Alain Persuy
Biosphère : les rôles de la forêt

Alain Persuy a une formation d’agronomie et de forestier et a travaillé sur les réserves naturelles françaises au ministère de l’Environnement. Scientifique et homme de terrain, Alain Persuy est à la fois forestier, formateur, conférencier et militant du domaine écologique. Il est aussi un talentueux vulgarisateur et photographe, et l’auteur de plusieurs ouvrages sur la […]

Alain Persuy a une formation d’agronomie et de forestier et a travaillé sur les réserves naturelles françaises au ministère de l’Environnement. Scientifique et homme de terrain, Alain Persuy est à la fois forestier, formateur, conférencier et militant du domaine écologique. Il est aussi un talentueux vulgarisateur et photographe, et l’auteur de plusieurs ouvrages sur la découverte et la protection de la nature. Il est auteur ou co-auteur de plusieurs ouvrages dont « France, ta forêt fout le camp » (Stock 2,1976), « Guide de la nature en France » (Bordas, 1979), « A la découverte de la France sauvage » (Sang De La Terre 2013) etc. Ce texte qui date des années 1980 décrit très bien l’importance de la forêt dans le cycle de vie terrestre pour tous les êtres vivants. Hélas depuis l’état de la nature ne cesse de se dégrader à une vitesse accrue. Aux intéressés, se reporter aux ouvrages récents de l’auteur pour plus d’informations actuelles.

(Revue CoÉvolution. No 15. Hiver 1983-1984)

Pour estimer les superficies forestières mondiales, il est difficile de réunir des chiffres récents et susceptibles de refléter la réalité du terrain. Les inventaires sont souvent absents, les données floues et entachées de subjectivité, ou tout simplement incomplètes. Par ailleurs, la situation évolue rapidement et ne permet donc pas de réelle précision. En 1967, Duvigneau estimait que 28 % du total des terres émergées étaient recouvertes de forêts. Près de 410 millions de kilomètres carrés. Depuis, hélas, ce manteau végétal rétrécit vite, trop vite. Au Nigeria, plus de 200000 hectares sont rasés chaque année. Madagascar a perdu les 3/4 de sa forêt origi­nelle ; le Brésil, près de 41 %. Chateaubriand avait bien raison d’écrire, déjà à son époque, que « les forêts précèdent les peuples, les déserts les suivent ». Or, tropicale ou tempérée, boréale ou subarctique, la forêt est indispensable au maintien de la vie sur terre. Cinq grands rôles peuvent lui être ainsi reconnus : régulation des climats, protection des sols, conservation de la flore et de la faune, lutte contre les pollutions, accueil et récréation des hommes. Tous, à l’évidence, sont remplis en même temps et sont pareillement importants ; en privilégier l’un plutôt que l’autre serait une erreur.

Régulation des climats

Les végétaux chlorophylliens respirent et trans­pirent, à l’instar de la majorité des êtres vivants. Ces deux phénomènes agissent de concert sur le cli­mat. L’évapotranspiration désigne la quantité d’eau transpirée par les plantes et évaporée par le sol. En ce sens, la présence d’un couvert forestier joue un rôle capital dans l’ensemble du cycle de l’eau. Les arbres pompent l’eau grâce à leur système raci­naire ; les nappes phréatiques sont ainsi maintenues à niveau. Ces phénomènes restituent l’eau à l’at­mosphère ; elle s’y recondense à une altitude et une température données ; des nuages se forment, la pluie en résulte et vient alimenter les végétaux, les nappes : le cycle est bouclé. Un hectare de forêt éva­pore de 20 à 50 tonnes d’eau par jour. Les régions forestières sont donc plus arrosées que les autres, et on en saisit l’importance pour l’ensemble des écosystèmes, naturels ou transformés par l’homme.

Le processus de la photosynthèse, le plus impor­tant sans doute des phénomènes biologiques, con­siste en la synthèse des substances organiques néces­saires à l’existence des plantes vertes, et ce, à par­tir de l’eau, des différents éléments minéraux et du gaz carbonique, avec le soleil comme source d’éner­gie (formule générale : 6 CO2 + 6 H20 + Énergie = C6 – H12 – O6 + 6 O2).

Cette réaction se traduit par le dégagement d’oxygène, et la fixation de gaz carbonique CO2, depuis quelque 2 milliards d’années… Or, de très nombreux travaux ont démontré que l’accroisse­ment du taux de gaz carbonique dans l’air, dû aux activités humaines, (industrie, circulation automo­bile, etc) est d’ores et déjà mesurable et perturbe le climat. Selon certains chercheurs, un « effet de serre » serait provoqué par l’élévation de ce taux ; menaçant de faire fondre lentement les calottes gla­ciaires et de faire monter le niveau des océans, avec toutes les conséquences que l’on peut trop aisément deviner (le rayonnement infra-rouge, émis par les océans et sur les continents, ou réfléchi par eux, ne peut plus se dégager normalement vers l’atmosphère).

