Rémy Cornerotte
Chemins vers l'Absolu

Nous les hommes parmi les hommes, nous n’avons qu’un devoir, celui de chercher l’Absolu à travers toute notre vie. Et si nous avons trouvé, nous n’avons pas à justifier notre découverte.
Je vais montrer quelques chemins, des directions à prendre. La première route indique que l’Absolu est dans le quotidien.

(Revue Teilhard De Chardin. No 81-82. Mai 1980)

Texte repris du magnétophone

Nous les hommes parmi les hommes, nous n’avons qu’un devoir, celui de chercher l’Absolu à travers toute notre vie.

Et si nous avons trouvé, nous n’avons pas à justifier notre découverte.

Je vais montrer quelques chemins, des directions à prendre.

La première route indique que l’Absolu est dans le quotidien.

J’ai personnellement deux choses qui m’intéressent dans la vie : l’Absolu et le quotidien. Ma vocation n’a que ce programme, ce programme est d’ailleurs l’expérience de tous les hommes, de tous les temps.

L’homme en effet s’est toujours tourné du fini vers l’Infini et vice-versa.

La recherche de l’Absolu se vit comme une réalité quotidienne.

Chaque seconde vécue est de l’Absolu, du parfait, de l’achevé.

Quand le quotidien contient de l’Absolu, il le communique.

L’erreur est de situer Dieu seulement parmi les objets, alors qu’il est l’âme de tout, qu’il est tout.

L’artiste perçoit cette réalité. Je pense au cinéaste Robert Bresson.

Dans le film Au hasard Balthazard, il donne le sentiment que l’Absolu est continuellement présent.

Va-t-il mettre une croix pour symboliser cette présence?

Dans la porte à deux battants de l’étable où se trouve l’âne, il en posera une petite, comme on en voit d’ailleurs dans les portes d’étable.

Pour le film Un condamné à mort s’est évadé, Robert Bresson discutera pendant toute une demi-journée pour savoir qu’elle sera l’importance de la croix à épingler au revers du veston du pasteur : 4 mm. Cela encore lui semblera trop ! Pourquoi ? Parce que l’Absolu prend toute la place dans le réel et ne peut pas être signifié par une croix seulement.

Le sacré bien sûr passe à travers les signes.

Robert Bresson disait aussi qu’il désirait réaliser à la fois un film d’objets et un film d’âme.

Il entendait par là atteindre l’âme par les objets.

Les symboles révèlent l’expérience essentielle de tous les hommes pourvu que ceux-ci se donnent la peine de faire silence et d’être attentifs.

Pour percevoir l’Absolu, il faut prêter l’oreille et pas seulement celle qui orne le visage.

L’Echelle de Jacob exprime les rapports permanents qui existent entre le Ciel et la Terre.

Il y a d’autres symboles significatifs : la montagne, l’arbre, la maison… autant de symboles de l’homme enraciné dans la terre, la tête dans le ciel!

En l’homme, cet être vertical, chaque instant de la vie se déploie dans l’Infini et en chaque lieu où il est possède les dimensions de la Totalité de l’Espace.

Toutes les religions, les primitives comme les autres, ont été et sont une tentative pour  relier le Ciel et la Terre, mener à l’Unité.

Le Temps et l’Espace sont sacrés. Le travail, l’art, semer et récolter, danser, chanter autant de formes du Sacré, contenant l’Absolu.

Oui, d’âge en âge, l’homme a cherché à participer à la Plénitude, à ce chant magnifique de l’Absolu.

Mais l’Absolu n’est pas observable.

Dans l’Ecriture, il est dit que Dieu trouva ce monde très bon, très beau. Mais s’il est bon et beau, c’est parce qu’il est habité, nourri par une Présence.

« L’omniprésence de Dieu fait qu’Il est un ange dans un ange, une pierre dans une pierre, un brin de paille dans un brin de paille… » a dit l’évêque John Donn dans un de ses sermons.

Il n’y a pas d’autre chemin pour rejoindre l’Invisible que le visible. Le poète connaît le raccourci qui mène à l’Absolu. Il parvient à déployer son amour sur les autres. Il est les autres.

Dans le poème comme dans la danse, la musique, la cathédrale, l’homme devient un univers sacré avec son firmament, comprenant des étoiles, un soleil et une lune. Dieu a jeté sa semence dans cet univers.

Mais nous avons des yeux de taupe. Nous ne voyons pas plus loin que le bout de nos pieds. Tout est icône, tout est sacrement.

Parce que Dieu a dit que tout était bon, l’univers est déifié.

Tout est bénédiction. Malade Hölderlin dira à un ami : « … Je suis content comme lorsqu’en été, le père sacré secoue d’une main calme, de par les nuages, les éclairs qui bénissent… ».

Tout est signe sensible d’une réalité invisible.

Le mystère de l’Incarnation est bien le mystère de l’Absolu, ce « Dieu plus intime à moi que moi-même » de saint Augustin.

Il n’y a qu’un commandement : Aimer.

Je rejoins l’Absolu et je suis un existant en aimant.

Selon Macaire (vers 390), le cœur est comparé à une terre dans laquelle Dieu jette sa semence et possède son pâturage.

En déchiffrant le monde, je participe à la grande symphonie en gestation.

Il n’y a pas d’absolu pour rejoindre l’Absolu. Il y a le visible pour rejoindre l’Invisible, il y a le transitoire, le relatif pour rejoindre le permanent, l’éternel, il y a le corps pour rejoindre l’âme.

L’Absolu n’est pas réservé à quelques êtres, mais à tous les êtres attentifs.

Tout est signe, tout est parole, à condition de savoir voir et de savoir entendre.