Serge Brisy
Ce qu'est la spiritualité

Briser son orgueil, reconnaître ses torts, ne jamais chercher à dominer autrui, s’incliner devant une supériorité réelle, se connaître jusque dans ses mobiles les plus secrets, sont là des petits riens aux yeux de ceux qui vivent superficiellement, mais ces petits riens vécus contiennent cependant la clef de bien des mystères. La lutte qui ne satisfait jamais, la compréhension des luttes toujours renouvelées, l’intrépidité dans la lutte, l’amour même de la lutte, non pour la lutte elle-même mais pour la réalisation du but assigné, attirent sur l’être des forces inconnues et bénies. Celui qui a le courage de sacrifier à son idéal tout ce qui l’en sépare, s’élève rapidement vers les cimes. Or, ce n’est ni l’entourage, ni les circonstances extérieures qui nous séparent du but ultime, mais uniquement nous-mêmes dans nos incompréhensions.

(Revue Spiritualité. No 9 &10. 15 Août – 15 Septembre 1945)

Toute possibilité de réalisation véritable est dans l’Amour. Aimer ses amis, aimer ses ennemis, aimer ceux qui vous aiment et ceux qui ne vous aiment pas, stabiliser en soi un influx d’amour croissant en le laissant rayonner sans arrêt, telle est la voie qui réalisera cette force sublime de la fraternité dont on parle trop, mais qu’on vit à peine. L’amour est une force fécondante qui s’exprime travers les mots, l’attitude, à travers le silence, peut-être surtout à travers le silence. Et rien de spirituel ne peut être véritablement vécu, tant que la source de l’Amour n’est pas éternellement jaillissante en soi.

L’Amour est la seule Loi. Plaindre ceux qui ne le comprennent pas, c’est déjà les aimer. Et vivre la Loi de l’Amour Divin, c’est se fondre entièrement en cet Amour. Dès que l’union est résolue, l’Amour s’exprime librement, spontanément, sans peine et fait du soi purifié l’instrument docile de la lumière révélée. Il n’est guère possible d’aimer par le « moi », car ce que le « moi » appelle « amour, affection, tendresse, amitié » cache toujours un besoin de possession ou d’exclusivisme. C’est ce sentiment de possession, c’est ce sens de la séparation qu’il faut transmuer en une force infiniment croissante de tendresse, jusqu’à ce que le soi, semblable à un miroir sans tache, ne reflète plus que la beauté d’un amour impersonnel et puissant.

Certes, cela demande une préparation lente, persévérante, un affinement incessant de tous les sentiments, une objectivité grandissante dans tout jugement porté sur autrui ou sur soi-même, un labour continuel du cœur qui doit recevoir toutes les semailles des pensées, des émotions et des intuitions pour les moissons proches ou futures. Mais rien ne se fait sans peine et l’éclosion de « l’humain » dans l’homme exige la suppression patiente de tout ce qui touche à l’animalité.

Briser son orgueil, reconnaître ses torts, ne jamais chercher à dominer autrui, s’incliner devant une supériorité réelle, se connaître jusque dans ses mobiles les plus secrets, sont là des petits riens aux yeux de ceux qui vivent superficiellement, mais ces petits riens vécus contiennent cependant la clef de bien des mystères. La lutte qui ne satisfait jamais, la compréhension des luttes toujours renouvelées, l’intrépidité dans la lutte, l’amour même de la lutte, non pour la lutte elle-même mais pour la réalisation du but assigné, attirent sur l’être des forces inconnues et bénies. Celui qui a le courage de sacrifier à son idéal tout ce qui l’en sépare, s’élève rapidement vers les cimes. Or, ce n’est ni l’entourage, ni les circonstances extérieures qui nous séparent du but ultime, mais uniquement nous-mêmes dans nos incompréhensions.

La plus grande force de l’Amour, la seule force de l’Amour est la Compréhension. Celui qui comprend ne peut s’empêcher d’aimer tout ce qui souffre — et la souffrance est l’expression directe de l’ignorance. Un Sage disait : « Tu ne peux à travers ta personnalité. Amoindris-la et tu aimeras davantage. » Il disait aussi : « Plonge au cœur des choses, développe ta sensibilité en devenant la chose ou l’être pour mieux aider. Aime sans te lasser. Aime par le service. Aime par la continuité silencieuse des petits services rendus… »

C’est en cela que se trouve le secret qui ouvre la première porte. Mais il faut aimer rendre service, le faire joyeusement, parce que le service des autres est la tâche directe du chercheur de la Vérité spirituelle. Le besoin d’un résultat immédiat ou personnel n’est qu’un marchandage spirituel, un poison qui corrompt la force pure de l’amour et fait, de l’acte libérateur, un engin de restriction. Toute voie a ses dangers. La plus simple cache des écueils. Si nous gardons à l’esprit que le véritable Amour ne peut en aucun cas être égoïste, nous nous apercevrons que bien peu savent véritablement aimer.

Réveiller l’Amour pur qui sommeille en soi, c’est marcher vers la libération totale de l’esprit, c’est apporter au monde dévasté ce dont il a besoin. C’est faire éclore dans les cœurs une force nouvelle de vie. Et n’est-ce pas uniquement cela la Spiritualité ?

Serge BRISY