Les arbres et le vent

Les arbres (et surtout les haies) constituent un frein efficace contre le vent et les tempêtes. Sur des étendues planes, mers, lacs, plaines déboisées (monocultures agricoles par exemple), le vent prend de la vitesse. S’il rencontre des arbres ou des haies, il est ralenti et perd de son potentiel destructeur.

Cependant si les haies brise-vent sont trop denses, elles agissent comme un mur ; le vent cherche à contourner l’obstacle par la droite ou la gauche ou par en-dessous, et crée des tourbillons dangereux.

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Les arbres et les glissements de terrain

Les racines des arbres retiennent le sol. Quand il pleut l’hu­mus se comporte comme une éponge. Après un déboisement même partiel la couche de terre (1) risque de glisser le long de la pente. Si une couche d’argile (3) se trouve sous des roches perméables (2), les arbres empêchent l’eau de s’infiltrer trop dans l’argile. En l’absence d’arbres, l’eau traverse la couche poreuse et l’argile devient glissante comme du savon, ce qui peut pro­voquer des glissements de terrain (4).

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D’autres scientifiques formulent des théories contraires ; il est vrai que des phénomènes comme le dégagement de poussières et d’aérosols (particules solides ou liquides en suspension dans un milieu gazeux), en partie dû lui aussi à l’homme, empêche les rayons du soleil de parvenir à la surface du sol et conduit à un refroidissement… Des controverses existent donc quant au devenir du climat mondial : nouvelle ère glaciaire, ou réchauffement généralisé ? Les dis­cuter nous entraînerait trop loin de notre sujet ; mais, étant donné le très grand rôle joué par les forêts dans le cycle du carbone, il convenait de ne pas sous-estimer les dangers de ces phénomènes, et de comprendre que les arbres ont une fonction vitale pour la biosphère tout entière.

Température, éclairement, humidité, pluvio­sité : la forêt influe sur tous ces facteurs climati­ques. L’assèchement de certaines régions d’Afrique comme le Sahel, celui de l’Éthiopie, sont dus en grande partie aux défrichements inconsidérés.

Protection des sols

Les sols sont partout fragiles, plus encore en montagne qu’en plaine bien sûr, mais partout ils sont soumis à l’action de nombreux facteurs éro­sifs : le vent, les pluies, les crues. Les ravages de l’érosion s’observent dans le monde entier. Stein­beck en a décrit les conséquences pour la cuvette intérieure des États-Unis dans son célèbre livre « Les raisins de la colère ».

En 1950, aux USA, plus de 120 millions d’hec­tares étaient touchés par l’érosion. En un siècle, près de 30070 des terres cultivables mondiales ont été détruites. En France, plus de 5 millions d’hectares sont atteints, dans le Sud essentiellement.

Si cette érosion est faible en prairie, elle devient nulle en forêt. La litière, les mousses y jouent un rôle de véritable éponge. On estime qu’un kg de mousse sèche peut absorber et retenir 5 litres d’eau ; un hectare de hêtres peut retenir plus de 4000 m3 en cas de précipitations importantes. La force érosive des gouttes se brise sur les houppiers (Sommets des arbres ébranchés), et l’eau s’infiltrera lentement, alimentant nappes souterraines et sources. Si ce rôle capital des végétaux pour retenir les terres n’est pas pris en compte, les catastrophes arrivent vite coulées de boues et d’avalanches ont détruit maints édifices, et tué des hommes, chaque année d’ailleurs. Les routes d’accès à la station de sports d’hiver des Arcs, en Savoie (station prétendument protectrice du milieu !), la voie ferrée Paris-Bourg-St-Maurice ont été tout récemment emportées par un torrent devenu furieux, et libre de toute canalisation natu­relle à la suite des coupes opérées dans le peuple­ment forestier, à l’imperméabilisation de trop gran­des surfaces. La destruction partielle de Florence en 1966 est encore due aux défrichements inconsi­dérés des bassins versants montagnards supérieurs.

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Température

Les arbres régulent la température et protègent les cultures du gel. Un microclimat se développe autour des haies ; la tem­pérature y est de 2 à 3° plus élevée qu’alentour, ce qui peut être suffisant pour protéger les cultures.

