Une approche de la médecine tibétaine

(Revue Le chant de la licorne. No 20. 1987) Depuis l’invasion du Tibet par la Chine, l’Occident a pu bénéficier du rayonnement spirituel de ses Maîtres en exil. Parallèlement, quelques médecins, peut-être les plus réputés en Orient, commencent à transmettre dans nos pays les fondements d’un art de santé spécifique, directement issu de la Tradition […]

(Revue Le chant de la licorne. No 20. 1987)

Depuis l’invasion du Tibet par la Chine, l’Occident a pu bénéficier du rayonnement spirituel de ses Maîtres en exil. Parallèlement, quelques médecins, peut-être les plus réputés en Orient, commencent à transmettre dans nos pays les fondements d’un art de santé spécifique, directement issu de la Tradition et admirable tant pour son éthique que par sa cohérence et ses résultats. C’est le cas du Dr Tenzin Choedrak, qui, au mois de Mars 1988, a donné des enseignements au Centre Paracelse sur la médecine qu’il pratique.

Les origines de la médecine tibétaine

La médecine tibétaine est indissociable du Bouddhisme. La Tradition explique que cette science a été révélée par le Bouddha de Médecine, Sangye Menla, émanation de la compassion de tous les Bouddhas. Ces enseignements furent regroupés en quatre tantras :

le tantra racine (six chapitres) ;

le tantra explicatif (trente et un chapitres) ;

le tantra pratique (quatre vingt douze chapitres) ;

le tantra complémentaire (vingt sept chapitres).

Ils furent réexposés par le Bouddha Sâkyamuni ; le Bouddha de Médecine apparut à diverses époques à certains êtres pour les transmettre directement.

Ainsi, malgré les reliquats des médecines indigènes plus anciennes (notamment celle de l’époque Bönpo), malgré les influences des grands systèmes médicaux voisins (médecines chinoise, Âyurveda, et même médecine grecque, puisque Galenos, médecin perse, fut invité à la cour du roi Sron-brcan-sgam-po au VIIe siècle), la médecine va constituer un édifice original et fort estimé dans tout l’Orient.

LE DOCTEUR TENZIN CHOEDRAK

Le Docteur Tenzin Choedrak (1922-2001) est le médecin personnel de sa sainteté le Dalai Lama. Il a reçu au Tibet une formation complète, soit 11 ans d’études médicales. Cinq années supplémentaires lui ont été nécessaires pour acquérir les bases de la pharmacopée traditionnelle.

Emprisonné pendant près de 20 ans par les Chinois, il a subi de nombreuses épreuves durant sa captivité, torturé, enchaîné, incarcéré dans l’un des camps de prisonniers du désert de Gobi. Là, sa connaissance des herbes et des fleurs lui permit d’échapper à l’inanition. Il résista également à des épreuves psychologiques débilitantes. Finalement relâché en 1980, il dirige depuis lors l’Université de médecine et d’astrologie (Mensrikan) de Dharamsala, où, sous l’impulsion du Dalai Lama, les exilés tibétains s’attachent à préserver leur Tradition.

Outre son activité de thérapeute et d’enseignant, le Docteur Choedrak a également entrepris des recherches sur les grandes maladies de notre temps. Dans certaines affections comme le diabète, les maladies coronariennes, les arthropathies, la maladie de Parkinson et certains cancers, la médecine tibétaine obtient des résultats que pourrait lui envier la médecine occidentale. Alerté sur le problème du SIDA, le Docteur Choedrak a mis au point un traitement, premier d’une série de huit, dont les résultats paraissent encourageants.

Le premier grand médecin célèbre du Tibet fut « Gyo-yon-tan-mgon-po », « celui dont le toit est couvert de turquoises » car il aurait, selon la légende, reçu des monceaux de turquoises après avoir guéri une divinité. Il vécut au VIIIe siècle et écrivit de nombreux ouvrages sur la médecine et celle-ci devint dès lors un système officiel. C’est également à cette époque que le traducteur Vairocana traduisit les quatre tantras (rgyud-bzhi) du sanscrit en tibétain. La médecine était alors portée en haute estime et était maîtrisée par la plupart des maîtres et des rois.

Le premier collège médical fut fondé sous le règne du cinquième Dalai Lama Lobsang Gyatso (1617-1682), à Chakpori près de Lhassa. Ce collège fut détruit lors de la récente invasion chinoise. Pour préserver l’intégrité de cette tradition, le Mensrikan, école de médecine et d’astrologie, a été créé à Dharamsala, en Inde.

