Et c’est avec ces Joies invitées, filles de moi-même et mères de mes univers
que nous allions danser la ronde de notre plus bel été.
Et nous étions réunis autour d’une grande table dressée
où des mets divins avaient été disposés
par les mains sacrées des servantes fées dont les yeux
étaient des vergers pour rêver.
Sur de longs plateaux d’argent s’étalaient en friandises adorées
toutes les pensées des cieux émerveillés
que nous avions trouvé avec au cœur
cette formidable soif d’intensité.
Dans des coupes de diamants murmuraient des vins dont le parfum
jamais ne s’éteint.
Et sous les rires de tous ceux que j’avais été, de tous ceux que j’étais
et que je serai
nous nous enivrions de ce lait tombé du front
des soleils exaltés.
Ah ! que mon esprit s’éperde et qu’il devienne une joie
de flammes vives
faites de toutes les flammes qui en ce monde ont dansé !
Et que mon âme soit le lit sacré de l’espace et que coule
en méandres d’étoiles
cette liberté de lumière que l’on appelle
la Vie !
Oui,
au Banquet de la Vie j’ai beaucoup mangé, beaucoup bu,
beaucoup aimé, beaucoup ri et beaucoup pleuré aussi.
Mais qui se souviendra du Convive que j’étais
au Banquet de la Vie ?