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L’arbre et le micro climat. Humidité

Quand l’air chaud arrive sur une région boisée, il se refroidit brusquement. L’humidité se condense et il commence à pleuvoir. On a effectivement constaté que les pluies sont plus fréquentes et plus régulières dans les régions boisées.

En régions tropicales, la latérisation, c’est-à-dire la formation d’une cuirasse d’oxy­des de fer et d’alumine, fait suite à la destruc­tion de la forêt. Cette carapace rend le sol défi­nitivement impropre à toute ultérieure régéné­ration, a fortiori toute culture.

En dehors du défrichement proprement dit, les coupes rases en sylviculture intensive, le per­cement de voies de « vidange » des bois (le débardage) effectué dans le sens de la pente, sont la cause d’innombrables glissements de ter­rain ; des tonnes de terre arable et d’humus sont emportées par chaque orage, alors qu’un sol met plus de 600 ans à se constituer.

La forêt, au risque d’employer une expression galvaudée, est le vivant épiderme de la terre et à force d’écorchures répétées, les plaies risquent de ne plus guérir.

Terminons ce bref résumé du rôle fixateur des sols en citant la fixation des dunes en zones littora­les, dont l’un des meilleurs exemples est celui de la forêt des Landes de Gascogne, où l’arbre fût asso­cié, voire précédé par des graminées comme l’oyat.

Conservation de la faune et de la flore

30 % des espèces végétales terrestres sont en forte régression, 10 % en voie de disparition ; des millions d’hectares sont rasés sans avoir jamais été prospectés scientifiquement en Europe, sont concernées respectivement 3046 espèces végétales et 107 espèces animales.

En France, 63 % des espèces de mammifères sont, elles aussi, menacées. Loups, chats sauvages, lynx, blaireaux, écureuils, loirs, ours sont en train de disparaître lentement. Les rapaces sont au nombre des catégories animales en danger. La dispari­tion ou la modification des écosystèmes forestiers influent également sur les populations d’insectes ; or 70 % des espèces végétales en dépendent pour leur reproduction ; situés en amont de nombreu­ses chaînes alimentaires, ces mêmes insectes sont nécessaires à la survie de leurs prédateurs naturels. Voilà bien illustré, une fois de plus, le fait de bouleverser l’un quelconque des maillons des chaînes alimentaires conduit à l’écroulement du tout.

Fort peu de forêts climatiques subsistent ; cli­matiques, primitives ou « vierges » : quelques cen­taines d’hectares en Italie, autant en Yougoslavie, quelques dizaines d’hectares en France, et la fameuse forêt de Bielowieza en Pologne (5035 ha). Milieu refuge, la forêt est l’un des derniers endroits où peut encore subsister une faune intacte : c’est encore, en matière de diversité et en terme de bio­masse, le plus riche des grands biomes terrestres.

Pour beaucoup de raisons donc, la sauvegarde des sylves et des espèces qui en dépendent est indispensable à l’équilibre de la nature et au devenir humain. Les animaux domestiques, les plantes cultivées proviennent de génotypes sauvages ; il est souvent fait appel à eux pour lutter contre des mala­dies, des faiblesses de végétaux « artificiels » inca­pables de résister aux agressions de l’environnement.

La recherche pharmaceutique et médicale, voire chimique, se tourne de plus en plus fréquemment vers les espèces sauvages ; qu’en serait-il, pour la santé des hommes, si ces espèces disparaissaient ?

Quelques espèces forestières dans le monde (vers 1980 !)

En voie de disparition

– Gorille de montagne (Ouganda, Congo)

– Lémuriens malgaches

– Jaguar (Brésil)

– Ours brun

– Grand tétras – Lynx

France Rapaces :

– aigle botté

– autour des palombes

Disparues

– 40 des 68 espèces aviennes des îles Hawaï

– Pic géant à bec d’ivoire (Mexique)

– Bison forestier européen (sauf en Pologne)

– pigeon migrateur (U.S.A.)

France

– Mustélidés

– Pic à dos blanc

– Pic tridactyle

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Arbres, vent, cultures et humidité

L’évaporation provoquée par le vent (et le soleil) est atténuée par les arbres eux-mêmes et par l’ombre qu’ils projettent. L’air stagne au-dessus du sol ; plus riche en gaz carbonique, il favorise la croissance des cultures par une meilleure activité photosynthétique. Dans les régions déboisées la circulation de l’air est plus intense et l’évapo­ration dé l’eau est plus forte. Le vent emporte le sol sous forme de poussière.