L’origine des maladies

Pour le Docteur Choedrak, la maladie est toujours le résultat de la conjonction de plusieurs facteurs : une nourriture inappropriée, un manque de préceptes spirituels, des conflits dans la société… Nous sommes partie intégrante du monde. Nous ne pouvons pas nous en séparer. Nos maladies seront donc le reflet des pathologies du monde : guerres, pollution…

Nous sommes des êtres élémentaires, composés de trois principes de base, ou humeurs :

le vent, principe de mouvement, froid et léger, donne également la capacité de ressentir et d’interpréter les sensations.

la bile, principe de chaleur, est en particulier à l’origine de la chaleur digestive de l’estomac, de la coloration de la peau, du courage et de l’orgueil.

le phlegme, principe d’humidité, confère aussi à l’organisme stabilité et inertie et lubrifie les os et les articulations mobiles.

La source la plus profonde des maladies est l’ignorance, l’absence d’intuition spirituelle. Le monde devient incompréhensible, nous en avons des vues illusoires. De là découle un fonctionnement émotionnel incorrect : les déséquilibres du vent seront liés au désir, ceux de la bile à la répulsion, ceux du phlegme à l’ignorance. Les humeurs pourront être en excès, en défaut, ou différemment perturbées.

Puis, d’une source de maladie, d’une potentialité, la pathologie se développera si cette cause est soutenue par des circonstances secondaires, liées à l’hygiène de vie, l’alimentation ou d’autres facteurs émotionnels.

La maladie se manifeste alors en trois étapes : l’accumulation, la présentation et la pacification.

L’accumulation est la période qui précède les premiers symptômes (période d’incubation par exemple). Durant la présentation, la maladie se manifeste. Elle disparait durant la pacification mais pourra, par la suite et si elle n’est pas traitée, se représenter de manière régulière ou irrégulière.

Le diagnostic en médecine tibétaine

Il repose essentiellement sur l’examen des pouls, radiaux et cubitaux, l’observation de l’urine et sur l’interrogatoire du patient.

Par exemple, si les vents sont en conflit, le pouls sera fort en surface et vide en profondeur. Si les biles sont en conflit, le pouls sera fin, étroit et rapide. Si les phlegmes sont en conflit, le pouls sera faible, lent et émoussé.

Dans le diagnostic, il faudra d’abord considérer le niveau émotionnel puis le niveau physique. Par exemple, la colère provoque un excès de bile, puis le rougissement et le jaunissement. Il faut comprendre les relations entre les sources et l’expression de la maladie. Sans circonstances provoquantes, les trois humeurs doivent rester en état d’équilibre.

Les cinq éléments

La médecine tibétaine utilise deux systèmes de cinq éléments : Terre, Eau, Feu, Air, Espace et Bois, Feu, Terre, Métal, Eau.

Le système Bois-Feu-Terre-Métal-Eau est issu de la Tradition chinoise. L’enseignement de Kalachakra est la deuxième source des éléments, c’est-à-dire Terre-Eau-Feu-Air-Espace. Ces éléments sont en relation avec les cycles et les étoiles. Enfin, on retrouve dans les enseignements de Dompasherab, qui sont d’origine purement tibétaine, les cinq éléments avec l’Air et l’Espace. On y parle des cinq éléments et de leurs manifestations, particulièrement en relation avec les heures cosmiques.

Les cinq éléments se manifestent sur plusieurs niveaux : le monde dans lequel nous vivons, les parties du corps, les cinq sens… Même dans chaque chakra, on trouve des points exprimant les caractères des cinq éléments. Ainsi, dans le chakra du cœur sont les couleurs des quatre directions. On peut donc considérer que les cinq éléments y sont concentrés. Le Docteur Choedrak affirme : « Nous sommes nourris par les éléments. Les maladies sont des déséquilibres des cinq éléments. La guérison doit s’effectuer à travers la puissance des cinq éléments ».

Le traitement en médecin tibétaine

Les méthodes de traitement sont très nombreuses et variées. On les regroupe en quatre catégories :

la diététique,

l’hygiène de vie et le comportement,

la pharmacopée,

les opérations ou applications physiques : massages, vaporisations, bains médicinaux sont des opérations dites douces, saignées, cautérisations et ponctures sont dites rugueuses.