Citons l’une des toutes dernières découvertes médicales, dont la presse s’est faite l’écho : en 1969, un minable champignon fut rapporté en Suisse; provenant d’un échantillon de terre de l’une des plus sauvages étendues naturelles de Norvège. En 1983, on a été conduit à observer que l’une des subs­tances extraites de ce terne végétal, la « cyclospo­rine A », ouvrait d’immenses espoirs dans la lutte contre le diabète et favorisait l’acceptation par l’or­ganisme des greffes d’organes… Qui se serait sou­cié, en soi, de sauver ce champignon et le milieu dont il dépend, avant que ces recherches n’abou­tissent à ces fantastiques résultats ? Combien de tel­les substances ignorées sont elles renfermées par les plantes et les animaux forestiers ?

Quelques biomasses forestières

exemple d’une chênaie de 120 ans (Europe occidentale – par ha)

– plantes ligneuses : 274 tonnes

  • plantes herbacées : 1 tonne

  • grands mammifères : 2 kg

  • petits mammifères : 5 kg

  • oiseaux : 1,3 kg

  • pédofaune (faune du sol): 1 tonne

Biomasse d’oiseaux au km²dans 2 types forestiers

– forêt de résineux, Finlande : 22,5 kg

– forêt vierge en Slovaquie : 116 kg

Une chênaie peut contenir plus de 400 tonnes de matière vivante à l’hectare ; une forêt ombrophile tropicale, 500 tonnes ; une forêt boréale de coni­fères, plus de 250 tonnes.

Lutte contre les pollutions

Si le bruit, fléau moderne et à coup sûr pollu­tion, se distingue à plus de 2 km d’un axe routier important en « rase » campagne, il ne s’entend guère plus au-delà de 200 m en forêt…

La pollution atmosphérique, certes plus grave, est souvent mal évaluée. À noter que figure, parmi les premiers indicateurs de la pollution due aux gaz sulfureux, la disparition des lichens sur les tronc des arbres.

La pollution de l’air est provoquée à 60 % par la circulation automobile, le reste relevant de l’in­dustrie en général, de la combustion des hydrocar­bures et du charbon pour le chauffage, enfin de l’énergie nucléaire (centrales et usines).

Les chiffres dont nous disposons sont acca­blants, malgré les efforts de dépollution, imposés bien souvent, par l’action des sociétés de protec­tion de la nature. Relevons en quelques-uns :

– gaz carbonique : 15,4 milliards de tonnes/an (il en résulterait un accroissement de 2 % de la teneur de l’atmosphère chaque décennie)

– oxyde de carbone : 257 millions de tonnes/an

– anhydrique sulfureux (SO2) : 145 millions de tonnes/an ; au contact de la vapeur d’eau atmosphérique, il se transforme en acide sulfureux, puis sulfurique, donnant naissance aux pluies acides.

La liste des polluants dont nous gratifions ainsi l’environnement serait longue. Mentionnons cepen­dant les pollutions radioactives (rejets par les cen­trales nucléaires et les usines comme La Hague en Normandie de krypton 85, d’iode 131, etc).

Les poussières rejetées par l’industrie sont enfin plus lourdes qu’on pourrait le croire : en Grande Bretagne, certaines régions industrielles recevraient plus de 380 tonnes au m2 ! (1970). Soulignons le rôle de « poumons » pour la terre entière que jouent les forêts : elles fournissent, avec l’ensem­ble des végétaux chlorophylliens 30 % de notre oxy­gène ; le reste étant dégagé par le phytoplancton océanique. Si un hectare de massif forestier peut rejeter 1000 tonnes d’oxygène annuellement, un avion à réaction, sur le trajet Paris-New-York en consomme plus de 35 tonnes ! Nous vivons actuel­lement sur un stock, lentement grignoté.

Rôle social

De plus en plus, les citadins fuient autant qu’ils le peuvent lors de leurs congés, la vie traumatisante des villes. C’est en forêt qu’ils vont chercher la beauté, la poésie, la détente, le silence. Non chif­frable, ce rôle social devient en tout cas infiniment important pour l’équilibre psychologique et la santé humaine, dans tous les pays. Les forêts d’île de France reçoivent à elles seules, en une année, plus de 150 millions de visites ; ce qui pose d’ailleurs de redoutables problèmes de tassement des sols, de dérangements de la faune, de dégâts divers. Victime de son succès, la forêt doit là encore, être protégée de l’homme, cette fois de son envahissant amour !

Bibliographie

– Ramade, Éléments d’écologie appliquée, Mac Graw ­Hill 1974 (Paris)

– Dajoz, Précis d’Écologie, Dunod, 1972 (Paris)

L’État de l’environnement , 1983, Secrétariat d’État à l’Environnement (Paris)

– Guide de la nature en France, Bordas, collectif, 1979, Paris.