Dans la pharmacopée, on distingue sept niveaux :

les décoctions,

les poudres, les pilules,

les concentrés huileux,

les cendres,

les remèdes à base d’éléments précieux : gemmes, métaux…

Chaque méthode aura ses indications particulières : ainsi, on utilise les décoctions dans les maladies complexes, ce qui est le plus souvent le cas, pour séparer les problèmes. On pourra rassembler ce qui est diffusé, dans le cas d’une fièvre par exemple, concasser ce qui est trop concentré, comme une tumeur, stimuler une maladie cachée pour la faire revenir en surface. On peut aussi utiliser une décoction pour séparer le mauvais sang, avant d’effectuer une saignée.

On saigne les patients ayant trop de sang, ce qui se manifeste par un tempérament agressif, des yeux injectés, un teint foncé. Le régime est habituellement trop riche.

Il existe 70 points de saignée, sur toutes les veines superficielles. On ne saigne jamais une artère. La veine doit être incisée longitudinalement. Tant qu’il sort du sang noir, ou blanchâtre et avec des bulles, ou si un fluide clair apparaît, il faut continuer. On stoppera la saignée lorsque le sang s’écoulera rouge et qu’apparaîtront de petites stries. On risque alors d’épuiser la force vitale du patient.

Pharmacopée orientale et pharmacopée occidentale

Les travaux de maîtres anciens ont permis aux médecins de comprendre profondément les plantes et les substances médicales du Tibet. Ils utilisent également des plantes indiennes, quelques produits sri lankais, un minéral sibérien… Leur pharmacopée a donc reçu de nombreuses influences extérieures.

Pour le Docteur Choedrak, si l’on voulait utiliser les matières premières occidentales, il faudrait tout d’abord en faire une étude soigneuse et établir des correspondances avec les plantes et substances tibétaines, voir quels en sont les saveurs, la puissance, l’équilibre, avant de les faire entrer dans la composition des remèdes.

Pour avoir une pharmacie de base, il faudrait 50 à 60 remèdes traitant les déséquilibres les plus fréquents en Occident : problèmes gastriques, acidité, douleurs lombaires et des membres inférieurs, stress et maladies nerveuses.

L’attitude du médecin envers sa pratique

Il doit d’abord respecter le maître et l’enseignement de la médecine, de la même manière qu’on respecte un maître spirituel. Il doit suivre les enseignements avec attention et dévotion.

Il doit considérer le bien-être des autres comme le but principal, les malades comme ses propres enfants, et développer beaucoup de compassion pour leur état, quel que soit leur niveau social ou culturel.

Le diagnostic doit être précis. Localiser et caractériser précisément la maladie est fondamental si on veut obtenir la guérison. Si le médecin n’est pas sûr de son diagnostic, il ne doit pas le cacher. Il doit être honnête avec le malade. Il ne travaille pas en effet avec des objets mais avec la force vitale du patient.

En pratiquant ainsi la médecine, il accomplit les deux buts spirituels :

il participe au bonheur des autres,

il accumule des mérites pour soi-même.

Il y a quatre buts dans une vie humaine :

la spiritualité,

la richesse, le bonheur,

la libération.

La médecine peut permettre d’atteindre ces buts. « En se dépensant contre la souffrance des autres sous la tutelle du Bouddha de médecine, on participe à l’activité libératrice pour tous les êtres ».

Les conditions qui permettent la guérison

« Si six médecins pouvaient donner le même médicament à un malade, il n’est pas dit que ce dernier réagirait de la même manière. Le remède n’est pas seul à agir. L’attitude du médecin, la relation médecin-malade, les liens karmiques entre le malade et son médecin sont aussi importants. Parfois, un simple toucher, une visite peuvent avoir un effet thérapeutique, si la connexion avec le malade est forte ou l’attitude du médecin juste. Ainsi, même un aide-soignant peut favoriser la guérison, bien qu’il ne traite pas réellement« .

Dr. T. C

L’importance, dans le traitement, du degré de développement spirituel du patient

Le traitement doit toujours être adapté à l’individu, quel que soit son degré de développement. Si le problème est identique chez deux personnes d’un niveau différent, le traitement sera identique. En fait, même les êtres très évolués ne sont pas complètement libérés de tous les obscurcissements. Ils peuvent donc aussi souffrir de maladies, peut-être moins souvent.

Il est très difficile d’atteindre la réalisation totale. Tant qu’il persiste le moindre voile, une maladie demeure théoriquement possible.

L’accompagnement du mourant

Le premier conseil à donner à un mourant est de couper tout attachement, de ne pas avoir de regrets, de quitter ses proches, ses possessions, de se rappeler que tout est éphémère dans une vie. Les deux-tiers du problème résident là.

Il faut d’autre part essayer de considérer que la souffrance de l’agonie est un moyen de délivrer tous les êtres des effets de leurs actes nuisibles.

Le mourant devra ensuite s’orienter vers une nouvelle vie pour le bien des autres, ce qui lui permettra de franchir les trois étapes entre la mort et la renaissance, en analogie avec les trois états de l’illumination : la mort est l’expérience du Dharmakâya, le Bardo, état entre la mort et la renaissance est l’expérience du Sambogakâya, et la conception, celle du Nirmânakaya.

En étant ainsi serein à travers cette épreuve et en s’orientant vers le bien des êtres, on peut espérer obtenir une bonne renaissance. Si l’on ne coupe pas ses attachements pour la vie passée, il y a peu d’espoir de suivre un chemin clair vers une vie future.

Le Sida

Dans les textes anciens, un médecin célèbre pose à son maître la question suivante : « Comment évolueront les maladies dans le futur ? » Il est répondu que quatre phénomènes transformeront l’homme et la maladie.

Les mutations de la société qui deviendra plus complexe, provoquera plus de soucis qui génèreront des maladies.

L’homme obéira de moins en moins aux lois de la Terre. Même la religion deviendra un moyen ou une cause de conflits.

L’homme n’obéira plus aux principes spirituels. Il ne ressentira plus le besoin d’avoir un maître spirituel. Il manquera de respect aux divinités.

L’homme créera de nouvelles substances qui entraveront son développement et nuiront à sa santé.

Il se développera 18 maladies épidémiques qui pourront détruire le quart de la population terrestre.

Pour le Docteur Choedrak, le Sida fait probablement partie de ces 18 maladies. Il considère le Sida comme une perturbation de micro-organismes qui normalement habitent le corps humain et sont contrôlés par la force vitale du patient. Les micro-organismes auraient un rôle dans de nombreux mécanismes physiologiques. L’agression par un facteur extérieur, favorisée par la pollution et des règles de vies incorrectes, peut dérégler certains micro-organismes et favoriser le Sida.

Le Docteur Choedrak fait actuellement beaucoup de recherches sur le traitement du Sida. Il a préparé un premier médicament avec lequel il a obtenu des résultats encourageants. 65 malades sont ainsi traités aux U.S.A. Des améliorations de la formule sanguine ont été obtenues après trois semaines de traitement.

En été sortira un nouveau remède sur lequel il travaille depuis 6 ans. Élaboré selon les principes du Kala Chakra Tantra, il permettra de résister aux produits toxiques et polluants du monde moderne. Il devrait être très utile pour la lutte contre le Sida, les cancers et les 18 maladies.

L’évolution de la médecine tibétaine

Le Docteur Choedrak a beaucoup d’espoir quant aux progrès et à la diffusion de la science qu’il pratique. L’intérêt pour cette médecine se développe en dehors des milieux tibétains, et de nombreux malades ont fait appel à lui ou à ses confrères. Cela n’est pas dû à une quelconque propagande, mais plutôt aux bons résultats obtenus sur différentes maladies difficiles à guérir autrement : asthme, diabète, hépatites, maladies articulaires, hypertension… Les médecins tibétains sont d’autre part confrontés à la nécessité de faire connaître au monde leur système et d’éduquer les malades.

Les résultats ne sont pas toujours rapides.

Parfois, il faut convaincre le malade de poursuivre son traitement pendant plusieurs mois, même s’il n’y a pas de résultats sensibles. Il se peut en effet que le malade ne ressente une amélioration qu’après plusieurs semaines de cure, alors qu’en Occident, on est habitué à des remèdes dont l’effet est immédiat ou presque.

BIBLIOGRAPHIE

Clifford Terry : La médecine tibétaine bouddhique et sa psychiatrie. Dervy-livres. Paris. Massin Christophe : La médecine tibétaine. Ed. de la Maisnie. Paris.

Meyer Fernand : Soba Rigpa, le système médical tibétain. Éditions du CNRS. Paris.

La médecine tibétaine in Le Chant de la Licorne .N° 9. Vitré.

En anglais :

Burang Théodore : The tibétain Art of healing Londres ; Robert Watkins Book Ltd.

Norbu Dawa ed. An introduction to Tibetain Medicine. Delhi Tibetan Review Publications 1976.